Rivalité de Charles-Quint et de François Ier/1/01
La guerre entre François Ier et Charles-Quint suivit de près la lutte animée et opiniâtre qu’ils avaient soutenue pour l’élection à l’empire[1]. Cette guerre, qui devait remplir une partie du siècle de ses vicissitudes, ébranler si longtemps l’Europe, intéresser dans la rivalité de deux puissans monarques les destinées territoriales de deux grandes monarchies, décider du sort de l’Italie, favoriser les révolutions religieuses de l’Allemagne, provoquer les variations politiques de l’Angleterre changeant ses alliances selon ses convoitises et ses craintes, cette guerre éclata en 1521. La situation des pays y conduisit encore plus que les sentimens des souverains.
François Ier et Charles-Quint avaient essayé de se mettre d’accord et de rester en paix durant les quatre premières années de leur règne. Ils y avaient un intérêt égal. Le jeune Charles voulait s’assurer la paisible possession des Pays-Bas, de l’Espagne et du royaume de Naples. Il pouvait être facilement, dans ces états disjoints, troublé par le roi de France, qui, de la Picardie, de la Gascogne et de la Lombardie, n’avait que quelques marches à faire pour envahir l’Artois, la Flandre et le Brabant, provinces à certains égards françaises, pénétrer au-delà des Pyrénées, où se montraient les signes d’une prochaine révolte, enfin descendre au sud de l’Italie et s’en emparer comme l’avaient fait ses deux prédécesseurs, Charles VIII et Louis XII. De son côté, François Ier, après avoir reconquis le Milanais, remis les Suisses dans son alliance à la suite de leur défaite, contraint le pape et les états de l’Italie centrale à la paix malgré le mécontentement qu’ils éprouvaient de son voisinage, désirait s’affermir dans le duché de Milan, et ne pas en compromettre la seigneurie recouvrée en provoquant l’union de ce puissant prince avec l’empereur Maxim ilien resté longtemps son ennemi, avec le pape Léon X prêt à le redevenir, et avec plusieurs potentats italiens toujours disposés à entrer dans une ligue pour rejeter les Français au-delà des Alpes.
Les deux rois avaient donc réglé momentanément les affaires d’Italie, et ils s’étaient promis de terminer bientôt le différend relatif au royaume de Navarre. Par le traité de Noyon, Charles avait garanti l’établissement de François dans la Lombardie, et François avait cédé à Charles tout le royaume de Naples, sous la condition qu’il épouserait sa fille Louise et qu’il lui paierait annuellement, en échange de ses droits, 100,000 ducats d’or jusqu’à ce que sa fille fût en âge d’être mariée. Quant au royaume de Navarre, que Ferdinand le Catholique, en 1512, avait enlevé à la maison d’Albret, alliée de la maison de Valois, il avait été stipulé que Charles accorderait au prince qui en était dépossédé une satisfaction raisonnable, huit mois après avoir mis le pied en Espagne.
Toutefois l’accord si soigneusement ménagé entre François Ier et Charles-Quint dans les premières années de leur règne ne pouvait pas être durable. Les nécessités de leur position étaient plus fortes que les précautions de leur prudence. Une rivalité inévitable et des ambitions opposées devaient peu à peu les conduire à une rupture. La rivalité se montra dès qu’ils recherchèrent l’un et l’autre la couronne impériale. François Ier avait un grand intérêt à empêcher le possesseur déjà redoutable de si nombreux états de la mettre sur sa tête; mais il n’aurait trouvé aucun avantage à la placer sur la sienne. En l’obtenant, il se serait affaibli lui-même et il aurait alarmé l’Europe, déjà jalouse de l’étendue comme de l’unité de la France, et inquiète de sa domination en Italie. Un moment, entre la diète d’Augsbourg en 1518 et la mort de Maximilien Ier en 1519, il avait conçu le politique dessein de soutenir la candidature de l’électeur Frédéric de Saxe pour faire échouer celle de l’archiduc Charles[2]; mais il avait bien vite repris le projet inconsidéré de se faire élire. Il aurait pu donner un chef à l’empire s’il n’avait pas voulu l’être, tandis qu’en cherchant à le devenir, il fit nommer empereur son rival naturel et son ennemi futur.
C’était une grande faute. La puissance de Charles-Quint était dangereusement accrue par l’imprudence de François Ier. Avec la dignité impériale, qu’il recevait en Allemagne, il était investi de la suzeraineté politique en Italie. Il acquérait le droit ou le moyen de disposer des forces de l’une, d’intervenir dans les arrangemens territoriaux de l’autre, et de commander aux deux. Cette première lutte entre François Ier et Charles-Quint avait altéré leurs sentimens aussi bien que changé leurs positions. François Ier avait conservé un secret et profond dépit d’avoir échoué après avoir été si près de réussir. La prétention seule d’enlever à la maison d’Autriche la couronne de l’empire, qui s’y était maintenue comme un héritage depuis l’extinction de la maison de Luxembourg, avait excité en Charles-Quint une animosité que le succès n’avait point apaisée. Le changement survenu dans les dispositions des deux souverains amena bientôt un changement plus grave dans leurs relations : il laissa éclater la divergence jusque-là contenue de leurs intérêts. Cette divergence existait sur tous les points où ils étaient en contact par leurs territoires.
Du côté des Pays-Bas, sur les flancs desquels, soit au nord, soit au sud-est, François Ier entretenait dans son alliance le belliqueux duc de Gueldre, le politique duc de Lorraine et l’entreprenant Robert de La Marck, souverain de Sedan et de Bouillon, Charles-Quint revendiquait le duché de Bourgogne comme une partie de son héritage paternel, dérobé par Louis XI à la maison dont il descendait. Vers la frontière des Pyrénées, François Ier réclamait la restitution à Henri d’Albret du territoire qu’avait envahi huit années auparavant Ferdinand le Catholique afin de l’incorporer à la monarchie espagnole, dont il avait achevé la grandeur intérieure et atteint les limites naturelles par l’union de l’Aragon et de la Castille, la conquête du royaume musulman de Grenade et l’occupation du royaume français de Navarre. L’arrangement convenu à cet égard dans le traité de Noyon en 1516 avait été le principal objet d’une conférence tenue à Montpellier en 1519, entre le seigneur de Chiévres et le grand-maître de Boissy, dépositaires des pouvoirs comme de la confiance de Charles-Quint et de François Ier. Cependant toute la noblesse castillane et aragonaise se révoltait à la seule pensée que le petit-fils de Ferdinand et d’Isabelle pût se dessaisir d’un royaume qui était la clé des Espagnes[3]. Aussi la conférence de Montpellier, troublée par la rivalité électorale des deux monarques en Allemagne, avait-elle pris fin à la mort soudaine du grand-maître de Boissy, sans que Charles fût disposé à rendre la Navarre ou à en offrir une compensation,
En Italie, l’opposition des intérêts était bien plus grande encore, et devait produire un choc plus violent et plus prolongé. François Ier et Charles-Quint se faisaient face dans cette péninsule, dont l’un occupait la partie supérieure, et l’autre la partie inférieure. Aucun d’eux ne se croyait assuré de ce qu’il y possédait tant que son compétiteur pourrait le lui enlever en y conservant ce qu’il y tenait lui-même. Il était facile à François Ier de descendre avec une armée du Milanais dans le royaume de Naples, où il trouverait l’appui du vieux parti angevin, et Charles-Quint pouvait faire remonter, du royaume de Naples dans le duché de Milan, des troupes que seconderaient en leur agression tous les ennemis de la domination française au-delà des Alpes. Ils devaient donc chercher à s’exclure réciproquement de la péninsule, — François Ier en dépossédant Charles-Quint de l’Italie méridionale, Charles-Quint en expulsant François Ier de la Lombardie milanaise ;. Pendant quelques années ces projets avaient été tenus en suspens par des conventions purement provisoires et mal exécutées.
La rupture était imminente : les causes n’en manquaient pas ; mais avant de commencer la guerre, chacun des deux adversaires rechercha l’appui des deux princes dont la coopération pouvait le mieux en assurer le succès sur ses deux principaux théâtres, vers les Pays-Bas et en Italie. Prêts à se disputer, à main armée, les territoires en litige et la prépondérance politique, objet de leur commune ambition, ils se disputèrent auparavant, avec opiniâtreté, l’utile amitié du roi d’Angleterre et du pape. Par la séduction des flatteries comme par l’appât des avantages, ils s’efforcèrent l’un et l’autre de gagner l’orgueilleux et avide Henri VIII, l’inconstant et intéressé Léon X. Le premier avait toujours un pied à terre en France, où il possédait la ville fortifiée de Calais et le comté de Guines. Comme ses prédécesseurs l’avaient fait tant de fois et comme il l’avait fait récemment lui-même, il pouvait envoyer une armée dans ce port abrité, d’où elle débarquerait sans obstacle sur le continent, et marcherait, soit contre la Flandre, soit contre la Picardie, selon qu’il serait l’allié de François Ier ou de Charles-Quint. Le second disposait de l’Italie centrale. En sa double qualité de pape et de chef de la maison de Médicis, il régnait sur les états du saint-siège, et il dirigeait la république de Florence. Avec les forces pontificales et toscanes qu’il porterait au nord ou au sud de l’Italie suivant qu’il s’unirait à Charles-Quint ou à François Ier, il lui était facile d’expulser les Français de la Lombardie, ou les Espagnols du royaume de Naples. François et Charles, comprenant combien il importait à chacun d’eux d’avoir pour lui le roi d’Angleterre et le souverain pontife, n’oublièrent rien afin de les entraîner dans leurs inimitiés et dans leurs projets. Ils engagèrent une lutte diplomatique aussi animée qu’avait été ardente la lutte électorale pour la couronne de l’empire, et que devait être opiniâtre la lutte militaire pour la prépondérance conti4entale.
Léon X, qui avait été fait prisonnier à la bataille de Ravenne comme légat de Jules II, ennemi acharné de Louis XII, avait continué, comme pape, la politique nationale de son belliqueux prédécesseur ; mais il s’était montré moins hardi et surtout moins constant que lui dans le dessein de soustraire tour à tour l’Italie aux Français et aux Espagnols. Avec le patriotisme d’un vieil Italien et l’ambition d’un souverain pontife de ce temps, il avait la timidité cauteleuse, la mobilité intéressée et l’artificieux caractère d’un Médicis. Il s’était joint d’abord à la ligue armée qui voulait fermer à François Ier l’entrée du Milanais, d’où avait été expulsé Louis XII, et il avait ensuite refusé au roi Charles l’investiture du royaume de Naples, dont les papes étaient suzerains. Il n’avait pu empêcher ni le retour victorieux des Français dans la Lombardie ni le maintien des Espagnols dans l’Italie inférieure. Vaincu à Marignan, il avait été atterré par cette défaite. Lors de cette rude bataille, restée indécise le premier jour, le bruit était arrivé à Rome que les Suisses avaient battu les Français. Des feux de joie avaient célébré cette victoire, que Léon X avait annoncée lui-même avec allégresse à Marino Giorgi, ambassadeur de la république de Venise, dont les troupes combattaient à côté des troupes de François Ier. Le lendemain, l’ambassadeur vénitien, ayant reçu des lettres qui l’instruisaient au contraire de l’entière défaite des Suisses par les armées combinées de la France et de la république, se rendit au Vatican avec un nombreux et brillant cortège. Le pape, qui se levait tard, était encore au lit. Tiré de son sommeil par cette visite inusitée qui le jetait dans la surprise et l’inquiétude, le pontife sortit précipitamment de sa chambre à moitié habillé. « Saint père, lui dit l’ambassadeur de Venise, hier votre sainteté me donna une nouvelle mauvaise et fausse; aujourd’hui je vous en apporte une bonne et vraie. » Il lui montra en même temps les lettres qu’il avait reçues de la seigneurie de Venise. Certain de ce grand revers, Léon X dit avec effroi : «Qu’adviendra-t-il de nous et de vous aussi ? — Quant à nous, répondit Marino Giorgi, nous sommes avec le roi très chrétien, et votre sainteté n’a rien à craindre de lui non plus que le saint-siège. N’est-il pas le fils aîné de l’église? — Nous verrons, ajouta Léon X, ce que fera le roi de France; nous nous mettrons entre ses mains en demandant miséricorde[4]. » Ne s’opiniâtrant pas dans la lutte après Marignan, comme l’avait fait après Ravenne l’inflexible Génois qui l’avait précédé sur le trône pontifical, le souple Florentin lit un moment céder ses sentimens à ses craintes. Avec une résignation habile, il changea d’alliance, et mit toute son adresse à rendre moins dangereuses pour l’Italie les suites de cette défaite, à en tirer même profit pour le saint-siège. Il alla au-devant de François Ier jusqu’à Bologne, et conclut avec lui la paix la plus avantageuse.
En retour de son amitié, et au besoin de son assistance, il obtint du successeur de saint Louis et de Charles VII le fameux concordat qui détruisit définitivement le système électoral établi par le concile de Latran au XIIe siècle, renouvelé par le concile de Bâle au XVe, consacré par la pragmatique sanction de Bourges comme la règle de l’église de France, dont les dignités et les richesses furent désormais à la merci du roi et du pape. Il persuada au vainqueur de Marignan de ne pas entreprendre la conquête de Naples, le décida à soutenir l’autorité des Médicis dans Florence et à déposséder le duc d’Urbin, François-Marie de La Rovère, dont l’état serait donné, sous la suzeraineté du saint-siège, à Lorenzino, neveu de Léon X. Il ne put cependant rentrer dans les duchés de Parme et de Plaisance, qu’il revendiquait comme faisant partie des états de l’église, et que François Ier avait incorporés au Milanais; il se crut de plus exposé à la restitution de Modène et de Reggio, que le pape Jules II avait enlevés au duc de Ferrare : de là un regret et une crainte qui le disposaient à une rupture. Léon X en avait même saisi trop promptement l’occasion, lorsque l’empereur Maximilien s’était avancé, en 1516, à la tête d’une nombreuse armée d’Allemands et de Suisses, jusque sous les murs de Milan, pour arracher à François Ier sa récente conquête. Au lieu d’envoyer son contingent militaire au secours de ce dernier prince, comme il s’y était engagea Bologne, Léon X avait fait partir secrètement le cardinal de Bibiena pour le camp de l’empereur, avec l’offre de joindre les troupes pontificales aux siennes; mais Milan ayant été habilement défendu par le connétable de Bourbon et le maréchal J. J. Trivulzi, et Maximilien ayant quitté brusquement son armée, qui s’était dispersée faute de solde et de chef, Léon X s’était hâté de revenir à l’alliance de François Ier. Il lui avait transmis l’argent qu’il devait lui fournir pour lever des troupes qui l’aidassent à se maintenir dans le Milanais. En recevant ce secours tardif, arrivé lorsque tout danger était passé, François Ier avait dit spirituellement : «Je ferai avec le saint père un traité qui ne vaudra que pendant la paix[5]. »
Allié toujours équivoque, Léon X promettait selon ses craintes, agissait suivant ses intérêts. Pendant la vacance de l’empire, il s’était déclaré d’abord en faveur de François Ier, dont il avait. soutenu la candidature; mais au moment où le succès en était devenu incertain, il s’était tourné, selon sa coutume, du côté de son heureux rival[6]. S’il n’avait pas appuyé jusqu’au bout François Ier en Allemagne, il semblait du moins s’unir à lui plus que jamais en Italie[7]. C’était avec les troupes françaises qu’il avait repris le duché d’Urbin, et son neveu Lorenzo de Médicis, qui était venu le représenter à Paris dans le baptême du dauphin de France, dont il était le parrain, avait épousé une princesse du sang royal[8]. À cette union de la maison de France avec la famille des Médicis s’était ajouté un traité récent bien propre, en apparence, à rendre indissoluble l’accord du roi et du pape. Léon X et François Ier devaient s’emparer en commun du royaume de Naples, dont une moitié reviendrait au saint-siège, et dont l’autre moitié serait donnée à un fils puîné de François Ier. Afin de faciliter cette conquête, le roi se chargeait de mettre au service du pape six mille Suisses qu’il solderait lui-même, et de faire agréer aux Vénitiens l’arrangement convenu[9].
Mais Charles-Quint avait tenté le mobile et avide pontife par l’appât d’avantages bien plus séduisans et bien plus faciles à acquérir. Il n’était pas aisé de prendre le royaume de Naples, et il n’aurait pas été habile de le partager. Si le saint-siège entrait en possession d’une partie du territoire napolitain, l’autre partie serait placée sous la domination de la France, et, quoique agrandi, l’état ecclésiastique se trouverait pressé, des deux côtés de la péninsule, par la même puissance. Au lieu d’une conquête aussi incertaine et d’un partage aussi dangereux, Léon X reçut de l’empereur des offres bien capables de le détacher du roi de France. Charles-Quint lui proposa la restitution des deux duchés de Parme et de Plaisance, objets de ses incessantes convoitises. Il s’engagea de plus à établir dans la Lombardie milanaise un duc italien de la maison Sforza, auquel il en donnerait l’investiture. Une semblable perspective, qui ne laisserait que des princes nationaux depuis les frontières de Naples jusqu’au revers des Alpes, souriait à Léon X. D’ailleurs, après avoir acquis le duché d’Urbin avec l’aide de François Ier, il ne demandait pas mieux que d’acquérir par l’assistance de Charles-Quint les duchés de Parme et de Plaisance. Ambitieux sans retenue et négociateur sans foi, il portait dans ses projets d’agrandissement aussi peu de scrupule qu’Alexandre VI et autant d’ardeur que Jules II. Il conclut bientôt un traité particulier avec Charles-Quint pour expulser François Ier du duché de Milan et de la seigneurie de Gênes, comme il en avait conclu un avec François Ier pour enlever à Charles-Quint le royaume de Naples, et il devint l’allié secret du premier tout en restant l’allié apparent du second. Il attendit l’occasion de se déclarer et d’assaillir avec avantage celui dont il était déjà l’adversaire, et dont il se disait encore l’ami.
