À la Librairie illustrée (p. 173-215).

II
de 1870 à 1876
Le spectre wagnérien. — La musique de Wagner réintégrée aux Concerts populaires. — La Tétralogie à Bayreuth (août 1876). — Les Prussiens en Allemagne, de M. Tissot. — Démonstration antiwagnérienne du 29 octobre 1876 au Cirque d’hiver.

C’est après la première représentation de Rienzi au Théâtre-Lyrique que la presse commença d’accoler l’épithète de wagnérien aux noms des artistes et des compositeurs imbus des théories de R. Wagner ou admirateurs de ses œuvres. Wagnérien, c’est-à-dire suspect de tendances subversives, hérétique et rebelle aux doctrines du Conservatoire, contempteur des vieux maîtres, musicien sans mélodie, assembleur de sonorités truculentes, destructeur des formes dramatiques consacrées ! Pendant une quinzaine d’années, cette accusation lancée contre un artiste suffisait à lui interdire l’accès des théâtres, à détourner de lui les dilettanti bien pensants. Tous les compositeurs français âgés de quarante à cinquante ans, qui sont aujourd’hui réputés pour des maîtres, ont eu à souffrir de ce mauvais renom. Ils ont triomphé des préventions, des défiances semées contre eux par la critique réactionnaire, à cause de leur talent d’abord, mais surtout grâce à l’évolution du goût du public profondément modifié par l’éducation musicale reçue pendant plusieurs années dans les concerts symphoniques.

Dans un volume de critique intitulé : Airs variés[1], M. Ad. Jullien raconte l’histoire des concours ouverts en 1867 à l’Opéra, à l’Opéra-Comique et au Théâtre-Lyrique.

Deux musiciens causaient des partitions présentées au concours d’opéra[2] ; l’un d’eux, membre de l’Institut, renseignait l’autre sur la dernière séance du jury dont il faisait partie. — Et M… ? demandait son interlocuteur. — « Oh ! répondit le juré, il est enfoncé… Il y a chez lui un tel abus de formules wagnériennes qu’il n’en résulte qu’ennui et fatigue. »

Bien que M. Jullien n’ait désigné que par une initiale le compositeur qui fut enfoncé par M. Eug. Diaz, il n’est pas malaisé de nommer M. Massenet. Tout le monde, en ce temps-là, fut très surpris de lui voir préférer un concurrent aussi peu sérieux. Quant au membre de l’Institut, coupable de cette indiscrétion sur les séances du jury, c’était, — on peut le dire puisqu’il est mort, — Victor Massé, le professeur du lauréat.

Malgré le succès momentané que le concours de M. Faure assura à la Coupe du roi de Thulé, lorsque cet ouvrage fut représenté à l’Opéra en 1873, la décision du jury a été cassée par le public. On a pu, depuis lors, aisément juger du wagnérisme de l’œuvre écartée par la commission musicale. Je tiens en effet de M. Massenet, qu’il a utilisé son opéra de concours dont certains fragments ont pris place dans les Érinnyes, dans Ève, Marie-Madeleine et la Vierge. Je vous étonnerais même beaucoup en vous apprenant que le troisième acte du Roi de Lahore, c’est-à-dire les plus belles pages de la partition, est textuellement transcrit de la Coupe du roi de Thulé. L’action se passe dans le paradis d’Indra, au lieu d’avoir pour décor le fond de la mer ; c’est là toute la différence.

Aux environs de l’année 1870 jusqu’à ces derniers temps, toute la jeune génération, aux yeux de la presse légère ou des critiques rétrogrades, passait pour wagnérienne. MM. Lalo, Saint-Saëns, Massenet, Joncières ont, à leurs débuts, été signalés comme des séides de Wagner. Bizet lui-même, dont l’œuvre est aujourd’hui populaire, bien plus, M. Paladilhe, auteur de Mandolinata ! fut taxé de wagnérisme. Repoussés par les théâtres lyriques, ces compositeurs tentaient de se faire connaître en écrivant des symphonies, des cantates et des oratorios, quelques-uns même de la musique descriptive ; ils étaient soutenus dans la lutte par les critiques favorables aux idées réformatrices du novateur allemand, leurs œuvres trouvaient asile chez l’éditeur des partitions françaises de Wagner : il n’en fallait pas plus pour accréditer une légende. Quand, par un bonheur inespéré, ils parvenaient à se produire au théâtre, s’ils cherchaient à soumettre les formes de l’opéra-comique ou de l’opéra au respect de la vérité scénique, on les accusait de proscrire le chant, de bouleverser le genre éminemment français. D’ailleurs, un musicien habile dans le maniement de l’orchestre, était par cela même réputé pauvre d’invention mélodique et on le conjurait de fuir l’école du « civet sans lièvre » pour revenir aux traditions d’Auber et d’Adam.

Il serait long d’énumérer les victimes du spectre wagnérien.

Dès le mois de septembre 1869, première apparition du spectre à l’occasion du Dernier jour de Pompéi de M. Joncières. Le musicien, d’ailleurs, s’était rangé de lui-même parmi les adeptes de Wagner, dès 1860, en rompant ouvertement avec Leborne, son professeur de composition au Conservatoire, à propos d’une discussion sur les concerts du Théâtre-Italien et, plus récemment, en allant entendre Les Maîtres-Chanteurs, à Munich.

Bizet écrivait, le 17 juin 1872, après la représentation de Djamileh[3] : « La rengaine Wagner continue… De Saint-Victor, Jouvin, etc., ont été très bons dans ce sens qu’ils constatent inspiration, talent, etc., le tout gâté par l’influence de Wagner ». M. Reyer lui-même, dans son feuilleton des Débats (31 mai), prononça le mot de wagnérisme… « Oui, car j’ai senti passer comme un souffle des Maîtres-Chanteurs dans certaines pages de Djamileh. »

Le dernier chapitre de l’ouvrage de Gustave Bertrand : les Nationalités musicales étudiées dans le drame lyrique[4], publié en 1872, est intitulé : Verdisme et wagnérisme. L’auteur se montre sévère pour Wagner, il lui reproche d’avoir médit de la France après 1861, d’avoir dénigré les compositeurs français qui sont, en Allemagne même, plus applaudis que lui, de ne pas être un homme de théâtre. Quant aux wagnériens, ils sont coupables d’avoir brisé la langue musicale et l’on a pu leur appliquer cette boutade : « La musique leur résistait, ils l’ont assassinée ! » Son livre conclut, bien entendu, par un optimiste panégyrique de la musique française à laquelle appartient l’avenir.

De cette opinion exprimée sur Wagner et les wagnériens par G. Bertrand qui n’était cependant pas un admirateur exclusif du passé, on peut induire quels jugements sommaires, quelles condamnations inexorables prononçaient des critiques réactionnaires, tels qu’Eugène Gautier, l’illustre auteur de Schahabaham II, Albert de Lasalle, MM. H. Blaze de Bury, Arthur Pougin, Oscar Comettant, d’excellents musiciens comme Jouvin, La Rounat, MM. Vitu, F. Oswald, etc…

L’anathème est jeté sur M. Paladilhe, compositeur du Passant, d’après F. Coppée ; sur M. Saint-Saëns, qui débutait au théâtre avec un acte, la Princesse jaune ; sur M. Massenet, pour lequel on avait fait un opéra comique de Don César de Bazan. M. Éd. Lalo, aucun théâtre n’ayant voulu accueillir son Fiesque, opéra très remarquable où se révèle un tempérament dramatique, fut forcé de le porter à Bruxelles, au directeur du Théâtre de la Monnaie, M. Vachot, lequel fit faillite au moment de commenceriez répétitions (1872).