François Ier qui perdait ainsi, sans le savoir, l’alliance de Léon X, conserverait-il mieux l’alliance d’Henri VIII? Celle-ci était pour lui plus importante encore, car si l’inimitié du pape était dangereuse en Italie, l’agression du roi d’Angleterre l’aurait exposé à des périls plus grands dans les plaines de la Picardie pendant que ses troupes combattraient au-delà des Alpes. L’une le menaçait d’une dépossession en pays étranger, l’autre d’une invasion en France. Aussi mit-il tout en œuvre pour maintenir dans son amitié le monarque anglais, qu’on captait par des flatteries, qu’on achetait par des subsides, et dont la duplicité intéressée égalait la fourberie politique de Léon X.
Henri VIII était attaché par de vieux liens à la maison de Bourgogne, qui avait constamment appuyé les prétentions des rois d’Angleterre sur les provinces occidentales de la France, et qui avait même aidé ses deux prédécesseurs, Henri V et Henri VI, à régner dans Paris. Héritier paisible des maisons de Lancastre et d’York, épuisées par quarante années de guerres dynastiques, il disposait en Angleterre d’une autorité qu’il pouvait pousser jusqu’à la tyrannie, et il était prêt à revendiquer sur le continent la Normandie, la Guienne, et même tout le royaume de France. Son mariage avec Catherine d’Aragon, dont la sœur aînée, Jeanne la Folle, avait épousé Philippe le Beau, père de Charles-Quint, l’avait étroitement uni à tous les ennemis de Louis XII et de François Ier. Il avait fait la guerre à l’un et l’avait préparée contre l’autre. Après la bataille de Marignan, il était entré en jalousie de François Ier, et, de concert avec l’empereur Maximilien et les cantons suisses dissidens, il avait projeté de le chasser de l’Italie supérieure, que ce prince victorieux avait recouvrée[10]. Pour la première fois, il avait laissé apercevoir la pensée de le déposséder de sa couronne. Cette couronne, il la réclamait pour lui-même, et Maximilien, encourageant l’ambition d’Henri VIII, n’avait pas craint de dire qu’il la mettrait sur sa tête[11].
Tous ces vains projets n’avaient pas résisté à la dispersion de l’armée de Maximilien, et ils s’étaient complètement évanouis à Cambrai et à Fribourg, lorsque l’empereur et les treize cantons suisses y avaient conclu la paix[12] et la ligue perpétuelle[13] avec François Ier. Peu de temps après, le traité de Londres[14] avait rapproché les deux rois. François Ier avait acquis l’amitié fort peu désintéressée d’Henri VIII, et, ne pouvant pas lui céder des provinces, il lui avait donné de l’argent. Il avait acheté l’avide monarque et son ministre Wolsey, non moins avide que lui, le premier par la somme de 600,000 couronnes[15], qui vaudrait plus de 30 millions aujourd’hui, le second par une pension de 12,000 livres. Afin de s’attacher encore mieux le puissant ministre qui disposait des sentimens de son maître aussi bien qu’il dirigeait ses affaires, il lui avait fait espérer la tiare. « Le roi très chrétien m’a chargé de vous écrire, mandait au cardinal d’York sir Thomas Boleyn, que si vous aspiriez au saint-siège, il pouvait vous assurer quatorze cardinaux. Des deux partis qui sont en présence, les Colonna et les Orsini, il vous donnera les Orsini... Il est convaincu que le roi d’Angleterre et lui ne font qu’un, et que nul ne peut être empereur ni pape, si cela ne leur plaît à tous deux[16]. » En même temps qu’il croyait gagner l’ambitieux Wolsey par la perspective du pontificat, il comptait resserrer ses liens avec Henri VIII, en convenant d’un mariage entre la fille unique de ce prince et le dauphin de France.
Le traité conclu avec le roi d’Angleterre ferait-il de lui un allié fidèle de François Ier? Les sentimens d’Henri VIII se manifestèrent dans leur duplicité lors de l’élection à l’empire. Pressé par son neveu le roi catholique et par son futur beau-frère le roi très chrétien d’appuyer leur candidature en Allemagne, il le promit à tous deux[17], puis il songea à se faire élire lui-même; mais sa prétention étant trop tardive et l’achat des électeurs devant lui être trop coûteux, il y renonça[18]. Il laissa croire à chacun des compétiteurs qu’il s’était déclaré pour lui, quoique au fond il n’en eût secondé aucun. Toutefois son penchant, conforme à son intérêt, lui avait rendu le succès de Charles-Quint préférable à celui de François Ier[19].
Après l’élection, les deux rivaux en Allemagne, près d’en venir aux mains en Italie, vers les Pyrénées, sur les confins des Pays-Bas, se disputèrent de plus en plus l’assistance du roi d’Angleterre. Afin de mieux cimenter l’union rétablie par le traité de Londres, François Ier avait recherché une entrevue avec Henri VIII. Cette entrevue, stipulée dans le traité même, devait avoir lieu sur le territoire qui séparait les possessions des deux rois, entre Ardres et Calais. Dans son impatiente ardeur, François Ier avait juré qu’il ne couperait point sa barbe jusqu’à ce moment désiré[20]. Henri VIII, ne voulant point rester en arrière, avait fait le même serment; mais, moins pressé de se rendre sur le continent que François Ier de l’y rencontrer, il s’était brusquement débarrassé de sa barbe, ce qui avait paru de fort mauvais augure à la cour de France. A la surprise assez inquiète qui en avait été exprimée, l’ambassadeur d’Henri VIII avait répondu, au nom de son maître, « que la bonne affection était dans le cœur et non dans la barbe. » Les instances redoublées de François Ier[21] avaient enfin obtenu que l’entrevue ne fût pas différée davantage. Elle fut fixée au commencement de juin 1520.
Charles-Quint, dont François Ier rencontrait la rivalité partout, le devança auprès d’Henri VIII. Depuis le mois de janvier, il négociait aussi du fond de l’Espagne une entrevue avec le roi d’Angleterre. Wolsey avait eu la première pensée de cette rencontre[22], indiquée pour le 15 mai, sur les côtes d’Angleterre, un peu avant la conférence d’Henri VIII et de François Ier. Pressé par les princes allemands[23] d’aller prendre possession de l’empire en se faisant couronner à Aix-la-Chapelle, résolu dans les intérêts de sa politique à se rendre en Angleterre pour y visiter son oncle Henri VIII et s’y entendre avec lui, Charles-Quint se disposait à quitter l’Espagne, qu’il avait trouvée mécontente à son arrivée et qu’à son départ il laissait prête à devenir rebelle. Pendant les trois ans et demi qu’il avait passés dans ce pays aussi jaloux de ses droits nationaux qu’attaché à ses vieux usages, il s’était comporté en étranger et avait voulu s’imposer comme un maître. Son penchant précoce au pouvoir absolu, sa gravité froide, son humeur altière, l’éloignement dans lequel il tenait les Espagnols, dont il n’avait pas les mœurs et ne connaissait pas encore la langue, l’avidité sans bornes de son gouverneur Chièvres et de ses compatriotes les Flamands, qui seuls avaient accès auprès de lui et qui s’appropriaient ou vendaient tous les emplois et toutes les dignités du royaume, avaient profondément indisposé les peuples de cette fière et indépendante péninsule[24].
Ce n’était pas sans peine qu’il y avait été reconnu roi. Après de longues négociations, les Castillans s’étaient décidés les premiers à l’admettre en partage de la couronne avec sa mère Jeanne la Folle, que sa maladie empêchait de gouverner, mais à laquelle seule appartenait le droit de régner. Les cortès de Valladolid, en consentant à ce que Charles fût à la fois l’administrateur unique et le co-souverain du royaume, avaient déclaré que sa mère, dont le nom précéderait le sien sur tous les actes publics, reprendrait le gouvernement de l’état, si Dieu lui rendait la santé et la raison. Un serment réciproque avait été ensuite prêté : par Charles, d’observer les lois et de respecter les privilèges de la Castille; par les Castillans, de garder une fidèle obéissance au nouveau roi. Ce double engagement de ne pas enfreindre le droit et de ne pas sortir de la soumission devait être bientôt violé des deux parts.
Charles avait rencontré des difficultés non moins grandes dans l’Aragon, que régissaient des institutions fort libres, et dans la principauté remuante de Catalogne. Il avait fini par les surmonter, et, là aussi, après une longue résistance, on avait admis sa souveraineté en la soumettant toutefois à des conditions. Cette royauté restreinte et cette obéissance subordonnée, il n’avait pas même eu le temps d’aller les imposer au royaume de Valence, qui ne consentait à lui prêter serment que s’il se présentait lui-même pour le recevoir[25]. De Barcelone où il était, quand lui avait été apportée la nouvelle de son élection à l’empire, il s’était hâté de retourner en Castille pour se rendre sur les côtes de la Galice, faire voile vers l’Angleterre, et se transporter de là en Allemagne à travers les Pays-Bas.
Les cortès de Valladolid lui avaient accordé un servicio ou subside de 600,000 ducats qui devait être levé dans trois années. Le terme de cette concession n’était pas encore atteint, lorsque Charles-Quint, prêt à quitter l’Espagne et pressé par le besoin d’argent, convoqua de nouveau les cortès afin d’obtenir un second subside. Il les convoqua pour le 1er avril 1520, non plus dans une ville de Castille, conformément à l’usage, mais à Saint-Jacques de Galice, non loin du port et du moment où il devait s’embarquer. Cette mesure, accomplie d’une manière à la fois arbitraire et violente, devint le signal de l’insurrection qui ébranla d’abord, puis finit par rendre absolue la monarchie espagnole, dont les forces, quelque temps paralysées pour Charles-Quint, furent ensuite à sa merci durant le reste de son règne. Au mécontentement des grands[26] s’ajouta alors le soulèvement des villes.
Déjà l’ancienne capitale de l’Espagne, la puissante ville de Tolède, peu satisfaite de l’administration du jeune prince, et irritée de la levée du premier subside cédé à des traitans pour une somme supérieure à celle qui avait été votée, avait séditieusement proposé aux autres cités de la Castille de se former en junte, afin de porter remède aux maux du royaume, que l’absence prochaine du roi menaçait d’aggraver encore[27]. Elle se prononça vivement contre la réunion des cortès en Galice et contre le vote de tout nouveau subside. L’agitation fut universelle au centre de l’Espagne, et le jour où Charles-Quint partit de Valladolid pour se diriger vers la Galice, le peuple s’ameuta afin de l’en empêcher. A peine sa garde put-elle lui frayer un passage à travers la foule et protéger sa sortie en même temps que la vie de Chièvres, poursuivi par des cris de mort.
Ces symptômes alarmans n’arrêtèrent point l’obstiné Charles-Quint. Il ouvrit lui-même les cortès de Saint-Jacques ; il y exposa les causes de son départ, les nécessités de sa position, et il demanda que l’assemblée vînt à son aide, en lui accordant encore un servicio. Elle n’y était pas disposée, et pour l’y contraindre des mesures de rigueur frappèrent les députés les plus opiniâtres dans leur refus, des menaces intimidèrent les autres. Les députés de Salamanque furent exclus des cortès, ceux de Tolède furent relégués dans une sorte d’exil, et à leur place l’empereur désigna lui-même au choix des villes des mandataires moins indociles, qui, au lieu d’être les libres représentans de leurs vœux, seraient les exécuteurs obéissans de ses volontés; mais ils ne furent pas nommés. Avant qu’ils pussent l’être, l’assemblée mutilée et contrainte des cortès, que Charles-Quint avait transférée à La Corogne, vota un subside de 200 millions de maravédis, sans que les procuradores de Salamanque, de Toro, de Madrid, de Murcie, de Cordoue, de Tolède, prissent part à cette décision, que repoussa l’un des deux députés de Léon[28].
Loin d’obéir aux injonctions de l’empereur, la ville de Tolède était entrée en pleine révolte. Le peuple insurgé y avait mis à sa tête le député exilé don Pedro Laso de la Vega, ainsi que le fier et entreprenant don Juan de Padilla, fils du grand-commandeur de Léon; il s’était emparé des ponts fortifiés sur le Tage et de l’Alcazar, dont il avait chassé le gouverneur; il avait proposé aux autres cités son exemple, que devaient suivre bientôt Ségovie, Médina, Burgos, Salamanque, Avila, Toro, Cuença, Madrid, Zamora, et presque toutes les communes de Castille. Cette dangereuse rébellion fut connue à La Corogne le 8 mai[29]. Pour l’empêcher de s’étendre, les plus hardis conseillers de Charles-Quint étaient d’avis qu’il devait se rendre sans délai devant Tolède, y ramener la soumission par sa présence ou par la force, punir exemplairement les chefs de la sédition, et apaiser le trouble dans le royaume en y inspirant la crainte. Chièvres ne partagea point ce sentiment; il pensa qu’il ne serait pas facile de soumettre une ville comme Tolède avec le peu de troupes qu’avait en ce moment l’empereur. La probabilité d’autres soulèvemens, la peur d’exposer sa personne en rentrant dans le cœur de la Castille, le désir de quitter un pays où il s’était enrichi et où il était universellement détesté, enfin la nécessité qui pressait Charles-Quint d’aller prendre possession de la couronne impériale et de prévenir par une conférence avec Henri VIII l’entrevue que le roi d’Angleterre devait avoir avec François Ier, le firent opiner pour un prompt départ. Charles-Quint lui-même, tenant moins compte de son autorité en Espagne que de sa politique en Europe, voulut se rendre en Angleterre. Il croyait que les mouvemens de la Castille se calmeraient pendant son absence, tandis qu’il ne retrouverait plus l’alliance d’Henri VIII, s’il perdait l’occasion de s’en assurer.
Aussi, les vents contraires l’empêchant de sortir de La Corogne à l’époque convenue, il s’adressa avec anxiété au cardinal Wolsey pour que Henri VIII lui accordât encore un peu de temps. « Il me serait aussi fâcheux que nuisible, lui écrivit-il, d’aborder en Angleterre et de ne plus y trouver le sérénissime roi mon oncle, lors surtout que, poussé par l’ardent désir de cette réunion, je mets tant de hâte à partir d’Espagne. Votre révérendissime seigneurie sait tout ce que cette entrevue peut apporter d’utilité à moi, au roi mon oncle, et à toute la république chrétienne; je la prie donc très instamment d’obtenir que le roi, comme je l’en conjure par les lettres que je lui écris, consente à retarder son départ de quelques jours et jusqu’après mon arrivée[30]. »
Henri VIII attendit en effet Charles-Quint, et ce prince quitta l’Espagne aussitôt que les vents le lui permirent. Il laissa pour gouverner ce royaume agité le cardinal de Tortose, Adrien d’Utrecht, son ancien précepteur, dont il recommanda l’administration aux grands, qu’acheva de mécontenter le choix d’un étranger. Abandonnant pour ainsi dire à elle-même une rébellion qu’il n’avait pas su prévenir, qu’il ne se mettait pas en peine de réprimer, et dont sa fortune devait triompher bien plus que son habileté, il monta sur sa flotte le 19 mai et mit à la voile le 20. Suivi de Chièvres, qui fuyait la haine des Espagnols, il aborda à Sandwich, où le cardinal Wolsey s’était rendu pour le recevoir. Henri VIII se porta au-devant de lui jusqu’à Douvres. Les deux monarques passèrent cinq jours ensemble dans la plus cordiale intimité[31]. Ils s’entretinrent de leurs plus secrètes affaires et jetèrent les fondemens de leur future alliance. Charles-Quint se montra plus habile en Angleterre qu’il ne l’avait été en Espagne. Il laissa entrevoir à Henri VIII la possession de plusieurs provinces de France qu’il ne pourrait ni réclamer ni reprendre sans lui. Il fit espérer en même temps au cardinal Wolsey son élévation au siège pontifical, qu’il était plus capable de faciliter comme empereur et roi de Naples que ne pouvait l’être François Ier comme roi de France et duc de Milan. Il gagna ainsi et le ministre et le roi en tentant chacun d’eux, par l’objet de son ambition.
Le jour même où il se sépara de Charles-Quint, Henri VIII s’embarqua pour aller voir François Ier. Il arriva à Calais le 1er juin, accompagné de la reine Catherine sa femme, suivi de son premier ministre Wolsey, escorté des grands officiers de sa couronne et des principaux prélats de son royaume, et conduisant avec lui ce que l’Angleterre avait de plus noble et de plus opulent. Il portait sur sa flotte tout un vaste palais en bois et en verre, qui, ajusté et déployé hors du château de Guines, fut intérieurement recouvert en étoffes de velours et de soie ou orné avec les belles tapisseries d’Arras. Enfermé pendant la nuit dans le fort château de Guines, Henri VIII devait pendant le jour habiter cet élégant palais pour y recevoir et y fêter la cour de France[32].
De son côté, François Ier, heureux de la rencontre dont il attendait la consolidation d’une amitié qui ne lui laissait craindre, comme il le disait[33], aucun prince sur le continent et le rendait certain de réussir dans ce qu’il projetait d’entreprendre, s’était transporté jusqu’au château d’Ardres. Il y était venu en compagnie de la reine Claude sa femme, de la duchesse d’Angoulême sa mère, de la duchesse d’Alençon sa sœur, formant avec lui, par l’accord intime des idées et des sentimens, cette trinité spirituelle que chantaient les poètes[34] et à laquelle se recommandaient les ambassadeurs[35]. Il amenait quatre cardinaux, tous les princes de sa famille, le fier connétable de Bourbon, resté souverain féodal de plusieurs provinces du centre de la France, l’amiral Bonnivet, depuis longtemps son favori et alors le conducteur principal de ses affaires, le chancelier Du Prat, les divers officiers de sa couronne, les plus grands seigneurs du royaume, et même un certain nombre de gentilshommes qui, pour figurer dans cette entrevue fastueuse, avaient vendu leurs forêts, leurs moulins, leurs prés, qu’ils portaient, selon l’expression de Du Bellay, sur leurs épaules[36]. Il avait fait dresser en dehors de la ville d’Ardres, et non loin d’un petit cours d’eau, plus de trois cents pavillons couverts de toiles d’or et d’argent, tendus de velours et de soie, et sur lesquels étaient déployées les armes de France ou flottaient les insignes des princes et des seigneurs composant la brillante escorte du roi. Au milieu s’élevait la tente royale, plus grande et plus haute que les autres, surmontée d’une statue d’or de saint Michel que faisaient étinceler au loin les rayons du soleil, dont la lumière rendait plus splendide encore cet élégant amas de tentes dorées et de pavillons argentés[37].
Rien ne fut égal en éclat à cette réunion des deux rois et des deux cours au camp si bien nommé du Drap-d’Or. Il y eut des deux parts un assaut de magnificence. Peut-être même chercha-t-on encore plus à s’éblouir qu’à se plaire, et l’étiquette nuisit-elle à la cordialité. Arrivés le Ier juin 1520, l’un à Calais, l’autre à Ardres, Henri VIII et François Ier s’envoyèrent visiter mutuellement par les personnages les plus considérables de leur conseil et de leur cour. Six jours se passèrent en négociations pour régler leur rencontre. Tout fut enfin arrangé avec un soin aussi défiant que minutieux, et comme s’il y avait eu à craindre et à empêcher quelque trahison. Il fut convenu que, sorti du château de Guines, où il s’était transporté le 5 juin, Henri VIII irait au-devant de François Ier, qui, de son côté, parti du château d’Ardres, s’avancerait vers Henri VIII jusqu’à un point marqué de son territoire.
Le mercredi 7 juin, les rois de France et d’Angleterre, montés sur de grands coursiers, vêtus le premier de drap d’or, le second de drap d’argent, parsemés de perles, de diamans, de rubis et d’émeraudes, la tête couverte d’une toque de velours resplendissante de pierreries, et que relevaient en flottant de magnifiques plumes blanches, se mirent en route à la même heure et du même pas. Leurs connétables les précédaient, l’épée nue à la main, et les seigneurs de leur cour, dans de somptueux costumes, leur servaient de cortège. Chacun d’eux était suivi de quatre cents archers ou hommes d’armes composant sa garde. Ils descendirent ainsi les deux coteaux qui, par une pente insensible, conduisaient dans l’agréable plaine du Valdoré, où avait été dressé un pavillon pour les recevoir. Ils ressemblaient à deux chevaliers marchant au combat plutôt qu’à deux princes allant à une entrevue politique. Leur escorte ne dépassa point une certaine distance où elle fit halte, et d’où elle parut veiller de loin sur eux, sans que les archers anglais s’approchassent trop du roi de France, ni les hommes d’armes français du roi d’Angleterre. Un peu avant de se joindre, Henri et François piquèrent leurs coursiers, qu’ils arrêtèrent avec la sûreté et la grâce de deux des plus habiles cavaliers du monde lorsqu’ils se trouvèrent côte à côte. Portant alors l’un et l’autre la main à leur toque, ils se saluèrent noblement et s’embrassèrent sans descendre de cheval ; puis, ayant mis pied à terre, ils se rendirent, en se tenant par le bras, sous le pavillon préparé pour leur entrevue. Ils y entrèrent en même temps. Le cardinal Wolsey et l’amiral Bonnivet les y avaient précédés[38].
François Ier exprima tout d’abord à Henri VIII son cordial empressement, et, cédant à la pensée qui ne le quittait pas, il lui offrit son assistance avec l’espoir d’obtenir la sienne. « Cher frère et cousin, lui dit-il, j’ai mis peine à vous voir. Vous méjugez, j’espère, tel que je suis, et prêt à vous faire aide avec les royaumes et seigneuries qui sont sous mon pouvoir[39]. » Henri VIII, éludant de s’engager, se dispensa de secourir François Ier en ne pas acceptant d’être, au besoin, secouru lui-même. Il se borna à lui donner l’assurance de son amitié, qu’il rendit encore conditionnelle. « Je n’ai en vue, lui répondit Henri VIII, ni vos royaume ni vos seigneuries, mais la loyale et constante exécution des promesses comprises dans les traités conclus entre nous. Si vous les observez, jamais mes yeux n’auront vu prince qui ait plus l’affection de mon cœur[40]. » Ils examinèrent alors le traité qui avait été arrêté la veille, et par lequel, conformément à la convention du 4 octobre 1518, le dauphin de France devait épouser la fille unique du roi d’Angleterre, et François Ier devait payer annuellement, aux deux termes de novembre et de mai, la somme de 100,000 francs, équivalant à plus de 2,860,000 francs de notre monnaie, jusqu’à la célébration, encore très éloignée, du mariage. En lisant le préambule du traité, dans lequel, selon l’étiquette diplomatique, le titre de roi de France était ajouté à celui de roi d’Angleterre et d’Irlande, Henri VIII dit avec une délicatesse spirituelle : « Je l’omettrai, puisque vous êtes ici, car je mentirais[41] ; » mais s’il l’omit dans la lecture, il le laissa dans le traité, et un peu plus tard il eut l’ambition de le rendre réel en envahissant la France et en voulant y régner. Après avoir conféré quelque temps, et, suivant l’usage d’alors, pris leur vin ensemble, les deux monarques admirent auprès d’eux les seigneurs de leur cour, qu’ils se présentèrent mutuellement, et qui furent embrassés, ceux de France par le roi d’Angleterre, et ceux d’Angleterre par le roi de France.
Les fêtes comme les rencontres, les festins comme les tournois, furent réglés et se passèrent d’une manière également cérémonieuse, avec des précautions qui excluaient l’intimité et des exigences qui annonçaient la jalousie. Lorsque François Ier allait dîner chez la reine Catherine à Guines, Henri VIII venait dîner chez la reine Claude à Ardres. Les deux rois se servaient ainsi d’otages l’un à l’autre[42], et se gardaient en quelque sorte chez eux, comme s’ils avaient été en face d’ennemis. Cette attitude soupçonneuse et ces démarches craintives ne convenaient pas plus aux vues politiques qu’au caractère confiant de François Ier. Un jour, voulant rompre cette barrière de cérémonies et de défiances, il se leva plus matin qu’il n’avait coutume de le faire, prit avec lui deux gentilshommes et un page, et simplement vêtu d’une cape à l’espagnole, il sortit d’Ardres pour aller surprendre le roi d’Angleterre dans Guines. Deux cents archers et le gouverneur du château étaient sur le pont-levis lorsqu’il y arriva. A la vue du roi de France venant à pareille heure, en si petite compagnie, se mettre ainsi entre leurs mains, ils furent ébahis. François Ier traversa leurs rangs avec un visage ouvert et riant, et, comme s’il prenait la forteresse d’assaut, il les somma gaiement de se rendre à lui. Le roi d’Angleterre dormait encore. François Ier alla droit à sa chambre, qu’il se fit indiquer par le gouverneur, heurta à la porte, éveilla Henri VIII, qui, en l’apercevant, fut encore plus émerveillé que ne l’avaient été ses archers, et lui dit sur-le-champ avec non moins de cordialité que de bonne grâce : « Mon frère, vous m’avez fait le meilleur tour que jamais homme fit à un autre, et me montrez la fiance que je dois avoir en vous. Dès cette heure, je suis votre prisonnier et vous baille ma foi[43]. » Il détacha en même temps de son cou un beau collier, et pria le roi de France de le porter ce jour-là pour l’amour de son prisonnier. François Ier alla encore plus loin dans ses démonstrations. Il avait un bracelet qui valait le double du collier, et, le mettant au bras d’Henri VIII, il lui demanda de le porter aussi pour l’amour de lui, et il ajouta qu’il voulait être ce jour-là le valet de chambre de son prisonnier. Le roi de France donna en effet la chemise au roi d’Angleterre. Le lendemain Henri VIII, imitant la confiance de François Ier, se rendit à Ardres fort peu accompagné, et il y eut entre eux un nouvel échange de présens et de courtoisies.
Cette émulation d’amitié fut suivie d’une rivalité d’adresse dans les tournois et les jeux que les deux rois donnèrent à leurs cours. De vastes lices que terminaient des barrières fortifiées pour les gardes de chaque prince, et que bordaient d’élégans échafauds dressés pour les reines et pour les dames, avaient été préparées dans un lieu élevé et découvert. Là, pendant huit jours, se poursuivirent à pied et à cheval, à la lance et à l’épée, des joutes auxquelles prirent part les plus habiles hommes d’armes de France et d’Angleterre. Les deux rois qui les dirigeaient y déployèrent, sans combattre ensemble, l’un sa brillante dextérité, l’autre sa force athlétique. François Ier, qui excellait dans les exercices chevaleresques, rompit ses lances avec une régularité accomplie; Henri VIII, dont l’impétuosité était irrésistible, atteignit si violemment de la sienne le casque de son antagoniste à la seconde rencontre, qu’il l’abattit de cheval et le mit hors d’état de fournir ses autres courses[44]. Ce fut surtout en tirant de l’arc que Henri VIII, l’un des meilleurs archers de son royaume, se fit remarquer par la vigueur du jet et la justesse du coup[45]. Il aurait également voulu montrer sa supériorité en luttant corps à corps avec François Ier. Les lutteurs anglais l’avaient emporté sur les lutteurs français, parce qu’on avait négligé de faire venir des Bretons, que nuls ne surpassaient dans ces sortes de joutes. Le soir, Henri VIII, espérant compléter la victoire des siens par un facile triomphe, s’approcha de François Ier, et lui dit brusquement : « Mon frère, je veux lutter avec vous. » En même temps il le saisit de ses fortes mains et chercha à le renverser; mais François Ier, très exercé à la lutte et doué de plus d’adresse, lui donna un tour de jambe, lui fit perdre l’équilibre et l’abattit tout à plat. Henri VIII se releva rouge de confusion et de violence, demandant à recommencer. Le souper qui était prêt et les reines qui s’interposèrent prévinrent cette dangereuse épreuve, plus propre à éloigner les deux rois par les blessures de la vanité que n’avaient pu les rapprocher les récentes intimités de leur longue entrevue.
Après vingt-cinq jours passés ensemble au milieu des fêtes et des plaisirs, François Ier et Henri VIII se séparèrent, cordialement unis en apparence. François Ier ne s’était pas assuré la coopération armée d’Henri VIII, mais il croyait avoir acquis son amitié intéressée et dès lors fidèle. Il l’avait achetée par une forte somme annuelle, qui, sous une forme déguisée, était un véritable subside. Il se flattait donc que si le roi d’Angleterre ne se déclarait pas pour lui dans la querelle près de s’ouvrir, au moins il n’embrasserait pas la cause de l’empereur, son adversaire.
Cependant à peine Henri VIII avait-il quitté François Ier, qu’il était allé à Gravelines, où l’attendait Charles-Quint. Après avoir reçu la visite du roi son oncle dans les Pays-Bas, l’empereur l’avait accompagné à Calais[46]. Là s’était conclu entre eux un nouveau traité. Charles s’y engageait à ne faire, pendant un délai de deux ans, aucune convention de mariage avec le roi de France. Il y était en outre stipulé que le roi d’Angleterre et l’empereur traiteraient un peu plus tard des choses dont ils s’étaient déjà entretenus, et qu’ils régleraient alors tout ce qui pourrait être utile à leurs intérêts, honneur et sûreté[47]. François Ier conçut, et non sans raison, de grandes inquiétudes sur l’objet et le résultat de ces secondes conférences, qui suivaient de si près son entrevue avec Henri VIII. Celui-ci préférait l’alliance de l’empereur. Toutefois, n’étant encore ni prêt ni disposé à la guerre, il se crut obligé de rassurer François Ier; mais ce qu’il lui communiqua pour diminuer ses soupçons était bien propre à exciter ses craintes. Il lui fit dire par ses ambassadeurs que l’empereur avait cherché à rompre le mariage de la princesse Marie avec le dauphin, en proposant de l’épouser lui-même, mais que sa tentative avait été repoussée. Les ambassadeurs d’Angleterre avaient ordre d’ajouter que l’empereur n’avait pas mieux réussi en pressant, avec de vives instances, le roi leur maître de se joindre à lui pour recouvrer les droits qu’il avait à la couronne de France, pour arracher de force le Milanais au roi très chrétien, et pour l’aider lui-même à aller prendre la couronne impériale en Italie[48]. Ce qu’il prétendait avoir refusé en ce moment, Henri VIII devait l’accepter bientôt, quoiqu’il affirmât qu’il resterait un fidèle allié de François Ier tant que François Ier serait lui-même un exact observateur des traités; mais en lui dévoilant les propositions alarmantes de l’empereur, qui voulait l’expulser de la Lombardie, le déposséder même de la France, et obtenir la princesse royale d’Angleterre, promise au dauphin, il ajoutait à ses ressentimens, et il précipita ses projets.
Aussi impatient qu’irrité, François Ier crut le moment très favorable pour assaillir en même temps au-delà des Pyrénées, dans le royaume de Naples, sur le territoire des Pays-Bas, Charles-Quint, qui, après avoir négocié avec Henri VIII, s’était fait couronner à Aix-la-Chapelle, et de là s’était transporté dans une ville épiscopale des bords du Rhin, où il avait convoqué la diète constituante de Worms. L’insurrection des comuneros devenue très dangereuse pour lui en Espagne, l’éloignement où il se trouvait de l’Italie, les embarras religieux et politiques qu’il rencontrait en Allemagne, semblaient le rendre impuissant alors protéger ses divers états. François Ier, se croyant toujours assuré de Léon X, lui envoya six mille Suisses afin qu’il les joignît aux troupes pontificales destinées à envahir l’Italie méridionale. S’il n’obtenait pas le concours d’Henri VIII, il espérait au moins conserver son alliance en ne se montrant pas l’agresseur direct de Charles-Quint, bien qu’il se considérât comme en droit de l’être par l’inexécution des engagemens pris au sujet de Naples et le mépris des promesses faites à l’égard de la Navarre. Il appela à Romorantin, maison de plaisance de la duchesse d’Angoulême sa mère, où il tenait souvent sa cour, Robert de La Marck, seigneur de Sedan et de Bouillon, qui possédait de fortes places sur la frontière des Pays-Bas et y commandait une petite armée; le duc de Lunebourg, gendre de son allié le duc de Gueldre, chef des bandes noires des lansquenets; André de Foix, seigneur de Lesparre et parent des d’Albret, qui pouvait lever une troupe de Gascons au pied des Pyrénées[49]. Il les renvoya après avoir concerté avec eux une attaque sur les flancs des Pays-Bas et une invasion de la Navarre, dont le recouvrement ne pouvait en ce moment être empêché par personne.
La guerre commença au printemps de 1521. Robert de La Marck, que la promesse mal tenue d’un chapeau de cardinal pour l’évêque de Liège, son frère, et le licenciement maladroit de sa compagnie de cent hommes d’armes avaient fait passer, avant l’élection à l’empire, du service de François Ier à la solde de Charles-Quint, et qu’une récente injustice de Charles-Quint[50] avait ramené au service de François Ier, envoya défier l’empereur au milieu même de la diète de Worms; puis, à la tête de ses fantassins et de ses cavaliers, parmi lesquels se trouvaient des Suisses de la garde du roi et des hommes d’armes de ses compagnies, il se jeta dans le duché de Luxembourg, où il assiégea Vireton. Peu de temps après, le seigneur de Lesparre franchit les Pyrénées avec huit mille bons soldats de Gascogne et environ trois cents lances françaises[51]. Cette expédition fut tentée au mois de mai. Le moment était encore favorable, quoiqu’il fut un peu tardivement choisi. La Navarre restait dégarnie de troupes. Le duc de Najera, qui en était gouverneur, avait envoyé la plus grande partie des soldats espagnols, avec lesquels il gardait ce royaume mal disposé pour ses nouveaux maîtres, aux régens d’Espagne[52], afin de renforcer l’armée des cavalleros, prête à en venir aux mains avec l’armée des comunidades.
Une vaste insurrection avait éclaté dans le royaume de Castille et de Léon après le départ de l’empereur pour l’Angleterre et pour l’Allemagne. Elle avait des causes anciennes et profondes dans les procédés et les abus d’une administration arbitraire et cupide; elle trouva une occasion dans le subside voté contre toutes les règles par les certes de La Corogne. De Tolède, où elle avait commencé, la révolte s’était rapidement étendue à Ségovie, à Médina del Campo, à Madrid, à Salamanque, à Avila, à Cuença, à Guadalajara, à Zamora, à Murcie, à Toro, à Léon, à Burgos, à Palencia, à Valladolid même, siège du gouvernement royal[53]. Partout on avait pris les armes, chassé les corrégidors du roi, ôté les verges de la justice à ses alcades, occupés de vive force les alcazars des villes, tenus par des délégués de la couronne ou par des membres de la noblesse. Le régent Adrien avait vainement essayé d’arrêter l’insurrection. Les juges et les soldats qu’il avait envoyés devant Ségovie et devant Médina del Campo avaient été également repoussés. La justice royale avait succombé sous la rébellion obstinée de Ségovie, l’armée royale s’était brisée contre la valeureuse résistance de Médina, et bientôt même l’autorité royale avait été suspendue dans Valladolid.