En 1875, c’est dans l’Amour africain de M. Paladilhe et dans Carmen de Bizet qu’on découvre l’influence wagnérienne. Devant de telles aberrations, le pauvre Bizet se contentait de hausser les épaules et de dire très doucement à M. J. Weber : « Ils sont bien drôles, vos confrères avec leur wagnérisme ! » L’année suivante, Dimitri donna lieu aux mêmes avertissements salutaires. M. Joncières avait en quelque sorte, justifié d’avance cette accusation en affichant dans ses feuilletons hebdomadaires de la Liberté une admiration presque exclusive pour Wagner. Sa musique, il faut L’avouer, indique des ressouvenirs de cette admiration. En 1877, les mêmes tendances funestes sont reprochées à l’auteur du Roi de Lahore et à M. Saint-Saëns qui vient de faire jouer le Timbre d’argent. — « Une série de suites d’orchestre découpées en scènes, » écrivait Paul de Saint-Victor sur le Timbre d’argent. Rien de plus absurde que cette critique adressée à une partition où les formes les plus conventionnelles de l’Opéra sont adoptées, où l’on trouve un brindisi, des airs à vocalises et jusqu’à une chanson napolitaine ! En 1878, M. Joncières est malmené pour sa Reine Berthe et, en 1879, Étienne Marcel, bien que jugé plus favorablement, provoque les mêmes restrictions. En réponse à un article de M. Super dans l’Univers, blâmant « nos jeunes maîtres » d’avoir accepté la mission « d’aller et d’enseigner par le monde la bonne nouvelle wagnérienne, » M. Saint-Saëns, au mois d’août 1880, réfuta ces allégations par une lettre fort vive[5] dans laquelle il protestait de son dévouement à la gloire de l’école française et se défendait d’être un apôtre de la religion de Bayreuth.

Depuis quelques années, la presse ne rabâche plus cette antienne. Elle s’est en partie renouvelée, certains critiques arriérés ayant cédé la place à des rédacteurs musicaux plus compétents. L’un de ces compositeurs pestiférés est mort et ses œuvres, aujourd’hui, n’excitent plus que l’enthousiasme. D’autres sont entrés à l’Institut et cette consécration officielle de leur talent les rend inviolables ; quelques-uns ont rompu ouvertement toute attache avec Wagner et l’ont renié par déclaration publique. Enfin, il a fallu se plier aux transformations du goût, aux préférences nouvelles du public récemment acquises à des tendances réprouvées naguère.

Si, à plusieurs reprises, des polémiques se sont élevées sur l’opportunité des représentations allemandes ou françaises de Lohengrin, F. de Flottow, — qui le croirait ? — le très médiocre auteur de Martha, à propos d’un ouvrage intitulé Marianne destiné par lui à l’Opéra-Comique, avait été accusé de tiédeur pour notre pays. On lui reprochait aussi son titre de chambellan du duc de Mecklembourg-Schwerin, celui-ci ayant commandé un corps d’armée prussien pendant la guerre. Cet incident (août 1873) causa un certain émoi dans le monde des théâtres.

Le 13, M. de Saint-Georges, librettiste habituel du musicien et auteur de ladite Marianne, écrivait au Figaro pour nier que son collaborateur fût chambellan du duc de Mecklembourg. Il ajoutait que l’artiste avait été adopté par la France comme sien et qu’il était membre correspondant de l’Institut, depuis 1864. La lettre était contresignée par le directeur de l’Opéra-Comique, M. de Leuven. Deux jours après, celui-ci prenait la plume pour affirmer qu’aucun ouvrage de M. de Flottow n’était en préparation au théâtre. Le musicien travaillait seulement à un ouvrage qu’il destinait à notre scène et qui serait accueilli avec sympathie quand il serait présenté. Puis, Victor Massé s’en mêla, pour déclarer que l’on ne devait pas représenter « sur nos théâtres nationaux et subventionnés des ouvrages d’un compositeur prussien, quelle que soit d’ailleurs la sympathie que l’on éprouve pour sa personne et son talent. »

Paul Lafargue, courriériste théâtral du Figaro, ajoutait en insérant la lettre de Victor Massé, que Flottow « est tellement Mecklembourgeois, pour ne pas dire prussien, qu’il a grand’peine à s’empêcher de dire tout le mal qu’il pense de la France. » Dans le même journal, le 23 août, M. Albert Millaud s’indigna vivement contre ce prétendu patriotisme qui consiste à proscrire un homme de talent parce qu’il est étranger.

Aux allégations perfides Flottow répondit par une lettre adressée à la Gazette musicale (no du 7 septembre). Le meilleur argument qu’il pût invoquer en sa faveur, c’est la reprise de l’Ombre à l’Opéra-Comique, en 1871, aussitôt après la guerre. Dans la Chronique musicale du 1er septembre, M. Arthur Heulhard, s’emparant à son tour de l’incident, résumait la polémique, reprochait à Flottow ses opinions anti-françaises et le comparait à Wagner qui, dans son ouvrage Art allemand et politique allemande, a fort maltraité la France et l’art français. Il donnait, à l’appui de ce parallèle, de nombreux extraits de cette publication gallophobe.

La propagation en France de l’œuvre de Wagner fut assez longtemps retardée par la guerre de 1870-71 et les ressentiments des Français à l’égard de leurs vainqueurs. Cependant, quelques années après, en même temps que les œuvres de Wagner reprennent leur place au répertoire des Concerts populaires, des écrivain ; spéciaux commet. d’étudier en lui le compositeur ou l’esthéticien, en des travaux plus ou moins techniques, mais non pas encore avec des vues impartiales.

Comme on l’a remarqué, l’épilogue de l’ouvrage de Gustave Bertrand sur les Nationalités musicales manque tout à fait de justice et de mesure à l’égard de Wagner. Même absence d’intelligence artistique et de modération chez Gustave Chouquet, dans son Histoire de la musique dramatique en France[6] (1873).

En 1873. paraît également le livre de M. Guy de Charnacé, Musique et musiciens[7], dont le second volume contient les traductions de certains écrits de Wagner : De la musique allemande ; — de l’ouverture ; — Opéra et Drame ; de la Direction de l’orchestre ; traductions médiocres d’ailleurs et incomplètes, accompagnées de remarques critiques hostiles à Wagner. L’auteur aurait pu se dispenser de traduire les deux premières études, ces écrits ayant été publiés d’abord en français dans la Gazette musicale (juillet 1840 et janvier 1841) (Voir plus haut).

De la fin de 1873, l’Esquisse sur R. Wagner[8], de M. Ch. Grandmougin. Cette brochure qui n’a trait qu’aux premiers opéras du maître, n’est pas proprement un travail de critique musicale. L’auteur cherche à caractériser le style de Wagner et paraphrase les quatre opéras traduits en français, en prétendant rattacher au romantisme la conception des héros wagnériens. Ses aperçus sont contestables et la curieuse comparaison des créations poétiques du compositeur avec celles de Poë et de Baudelaire est un simple jeu d’imagination. D’ailleurs, l’idéalité suprême de la femme et de l’amour — personnifiée par Elsa, n’est pas l’expression dernière du drame wagnérien.