Après leur soulèvement et leur victoire, les villes s’étaient concertées afin de régler leurs droits et de les accroître. Elles avaient nommé une junte et formé une armée. La junte, assemblée d’abord à Avila, s’était ensuite transportée à Tordesillas, où résidait la reine Jeanne, qu’elle avait placée, malgré sa folie, à la tête de la comunidad. Prononçant alors la dissolution du conseil laissé par Charles-Quint, dont l’autorité cessait au moment où était rétablie celle de sa mère, la junte en avait saisi ou dispersé les membres et elle avait chassé de Valladolid le régent Adrien, qui s’était réfugié à Médina de Rio-Seco sans y exercer aucun pouvoir, sans y disposer d’aucune force.
La junte de Tordesillas, maîtresse des Castilles, agissant en assemblée souveraine, avait dressé une véritable charte des droits du royaume. Dans ce code des libertés comme du gouvernement des Castilles, des articles pourvoyant à la situation particulière du pays, ainsi qu’à ses besoins généraux, supprimaient le dernier servicio, exigeaient le retour du roi, prononçaient l’exclusion des étrangers de tout emploi public, déterminaient la nature et la quotité des taxes, rétablissaient dans son ancien état le domaine royal, appauvri par des aliénations avantageuses à la noblesse, onéreuses au peuple, réformaient l’exercice de la justice, soit devant les tribunaux des alcades, soit devant les cours des audiences, soit devant le conseil royal de Castille. Ils ôtaient les corrégidors des villes, rétablies dans toutes leurs franchises, interdisaient l’accroissement de la noblesse par la concession de nouveaux titres, réduisaient la prérogative de la couronne en matière d’impôt, d’aliénation du domaine, de suspension de justice, d’extension de privilèges, donnaient une existence indépendante aux cortès, qui s’assemblaient de droit tous les trois ans, et sans l’adhésion desquels aucune loi ne pouvait être faite, aucune bulle introduite dans le royaume, dont les membres, librement élus par les villes dans les trois ordres du clergé, de la noblesse, des communes, ne recevraient des instructions que de leurs commettans, et n’accepteraient ni emploi ni faveur de la couronne. Ces capitulas del reyno[54], comme les appelait la junte, étaient érigés en loi fondamentale et perpétuelle. Ni le roi ni les cortès ne pouvaient les changer, et ils devaient former un contrat inviolable entre le prince et la nation. Ce contrat était imposé à Charles-Quint comme la condition du retour des villes sous son obéissance.
Avant qu’il connût ces exigences populaires, Charles-Quint avait pris son parti. Instruit de la gravité et de l’étendue des troubles qu’avait provoqués le vote du dernier subside et que n’avait pu réprimer un régent étranger, il avait pensé qu’il fallait recourir à des moyens capables d’apaiser les villes soulevées et de gagner la noblesse mécontente. Il résolut donc de renoncer à la levée du servicio, de confier l’administration du royaume aux membres les plus puissans de la grandesse, de rétablir les impôts sur l’ancien pied, de promettre qu’il gouvernerait l’Espagne selon ses vieilles lois. C’était enlever aux insurgés leurs griefs et procurer le secours des grands et des cavalleros à la royauté, autrement isolée et impuissante. Il associa à la régence d’Adrien le connétable de Castille don Inigo de Velasco et l’amiral don Fadrique Henriquez. En même temps qu’il envoya à ces deux premiers officiers de la couronne, qui étaient au nombre des plus opulens seigneurs du pays, les pouvoirs de régent, il leur annonça les résolutions prudentes qu’il avait prises, les chargea de les faire connaître à l’Espagne troublée, et d’y ramener la soumission en attendant qu’il pût y retourner après avoir été couronné à Aix-la-Chapelle et avoir pourvu aux besoins de l’empire d’Allemagne[55]. Le connétable et l’amiral signifièrent aux villes les pouvoirs dont ils étaient investis, levèrent des troupes, appelèrent auprès d’eux les grands et les cavalleros, et fixèrent dans Médina de Rio-Seco, qui appartenait à don Fadrique Henriquez et qui n’était pas située loin de Valladolid, le siège du gouvernement royal et le rendez-vous de leur armée. Cette armée se grossit peu à peu des contingens qu’y amenèrent les chefs des grandes familles castillanes; elle fut bientôt en état de tenir la campagne contre l’armée, longtemps plus forte, des comuneros. Avant de poursuivre la guerre avec vigueur, le connétable et l’amiral avaient essayé des négociations. Ils avaient d’abord cherché à détacher de la comunidad, par des traités rassurans et avantageux, les deux importantes villes de Burgos et de Valladolid, où ils avaient leur habitation et un parti. Moitié à l’aide de ses concessions, moitié au moyen de la force, le connétable était parvenu à rétablir l’autorité royale dans Burgos; mais l’amiral avait échoué auprès de Valladolid[56]. Les négociations générales engagées avec la junte insurrectionnelle avaient encore moins réussi. Les régens offraient, outre une complète amnistie, d’adopter eux-mêmes et de faire accepter par le roi la plupart des articles qu’avait votés l’assemblée des comunidades, en leur enlevant toutefois ce qu’ils avaient d’excessif dans les dispositions et de trop impérieux dans la forme. Tels qu’ils les agréaient et qu’ils promettaient de les soumettre à l’assentiment du roi, ils auraient suffi à affermir, en les accroissant, les vieilles libertés de la Castille. Ils auraient rendu les impôts arbitraires impossibles, la convocation des cortès régulière, l’autorité royale limitée par les lois, la justice à ses divers degrés circonspecte et équitable[57]. Conformes à l’intérêt de la noblesse autant qu’à celui des communes, ils avaient le grand avantage de faire cesser la guerre entre les deux classes, et de les unir dans le même vœu pour forcer la couronne, qui ne pouvait plus s’appuyer que sur les grands contre le peuple, à reconnaître et à respecter des droits plus définis et mieux défendus. Un pareil accord aurait changé les destinées de l’Espagne et affaibli en Europe la puissance de son roi, qui aurait été obligé de compter avec ses libres sujets au lieu de disposer de leurs forces, comme il le voulut lorsqu’il eut discipliné la noblesse à l’obéissance après s’être servi des armes de la noblesse pour assujettir les communes. Cet utile accord fut malheureusement repoussé par la junte des comuneros, qui, dans sa passion et ses exigences, demanda l’adoption pure et simple de tous les articles qu’elle avait dressés, qui seraient reconnus pour loi perpétuelle. Ne voulant rien céder, elle s’exposa à tout perdre.
La guerre en dut décider : elle fut poursuivie pendant quatre mois avec des vicissitudes diverses, et sans résultat décisif. Les comuneros et les cavalleros, dont les armées grossissaient et diminuaient selon l’arrivée ou le départ des contingens mobiles qui leur venaient du côté des villes ou des rangs de la noblesse, s’attaquaient et se défendaient tour à tour. Les cavalleros avaient surpris Tordesillas, enlevé aux insurgés la personne de la reine, contraint la junte fugitive de se renfermer dans Valladolid. Au mois de mars 1521, ils occupaient une ligne de châteaux qui s’étendait de Simancas à Médina de Rio-Seco par Tordesillas et Torrelobaton, et leurs garnisons, bloquant en quelque sorte Valladolid du côté de l’ouest, l’inquiétaient en faisant des sorties continuelles. Les comuneros voulurent briser cette barrière menaçante déplaces, et ils s’avancèrent contre Torrelobaton sous la conduite de Juan de Padilla, nommé leur capitaine-général. Par une éclatante revanche, après quelques jours de siège, ils prirent la ville et sa citadelle d’assaut, et les mirent à sac[58]. Ce succès même causa leur ruine.
Leur armée, chargée du pillage de Torrelobaton, se fondit en grande partie. Chacun courut mettre à couvert le butin qu’il y avait fait. Les cavalleros au contraire sentirent, après cet échec, la nécessité de se renforcer; ils réunirent leurs troupes dispersées, auxquelles se joignirent les soldats de la Navarre, envoyés par le duc de Najera, et ils résolurent d’attaquer les comuneros, que leur victoire avait affaiblis, et qui demeuraient immobiles à Torrelobaton. Le comte de Haro, fils du connétable, nommé capitaine-général de l’armée des cavalleros, après avoir concentré ses forces, était prêt à livrer une bataille décisive que Juan de Padilla lui rendit facile à gagner.
Ce vaillant, mais infortuné capitaine des comuneros comprit qu’il était trop resté à Torrelobaton, et qu’il y demeurait trop exposé. Il se décida donc à quitter cette dangereuse position, et le 21 avril au matin il en partit dans un assez bon ordre. Il se dirigea vers Toro, où il espérait être joint par les troupes de Léon, de Zamora et de Salamanque. Il plaça l’artillerie à l’avant-garde, l’infanterie, divisée en deux gros bataillons, au centre, et la cavalerie, à la tête de laquelle il resta, à l’arrière-garde. La marche ne put pas être bien rapide, et il avait douze lieues à faire pour arriver à Toro. Dès que les cavalleros surent qu’il s’était mis en mouvement, ils s’ébranlèrent aussi; ils le joignirent et l’attaquèrent dans la plaine de Villalar. Déjà découragée par son mouvement de retraite, harcelée par un ennemi plus nombreux et surtout supérieur en cavalerie, la petite armée des comuneros, attaquée à fond dans ces champs que la pluie détrempait depuis le matin, ne tint pas longtemps. Elle prit la fuite en rompant les croix rouges, signes de la comunidad, et en laissant entre les mains des cavalleros victorieux ses chefs, qui avaient bravement, mais inutilement combattu. Le capitaine-général Juan de Padilla, Juan Bravo, capitaine de Ségovie, Francisco Maldonado, capitaine de Salamanque, faits prisonniers à Villalar, furent décapités le lendemain de la bataille, dans le château de Villalva. Ils moururent aussi fièrement qu’ils s’étaient battus[59]; mais leur supplice et la défaite de leur armée jetèrent le découragement et l’épouvante parmi les comuneros. La junte, qui naguère se montrait si absolue dans ses exigences, ne demanda plus rien et se dispersa. Les villes éperdues se soumirent sans condition. Valladolid donna la première l’exemple du retour à l’obéissance. Dueñas, Palencia, Médina del Campo, Ségovie, et la plupart des cités qui exécutaient avec passion les ordres de la junte, reconnurent avec déférence l’autorité des régens. Cette insurrection si bien concertée, et, peu de temps auparavant, si terrible et si intraitable, un seul revers suffit pour dissiper l’assemblée de ses députés, détruire l’armée de ses défenseurs, soumettre les habitans de ses villes. Du champ de bataille de Villalar, où fut ensevelie l’indépendance de la Castille, s’éleva et s’étendit la puissance absolue de Charles-Quint.
Tolède seule, où s’était jeté le belliqueux évêque de Zamora, et où Marie Pacheco, l’héroïque veuve de Juan de Padilla, exalta les courages et entretint la rébellion, ne fléchit point. L’armée victorieuse des cavalleros allait marcher contre cette ville, lorsque Lesparre arriva sur la frontière d’Espagne avec sa petite armée. Il pénétra aisément dans la Navarre, mal défendue. Il prit Saint-Jean-Pied-de-Port sans tirer un coup d’arquebuse. Franchissant ensuite les Pyrénées, il s’empara du château del Peñon et s’avança vers Pampelune. A son arrivée, les Navarrais, dont les affections étaient encore tournées vers leurs anciens maîtres, firent éclater leur joie. Non-seulement les Gramont, qui formaient le parti français, mais la plupart des Beaumont, qui étaient dans le parti contraire, allèrent le recevoir et le saluer comme le bienvenu. Pampelune se souleva à son approche. Le peu de soldats espagnols qui y restaient encore furent exterminés, et le duc de Najera, contraint de fuir sa vice-royauté, se rendit en Castille pour demander aux régens victorieux une assistance semblable à celle qu’il leur avait naguère accordée. En attendant, André de Foix entra dans Pampelune le lundi 20 mai, second jour de la Pentecôte, aux acclamations des habitans. La citadelle seule, où s’était enfermé Francisco de Herrera, qui en était châtelain, et que seconda vaillamment un gentilhomme guipuscoan, Ignace de Loyola, devenu plus tard si célèbre comme fondateur de la société de Jésus, entreprit de se défendre. Les Français l’attaquèrent avec beaucoup de vigueur et la battirent en brèche. Un éclat de pierre frappa Ignace de Loyola aux deux jambes : l’une fut brisée, l’autre estropiée, et il tomba sans connaissance des créneaux dans le fossé. Le château, dont les portes furent enfoncées et les murs ouverts par le canon, se rendit. Après y avoir laissé garnison, Lesparre se porta devant Estella, qui, loin de lui résister, le reçut comme un libérateur. En moins de quinze jours, il occupa tout le territoire de ce royaume, qu’il détacha de nouveau de l’Espagne et qu’il remit sous l’obéissance d’Henri d’Albret. Mais il lui était plus facile de reprendre la Navarre que de la garder[60].
Charles-Quint était encore à Worms, où il mettait Luther au ban de l’empire pour mieux gagner Léon X, et cherchait à unir et à constituer l’Allemagne afin d’en recevoir plus d’appui en y introduisant plus d’accord, lorsqu’il apprit l’invasion du Luxembourg. Il ne se méprit pas sur le provocateur de cette attaque. L’altier empereur envoya d’abord le comte de Nassau et Franz de Sickingen, à la tête de troupes allemandes, contre Robert de La Marck. Il les chargea de châtier le serviteur inconstant et l’insolent adversaire qui, de sa petite souveraineté des Ardennes, osait s’attaquer à un empereur. Informé bientôt de l’entrée des Français en Navarre, il montra une sorte de joie et dit avec une ambition menaçante : « Dieu soit loué de ce que ce n’est pas moi qui commence la guerre, et de ce que le roi de France veut me faire plus grand que je ne suis! Car en peu de temps, ou je serai un bien pauvre empereur, ou il sera un pauvre roi de France[61]. » Il avait déjà fait signifier à François Ier, par son ambassadeur Philibert Naturelli, qu’il le considérait comme étant d’intelligence avec Robert de La Marck et avec Jean d’Albret, qui n’auraient pas osé envahir le Luxembourg et réunir une armée contre la Navarre sans son agrément et son assistance[62]. Il soutint que les traités conclus entre eux étaient par là rompus, et déclara « que, provoqué et assailli, il se défendrait avec l’aide de Dieu et de ses alliés[63]. » Aussitôt il pressa Henri VIII de se joindre à lui contre François Ier, qui s’était rendu l’infracteur de la paix.
Henri VIII n’était pas encore décidé à la guerre. Craignant d’y être entraîné trop vite, si elle se prolongeait et s’étendait, il intervint auprès de François Ier, afin qu’il mît un terme à ces premières hostilités, qui sans cela provoqueraient une lutte générale. Dans ses ménagemens pour le roi d’Angleterre et avec le désir de conserver son alliance, François Ier ne soutint point Robert de La Marck, qu’il invita à évacuer le Luxembourg[64]. Robert de La Marck obéit; mais cette condescendance ne servit de rien. Le comte de Nassau et Franz de Sickingen entrèrent dans le duché de Rouillon et la seigneurie de Sedan. Ils prirent et rasèrent le château de Loignes, se rendirent maîtres de la place de Florenville, assiégèrent Messencourt, qui se rendit à eux après six semaines et qu’ils brûlèrent ou abattirent, pénétrèrent dans Fleurange, que leur livra la lâche trahison des lansquenets qui en avaient la garde, et surprirent Bouillon. Sauf les places ravitaillées et imprenables de Jamets et de Sedan, ils occupèrent tout le pays de Robert de La Marck et le saccagèrent[65]. Franchissant même la frontière, ils parurent plusieurs lois sur le territoire français, où ils s’emparèrent de Mouzon. D’autres troupes, sous la conduite de chefs flamands, l’envahirent aussi par divers points, enlevèrent Saint-Amand et Mortagne, détruisirent Ardres, tandis que le gouverneur de la province de Flandre, le seigneur de Fiennes, avec huit mille hommes de pied, mille chevaux et six pièces d’artillerie, vint mettre le siège devant Tournai.
La conquête de la Navarre n’eut pas une meilleure issue que l’invasion du Luxembourg; elle fut bien vite compromise par l’inhabileté et l’imprudence de Lesparre. Ayant remis Henri d’Albret en possession de son héritage reconquis, il aurait dû l’y établir fortement à l’aide de sa petite armée victorieuse, et en s’appuyant sur les fidèles souvenirs et l’opiniâtre attachement des Navarrais pour la maison dont les princes les avaient gouvernés si longtemps. Il aurait dû surtout ne pas provoquer le retour des Espagnols par des agressions alors aussi impuissantes que dangereuses. Il ne fit rien de tout cela. Il avait autant de courage, mais il avait encore moins de tête que ses deux frères Lautrec et Lescun, aux mains desquels la faveur de Catherine de Foix, comtesse de Châteaubriant et maîtresse de François Ier, avait fait remettre les plus grands commandemens militaires, et il commit en Espagne les fautes ruineuses que Lescun et Lautrec allaient bientôt commettre en Italie. Au lieu de garder sous le drapeau toutes ses troupes, qui étaient à peine suffisantes pour défendre le pays qu’il venait d’occuper, il en licencia une partie[66] ; puis, avec une témérité fort inopportune, il sortit de la Navarre, passa l’Èbre, entra dans la Rioja aux cris de vive le roi et la fleur de lis de France ! vive la comunidad de Castille[67] ! et il attaqua la ville de Logrono. Les cavalleros espagnols, dont il envahissait le pays et dont il combattait maladroitement la cause en se déclarant d’une manière si tardive et si peu utile pour les comuneros vaincus, marchèrent contre lui. Les régens de Castille, au lieu de se rendre devant Tolède, où l’insurrection tenait encore, retournèrent vers Burgos avec leurs troupes, que grossirent les levées faites en Aragon et les contingens mêmes des villes récemment soumises de Valladolid et de Ségovie[68].