Le 18 décembre de la même année, Louis Lacombe fit, à la salle des Capucines, une conférence sur Wagner. Il m’a été impossible d’en trouver le compte rendu, mais il n’est pas difficile d’imaginer quelles furent ses appréciations, en se reportant à l’étude publiée par lui dans la Revue germanique de 1860. Je sais pertinemment que, dans les dernières années de sa vie, Louis Lacombe n’avait pas modifié son jugement.

Un journal anglais, The orchestra, ayant exposé en termes de métier les changements introduits par R. Wagner dans l’instrumentation de la neuvième Symphonie, la presse anglaise s’émut d’un abus si criant, lequel abus fut dénoncé à la France par la voix autorisée de M. Ch. Gounod. Dans une longue lettre adressée le 6 mai 1874 à M. Comettant, M. Gounod prenait la défense du chef-d’œuvre contre le profane assez osé pour avoir voulu en remontrer à Beethoven. M. Ch. Bannelier, dans la Gazette musicale du 17 mai 1874, se saisit de l’incident et joignit sa réprobation à celle de M. Gounod et de la presse anglaise.

Dans ses Souvenirs d’Allemagne, M. Reyer avait déjà signalé le fait sans le donner pour certain et rapporté crue Wagner avait composé un nouveau dénouement pour l’Iphigènie en Aulide de Glück et qu’il avait « aussi, en plusieurs endroits, modifié le chant et l’orchestre ». Et il ajoutait : « Ô maître, ne craignez-vous pas, pour peu que vous ayez médité sur certain précepte de l’Évangile, que dans un temps donné, dans bien longtemps d’ici, alors que vous ne serez plus que gloire et poussière, une main hardie, une main profane n’ajoute à votre partition de Tristan et Yseult un peu de ce charme mélodique qui lui manque et ne traduise dans un langage plus humain et plus musical votre mélopée du dragon Fafnir ?… » — Dans un article posthume du compositeur Damcke[9], intitulé Une Visite à Wagner, communiqué par sa veuve à la Gazette musicale et publié dans le numéro du 9 janvier 1876, on trouve aussi de curieux détails sur les concerts donnés par Wagner à Zurich, pendant son exil et sur sa manière d’en user avec le texte des symphonies de Beethoven.

En 1875, M. Reyer réunit en un volume sous ce titre : Notes de musique, des articles publiés par lui dans divers journaux et, notamment, ses Souvenirs d’Allemagne et son étude sur Lohengrin dont nous avons déjà parlé. M. Éd. Schuré, de son côté, publiait son grand ouvrage sur le Drame musical[10].

Le premier volume étudie, d’une part, la conception du drame dans l’antiquité et dans les temps modernes ; de l’autre, le développement de la musique et sa fusion avec le drame dans l’opéra. Le second est consacré aux œuvres de Richard Wagner. L’analyse des drames wagnériens, y compris la Tétralogie, non encore représentée, est ici beaucoup plutôt poétique que musicale. Le dernier chapitre fournit des détails intéressants sur le théâtre de Bayreuth alors en construction et un plan de cet édifice. L’auteur conclut en définissant la place qui appartiendra à Wagner dans l’histoire générale du théâtre.

Quand le consciencieux M. Schuré se fut évertué à faire comprendre au public restreint qu’intéressent les choses de l’art, le système dramatique de Wagner et ses idées sur le but du théâtre, appliquées dans la construction de l’édifice de Bayreuth, le fécond auteur du Voyage au pays des milliards se hâta d’exploiter son succès auprès des masses en faisant paraître un second ouvrage sur les Allemands. Trois chapitres des Prussiens en Allemagne sont consacrés à nous éclairer sur la valeur artistique[11] et morale de R. Wagner. Dans l’un, M. Victor Tissot décrit la ville de Bayreuth et le nouveau théâtre encore inachevé, visité par lui pendant une répétition de la Tétralogie ; dans le suivant, il fait l’analyse du poème en style de chroniqueur du Charivari. Le troisième donne des détails de reporter sur la vie de Wagner à Bayreuth, sur ses goûts, ses manies, son luxe, etc… « Quand Wagner se met à l’œuvre, il faut non seulement que les tentures et les draperies de la salle soient en harmonie par leurs couleurs avec le sujet qu’il traite, mais il est indispensable que sa robe de chambre, son pantalon, sa toque et ses pantoufles soient aussi en rapport avec le motif musical. Ce n’est pas sans peine que l’on trouve la combinaison convenable ; mais quand on y est enfin arrivé, l’inspiration se manifeste chez le maestro par des cabrioles et de petits cris joyeux. »

Détachons ces quelques lignes du portrait de Wagner : — « Une tête de reître. Les gestes sont restés brusques comme des coups de rapière et sa langue a conservé la volubilité d’un moulin. (Voilà du style !) C’est un nerveux, un passionné, quelque chose comme un Orlando musical. Il est toujours furieux, il a toujours l’air de se battre ou de prêcher une croisade. Il est en éruption continuelle. » — Enfin, pour l’édification de sa clientèle patriotique, M. Tissot résumait la pièce comique Une Capitulation, et en traduisait des passages pour en montrer et l’hostilité rancunière, et l’énorme ineptie.

C’est dans le dernier volume du Dictionnaire universel de Larousse (lettre T à Z), publié en 1876, que se trouve l’article biographique sur Wagner, article bien fait, moyennant des emprunts à l’ouvrage de Gasperini, mais contenant quelques erreurs, celle-ci par exemple : — D’après le rédacteur, pendant le séjour à Stuttgard de l’empereur de Russie et de Napoléon III, en 1857, on aurait représenté devant eux le Tannhœuser. Nous avons vu plus haut que le fait est inexact. Cet opéra fut seulement joué, peu de temps après, à Karlsruhe, pour les journalistes parisiens présents à Bade. Cette notice, en somme, est assez impartiale, moins la restriction contenue dans les dernières lignes : « Aucun compositeur ne sait aujourd’hui manier mieux que lui l’orchestre et les masses vocales. Mais il abuse d’une sonorité puissante jusqu’à l’excès, et ses œuvres, surtout les dernières, d’une grande pauvreté mélodique, laissent à l’auditeur une impression de fatigue et d’ennui. » C’est l’opinion personnelle de Félix Clément, soit ! Mais un dictionnaire devrait être rédigé, abstraction faite des préférences littéraires ou artistiques de ses collaborateurs.