Une armée de douze mille hommes de pied et de deux mille chevaux arriva sur l’Èbre, et fit lever le siège de Logroño à Lesparre, qui se retira précipitamment en Navarre. Le duc de Najera, qui commandait les Espagnols, auxquels vinrent se joindre les troupes du Guipuscoa, de la Biscaye et de l’Alava, l’y poursuivit, l’y attaqua et l’y battit. Lesparre s’était posté au débouché de la petite sierra del Perdon, qui sépare Artajona et Puente de la Reyna de Pampelune. En gardant le passage de la montagne, il espérait interdire l’accès de la Navarre aux Espagnols ou les combattre avantageusement, s’ils voulaient le forcer; mais le duc de Najera franchit la sierra sur un autre point, tourna la position qu’occupait Lesparre, et se plaça entre le camp des Français et la ville de Pampelune. Obligé de combattre en plaine pour se frayer lui-même un passage à travers l’armée espagnole, bien plus forte que la sienne, Lesparre essuya une entière défaite. Blessé et fait prisonnier le 30 juin 1521 à la bataille d’Ezquiros[69], où la plus grande partie de ce qui lui restait de troupes fut tuée ou prise, il perdit la Navarre aussi rapidement qu’il l’avait conquise. Cette fois elle fut réunie à l’Espagne pour toujours.
François Ier éprouva non moins de ressentiment que de trouble en apprenant que la frontière de son royaume avait été franchie par les troupes impériales et que Lesparre avait été battu au-delà des Pyrénées. Il hâta les préparatifs nécessaires non-seulement pour résister à Charles-Quint, mais pour l’assaillir avec vigueur de plusieurs côtés. Trois armées furent mises sur pied; elles auraient dû être réunies plus tôt, car il était à prévoir[70] que la guerre avec l’empereur serait l’inévitable suite de l’invasion bien qu’indirecte de la Navarre et de l’agression, quoique désavouée, de Robert de La Marck. François Ier envoya vers les Pyrénées l’amiral Bonnivet avec quatre cents hommes d’armes et six mille lansquenets que devaient renforcer tout autant de soldats de Gascogne[71]. Il fit partir le gouverneur du Milanais, Lautrec, pour l’Italie, où se trouvait déjà le maréchal de Foix, Lescun, à la tête des troupes françaises, et vers laquelle avaient ordre de se diriger des bataillons de piquiers suisses et des bandes d’aventuriers dauphinois levés par le comte de Saint-Vallier. L’armée la plus considérable fut formée sur les confins de la Champagne et de la Picardie pour y faire face aux impériaux. Elle se composait de dix-huit mille hommes de pied français qu’amenaient le connétable de Bourbon, le duc de Vendôme, les maréchaux de Châtillon et de La Palisse, le sire de La Trémouille, de dix-huit cents lances tirées de la vaillante cavalerie des ordonnances, et de douze mille Suisses obtenus des cantons[72]. En attendant que cette armée occupât la frontière du nord et pût même envahir les Pays-Bas, François Ier s’était transporté à Dijon pour mettre à l’abri d’une attaque la Bourgogne, que Charles-Quint était disposé à reprendre comme son héritage, et il confia au chevalier Bayard la défense de Mézières, place presque ouverte, très importante, mais fort difficile à garder, et que menaçaient le comte de Nassau et Franz de Sickingen, après s’être rendus maîtres de Mouzon[73]. En même temps il réclama l’assistance d’Henri VIII, que Charles-Quint demandait de son côté. Le roi d’Angleterre avait promis de se déclarer contre celui des deux qui serait l’infracteur de la paix. Lequel l’avait été? Ils s’en défendaient également l’un et l’autre, et chacun prétendait que l’agression venait de son adversaire. François Ier alléguait l’inexécution du traité de Noyon de la part de Charles-Quint, qui ne lui payait pas les sommes dues pour le royaume de Naples, et qui, depuis quatre ans, ne donnait aucune satisfaction aux d’Albret pour le royaume de Navarre. Il ajoutait que les généraux de l’empereur avaient paru en armes sur son territoire, y avaient pris Mouzon, Saint-Amand, Mortagne, Ardres, et y assiégeaient Tournai. Charles-Quint soutenait que les premières hostilités venaient des Français. Il attribuait la rupture de la paix à l’expédition de Lesparre au-delà des Pyrénées et à l’entrée de Robert de La Marck dans le Luxembourg. Quant à lui, attaqué dans ses états, il avait été contraint pour les défendre de pénétrer sur les états de son ennemi.
Sommé de venir en aide aux deux rois, Henri VIII[74] se montra en apparence incertain. Il refusa à François Ier les secours qu’il lui demandait, et il répondit à son ambassadeur que, « s’étant obligé par serment à prêter assistance au prince qui n’aurait point rompu les traités, il ne pouvait déterminer s’il devait l’accorder au roi très chrétien ou à l’empereur, jusqu’à ce qu’il sût parfaitement lequel des deux les avait enfreints, afin de sauver sa conscience devant Dieu et son honneur devant les hommes[75]. Il en prit prétexte de se faire juge entre ses alliés et leur imposa sa médiation. Il les pressa l’un et l’autre d’envoyer leurs plénipotentiaires à Calais, où ils trouveraient son ministre, le cardinal d’York, prêt à les entendre. Charles-Quint s’y refusait d’abord. Fort irrité de la perte de la Navarre, dont il ne connaissait pas encore le recouvrement, il rejetait toute apparence de négociation et ne voulait que combattre. « Le roi très chrétien, disait-il, m’a pris un royaume, mais j’aurai ma revanche[76]. » Instruit toutefois des dispositions secrètes de Henri VIII, il fit partir pour Calais une ambassade à la tête de laquelle était son chancelier, Mercurin Gattinara. François Ier s’était également soumis à cette sorte de juridiction du roi d’Angleterre[77], devant laquelle comparurent ses commissaires conduits par le chancelier Du Prat.
La conférence de Calais s’ouvrit le 4 août, présidée par l’astucieux cardinal Wolsey[78]. Sous l’apparence d’une médiation scrupuleuse se cachait la plus insigne fourberie. Au moment même où Henri VIII se présentait en arbitre, il agissait déjà en ennemi. Il faisait lever des troupes en Angleterre pour le service de l’empereur. Médiateur simulé, Wolsey avait pour mission réelle et secrète d’établir une union étroite entre Henri VIII, Charles-Quint et Léon X. Il devait, après un certain temps d’inutiles tentatives pour rapprocher François Ier et Charles-Quint, se rendre de Calais à Bruges, sous le prétexte d’obtenir de l’empereur qu’il renonçât à des prétentions trop obstinément soutenues par ses plénipotentiaires, et en réalité afin de conclure avec lui l’alliance projetée. Sept jours avant l’ouverture de la conférence, sir Richard Pace lui écrivait, de la part d’Henri VIII[79], que le roi, selon son avis, était résolu à équiper six mille archers, pour qu’ils fussent prêts à entrer en campagne. Il ajoutait : « Lorsque tout aura été conclu avec l’empereur, la résolution étant prise d’envahir la France, le roi pense qu’il devra être pourvu par eux deux aux moyens de détruire la flotte du roi très chrétien. » Voulant joindre la surprise à la perfidie, Henri VIII demandait que ce coup fût frappé d’une manière inattendue, afin de l’être d’une façon certaine.
Tout se passa ainsi qu’on l’avait arrêté d’avance. Les commissaires français et les commissaires impériaux furent en complet désaccord dès le début des conférences. Ceux-ci présentaient comme des actes d’hostilité de la part du roi de France l’agression de Robert de La Marck, qu’il avait provoquée, et l’entreprise du seigneur de Lesparre, qu’il avait appuyée ; ils réclamaient de plus, au nom de leur maître, la restitution du duché de Bourgogne et l’abolition de l’hommage féodal pour la Flandre. Ceux-là demandaient l’exécution du traité de Noyon, qui n’avait été observé dans aucune de ses clauses. Ils niaient que le roi très chrétien eût encouragé l’expédition de Robert de La Marck, et ils soutenaient que la Navarre avait été justement revendiquée les armes à la main par Henri d’Albret, que le roi catholique s’était engagé à satisfaire dans les huit premiers mois de son séjour en Espagne, et qu’il avait laissé plus de quatre ans sans lui accorder aucune satisfaction[80].
Ne pouvant concilier des prétentions si contraires, Wolsey proposa une suspension d’armes momentanée. Les plénipotentiaires de Charles-Quint la refusèrent, afin de ménager au cardinal l’occasion de s’aboucher directement avec l’empereur. Wolsey déclara en effet aux commissaires de François Ier qu’il avait besoin de voir l’empereur pour lui faire accepter ce que rejetaient ses ministres. Charles-Quint, très désireux de cette entrevue, pressait le fourbe cardinal d’accourir vers lui, parce qu’il avait hâte de se mettre à la tête de son armée. « Nous ferons plus en un jour, lui écrivait-il, vous et moi, que ne feroient mes ambassadeurs en un mois[81]. » Il ne voulait pas laisser passer la saison d’agir, tandis qu’il avait la supériorité des forces et l’avantage des armes[82]. La mort récente de Chièvres avait laissé à sa disposition la somme énorme de 800,000 ducats d’or[83], qui avaient été le fruit dangereux des exactions, et qui allaient servir d’utile aliment à la guerre. Dans son impatience belliqueuse, Charles-Quint se montrait surpris des retards du cardinal d’York, et il ajoutait : « Je croyois fermement, comme vous l’aviez promis, que, sous couleur de pourchasser la trêve vers moi, vous viendriez incontinent pour conclure tous nos traités[84]. » Cédant aux instances de l’empereur, Wolsey partit le 12 août de Calais, et se rendit auprès de lui à Bruges. Là, réglant les conditions de l’alliance entre Charles-Quint et le roi d’Angleterre, il stipula même l’indemnité pécuniaire que Henri VIII recevrait du roi catholique en dédommagement des sommes annuelles que lui ferait perdre sa rupture avec François Ier. L’empereur aurait voulu que cette rupture fût immédiate, mais le roi d’Angleterre, naguère si pressé de se joindre à lui pour attaquer le roi de France, était alors disposé à différer sa déclaration de guerre. Avant de rien entreprendre pour recouvrer la Guienne et les provinces qui étaient autrefois de son héritage, il croyait avantageux d’attendre que les forces et les finances de François Ier se fussent épuisées dans sa lutte avec Charles-Quint[85]. Seulement l’union la plus étroite fut conclue entre les deux princes, et l’on convint que l’empereur épouserait la fille de Henri VIII, qui commencerait les hostilités contre François Ier aussitôt après que Charles-Quint, retournant en Espagne, l’aurait visité en Angleterre[86].
De retour à Calais, Wolsey reprit les négociations menteuses qui semblaient l’avoir conduit à Bruges. Il annonça aux ambassadeurs de François Ier qu’il n’avait rien obtenu de l’empereur, à la cour duquel on l’accusait « d’être tout Français[87]. » Il dit qu’on lui reprochait « de conduire seul les affaires du roi son maître, et de lui faire abandonner ses droits à la couronne de France. » Il ajouta qu’à cette cour on ne voulait plus entendre parler du traité de Noyon, et il prétendit avoir déclaré à l’empereur que le roi d’Angleterre ne souffrirait jamais qu’il envahît le duché de Milan. Afin de mieux les tromper, il parlait fort mal de Léon X, qui, après avoir trahi secrètement François Ier, venait de l’attaquer ouvertement dans la Lombardie, de concert avec l’empereur. « Le pape voudrait, disait-il, qu’on chassât tous les étrangers de l’Italie, et que, par les mains des uns, on pût jeter les autres dehors. » Déclarant alors que le désaccord entre les deux monarques était trop grand pour rendre la paix possible, il soutint qu’il fallait se réduire à une simple trêve.
Cette trêve, proposée par le cardinal d’York, aurait permis à l’empereur, au pape, au roi d’Angleterre, de mieux préparer encore leurs moyens d’attaque contre François Ier, soit en Italie, soit en France. Avec sa fourberie effrontée, le cardinal d’York la présentait à Du Prat comme un acheminement infaillible à un accord définitif. « Je me soumets, disait-il au chancelier de France, à avoir la tête tranchée, si dans un demi-an je ne mène pas le roi catholique à la paix[88]. » Après de nouveaux et longs pourparlers, dans lesquels chacune des parties garda sa position sans céder d’un pas, insista sur ses griefs sans en abandonner aucun, Wolsey déclara que la question de savoir lequel des deux princes avait le premier rompu les traités était si douteuse, que jamais le roi d’Angleterre ne pourrait décider à qui il devait accorder son assistance[89]. Il se contenta de poursuivre la trêve militaire que semblaient réclamer dans ce moment les affaires en péril de l’empereur.
François Ier avait enfin assemblé une puissante armée sur la frontière du nord. Il avait marché au secours de Mézières, que le chevalier Bayard défendait depuis plus d’un mois avec une habileté opiniâtre et une valeur ingénieuse contre le comte de Nassau et Franz de Sickingen. A son approche, les généraux de l’empereur, qu’avait divisés le peu de succès de leur entreprise, abandonnèrent le siège et battirent en retraite[90]. Afin d’empêcher l’armée française de secourir Tournai, ils se dirigèrent du côté de l’ouest vers Valenciennes, où Charles-Quint, parti de Bruges après s’être entendu avec Wolsey, devait se mettre à leur tête. François Ier, ayant dégagé Mézières et repris Mouzon, les suivit dans cette direction. Il s’empara sur sa route de Bapaume et de Landrecies, qu’il fit raser, et il fut bientôt dans le voisinage de son ennemi. Ses troupes nombreuses, animées, confiantes, étaient fortes de vingt-six mille hommes de pied, de quinze cents hommes d’armes, formant plus de huit mille chevaux, et elles avaient douze pièces d’artillerie. Postées au-dessous de Happre, entre Cambrai et Valenciennes, elles étaient séparées par l’Escaut des troupes de l’empereur, qui leur étaient inférieures. François Ier était un vaillant soldat, mais il était un général incertain; il savait bien mieux se battre que commander. Hors d’état de décider et de conduire les opérations militaires, il ne choisissait même pas habilement ceux qui devaient les diriger pour lui. Il avait remis le commandement de l’avant-garde à son beau-frère, le duc d’Alençon, en plaçant à ses côtés le maréchal de Châtillon, qui était un guide trop circonspect pour un prince aussi irrésolu. Ce commandement appartenait de droit au connétable de Bourbon, que François Ier retint auprès de lui, au corps de bataille. Il le tenait depuis cinq ans dans une défiante disgrâce, et il ne craignit pas de faire alors à ce puissant et orgueilleux seigneur l’impardonnable affront de donner à un autre les fonctions de la grande charge dont il ne lui laissait que le titre. L’arrière-garde fut mise sous les ordres du duc de Vendôme.
Le moment était décisif. François Ier pouvait frapper un grand coup et faire éprouver à l’empereur sous Valenciennes le sort que trois ans et demi plus tard il éprouva lui-même sous Pavie. Il franchit l’Escaut sur un pont jeté au-dessous de Bouchain pour aller le combattre. Charles-Quint envoya, sous le comte de Nassau, douze mille lansquenets et quatre mille chevaux, afin d’empêcher le passage de cette rivière, qui le couvrait contre son ennemi; mais ils arrivèrent trop tard. L’Escaut avait été déjà traversé par l’armée française, qui s’était mise en bataille. Les troupes impériales, n’ayant pas été assez diligentes pour s’opposer à son mouvement, n’étaient pas assez fortes pour résister à son attaque. La victoire était certaine, si la bataille était livrée. Le connétable de Bourbon, qui avait pris une si valeureuse part aux grandes journées de la Gierra-d’Adda et de Marignan, oublia l’offense qu’il venait de recevoir et qu’il avait encore plus ressentie que montrée. Voyant d’un coup d’œil les avantages d’une semblable position et cédant à son instinct guerrier, il proposa de fondre sur les impériaux[91]. C’était aussi le sentiment de deux capitaines fort expérimentés, le maréchal de La Palisse et le sire de La Trémouille; mais François Ier aima mieux suivre les timides conseils du maréchal de Châtillon. Il se contenta de faire fuir ceux qu’il aurait pu détruire[92]. L’armée de Charles-Quint, qui aurait été infailliblement écrasée[93], opéra, sans être inquiétée, sa retraite sur Valenciennes, d’où Charles-Quint lui-même retourna précipitamment à Bruxelles.
François Ier avait laissé échapper une occasion qu’il ne retrouva plus. Malgré cette faute, sa campagne vers le nord restait marquée d’incontestables avantages. Il avait fait lever le siège de Mézières, il avait repris Mouzon, il s’était emparé de Bapaume et de Landrecies, il avait contraint l’armée impériale à se retirer devant lui, et il se rendit maître de Bouchain et de Hesdin, sans toutefois que les pluies et la mauvaise saison lui permissent de débloquer Tournai, qui tomba peu de temps après au pouvoir de ses ennemis. Il n’avait pas eu moins de succès sur la frontière d’Espagne. L’amiral Bonnivet était entré dans Saint-Jean-de-Luz, et il avait occupé toute la partie de la Navarre située sur le revers septentrional des Pyrénées; se jetant ensuite en Biscaye, il s’y était emparé de la forte place de Fontarabie[94].
Si la guerre avait été assez heureuse pour François Ier du côté des Pays-Bas et de l’Espagne, il n’en avait pas été de même en Italie. La domination française y avait été compromise par le maréchal de Foix, qui commandait dans la Lombardie milanaise en l’absence de Lautrec, et par Lautrec, lorsqu’il était allé en reprendre le périlleux gouvernement. Ce beau duché[95], qui fut trop longtemps l’objet de l’ambition mal dirigée des rois de France, dont il occupa les armes, dont il épuisa les finances et qu’il détourna du véritable agrandissement de leur pays, inachevé vers le nord, Louis XII en avait été dépouillé, après douze ans de possession, par l’effort commun des Italiens, des Suisses et des Espagnols, qui l’avaient rendu à la maison ducale des Sforza, et François Ier y était rentré de vive force à la suite de la grande victoire de Marignan.
Le joug étranger pesait à ces populations naturellement inconstantes et si fréquemment rebelles. François Ier sembla comprendre d’abord qu’il ne fallait pas le leur faire sentir pour le leur faire supporter. Il imita la douceur généreuse de Louis XII. Ce prince, auquel la bonté avait souvent tenu lieu d’habileté, au moment où il avait conquis et organisé le duché de Milan en 1499, ne s’y était complètement réservé que le pouvoir militaire, moyen de le garder et de le défendre. Ce pouvoir même, il l’avait délégué au chef italien du parti guelfe, au maréchal J.-J. Trivulzi, qu’il avait nommé son lieutenant en Lombardie. Il avait constitué un sénat investi des plus hautes attributions[96]. Il avait de plus conservé aux villes du duché leur libre administration locale. La principale d’entre elles. Milan, choisissait par des élections savamment compliquées le conseil de la cité, qui nommait à son tour les magistrats chargés d’y exercer l’autorité et d’y rendre la justice.
François Ier n’avait point altéré, au début de son règne, cette forme rassurante d’administration. Comme Louis XII, il s’était appuyé sur le parti guelfe, dont le chef avait si vaillamment combattu auprès de lui dans les deux journées de Marignan, sans opprimer les gibelins compromis, qu’il avait au contraire rappelés de leur exil et remis dans leurs biens. Avec cette sage modération, et par le choix heureux du connétable de Bourbon, qu’il en avait nommé gouverneur, il avait pu conserver en 1516 contre l’empereur Maximilien le Milanais, reconquis en 1515 sur les Suisses. Après la double épreuve d’une occupation victorieuse et d’une agression repoussée, François Ier serait resté maître de la Lombardie, s’il y avait laissé le connétable de Bourbon; mais il l’en retira fort imprudemment pour mettre à sa place Odet de Foix, seigneur de Lautrec, frère de la comtesse de Châteaubriant, sa maîtresse. Tout changea sous l’administration du nouveau gouverneur. Soutenu par la favorite, qui avait le plus grand pouvoir sur François Ier, l’avide et impérieux Lautrec accabla le Milanais de ses exactions et de son oppressive autorité. Il y augmenta les taxes, y suspendit l’action trop indépendante du sénat et y remplaça le conseil élu de la cité par une assemblée dont il réduisit le nombre et dont il nomma les membres[97]. Il persécuta les gibelins, sans garder de ménagemens pour les guelfes. Le chef puissant de ce dernier parti, le maréchal J.-J. Trivulzi, qui, plus qu’un autre, avait établi et maintenu la domination française dans le Milanais, fut dénoncé à François Ier comme un mécontent sur le point de devenir un rebelle[98]. Ce grand serviteur de la France sous trois de ses rois, cet habile capitaine qui avait combattu pour eux dans un si grand nombre de batailles, malade et âgé de soixante-dix-sept ans, passa les Alpes afin de se justifier auprès de François Ier sans y parvenir. Le crédule et ingrat monarque rejeta avec hauteur les supplications du glorieux vieillard[99], qui, blessé de cet affront et indigné de cette injustice, succomba peu de temps après, en laissant François Ier privé de son habileté. Elle lui avait été naguère utile et lui serait bientôt devenue nécessaire.
Déjà la possession de la Lombardie passait pour être ébranlée. Un jeu de mots très significatif se répétait à la cour même de France. Rappelant la splendide habitation de Meillan, construite en Bourbonnais par Chaumont d’Amboise avec l’argent tiré du Milanais, dont il avait été gouverneur, et prévoyant les inévitables effets de la faveur que Catherine de Foix assurait à Lautrec, on y disait : « Milan a fait Meillan, et Châteaubriant défera Milan[100]. » Tout le monde le croyait, excepté François Ier, qui tenait avec passion à conserver cette conquête, et qui laissait faire à Lautrec tout ce qu’il fallait pour la perdre. Pendant cinq années en effet, le cupide et dur Lautrec, par les charges qu’il imposa au peuple, par les violences dont il poursuivit les grandes familles, rendit le mécontentement général[101]. Beaucoup s’expatrièrent, et tous aspirèrent au retour des Sforza. Au dedans, les opprimés étaient prêts à les recevoir; du dehors, les fugitifs travaillaient à les rétablir. Ceux-ci s’entendirent d’abord avec Léon X, qui était encore l’allié de François Ier, et avec Charles-Quint, qui venait de se déclarer son ennemi, pour faire rentrer François Sforza dans Milan et Jérôme Adorno dans Gènes[102].
Par suite de l’accord établi entre le pape, l’empereur, les expatriés lombards et génois, une double entreprise fut ourdie contre la domination française dans la vallée du Pô et sur le revers de l’Apennin[103]. Des navires napolitains et pontificaux, portant deux mille Espagnols et montés par Jérôme Adorno, firent voile vers Gênes, avec l’espérance d’en enlever la seigneurie à François Ier et d’y restaurer la république. Girolamo Morone, conseiller de Francesco Sforza, ayant reçu du pape, par les mains de Guicciardini[104], alors gouverneur de Reggio et de Modène, une somme de ducats pour lever trois mille hommes de pied, concerta avec les fugitifs de Parme, de Plaisance, de Milan, une attaque soudaine sur ces diverses villes, tandis que deux chefs du parti gibelin, Manfredo Pallavicino et Capo di Brenzi, à la tête d’une troupe d’Allemands, pénétreraient dans Como, du côté du lac. Le plan était bien combiné, mais il échoua. Gênes ne put être surprise; Como resta fermée à ceux qui tentèrent de s’en emparer, et Lescun, averti des armemens des expatriés lombards dans Reggio, où ils s’étaient réunis, s’avança contre eux pour les disperser ou les saisir. Ne se contentant point de protéger la frontière lombarde, il se porta sur les terres de l’église, et parut en armes jusqu’aux portes de Reggio[105]. Cette imprudence ne servit en rien François Ier et lui nuisit beaucoup. Lescun ne surprit point les fugitifs, et il donna un redoutable ennemi de plus au roi son maître.
Léon X n’attendait qu’un prétexte pour se déclarer : il le trouva dans la violation armée du territoire pontifical, dont il se montra courroucé au dernier point. Il conclut ouvertement avec Charles-Quint l’accord secrètement préparé depuis quelques mois. Il donna à l’empereur l’investiture jusque-là retardée du royaume de Naples, et le 29 juin, jour de la fête de saint Pierre, l’empereur lui fit présenter la haquenée blanche qui était offerte aux souverains pontifes en signe d’hommage féodal; il lui fit remettre en même temps le tribut ordinaire augmenté de 7,000 ducats d’or. Il fut convenu que les forces réunies du pape, des Florentins, sur lesquels serait affermie la domination des Médicis, et celles de l’empereur attaqueraient les Français dans la Lombardie, les en expulseraient, rendraient Parme et Plaisance au saint-siège, et replaceraient sur le trône ducal un prince de la famille des Sforza. Aux Suisses que François Ier avait envoyés à Léon X pour la conquête de Naples, le pape voulut en réunir d’autres que leva dans les cantons le nonce apostolique Ennio Filonardo, évêque de Veruli, secondé par l’infatigable ennemi de la France, le cardinal de Sion.
Les troupes pontificales et impériales entrèrent aussitôt en campagne, sous la conduite de Prospero Colonna, général fort expérimenté, qui manœuvrait avec une rare prudence, et au besoin savait agir avec une promptitude hardie. Elles étaient fortes de vingt-deux mille hommes de pied, de douze cents hommes d’armes, et de quatre cents chevau-légers. A leur tête se trouvaient des capitaines espagnols et italiens résolus et habiles, tels que le marquis de Pescara, Antonio de Leiva, le marquis de Mantoue et Jean de Médicis. Elles marchèrent vers la Lombardie, et allèrent mettre le siège devant Parme. Lautrec avait envoyé dans cette place avancée le maréchal de Foix, son frère, qui s’y était enfermé avec six mille hommes de pied italiens et quatre cents lances, formant environ deux mille hommes de cavalerie.
La ville est traversée par la rivière dont elle porte le nom, et qui la coupe inégalement en deux parties. Après plusieurs semaines de siège, les confédérés pénétrèrent dans la partie située sur la rive droite, et la mirent au pillage. Ils attaquèrent ensuite la partie assise sur la rive gauche, qui avait une étendue plus grande, et dans laquelle Lescun s’était plus fortement retranché, mais ils ne purent s’en rendre maîtres. Lescun la défendit vaillamment. Parti bientôt de Milan pour le dégager, Lautrec s’avança vers Parme à la tête de sept mille Suisses, de quatre mille aventuriers français, de cinq cents lances, ainsi que de quatre mille fantassins de Venise et de quatre cents hommes d’armes de cette république alliée, conduits par le général Théodore Trivulzi et le provéditeur André Gritti. Son approche inquiéta les confédérés, qu’une mutinerie des troupes allemandes exigeant leur solde avait affaiblis, et que le peu de succès de leur attaque avait découragés. Divisés et abattus, ils se décidèrent à lever le siège. S’éloignant de Parme avec précipitation, ils remontèrent vers le Pô afin de recevoir les Suisses que le pape faisait lever dans les cantons, et qui devaient descendre en Italie par le Bergamasque. Si Lautrec s’était jeté sur eux pendant leur retraite un peu confuse, il les aurait mis facilement en déroute et aurait sauvé le duché de Milan; mais, violent sans être hardi, courageux et non résolu, il hésita à les attaquer, et les accompagna plutôt qu’il ne les poursuivit. Il lui importait par-dessus tout d’empêcher leur jonction avec les Suisses alors en marche pour les renforcer. En les devançant à Casal-Maggiore, il leur aurait fermé le passage du Pô, qu’ils traversèrent sans être inquiétés. Lorsqu’ils furent parvenus sur la rive gauche de ce fleuve, et qu’ils remontèrent l’Oglio pour aller au-devant des renforts qu’ils attendaient, Lautrec, qui les suivait toujours, se trouva encore mieux en position de les attaquer et de les battre. Les confédérés étaient postés à Rebecca, et lui, se portant à Pontevico, d’où il dominait leur camp, les avait sous son canon et pouvait les accabler. Il en eut cette fois le dessein; mais, au lieu de l’exécuter sans leur laisser le temps de s’apercevoir du péril où ils s’étaient mis, il différa l’attaque jusqu’au lendemain, et les confédérés décampèrent pendant la nuit.
Lautrec avait perdu trois occasions de les vaincre : à la levée du siège de Parme, au passage du Pô, à la rencontre de Rebecca. Ne les ayant ni entaillés ni devancés, il ne put s’opposer à leur réunion avec les Suisses. Ceux-ci, descendus des Alpes du côté de Chiavenna, se trouvèrent vers la fin d’octobre sur le Haut-Oglio, et joignirent les confédérés à Gambera. Lorsque l’armée de l’empereur et du pape eut reçu ce puissant renfort, elle revint sur ses pas et marcha contre Lautrec, réduit maintenant à la défensive. Faute d’argent et aussi d’habileté, Lautrec ne parvint pas à retenir sous le drapeau les Suisses qu’il n’avait pas su mener au combat, bien qu’ils l’eussent demandé à plusieurs reprises, notamment à Rebecca. Beaucoup d’entre eux, mécontens et indisciplinés, reprirent la route de leurs montagnes. Tandis qu’une partie des Suisses enrôlés au service de François Ier abandonnait Lautrec, ceux qui s’étaient engagés au service du pape uniquement pour défendre les possessions du saint-siège furent entraînés par le cardinal de Sion et par leurs chefs à pénétrer sur les possessions françaises, malgré le traité récemment conclu à Fribourg et malgré la défense expresse des cantons.
Lautrec, trop timide comme capitaine après avoir été trop emporté comme politique, se trouvant ainsi affaibli, crut pouvoir néanmoins se maintenir dans le Milanais, dont il garderait les principales villes. Il se retira derrière l’Adda. Outre Pavie, Milan, Como, Alexandrie, il avait sur le cours de l’Adda et du Pô une ligne de places fortes, telles que Lodi, Pizzighitone et Crémone; mais il ne tint pas mieux dans les villes qu’en rase campagne. Posté à Cassano, non loin des confédérés, il laissa Prospero Colonna, que les lenteurs et l’inhabileté de son adversaire avaient enhardi, franchir l’Adda à Vaury, sans troubler, comme il l’aurait pu, ce périlleux passage, hasardé presque sous ses yeux. Lorsque l’armée pontifico-impériale fut sur la rive droite de l’Adda, Lautrec se vit tourné, et fut exposé de plus à ce que l’ennemi marchât, sans rencontrer d’obstacle, vers Milan et y entrât. Quittant en toute hâte Cassano, il remonta du côté de cette capitale du duché pour la couvrir et la défendre; mais les revers devaient se presser, comme s’étaient accumulées les fautes dont ils étaient la suite et le châtiment.
A peine arrivé à Milan, Lautrec, déjà compromis par ses échecs militaires, se rendit encore plus odieux par de nouvelles violences politiques. Le vieux Cristofano Pallavicino, chef d’une des plus grandes maisons de la Lombardie, soupçonné de s’entendre avec les fugitifs milanais, avait été arraché de son château de Bussetto par Lescun avant même l’ouverture de la guerre, et jeté en prison. Son neveu Manfredo Pallavicino avait été déjà ècartelé après la malheureuse tentative sur Como, et Lautrec avait fait clouer ses membres aux portes de Milan. Il fit alors décapiter sur la place du château[106] le vieillard que son nom seul rendait suspect, et que sa détention comme son âge auraient empêché d’être redoutable. Il crut sans doute contenir ainsi Milan dans la soumission par la terreur ; mais, au lieu de l’épouvanter, il l’indigna. Suivi de près par les troupes de la ligue, il distribua ses soldats découragés dans une ville lasse de sa domination et prête à la révolte[107]. Les confédérés s’avancèrent en effet vers Milan, secrètement avertis qu’à leur approche les habitans prendraient les armes pour les y introduire. Le 19 novembre au soir, ils parurent devant les faubourgs. Toute la journée avait été pluvieuse. Les chemins détrempés étaient couverts d’une boue épaisse, et les champs étaient remplis de flaques d’eau que les fantassins avaient dû traverser à gué. Il fallait qu’ils se logeassent dans les faubourgs, et pour s’y loger qu’ils s’en rendissent maîtres. L’entreprenant Pescara les aborda le premier à la tête des arquebusiers espagnols. Dans son attaque impétueuse il repoussa ceux qui les gardaient jusqu’à la Porte-Romaine, tandis que Prospero Colonna avec les lansquenets, le cardinal de Sion avec les Suisses, y pénétrant d’un autre côté, arrivèrent, sans rencontrer beaucoup de résistance, en face de la porte du Tessin. Les Français et les Vénitiens s’apprêtaient à défendre l’enceinte de la ville, contre laquelle les confédérés allaient tourner leurs canons ; mais ils n’en eurent ni le temps, ni le moyen, ni le courage. Les Milanais, se soulevant aux cris de vive l’empire ! vive l’église ! vive le duc Francesco Sforza ! jetèrent le trouble parmi les Français et les Vénitiens, qui s’enfuirent, et ils poussèrent à assaillir la ville les Espagnols, les lansquenets et les Suisses, qui ne songeaient d’abord qu’à s’établir dans les faubourgs. Par des voûtes souterraines qui conduisaient les eaux de l’intérieur dans les fossés des remparts et par les portes qui leur furent ouvertes, les soldats de Pescara et de Prospero Colonna se précipitèrent dans Milan, qu’ils gagnèrent presque sans effort[108]. Les Français perdirent en une seule nuit cette capitale importante et ambitionnée du duché que la tyrannie de leur chef avait soulevée, et que son imprévoyance ne sut pas défendre.
Lautrec, après avoir laissé garnison dans la citadelle, évacua la ville. Il battit en retraite vers Como, qu’il perdit bientôt également, et, avec les débris de son armée, il se réfugia sur les terres des Vénitiens. Sauf le château de Milan, bien approvisionné et difficile à prendre, sauf aussi les places fortes d’Alexandrie, de Novare, de Domodossolla, d’Arona dans la Haute-Lombardie, de Pizzighitone et de Crémone sur l’Adda, le Milanais tout entier fut enlevé à François Ier après une assez longue et non moins inhabile possession. Lodi, Pavie, Parme, Plaisance, suivirent l’exemple de Milan et se rendirent aux confédérés.