Au commencement de 1876, l’Opéra de Berlin avait monté pour la première fois Tristan et Yseult[12], le produit des représentations devant être versé dans la caisse du Wagnerverein, pour l’achèvement du monument de Bayreuth. M. J. Weber, du Temps, était parti pour Berlin, d’où il envoya une longue correspondance à son journal (28 mars). Dans cette lettre, on le devine partagé entre le désir d’exprimer le bien qu’il pense du musicien et la crainte de froisser trop vivement les préjugés du public à l’égard des dernières œuvres de Wagner, cet épouvantail de la critique. De cette préoccupation résulte sans doute la sévérité de son jugement. « Dans Tristan, dit-il, tout révèle la manie, l’idée fixe ; on sent un homme qui recherche de propos délibéré, comme pour se démontrer à lui-même sa supériorité sur le commun des hommes, l’inattendu dans la monotonie. C’est un phénomène en apparence contradictoire que cette variété de moyens n’engendrant qu’une sensation d’uniformité, ennuyeuse, tranchons le mot. »

Ailleurs, il est plus élogieux. « La scène d’amour entre Tristan et Yseult est merveilleuse. Je la trouve seulement un peu longue, et les deux amants ont le tort de trop disserter. Le récitatif de Tristan conviant Yseult à le suivre dans la mort, et à la fin du troisième acte, l’appel un peu panthéiste de l’héroïne à la destruction, son dernier espoir, sont des morceaux tels qu’un grand génie évidemment est seul capable d’écrire. »

En 1872, Wagner était venu habiter à Bayreuth une villa construite sur ses plans. La première pierre du théâtre avait été posée, en présence du bourgmestre, le 22 mai. Pour célébrer cette date mémorable, un immense orchestre avait exécuté la Symphonie avec chœurs sous la direction de Wagner lui-même. Le talent de Richard Wagner comme chef d’orchestre est vanté par Mme Judith Gautier dans ses Souvenirs.

En ce théâtre, bâti sur le modèle des théâtres antiques, fut représenté, vers la mi-août 1876, avec le concours des meilleurs artistes de l’Allemagne, le cycle dramatique de l’Anneau du Nibelung. Le 13, on joua Rheingold ; le 14, la Walküre ; le 16, Siegfried, et le 17, Gœtterdœmmerung, en présence de l’empereur Guillaume, de l’empereur du Brésil, du roi de Bavière, des grand-ducs de Bade, de Saxe-Weimar, de Mecklembourg-Schwerin et de bien d’autres personnages de marque mêlés à des oisifs nomades, à des millionnaires de l’industrie ou de la finance, aux artistes, littérateurs, curieux d’Europe et d’Amérique, venus là de tous les pays eu pèlerinage. Parmi les Français se trouvaient Mme Judith Gautier, M. Armand Gouzien, le pianiste Alph. Duvernoy, M. Ernest Guiraud, l’auteur applaudi de Piccolino.

La presse parisienne avait délégué à ces représentations un certain nombre de correspondants. Ces rédacteurs devaient, semble-t-il, être choisis parmi les écrivains familiers avec les théories de Wagner, parmi les musiciens compétents. Ainsi le Temps s’était fait représenter par M. Weber, le Gaulois, par M. Catulle Mendès, l’Estafette, par M. Camille Saint-Saëns. Cependant, des critiques bien connus depuis longtemps comme admirateurs de Wagner, MM. Joncières et Ad. Jullien, n’avaient pas réclamé cette mission ; la Liberté, le Français se contentèrent d’insérer des dépêches. Bien des journaux ne daignèrent même pas parler de ces fêtes artistiques, par économie sans doute[13], le prix d’entrée aux quatre représentations consécutives ayant été fixé à 300 marks (400 fr.). Cette raison pécuniaire me semble plus décisive que le motif d’abstention invoqué par le Rappel.

Ce journal déclara qu’il n’enverrait pas de correspondant assister à l’apothéose de l’empereur Guillaume et de l’insulteur de nos désastres. « M. Wagner serait le grand musicien qu’il dit que le Rappel ne se dérangerait pas davantage. Il y a une chose que le Rappel préférera toujours à la musique, la France !… » Belle parole et digne de M. Prudhomme.

Si M. Jullien ne put rendre compte de la Tétralogie à ses lecteurs habituels, il publia dans le supplément du Figaro du 13 août 1876 un article intitulé : Mozart et R. Wagner à l’égard des Français[14]. Wagner ne fut pas le seul artiste allemand dédaigneux de la France, qui ait hautement exprimé sa haine ou son mépris. Weber, par exemple, a composé des chants patriotiques contre la France pendant la campagne de 1813 et, après la bataille de Waterloo, une cantate Combat et Victoire en l’honneur des armes prussiennes. « Cependant personne n’y songea, lorsque, douze ans après cette explosion de haine, il passa par Paris pour aller diriger à Londres son Obéron. Toute la société française le reçut alors avec un empressement bien flatteur et ne voulut se rappeler qu’une chose, c’est qu’elle devait honorer le génie, où qu’il allât, d’où qu’il vint. »

De Mozart, dont le nom est chez nous synonyme de toutes les vertus, il citait des lettres très curieuses, mais peu honorables pour la délicatesse de leur auteur. Les plaisanteries du jeune Wolfgang dépassaient en grossièreté celles de Wagner et ses mépris à l’égard d’une société qui l’avait choyé, les aménités de l’auteur de Tannhœuser, sifflé du moins à l’Opéra.

De son côté, M. Joncières, à propos d’une reprise du Prophète en août 1876, critiquait l’acoustique de la salle de M. Garnier, si défectueuse pour la sonorité de l’orchestre. Les journaux avaient donné les dispositions intérieures du théâtre de Bayreuth. « Il est certain, observait-il, que ces groupes d’instruments, formant des familles distinctes, permettent au compositeur de produire des effets qu’il lui est impossible d’obtenir avec l’orchestre ordinaire. » De Bayreuth même, M. Saint-Saëns, après avoir rappelé que, bien avant Wagner, Grétry et Choron avaient imaginé l’orchestre invisible, écrivait ces lignes : « L’orchestre invisible réalise un progrès incontestable qui sera, dans un temps donné, appliqué à tous les théâtres lyriques, avec les perfectionnements que le temps apportera. À Bayreuth, il y a une trop grande déperdition des forces musicales…, mais il est certain que cette disposition ajoute beaucoup à l’illusion scénique. »

Au sujet de cet orchestre mystérieux, chez tous les spectateurs français l’impression fut la même. M. Albert Wolff, après en avoir critiqué le principe, exprimait l’avis qu’il aurait été utile de charger des hommes spéciaux comme M. Amb. Thomas ou M. Ch. Garnier d’étudier La question sur place. Dans le plan intérieur du théâtre de Wagner, il appréciait également la commodité des entrées et des sorties.

Naturellement, alors que l’Allemagne et l’Angleterre avaient envoyé à Bayreuth les critiques musicaux les plus renommés, le Figaro avait choisi un journaliste boulevardier pour rendre compte d’une œuvre essentiellement allemande, et un journaliste connu pour sa persévérance à vilipender R. Wagner. Aussi, M. A. Wolff n’eut-il garde de manquer à faire valoir son grand courage de pénétrer dans la Mecque de la religion wagnérienne. Il raconta même une histoire fantastique sur la rencontre d’un colonel autrichien, émerveillé d’une telle bravoure.

M. Albert Wolff, chroniqueur parisien né à Cologne, ne parvint pas toujours à faire oublier à ses lecteurs son origine germanique. Bien que, pour rompre toute attache avec la Prusse, il ait demandé la naturalisation, le dénigrement violent, excessif, de son ex-compatriote Wagner, lui a semblé propre à le faire adopter avec empressement par son pays d’élection. Aussi, dès son arrivée en Bavière, le prenait-il de très-haut avec le pontife de Bayreuth. — « Aujourd’hui, monsieur, que je me trouve sur la terre allemande en face de vous, je tiens à vous dire, dans le blanc des yeux, que votre pamphlet contre Paris a été une vengeance plate et odieuse. Les cendres de Henri Heine, l’immortel poète, et de Louis Bœrne, le grand satirique, en ont dû tressaillir de honte et de colère sous la terre parisienne où elles reposent ! »

Le 13 août, son article était consacré au compte rendu du poème. « La poésie de Wagner est d’une lecture indigeste. Seul, l’homme qui, pendant une semaine, s’est entraîné avec du homard à l’américaine et autres plats réputés lourds, peut résister à cette lecture. » — Le 15 et le 17, il donnait ses impressions sur Rheingold. « L’orchestre mystérieux fait entendre un prélude d’un effet énorme. » Il déclarait admirable le trio des filles du Rhin. À tout prendre, » c’est ennuyeux souvent, mais toujours intéressant. » Chemin faisant, il n’oublie pas de faire de la réclame à son journal : « Quand on a su que j’étais le représentant du Figaro… On lit tant le Figaro ! etc… » — Le 18, il parla de la Walküre. Quelques extraits de son appréciation : — « Le duo du premier acte est un des plus beaux morceaux qu’il soit possible d’entendre et j’ai rarement éprouvé au théâtre une sensation plus pénétrante… Le deuxième est un des actes les plus assommants qu’on ait entendus au théâtre. » Il admire aussi la scène finale du troisième acte. À la fin de son article, il invoque « Henri Heine, dont le sublime ricanement entre comme un bistouri dans la peau des hommes et souhaiterait qu’il fît crever cet anthrax musical !… » Cette métaphore est d’un goût exquis.

Le 20[15], il déclare le premier acte de Siegfried « assommant, moins la scène de la forge. » Au deuxième, se trouve une scène adorable, la symphonie de la forêt. Au troisième, « le réveil de Brunehild est une chose délicieuse et le duo qui lui succède, un morceau de tout premier ordre, tenez-vous-le pour dit. » Le 21, il s’écrie : — « les Nibelungen, quelle ménagerie ! Il y a dans la fameuse tétralogie : un grand dragon, un petit dragon, un cheval, un ours dompté par Siegfried, trois oiseaux, deux corbeaux. Il ne manque plus que Bidel pour que ce soit complet ! » — Mon Dieu ! que ce Wolff a donc de l’esprit ! dirait Sarcey. — Il cite avec éloge au premier acte un petit duo d’adieu) pénétrant, puis une symphonie délicieuse qui traduit les émotions des amants, le chœur du deuxième acte, au troisième, « une marche funèbre qu’on peut mettre hardiment à côté de tous les chefs-d’œuvre de la symphonie. »

D’ailleurs, il reconnaît que Paris a été injuste à l’égard de Wagner. « Dans Tannhœuser, il y a des pages admirables que vous avez conspuées pour rire un brin, » (Tiens ! tiens !) et même, « dans l’œuvre abominablement ennuyeuse que j’ai entendue, il y a des morceaux tellement beaux qu’il convient de les fixer dans sa pensée pour marcher avec son temps. »

Dans un dernier article daté de Nuremberg (Figaro du 25 août), il essaie de résumer ses sensations et n’arrive qu’à rabâcher en quatre colonnes que Wagner est un fou, un insensé qu’il faudrait doucher. « Il a fait tout le contraire de ce qu’on faisait avant lui et, une fois le monstre terminé, il a dit carrément : — Voilà l’art nouveau et national ! » L’entreprise de Wagner « est l’œuvre d’un cerveau en démence… On n’invente pas un art. » … Malgré quinze ans de réclame pour lancer l’affaire, « vous avez compté sans le bon sens, sans la révolte des gens que vous avez exposés à subir toutes les privations à Bayreuth, pour écouter une demi-douzaine de pages remarquables enfouies sous quatre journées du plus mortel ennui. »

Voilà, en effet, le véritable grief de M. Albert Wolff ! Pendant dix jours, il a été mal logé, mal nourri, mal couché, le boulevard et son cercle lui manquaient, et les voitures coûtent très cher à Bayreuth ! Il importe que l’univers en soit informé. Mais aussi, que diable allait-il faire dans cette galère ?

Il invoque l’opinion des musiciens. « Tous les musiciens sont d’accord sur ce point ; ils peuvent lire Don Juan ; mais il faut, pour s’en rendre compte, qu’ils voient la musique de l’avenir dans le cadre de la scène, avec les décors, les géants, les nains, la lumière électrique et les flammes de bengale. Art inférieur, vous dis-je, art inférieur ! » Et il conclut ainsi : — Demain est à Dieu ! a dit le poète. Demain ce théâtre de Bayreuth sera probablement un cirque, une salle de bal ou un tir national. »

Cette phrase, la dernière de l’article, n’est pas la moindre absurdité qu’ait écrite M. Albert Wolff sur ces représentations de Bayreuth. Depuis dix ans qu’il est achevé, le Théâtre-Wagner existe encore et, cet été même, on y a représenté Tristan et Parsifal avec un immense succès.

Combien différentes sont les correspondances adressées au Gaulois par M. C. Mendès ! Sa lettre du 18 août dépeignait la physionomie de la ville, le public du théâtre, les wagnériens ; dans celles du 19, du 23 et du 24, le poète évoquait, en un style sobre et large, les actions héroïques de ce drame immense. On trouvera ces lettres réimprimées dans le volume de M. C. Mendès sur R. Wagner, publié récemment. Elles traitent plutôt du poème que de la musique. Après avoir essayé de rattacher cette grande œuvre à la tragédie eschylienne, aux mystères du Moyen-Âge et au drame shakspearien, il renonçait à rechercher de telles analogies, disant : — « Mais non, on se trouve ici en présence d’un art dramatique qui se rattache mal aux arts dramatiques connus jusqu’à ce jour et d’où émane une émotion nouvelle, incomparablement puissante et délicieuse[16]. »

Tout aussi dithyrambiques furent les correspondances envoyées à l’Estafette[17] par M. Cam. Saint-Saëns, rédacteur musical de ce journal. Non seulement, le savant compositeur, depuis longtemps familier avec les œuvres de Wagner, ne pouvait refuser son admiration à des conceptions aussi grandioses que le prélude de Rheingold, le premier acte et la scène finale de la Walküre, la scène de la forge, le chant de l’oiseau et le réveil de Brunehild dans Siegfried, et le dernier acte de Gœtterdœmmerung ; mais il se laissa captiver par le drame, sans chicaner sur les inventions bizarres du poète de l’Anneau du Nibelung. Il serait trop long de citer ses jugements, mais ils sont formulés dans les termes les plus élogieux. On trouvera d’ailleurs l’étude de M. Saint-Saëns sur la Tétralogie dans son volume Harmonie et Mélodie[18].

Elle est précédée de quelques réflexions générales très judicieuses, celle-ci par exemple : — « Que dire de ces gens qui se sentent gravement atteints dans leur patriotisme, à l’idée que Wagner fait exécuter en ce moment sa Tétralogie dans une petite ville de Bavière ? En vérité, le patriotisme a bon dos, etc… À tout prendre, je préfère hautement ceux qui s’inclinent devant une évidente supériorité et ne marchandent pas leur admiration, dussent-ils admirer de confiance, à ceux qui dénigrent de parti-pris, etc… »

Alors que beaucoup de grands journaux s’étaient abstenus d’envoyer un rédacteur spécial pour suivre les représentations de Bayreuth, le Moniteur Universel était représenté par deux correspondants. M. Ernest Guiraud, devenu, par extraordinaire, critique musical, et M. Gabriel Monod, auteur d’une série de lettres non signées extrêmement intéressantes et très favorables à Wagner.