Cet événement si désastreux pour les armes comme pour la domination de François Ier en Italie était survenu le 19 novembre. Avant que la nouvelle en fût arrivée à Calais, les conférences poursuivies jusque-là dans cette ville s’étaient terminées aussi à l’avantage de Charles-Quint. Pendant longtemps Wolsey avait proposé une trêve inacceptable. Son opiniâtre partialité voulait la rendre très favorable à l’empereur, qu’elle aurait dégagé des périls auxquels il avait été un moment exposé, et tout à fait désavantageuse au roi de France, qu’elle aurait arrêté dans ses succès en l’obligeant de plus à restituer tout ce qu’il avait pris. François Ier l’avait nettement refusée. Il soumettait la suspension d’armes à des conditions qui devaient le laisser ou le rendre tranquille possesseur de la Lombardie[109], et que l’empereur rejetait à son tour[110]. Aussi le 18 novembre, la veillé même de l’entrée des confédérés dans Milan, François Ier disait-il aux ambassadeurs d’Angleterre avec une fière résolution que ne secondait déjà plus la fortune : « l’empereur n’a mis tant de délais à la trêve que parce qu’il espérait enlever Tournai, s’emparer de la Bourgogne, et de là s’allier aux Suisses. Puisque je suis l’ennemi de l’empereur, je veux être son ennemi le plus terrible[111]. » Quatre jours après, le 22 novembre, la conférence de Calais prenait fin. Le surlendemain, la médiation trompeuse d’Henri VIII faisait place à une ligue offensive contre la France. Cette ligue, véritable but de la mission de Wolsey, fut conclue entre le pape, l’empereur et le roi d’Angleterre. Dès longtemps Girolamo Ghinuccio, évêque d’Ascoli, avait reçu de Léon X les pouvoirs nécessaires pour la signer en son nom. Charles-Quint en avait donné de semblables à son chancelier Gattinara et à ses autres représentans à Calais. Par le traité du 24 novembre, il fut convenu que l’empereur se rendrait en Espagne au printemps prochain, afin d’y pacifier entièrement ses sujets et de s’y pourvoir d’argent; qu’escorté à travers le canal par une flotte anglaise unie à la flotte espagnole, il aborderait soit à Douvres, soit à Sandwich, où le roi d’Angleterre irait le recevoir et d’où il le reconduirait ensuite à Falmouth ; que les trois confédérés attaqueraient de concert et à fond le roi de France au mois de mars 1523, le pape en Italie avec une armée considérable, l’empereur en franchissant les Pyrénées avec dix mille chevaux et trente mille fantassins, le roi d’Angleterre en descendant sur les côtes de Picardie avec une armée non moins nombreuse que renforceraient les troupes des Pays-Bas. Henri VIII devait se déclarer contre François Ier un mois après le passage de Charles-Quint en Angleterre, et tous les deux mettre sur pied des forces capables de résister à leur ennemi en attendant l’époque fixée pour la grande invasion de son territoire. Ils prenaient l’un et l’autre sous leur protection : dans Florence la famille des Médicis, dans Rome le pape Léon X, qui, de son côté, frapperait des censures ecclésiastiques le roi de France, mettrait ses états en interdit, chargerait l’empereur et le roi d’Angleterre de le poursuivre comme un ennemi de l’église, dont chacun d’eux deviendrait ainsi le bras séculier. Le souverain pontife accorderait en outre les dispenses nécessaires pour autoriser entre l’empereur et la princesse Marie d’Angleterre un mariage que la parenté prohibait, mais que le bien de la chrétienté rendait désirable[112].
Telles étaient les menaçantes stipulations signées secrètement à Calais. Si elles avaient été exécutées au moment convenu et avec les forces déterminées, François Ier aurait couru les plus grands dangers au cœur même de son royaume; mais l’un des trois souverains, au nom desquels elles avaient été conclues, mourut bien avant qu’elles pussent être accomplies. Léon X n’eut pas même le temps d’apprendre la formation de cette ligue, objet de son ardente poursuite. Ce pape, entreprenant avec des dehors de faiblesse, hardi avec des apparences d’irrésolution, venait de faire triompher Charles-Quint de François Ier en Italie, non pour l’y rendre plus puissant en l’y rendant victorieux, mais afin de remettre le saint-siège en possession de Parme et de Plaisance, de se ménager l’acquisition prochaine de Ferrare, et de replacer un Sforza sur le trône ducal de Milan. C’était lui surtout qui avait tenu les confédérés sous le drapeau en pourvoyant à leur solde avec l’argent de l’église et des Florentins; c’était lui qui avait obtenu des cantons helvétiques les troupes à l’aide desquelles l’offensive avait été reprise et le Milanais conquis. Il était bien plus occupé des affaires temporelles de l’Italie que des intérêts religieux en Allemagne, et l’agrandissement territorial du saint-siège lui était encore plus cher que l’intégrité de la foi. Au début de cette guerre, il avait dit au cardinal Jules de Médicis, qui le dissuadait de s’y engager : « Mon principal désir est de recouvrer Parme et Plaisance, et je mourrai volontiers après avoir redonné ces deux villes au saint-siège[113]. » Il ne mourut pas sans y être parvenu, et l’on peut dire que la vive satisfaction qu’il en éprouva ne fut pas étrangère à sa fin.
Léon X était à la Malliana, à quelques lieues de Rome, quand il apprit, le 24 novembre, l’entrée des troupes espagnoles et pontificales dans Milan. Cette agréable villa était son séjour favori. Il y finissait l’automne, après avoir chassé au faucon près de Viterbe, ou s’être livré au plaisir de la pêche sur les bords du lac de Bolsène. Il se mettait à table et disait le Benedicite au moment où arriva le messager que le cardinal Jules de Médicis avait dépêché pour lui annoncer cet avantage décisif. Transporté de joie, Léon X lui dit : « C’est une bonne nouvelle que vous avez apportée[114]. » Les Suisses de sa garde célébrèrent le succès des armes pontificales par d’assourdissantes décharges d’arquebuses. Après avoir assisté à toutes les démonstrations d’allégresse qu’on fit autour de lui, le pape, agité des plus enivrantes émotions, rempli des pensées les plus ambitieuses, se promena jusqu’à une heure avancée de la nuit dans sa chambre. Les fenêtres en étaient ouvertes et y laissaient pénétrer l’air humide et froid de la fin de l’automne, dont Léon X respira les dangereuses émanations. Il sentit du malaise pendant la nuit, et la fièvre le saisit. Le lendemain il retourna à Rome. Il devait y réunir le consistoire des cardinaux, et il se proposait de célébrer avec éclat[115] une victoire si profitable au saint-siège et qu’il croyait capable d’assurer la délivrance de la Lombardie. Sa maladie, subitement aggravée, l’en empêcha ; elle devint en peu de jours mortelle et l’enleva le 1er décembre à huit heures du soir[116], sans qu’il reçût les derniers sacremens. Il n’avait, assure-t-on, auprès de lui que le moine mendiant Mariano, l’un des bouffons qu’il admettait à sa table, où ce pontife, d’un esprit d’ailleurs si fin et d’un goût à tant d’égards délicat, prenait plaisir à voir leur monstrueuse gloutonnerie et à entendre leurs facéties grossières. Fra Mariano, qui assistait seul à son agonie, lui dit lorsqu’il était sur le point d’expirer : « Saint père, recommandez-vous à Dieu[117]. » La vie de Léon X n’avait pas été celle d’un pape, sa mort soudaine ne put pas être celle d’un chrétien.
Malgré ce qu’il y avait eu en lui de grand et d’aimable, et quoiqu’il eût tant fait pour l’indépendance de l’Italie, l’accroissement du saint-siège et la splendeur de Rome, il n’inspira ni beaucoup d’admiration ni suffisamment de regret. « Il n’est pas mort de pape, écrivait-on de Rome, qui ait laissé une pire réputation depuis qu’existe l’église de Dieu[118]. » Un jugement aussi outré tenait à ses mœurs peu pontificales, à sa fin, qui n’avait rien eu de religieux, à ses onéreuses prodigalités, qui avaient épuisé le trésor apostolique et surchargé l’état d’une énorme dette[119]. Mais si dans Léon X le pontife n’avait pas été toujours édifiant, le prince s’était montré habile, et le protecteur des lettres comme des arts devait rester à jamais glorieux. Sa mémoire, un moment abaissée, allait se relever sous son successeur. Du choix de ce successeur dépendait, par la continuation ou par la rupture de la ligue conclue à Calais, le triomphe durable de Charles-Quint en Italie ou le retour victorieux de François Ier dans le Milanais.
MIGNET.
- ↑ Voyez, sur cette lutte et sur la première rivalité de Charles-Quint et de François Ier, la Revue du 15 janvier 1854.
- ↑ C’est ce qu’on voit dans les dépêches du cardinal de Bibiena, ambassadeur de Léon X auprès de François Ier, écrites de Paris : « Disegna, in quanto per lui si potrà, interromper la cosa del catholico, conforme al ricordo vostro... et dice, che saria sauta cosa per tutti quando si potesse fare re de, Romani, il duca di Sassonia : cosi mi ha detto che vi scriva per sua parte. » Lettere di Principi, t. Ier, p. 52, v°. — Cette lettre du 27 novembre est adressée au duc d’Urbin. Il avait dit la même chose dans la lettre du 2C au cardinal Jules de Médicis, p. 51; il y revient dans la lettre du 8 décembre; François Ier y traite de chimères les pratiques pour sa propre candidature. Ibid, p. 60.
- ↑ La Roche-Beaucourt, ambassadeur de François Ier auprès du roi catholique, écrivait à de sujet, d’Espagne, au grand-maître Boissy : « Les grands seigneurs s’assemblèrent, faisant les bons compagnons, et s’en allèrent devant le roy, luy remonstrant qu’il ne devoit pas rendre un tel royaume, et que c’estoit la clef des Espagnes, et que si le roy l’avoit en son obéissance, il pourroit commander à toutes les Espagnes ce qu’il voudroit, mais pour le garder, ils se offroient corps et biens. » Dépêche sans date. Bibl. imp., mss. Béthune, vol. 8486, loi. 56.
- ↑ Relazione di Roma di Marino Giorgi 17 marzo 1317, — dans Alberi, Relazioni degli ambasciatori veneti al senato, seria IIe, vol. IIIe, p. 43-44. Firenze 1846.
- ↑ Roscoe, Histoire de Léon X, t. III, p. 83.
- ↑ Voyez la Revue des Deux Mondes du 15 janvier 1854.
- ↑ Le cardinal de Bibiena écrivait de Rome, le 19 mai 1520, à la duchesse d’Angoulême, mère de François Ier, de la part de Léon X : « Et me ha imposto che io per parte sua vi risponda che el e disposto a vivere et morire nella vera unione et perfetto amore nel qual si trova verso del rey et di voi. » Mss. Béthune, vol. 8487, f. 55.
- ↑ Voyez les Mémoires de Du Bellay, p. 271 à 278 du XVIIe vol. de la collection Petitot; les Mémoires de Fleurange, p. 326 du XVIe et les dépêches du cardinal de Bibiena de l’année 1518, notamment celle du 14 juillet. Lettere di Principi, I, p. 27 à 30.
- ↑ Guicciardini, Istoria d’ Italia, lib. XIV. — Lettres écrites de Rome par le secrétaire Breton et par le comte de Carpi au roi pendant le mois de mai 1521, dans Béthune, mss., vol. 8617, fol. 12 à 52. — Mémoires de Du Bellay, p. 295 et 334.
- ↑ Dépêche de Bapaume à Louise de Savoie du 6 novembre 1515. Archives impériales, carton J, 965, liasse I, no 12. — Sir Richard Pace à Wolsey, dépêches du 12 novembre 1515, du 26 février et du 4 mars 1516. State Papers published under the antory of her majesty’s commission, in-4o’, vol. VI, 1849, pages 36, 39, 42, 47, 48. — Traité du 29 octobre 1516 signé à Londres, dans Roscoe, t. III, p. 96.
- ↑ « Atque etiam constituit (Maximilianus) gallicam ambitionem opprimere et pessundare, quo facilius majestas regia suum jus hæeditarium in regno Franciæ recuperet. » Dépêche du 12 novembre 1515, écrite d’Inspruck par Pace à Wolsey, ibid., vol. VI, p. 37. — « He wolde not only entre in to Itali to fyht with the frenchemen but also invade Fraunce. And for that intent he desirid your grace to move the kijngis Highnesse to do the same ; for he saythe that he will set the crown upon the kijngis graces hedde there. » Dépêche de Pace à Wolsey du 26 février 1516. Ibid., vol. VI, page 47.
- ↑ Par les traités de Bruxelles du 3 décembre 1516 et de Cambrai du 11 mars 1517.
- ↑ Traité du 29 novembre 1516.
- ↑ Du 4 octobre 1518. Rymer, Fœdera, t. VI.
- ↑ Ibid. Il rentrait en possession de Tournai, Saint-Amand et Mortagne.
- ↑ Dépêche du 14 mars 1519, dans le 87e volume de Bréquigny, mss. de la Bibliothèque impériale.
- ↑ Lettres de Th. Boleyn du 14 mars 1519 à Henri VIII, et du 25 mars à Wolsey; dans Ellis, orig. Lett., 1er série, t. Ier, p. 146 et 151. — Lettre de Th. Boleyn à Wolsey du 14 août 1519, dans Bréquigny, vol. 87.
- ↑ Pace à Wolsey, 11 août 1519, State Papers, t. Ier, p. 8.
- ↑ Pace à Wolsey, lettre du 27 juillet 1519, dans Ellis, t. Ier, 1re série, p. 157.
- ↑ Lettre de Th. Boleyn à Wolsey du 16 novembre 1519, dans Bréquigny, vol. 87.
- ↑ François Ier à Henri VIII le 20 février 1520, dans Bréquigny, vol. 87, et à Wolsey du 23 février 1520. Musée britannique, Cotton, Caligula, D. VIII, et dans Bréquigny, vol. 87.
- ↑ Lettre de Charles-Quint à Wolsey du 25 février 1520; Musée britannique, Vespas., C. I, fol. 297.
- ↑ Lettre de l’électeur archevêque de Mayence et de l’électeur Frédéric de Saxe à l’empereur Charles-Quint du 20 lévrier 1520; — archives de Belgique, documens relatifs à la réforme religieuse en Allemagne, premier supplément, t. Ier, pièce 1re.
- ↑ Voyez, sur le séjour de Charles-Quint en Espagne, les déprédations des Flamands, les mécontentemens de la noblesse et l’insurrection des comuneros, — le premier volume de Historia de Carlos-Quinto par Sandoval, qui a eu tous les papiers du connétable de Castille, dont le rôle a été si important à cette époque ; — les lettres de Pierre Martyr, qui les écrivait du théâtre même des événemens; — les épîtres dorées de don Antonio de Guevara et les lettres de l’amiral de Castille; — le premier et le deuxième volume des Documentos ineditos publiés à Madrid, et qui contiennent dans les tomes Ier et II des fragmens d’une chronique manuscrite et des pièces sur l’insurrection des villes; — Alcocer, Relacion de las comunidades ; — Historia del levamiento de las comunidades de Castilla, por don Antonio Ferrer del Rio, Madrid 1850; — la correspondance inédite de La Roche-Beaucourt, ambassadeur de François Ier, qui a suivi Charles V depuis 1517 jusqu’à son départ de La Corogne en mai 1520. (Bibliothèque impériale, mss. Bélhune, vol. 8486, 8487 et 8612.)
- ↑ Sandoval, vol. Ier, lib. III, § XXXVIII.
- ↑ Ce mécontentement était tel que La Roche-Beaucourt écrivait d’Espagne : « Tous les seigneurs du pays de Castille sont fort malcontens. Je les ay tous les jours à mon logeiz en aussy grand nombre que le roy leur maistre au sien et ma table tousjours bien bordée, me disant : Que faict vostre maistre ? car il est temps qu’il se remue, etc. » Dépêche d’avril ou mai 1519. mss. Béthune, vol. 8486, fol. 128 et suiv.
- ↑ Sandoval, I, lib. V, § III.
- ↑ Sandoval, lib. V, § IX à XXXVII, et Historia del levamiento de las comunidades de Castilla, etc., cap. II, p. 20 à 47.
- ↑ Ibid. et dépêche de La Roche-Beaucourt à François Ier, écrite de La Corogne le 14 mai 1520; mss. Béthune, vol. 8612, fol. 228 et suiv.
- ↑ Charles-Quint à Wolsey, 4 mai 1520; Musée britannique, Cotton, Vespas., C. I, fol. 306.
- ↑ Hall, Chronique.
- ↑ Voyez sur l’entrevue du camp du Drap-d’Or : L’Ordre de l’entrevue et visitation des rois de France et d’Angleterre, dans Montfaucon, Monumens de la Monarchie française, t. IV, fol. 164 à 180 ; — Chronique de Hall, greffier de Londres, que Henri VIII chargea d’en être l’historiographe ; — Mémoires de Fleurange, qui y assistait et y commandait les cent-suisses de la garde de François Ier, t. XVI de la collection de Petitot, p. 345 à 353 ; — Mémoires de Martin Du Bellay, ibid., t. XVII, p. 283 et suiv.
- ↑ Lettre de Thomas Boleyn à Wolsey du 16 novembre 1519, dans Bréquigny, vol. 87.
- ↑ Rondeau de Cl. Marot, p. 274 du tome V de ses œuvres, édit. de 1731. Marguerite, dans une épître au roi, dit :
Ce m’est tel bien de sentir l’amytié
Que Dieu a mise en nostre trinité.Poésies du roi François Ier, publiées par M. Aimé Champollion-Figeac, grand in-4o, 1847, p. 80.
- ↑ Lettres du cardinal de Bibiena du 18 au 29 avril 1520, etc., dans Béthune, volume 8489, fol. 27, 58. Ainsi, en écrivant de Rome à la duchesse d’Angoulême, le cardinal lui dit que sa lettre est « per rinfrescar nella memoria sua la grandissima servitù, observantia et devotioa mia verso la trinita laqual priego dio che prosperi, etc. »
- ↑ Martin Du Bellay, t. XVII, p. 285.