M. Ernest Guiraud était arrivé à Bayreuth trop tard pour assister à la première série des représentations de la Tétralogie. Il commença donc ses correspondances par le compte rendu de Siegfried[19]. Il paraît n’avoir pas compris grand’chose à l’œuvre de Wagner qu’il juge dans les mêmes termes qu’un vulgaire opéra, mais ses impressions ont le caractère de la sincérité.

Le premier acte, « à part quelques phrases épisodiques et surtout la façon ingénieuse dont elles sont orchestrées, ne m’a pas paru bien saillant. Il se relève pourtant à la fin, avec le chant de Siegfried au moment où celui-ci forge une épée enchantée. Cette chanson de géant, au souffle puissant, a des accents héroïques et étranges. »

« Le second acte est encore plus terne que le premier. Sauf une scène où l’orchestre joue un rôle charmant, tandis que Siegfried est couché au pied d’un arbre, je n’ai rien entendu qui m’ait frappé. Je passe sur le début du troisième, qui renferme quelques beaux accents, car j’ai hâte d’arriver au grand duo d’amour qui termine l’opéra. Là, M. Wagner a enfin trouvé un superbe morceau… Le réveil de la Walkyrie est absolument délicieux. »

La correspondance insérée dans le Moniteur du 23 août a trait au Crépuscule des dieux. « Le premier acte de Gœtterdœmmerung est une des choses les plus ennuyeuses que j’aie jamais entendues… Cet acte qui dure à lui seul plus de deux heures, ne contient que des conversations interminables, sans aucun intérêt musical, ni scénique ; le second acte ne m’a pas paru de beaucoup supérieur au premier… Dès les premières mesures (du troisième), il semble qu’un souffle nouveau ait passé sur l’œuvre. La vie, le mouvement, l’inspiration, tout ce qui avait abandonné M. Wagner dans les deux premières parties de son drame, lui revient à la fois. C’est d’abord un trio original et charmant que les ondines chantent à Siegfried ; puis vient un retour de chasse brillant, mouvementé, auquel succède un remarquable récit de Siegfried. Enfin, la mort du héros et la marche funèbre qui forme la scène suivante sont des pages de premier ordre. »

M. Guiraud assista ensuite à deux des représentations de la seconde série. Il entendit donc les deux premières parties de la Tétralogie, Rheingold et la Walküre, après les deux dernières. « Des quatre ouvrages de Wagner, écrit-il dans le Moniteur du 28 août, le Rheingold n’est pas celui où l’on trouve les plus belles choses, mais c’est à mon avis le mieux équilibré, le mieux fait au point de vue du théâtre et celui dont l’intérêt se soutient le plus du commencement à la fin. »

De la Walküre il admire tout le premier acte, en dépit de quelques longueurs. Le duo d’amour lui paraît être la page capitale de la Tétralogie. « Le morceau est superbe et, malgré les dimensions colossales que lui a données Wagner, l’intérêt va croissant jusqu’à la fin. »

Pour lui, le deuxième acte n’est que vide, inanité, longueur intolérable ; mais il apprécie le troisième acte tout entier. « La chevauchée des Walkyries est un morceau tout à fait extraordinaire…, la symphonie descriptive de l’incantation du feu est d’un très bel effet. »

Le 1er septembre, M. Guiraud résuma ses impressions dans un article de critique générale. « M. R. Wagner est certainement un grand artiste ; son immense talent touche parfois au génie, mais ce génie est toujours artificiel… La complication des moyens qu’il emploie, la recherche constante des effets qui amène la satiété, l’exagération et l’abus excessif des détails, tout cela décèle un art vieilli, fatigué et non un art nouveau. » Plus loin, il déclare que Wagner « est un merveilleux ouvrier, peut-être même le plus merveilleux qu’ait encore produit l’art musical. »

En ce qui concerne l’alliance de la musique et des paroles, l’auteur de la Tétralogie n’a fait, suivant M. E. Guiraud, qu’exagérer l’emploi du récitatif obligé, tel qu’il est défini par J.-J. Rousseau, en lui donnant plus d’extension qu’on ne l’avait fait jusqu’à présent. « Sa révolution se borne à avoir mis au premier plan une des formes de l’art à laquelle les maîtres n’avaient encore assigné que le second. » Wagner n’a pas même entièrement répudié la forme conventionnelle des morceaux d’opéra et des ensembles, et d’autres, avant lui, ont employé le procédé des motifs typiques.

« Ce que l’auteur des Niebelungen a de bien personnel, c’est son style, c’est l’élévation de sa pensée dans certaines parties de son œuvre et c’est l’habileté prodigieuse avec laquelle il ne cesse de manier l’orchestre. Il a soif de l’idéal, il a des conceptions grandioses, mais il atteint rarement cet idéal et plus rarement encore il réalise ces conceptions. »

La correspondance de M. G. Monod, publiée le 24 août, donnait de nombreux détails sur Bayreuth, sur le but artistique poursuivi par Wagner et sur ses vues personnelles tendant à transformer le théâtre. « A priori, le système wagnérien m’a toujours paru faux ; à la lecture, les poèmes ne m’ont causé qu’un médiocre plaisir ; à la représentation, malgré des scènes longues et ennuyeuses, j’ai toujours été pris au piège et j’en ai emporté des impressions ineffaçables ; j’en conclus que ce sont mes raisonnements a priori qui étaient faux, que probablement, j’ai pris pour les limites absolues de l’art musical, ce qui n’était que les formes conventionnelles où il était enfermé jusqu’ici. » Précieux aveu, d’une très noble sincérité dont bien peu furent alors capables, aujourd’hui confirmé par les déclarations de tous les auditeurs de bonne foi qui ont assisté aux dernières représentations du Théâtre-Wagner (juillet et août 1886).

Le 27 août, une autre lettre du même auteur apportait de curieux renseignements sur l’organisation et le personnel du théâtre, sur la villa Wahnfried et sur les hôtes de Wagner.

La Gazette musicale publia le 3 et le 10 septembre des lettres très modérées et plutôt favorables à Wagner, d’un correspondant anonyme qui analyse les poèmes avec précision et accorde à la musique les éloges mérités. Le Ménestrel (20 et 27 août) avait inséré, de son côté, des correspondances non signées, conçues dans un esprit impartial et dont les jugements confirment ceux du rédacteur de la Gazette musicale.

Pour être complet, il me faudrait citer les Lettres sur l’Anneau du Nibelung[20] de M. Paul Lindau et les Lettres de Bayreuth[21] de M. Ch. Tardieu, mais ces comptes rendus ayant été adressés, les uns à un journal allemand, les autres à l’Indépendance belge, sont en dehors du sujet de mon travail. Ceux-ci sont d’ailleurs plus wagnériens que ceux-là ; M. Paul Lindau, tout en rendant hommage au génie musical de Wagner, exprime des réserves quant au drame ou à la mise en scène, dans une forme humoristique qui se souvient parfois de Henri Heine. Meilleur musicien que M. Albert Wolff, quoique sans savoir technique, M. Paul Lindau semble avoir pris pour modèle le chroniqueur parisien dont il unit la blague familière au bon sens bourgeois de M. Sarcey.

En dépit des prédictions fâcheuses de ses détracteurs, le triomphe de Wagner à Bayreuth avait été complet, si complet que le maître, après un banquet, reçut les ovations de ses disciples, coiffé d’une couronne d’or et donnant le bras à sa protectrice berlinoise, Mme de Schleinitz. Le départ de l’empereur d’Allemagne, aussitôt après la Walküre, avait dû froisser l’amour-propre de l’auteur, mais tous les souverains ne se piquent pas de ressembler au roi de Bavière. Plus tard, la révélation du déficit résultant de l’entreprise de Bayreuth lui causa une pénible déception qu’il fit durement expier à ses compatriotes.

À l’issue de la quatrième représentation, Wagner avait prononcé quelques paroles pour remercier le public et, à la profonde stupéfaction de l’assistance, articulé ces mots : — Vous avez vu maintenant ce que nous pouvons ; si vous le voulez, nous aurons enfin un art ! » Cette déclaration hautaine qui semblait annihiler en faveur de Wagner tout ce que l’Allemagne, avant la Tétralogie, avait produit au théâtre, dans la poésie et dans la musique, mécontenta vivement les personnes présentes et même bien des partisans de Wagner[22]. Personne ne dit mot, bien entendu, mais tous les journaux, en France et en Allemagne, blâmèrent sévèrement l’extrême infatuation de l’artiste. « Depuis longtemps, — écrivait M. Saint-Saëns, pour excuser R. Wagner, — ses admirateurs savent que sa maladresse égale son talent et n’attachent aucune importance à ses propos. » Puis il ajoutait : « Il se défend du reste d’avoir songé à insulter la France. Qu’a-t-il donc voulu faire ? C’est ce que personne, pas même lui, ne saura jamais. Le représenter comme un ennemi de notre pays est simplement absurde ; il ne hait que les gens qui n’aiment pas la musique. » — Disons mieux : sa musique.

Aussi Wagner était-il très heureux des marques d’intérêt données à sa tentative par ses amis français. En cette sérénité d’âme qui succède aux apothéoses, il oubliait ses anciennes rancunes et se défendait d’avoir voulu offenser les Français. Il écrivait alors à M. Gabriel Monod : « Mes représentations de Bayreuth ont été mieux jugées et avec plus d’intelligence par les Anglais et les Français que par la plus grande partie de la presse allemande. Je crois que, si j’ai eu cette agréable surprise, c’est que les Anglais et les Français cultivés sont préparés par leur propre développement à com prendre ce qu’il y a d’original et d’individuel dans une œuvre qui leur était jusque-là étrangère…[23]. Ici, vous avez, grâce à moi, connu quelque chose de nouveau et je n’aurais pas pu vous le donner à Paris. »

Cette lettre fut publiée par M. G. Monod, en février 1883, aussitôt après la mort de Wagner, pour le disculper de ses torts à l’égard de la France. Il eût peut-être mieux valu la faire connaître dès 1876. On eût ainsi répondu aux accusations de M. Victor Tissot et prévenu peut-être le brutal et ridicule esclandre du 29 octobre 1876, au Concert-populaire.

Depuis la guerre de 1870, le nom de Wagner avait disparu de l’affiche des Concerts-populaires. Avant cette époque, quand sa musique était sifflée, c’était faute d’être comprise. Plus tard, les tentatives de M. Pasdeloup pour acclimater les œuvres du maître servirent fréquemment de prétexte à des manifestations anti-allemandes.

Ce fut l’ouverture de Tannhœuser qui reparut d’abord sur les programmes du Cirque-d’Hiver (9 novembre 1873). Elle divisa la salle en deux camps opposés.

Le 30 novembre, la marche religieuse de Lohengrin fut ballottée entre les sifflets et les applaudissements, mais ceux-ci l’emportèrent à la fin. Le 21 décembre, le public fit mauvais accueil aux fragments des Maîtres-Chanteurs. À partir de ce moment, le répertoire de Wagner reprend sa place sur l’affiche du Concert-populaire[24], avec des alternatives de triomphe et d’insuccès.

Le 15 novembre 1874, l’orchestre de M. Pasdeloup exécutait pour la première fois le prélude de Tristan et Yseult. Ce prélude ne fut pas compris, soit parce qu’il fut mollement joué, soit à cause de la complication du travail symphonique. D’ailleurs, il a toujours été froidement reçu au Cirque-d’Hiver. Ce jour-là, les bis des admirateurs déchaînèrent une véritable tempête et le morceau ne put être redit qu’à la fin du concert.

Marcello, dans la Chronique musicale[25], étudia le prélude. Voici la paraphrase qu’il en donne : « L’idée dirigeante du drame, c’est l’amour… À travers les enchevêtrements du tissu musical, l’esprit suit les transformations successives de cet amour, d’abord chaste et contenu, puis s’échauffant par degrés, passant par tous les ravissements de la félicité humaine et s’exaltant peu à peu jusqu’au tumultueux délire de la passion inassouvie pour retomber, énervé de volupté, dans les extases alanguies de la passion satisfaite. »

Dans un des premiers concerts de l’hiver 1876-1877 (29 octobre), M. Pasdeloup, toujours dévoué à la gloire de Wagner, voulut faire connaître à son public au moins un fragment de la Tétralogie. Il avait choisi la marche funèbre de Gœtterdœmmerung, dont tous les spectateurs de Bayreuth avait admiré le style grandiose, la lugubre et héroïque lamentation.

M. Élémir Bourges qui, dans son très beau roman, le Crépuscule des Dieux[26], a, par l’agonie des dieux du Walhall germanique, symbolisé la fin d’une lignée princière, celle des ducs de Blankenbourg, a parlé de cette marche avec une sobre et saisissante éloquence où passe le souffle épique d’une oraison funèbre de Bossuet.

« Au milieu du profond silence, une marche solennelle se déroulait, la marche de la mort des Dieux, car le héros Siegfried venait d’être tué et tous les Dieux mouraient de cette mort. Et le duc écoutait, béant, cette lamentation funèbre qui l’étonnait par une horreur et une majesté surhumaines. Il lui semblait qu’elle menait le deuil de tout ce qu’il avait connu et aimé, le deuil de ses enfants, le deuil de lui-même et le deuil des Rois dont il voyait l’agonie en quelque sorte, et le crépuscule de ces Dieux. »

— « Cette marche funèbre, disait M. Jullien dans le Français du 31 octobre 1876, même séparée du reste de l’ouvrage et exécutée dans des conditions d’acoustique toutes différentes de celles exigées par l’auteur, est déjà un morceau magistral, d’une grandeur et d’une tristesse incomparables. »

Que le public, dérouté par la forme inusitée du morceau, ne l’eût pas bien compris à une première audition, cela ne saurait surprendre et, en effet, comme l’écrivait M. Weber le 14 novembre, dans son feuilleton du Temps, « ce n’est point une marche, c’est un entr’acte ou plutôt interlude (Zwischenspiel) pour un changement de décor ; le morceau se lie à ce qui précède et à ce qui suit, en sorte que, pour le détacher, il a fallu ajouter une terminaison, comme on fait pour l’ouverture de Don Juan. Il commence pendant que les compagnons de Gunther emportent le corps de Siegfried, mais la plus grande partie se joue pendant que des vapeurs venant du Rhin couvrent la scène pour laisser effectuer un changement de décor.