- ↑ Montfaucon, t. IV, p. 164, 165.
- ↑ Montfaucon, t. IV, p. 170-171. — Mémoires de Fleurange, p. 347 et 348 du t. XVI.
- ↑ Hall, p. 610.
- ↑ « Sir, said the king of England, neither your realms nor other the places of your power, is the matter of my regard; but the steadfastness and loyal keeping of promise, comprised in charters between you and me. That observed and kept, i never saw prince with my eyes, that might, of my heart, be more loved. » Hall, p. 610.
- ↑ Mémoires de Fleurange, p. 348 du tome XVI.
- ↑ Mémoires de Fleurange, p. 349.
- ↑ Ibid., p. 349-350.
- ↑ Hall, p. 612 à 614.
- ↑ Mémoires de Fleurange, p. 352.
- ↑ Hall, p. 621.
- ↑ Musée britannique, Vespas., C. I, fol. 307, 308, 14 juillet 1820.
- ↑ « Henry’s instructions to sir Rich. Wyngfeld and sir R. Jernyngham, to be declared unto his dearest brother, confederate and compeer, the french king. » Musée britannique, Calig., D. 8, p. 5, et dans Bréquigny, Bibliothèque impériale, vol. 87. Voyez aussi les instructions de Henri VIII à Fitzwilliam dans Bréquigny, vol. 88.
- ↑ Dépêche de Fitzwilliam à Wolsey du 18 février 1521, dans Bréquigny, vol. 88. Mémoires de Fleurange, fils de Robert de La Marck, t. XVI, p. 357.
- ↑ Charles-Quint avait adjugé la ville d’Hierge, dépendante du duché de Bouillon, au seigneur d’Émery. — Mémoires de Fleurange, t. XVI, p. 356, et de Du Bellay, t. XVII, p. 290-291.
- ↑ Du Bellay, p. 287. — Sandoval, lib. X, § IV et V. — Sayas, Anales de Aragon, c. XXIX, p. 208-209.
- ↑ Sayas, c. XXIX, p. 209. — Sandoval, lib. IX, § VII, et lib. X, § V.
- ↑ Sandoval, lib. v, § xxxi à liv, et lib. VIe § I à XVII. — Historia del Levamiento de las comunidades, etc., c. III, p. 48 à, 81.
- ↑ Ils sont dans Sandoval, lib. VII. § I, p. 311 à 338.
- ↑ Lettres de l’empereur au connétable, à l’amiral et aux villes du royaume, dans Sandoval, lib. VII, § III.
- ↑ Sandoval, lib. VII, § V à X.
- ↑ Sandoval, lib. IX, § IV et XVI.
- ↑ Sandoval, lib. VIII, § XLV à XLVII. — Historia del Levamiento, c. VII.
- ↑ Sandoval, lib. IX, § XV à XXII. — Historia ciel Levamiento, c. X, p. 235 à 257.
- ↑ Sayas, Anales de Aragon, c. XXIX, p. 209 à 212; — Sandoval, lib. X, § V; — Du Bellay, p. 287.
- ↑ « Ta sij laudato, signor dio, dopoi che da me non è principiata questa guerra, et dopoi che questo re di Francia cerca farmi più grande di quel che sono, et tu sij sempre ringratiato, che m’hai donato il modo per difendermi; io espero far di brave ò ch’io sarò povero imperatore, ò lui povero re di Francia. » Lettre de Aleandro de’ Galeazzi, écrite de Bruxelles le 3 juillet 1521. — Lettere di Principi, t. Ier, p. 93, V°.
- ↑ Lettre du 14 avril 1521, — François Ier à Barrois, son ambassadeur auprès de Charles-Quint, — dans les Négociations diplomatiques entre la France et l’Autriche durant les trente premières années du seizième siècle, publiées par M. Le Glay, in-4o, 1845. François Ier y répond aux griefs de Charles-Quint, p. 468-469.
- ↑ Ibid. Paroles mêmes de Charles-Quint rappelées dans la lettre.
- ↑ Mémoires de Fleurange, t. XVI, p. 361.
- ↑ Ibid., t. XVI, p. 366 à 380. — Du Bellay, t. XVII, p. 298.
- ↑ Du Bellay, p. 288.
- ↑ « Viva et rey, e la flor de lis de Francia. y la comunidad de Caslilla! » Sandoval. lib. X, § V, et Sayas, p. 228.
- ↑ Sayas, p. 227, et Sandoval, lib. X, § VI.
- ↑ Sandoval, lib. X, § VII, et Sayas, p. 229 à 234. — Du Bellay, p. 288.
- ↑ François Ier le prévoyait si bien lui-même qu’il écrivait à Barrois, son ambassadeur auprès de Charles-Quint, et le chargeait de dire à ce prince, alors à Worms, dans sa lettre du 14 avril 1521, où il accusait l’empereur d’avoir violé les traités auxquels il assurait avoir été lui-même fidèle : « Parquoy, moy qui de ma part ai entretenu les dictz traictez sans aucunement les enfreindre, me tiens pour provocqué et assailly, et espère, avec l’ayde de Dieu, mon bon droict, secours de mes alliez et confédérez, me défendre et pourveoir à mon affaire de sorte qu’il ne me prandra à despourveu. » Le Glay, Négociations diplomatiques, t. II, p. 271-272.
- ↑ Du Bellay, p. 301-302-304-320.
- ↑ Ibid., p. 301 à 303.
- ↑ Ibid., p. 310 à 318. Hystoire du bon Chevalier sans Paour et sans Reprouche, par le loyal serviteur, dans le t. XVI de la collection de Petitot, p. 110, 111 et suiv.
- ↑ François Ier envoya Olivier de La Vernade, seigneur de La Bastie, auprès du roi d’Angleterre pour réclamer son assistance. La mission de La Bastie est dans les mss. Béthune, vol. 8491, fol. 47 à fol. 66. Charles-Quint, de son côté, dépêcha à Henri VIII l’audiencier Hanneton (State Papers, vol. I, fol. 17). « Le roy catholicque a envoyé son audiencier icy pour demander ayde et secours au dict roy vostre hon frère. » Lettre d’Olivier de La Vernade écrite de Londres le 5 juillet à François Ier, mss. Béthune, vol. 8491, fol. 50.
- ↑ C’est ce qu’écrivait Rich. Pace, qui était auprès d’Henri VIII, à Wolsey demeuré à Londres, le 20 juillet 1521. State Papers, t. Ier, p. 12.
- ↑ Dépêche d’Olivier de La Vernade à François Ier du 28 juin 1521, mss. Béthune, vol. 8491, fol. 176.
- ↑ Dépêche d’Olivier de La Vernade à François Ier, du 6 juillet, ibid., fol. 53. — Le cardinal d’York et le roi d’Angleterre voulaient « connoistre le tort de l’un ou de l’autre (prince) pour ayder et secourir à celluy qui seroit tenu prince d’honneur et de promesse. » Dépêche du 5 juillet, ibid., fol. 50.
- ↑ François Ier écrivait avec la plus grande confiance à Wolsey : « Mon bon amy,... vous garderez mon honneur et ma rayson, et en ce et en toutes aultres choses me demeurerez bon et vray amy. » Lettre olographe, Musée britannique, Calig. D. VIII, 131. — Charles-Quint, qui parlait à Henri VIII dans sa lettre du 20 juillet « de mettre une briefve et finalle résolution en la conclusion d’entre nostre saint père, vous et moy, » Musée britannique, Galba, B. VIII, fol. 76, écrivait à Wolsey : « Monsieur le cardinal, mon bon amy, pour la vraye confidence que j’ay en vous, et affin de conclure les matières secrètes, je vous prie que, le plus tost que pourrez, veuillez venir à Calais. » Lettre olographe du 20 juillet. Musée britannique. Galba, B. VI, fol. 179.
- ↑ Lettre du 28 juillet, State Papers, I, 23, et lettre de Wolsey au roi, du 4 août, ibid., p. 31.
- ↑ Sur la conférence de Calais : rapport adressé à l’archiduchesse Marguerite, mss. Béthune, vol. 8,478, de 147 feuilles ; dépêches des commissaires de François, qui sont dans les volumes 8,491, 8,492, 8,500, des mss. Béthune, du août 1521 au 21 novembre ; pièces insérées dans le t. II des Négociations diplomatiques, etc., publiées par M. Leglay, p. 483 à 588 ; lettres déposées au Mus. britan. Galba B. VI et VII, ou publiées dans le premier volume du State Papers.
- ↑ Lettre de Charles-Quint à Wolsey, de Bruges, le 7 août. Mus. brit. Galba, B. VII, fol. 95.
- ↑ Il lui disait : « Je vous monstreray mon armée par laquelle cognoistrez que je n’ay vouloir de dormir à l’ayde de Dieu et de mes bons amis. » Ibid.
- ↑ Lettre de Th. Spynelly à Wolsey, de juillet 1521. State Papers, t. VI, p. 79.
- ↑ Lettre du 9 août, dans laquelle il insiste encore davantage sur la nécessité de se voir pour mieux s’entendre. Mus. brit. Galba, B. VI, fol. 196.
- ↑ Cette politique est très curieusement exposée dans une longue lettre de Wolsey à Henri VIII, imprimée dans le t. Ier des State Papers, p. 89 et 90.
- ↑ Lettres de Wolsey à Henri VIII du 19 août. (Stat. Pap. I, 38.) — De Pace à Wolsey du 24 août. (Ibid., p. 40.) — Du 15 sep. Ibid., p. 54.
- ↑ Dépêche du chancelier Du Prat et de Selve à François Ier. Mss. Béthune, vol. 8,492, fol. 76 et suivans.
- ↑ Du Prat à François Ier, mss. Béthune. — Wolsey écrivait en même temps à Henri VIII, en parlant des commissaires français : « Ils n’ont aucun soupçon des choses conclues avec l’empereur. » 4 sept. "Mus. brit. Gallia, B. VII, p. 51.
- ↑ Du Prat à François Ier, 7 sept., mss. Béthune, 8,492, fol. 56, § 99.
- ↑ Histoire du chevalier Bayard, t. XVI, p. 111 à 118. — Du Bellay, t. XVII, p. 313 à 318.
- ↑ Belcarius, Commentarii rerum Gallicarum, lib. XVI, fol. 488, iu-fol., Lugduni, 1624.
- ↑ Ibid., Du Bellay, p. 319 à 328. — Pontus Heuterus, rerum Austriacarum libri XV, lib. VIII, ch. 12.
- ↑ « L’empereur, de ce jour-là, dit Du Bellay, eust perdu honneur et chevance... Dieu nous avoit baillé nos ennemis entre les mains, que nous ne voulûmes accepter; chose qui depuis nous cousta cher, » p. 327.
- ↑ Du Bellay, p. 320 à 323. — Sayas, c. XLV, p. 321 à 328.
- ↑ Il rendait au duc Maximilien Sforza 499,660 écus d’or, qui, à 11 francs de poids métallique, et multipliés par au moins cinq fois, à cause de la valeur relative de l’argent dans, les premières années du XVIe siècle, feraient aujourd’hui près de 30 millions de notre monnaie. Voyez Verri, Storia di Milano, t. II, p. 146, — d’après un registre manuscrit contenant les dépenses et les revenus de Maximilien Sforza.
- ↑ Composé de deux évêques, de quatre hommes de guerre et de huit docteurs en droit, tous Lombards à l’exception de deux d’entre eux qui étaient Français aussi bien que le chancelier garde du sceau ducal, auquel en appartenait la présidence. Grand conseil d’administration et de justice, ce sénat, dont les membres étaient investis à perpétuité de leurs charges et ne pouvaient en être privés que par le jugement du corps tout entier, avait la sanction des ordonnances du roi, qu’il confirmait ou rejetait à son gré, vérifiait les grâces et les dons, autorisait les privilèges, accordait les dispenses, prononçait les sentences, examinait les mesures de gouvernement, qui ne s’exécutaient pas sans son adhésion. Édit perpétuel de Louis XII, du 11 novembre 1499, dans Verri, t. II, p. 103, 104.
- ↑ Verri, t. II, p. 170-171-191.
- ↑ Dell’ Istoria intorno alle militari imprese et alla vita di Gian-Jacopo Trivulzio detto il magno, del cavaliere Carlo de Rosmini. Milano, 2 vol. in-4o, 1815, t. Ier, p. 329-530. —Verri, p. 174-175.
- ↑ Voyez, dans les Lettere di Principi, tout ce que raconte à ce sujet le cardinal de Bibiena dans ses dépêches à la cour de Rome.
- ↑ Le cardinal de Bibiena, dans sa lettre du 26 novembre 1518 écrite de Paris au cardinal Jules de Médicis, dit : « Disse che, se Milano haveva fatto Moian (Meillan), forse Ciateau Brian disfaria Milan; volendo inferire che Lotrec haveva favore per conto della sorella... La detta sorella di Lotrec è madama di Ciateau Brian. » Lettere di Principi, t. Ier, p. 52, V°. — « La sorella madama di Chateaubriand bella e accorta, molto amata dal re gli procura favore. » Cod. DCCCLXXVII, ch. VII à la Marciana, cité par S. Romanin, p. 325 du Ve vol. de sa Storia documentata di Venezia, in-8o. Venezia, 1857.
- ↑ Verri, t. II, p. 177, sqq.
- ↑ Guicciardini, lib. XIV.
- ↑ Guichardin, qui était gouverneur des villes récemment annexées à l’état pontifical, et qui a connu tous les secrets de la politique de Léon X, a raconté avec détail tous les événemens de cette guerre dans laquelle il a été acteur ou dont il a été témoin. Il dit : « Fatta adunque ma occultatissimamente la confederazione tra il pontifice e Cesare contro al re di Francia, fu consiglio comune procedere innauzi che manifestamente si movessero le armi... per mezzo dei fuorusciti contro al ducato di Milano, e contro a Genova. » Guicciardini, lib. XIV. — Du Bellay, t. XVII, p. 333.
- ↑ Guicc, ibid.
- ↑ Guicc, ibid. — Du Bellay, p. 334 à 348.
- ↑ Guicc. Lib. XIV, et Cronaca Grumello, mss. Belgiojoso, citée dans Verri, t. II, p. 184.
- ↑ Sur toute cette guerre, Guicc. Lib. XIV ; Martin Du Bellay, p. 345 à 361 ; P. Giovio, Vita Leonis X, Vita Pescarœ ; Galeatii Capellæ, De Bello Mediolanensi seu de rebus in Italia gestis pro restitutione Francisci Sfortiœ II, Mediolanensium ducis ab anno MDXXI ad MDXXX, lib. XIII ; dans le t. II de Joannis Georgii Grævii, Thesaurus antiquitatum et historiarum Italiœ, Lugduni-Batavorum, 1704 ; Belcarius, lib. XVI.
- ↑ Littera illustrissimi marchionis Mantuæ ad illustrissimam marchionissam Mantuæ die 21 nov. 1521, et lettre du 19 au soir et du 20 au matin écrite par le cardinal Jules de Médicis ; l’une et l’autre dans les chroniques de Sanuto, Archives impériales de Vienne, et imprimées dans l’appendice du sixième volume de l’Histoire d’Allemagne pendant la Réformation de L. Ranke, p. 57, 58, 59.
- ↑ Dépêches de Fitzwilliam du 21 octobre, du comte de Worcester et de l’évêque d’Ely du 27 octobre, dans Bréquigny, vol. 88.
- ↑ Lettres de Charles-Quint à Wolsey écrites d’Audenarde le 14 et le 16 novembre 1521. Musée britannique. Galba, B. VII, fol. 143, et B. IV, fol. 144.
- ↑ Lettre du comte de Worcester et de l’évêque d’Ely à Wolsey du 18 novembre 1521, dans Bréquigny, vol. 88.
- ↑ Le texte du traité en quinze articles est dans les archives de Lille, où sont aussi les pouvoirs antérieurement donnés pour le conclure aux ambassadeurs de Léon X, de Charles-Quint et d’Henri VIII. — Le Glay, Négociations diplomatiques, etc., vol. II, p. 585, not. 3. — L’extrait de ces articles est donné dans Herbert, the Life and raigne of king Henry the Eighth, in-4o, London, 1649, p. 117, 118 et 119.
- ↑ « Quando deliberò di pigliare la giierra contro ai Franzesi, aveva detto al cardinale dei Medici, che ne lo dissuadcva, muoverlo principalinente il desiderio di ricuperare alla chiesa quelle due città, la quale grazia quando conseguisse non gli sarebbe molesta la morte. » Guicciardini, lib. XIV.
- ↑ Lettera di Roma alli signori Bolognesi a di 3 debre 1522 scritta per Bartholomeo Argilli, dans le 32e volume de Sanuto, citée dans Ranke, Hist. de la Papauté pendant les seizième et dix-septième siècles, t. Ier, p. 129.
- ↑ « Papa lætabatur propterea ut nunquam plus lætatus fuerit intrinsecus vel extrinsecus ita ut signa per triduum fieri curaverit. » Paris de Grassis, maître des cérémonies de Léon X, dans le journal de son pontificat, qui se trouve aux mss. de la Bibliothèque impériale. — Diarium, vol. III, p. 919.
- ↑ Ibid. 920.
- ↑ Dans Albéri, deuxième série, vol. III, p. 71, net. 1.
- ↑ « Concludo que non è morto mai papa con peggior fama dapoi è la chiesa di dio. » Lettera scritta a Roma, 21 febr. 1521, citée dans L. Ranke, Hist. de la Papauté, etc., t. Ier, p. 130.
- ↑ De 800,000 ducats, d’après son maître des cérémonies. « Camera et sedes apostolica dicitur exhausta et debitrix in summa VIII. c. mill. ducatorum. » Diarium, t. III, fol. 923, 924.