« Wagner a rappelé quelques motifs précédemment entendus, sans vouloir donner à la musique la forme régulière d’une marche. »

De son côté, M. Ad. Jullien avait expliqué à ses lecteurs que cette marche funèbre « offre comme un profil complet de toute l’existence du héros et ces motifs, si admirablement reliés ensemble, ne sont que de courts rappels de mélodies déjà entendues dans les situations principales de la Tétralogie où avait paru Siegfried. »

Mais qu’une bande de siffleurs, pour s’être trop souvenus des révélations de M. Victor Tissot[27], aient, avant le premier accord, intimidé l’orchestre de M. Pasdeloup, par une manifestation soi-disant patriotique préparée à l’avance ; que, le morceau fini, le tapage ait recommencé avec plus d’énergie, au point d’étouffer la voix de M. Pasdeloup, qui réclamait de son auditoire un peu de déférence pour l’artiste ; que les manifestants, emportés par l’ardeur de leur opposition systématique, aient chuté l’ouverture du Freischütz, croyant que l’orchestre reprenait la marche funèbre, c’est ce qui, aujourd’hui, paraît incompréhensible. C’est incroyable et cependant absolument exact[28].

Le lendemain de l’incident, M. Pasdeloup adressait aux journaux la lettre suivante :


« Monsieur le Rédacteur en chef,


Veuillez, je vous prie, me permettre de donner au public quelques explications nécessaires sur mon attitude après l’audition de la nouvelle marche de Wagner.

Aujourd’hui, M. Wagner est jugé comme homme, mais le grand musicien ne l’est pas encore chez nous. Je crois que la France ne doit pas rester en dehors du mouvement musical qui peut se produire au delà de nos frontières ; le devoir des Concerts-populaires qui ont toujours marché en avant, est de faire connaître à Paris des œuvres qu’on peut ne pas admirer, mais qu’il n’est pas permis d’ignorer et qu’une très grande partie de mon public est curieuse d’entendre.

Il me semble que ma conduite pendant nos malheurs, où j’ai quitté mère et femme dans l’espoir de pouvoir servir mon pays, me dispense de répondre à des accusations antipatriotiques qui se sont produites.

Je n’ai pas plus le droit d’imposer Wagner aux uns que d’en priver les autres. Je ne puis que supplier tout le monde d’apporter moins de passion dans une question purement artistique et de laisser la musique de Wagner s’abriter à l’ombre des grands compositeurs classiques dans le culte desquels nous sommes tous unis par un sentiment d’admiration.

Veuillez agréer, etc… »


Le 30 octobre, M. Albert Wolff blâmait l’attitude du public au Cirque-d’Hiver, mais, déjà repentant des éloges pompeux adressés par lui à la marche le Gœtterdœmmerung, il déclarait qu’au concert, « cette marche est une chose confuse, ennuyeuse, sans caractère, un tapage qui agaçait les nerfs, un bruit effroyable qui a appelé les protestations. »

Le lendemain du concert, dans son feuilleton de l’Estafette, M. C. Saint-Saëns désapprouvait les siffleurs ; mais, à son avis, M. Pasdeloup, « détachant cette marche de l’ensemble, avait fait une chose insensée. »

Le Ménestrel du 5 novembre donnait du morceau de Wagner un bizarre compte rendu sous la signature : Auguste Morel[29]. « C’est un andante en ut mineur, sans motif déterminé et sans rythme bien accentué. On ne peut nier cependant qu’il ne présente un certain caractère de grandeur résultant surtout du coloris de l’instrumentation, et, chose remarquable, à part une explosion dans le milieu du morceau, toute cette masse d’instruments de cuivre que Wagner a ajoutée à l’orchestre ordinaire, n’est guère employée que pour des effets qui, malgré leur plénitude de sonorité, se tiennent constamment dans la demi-teinte, justifiant mieux le titre de Crépuscule que celui de marche funèbre. »

Suivant M. Joncières[30], « cette œuvre n’est pas à la hauteur de celles que nous connaissons du célèbre compositeur allemand. Les personnes qui ont assisté aux représentations de Bayreuth sont cependant unanimes pour déclarer que ce morceau leur avait causé une impression profonde. Il se peut que la situation, l’effet scénique, le retour de certaines phrases caractéristiques entendues précédemment contribuent pour une large part à l’effet que produit ce morceau dans son cadre. »

M. Pougin était plus catégorique. « La marche que nous avons entendue dans cette séance tumultueuse, est une composition absolument banale et sans la moindre valeur et ne méritait que le dédain et l’inattention. » (Tribune du 2 novembre.)

Certains journalistes se plaignirent avec véhémence des scènes de désordre qu’ils avaient contribué à faire naître par leurs excitations, conjurant le préfet de police d’interdire à M. Pasdeloup le répertoire de Wagner. M. Ad. Julien (Français du 6 novembre), dans un article très sensé et très bien écrit, défendit contre ces forcenés Wagner et son hardi missionnaire, le directeur des Concerts populaires.

M. Octave Mirbeau trouva le mot de la situation en proposant à M. Pasdeloup d’exécuter la musique de Wagner sous des titres et des noms supposés et de la faire appplaudir ainsi par ceux qui la sifflaient.

Par une contradiction fréquente dans le journalisme, le Gaulois, qui faisait appel au bras séculier et réclamait l’aide de la police, non pour expulser les siffleurs, mais pour proscrire Wagner des Concerts du dimanche, s’indignait en même temps de la brutalité du parterre marseillais, accusé d’avoir tué sous les sifflets une jeune chanteuse qui n’avait pas eu le don de plaire à cet incorruptible aréopage.

En réalité, Mlle Priola, qui avait quitté l’Opéra-Comique après une brillante carrière commencée en 1869 au Théâtre-Lyrique, dans Rienzi, est morte à Marseille d’une fièvre typhoïde. Ce sont les premières atteintes de la maladie qui l’avaient rendue inférieure à elle-même et par suite indigne de la faveur du public du Grand-Théâtre, le plus grossier de tous les publics du Midi. La mort de Mlle Priola devait assurément inspirer des regrets à ceux qui l’avaient applaudie dans le rôle de Philine de Mignon, dans le Domino noir et dans Suzanne des Noces de Figaro. C’était une actrice gracieuse et spirituelle, douée d’une jolie voix, une jeune et charmante femme, blonde, très élégante, s’habillant fort bien à la ville, très assidue aux courses d’Auteuil et de Longchamps.

Mlle Priola fit battre, à cette époque, bien des cœurs de collégiens, et les attendrissements des journalistes sur sa fin prématurée émurent les âmes sensibles. Mais je ne vois pas pourquoi la personne d’une actrice, fût-elle aussi séduisante que cette pauvre Priola, serait plus sacrée que l’œuvre d’un maître, et je considère comme aussi mal élevés les mondains qui vinrent au Cirque d’hiver siffler, par chic, la marche de Gœtterdœmmerung et, de leurs clés forées, imposèrent silence à M. Pasdeloup, que les voyous du cours Belzunce, coupables de n’avoir pas su excuser les défaillances vocales d’une artiste assez imprudente pour paraître en scène, déjà souffrante du mal qui devait l’emporter.

  1. 1 vol. in-18, Charpentier, Paris, 1877.
  2. Le rapport adressé au ministre en vue de lui faire connaître le résultat des délibérations du jury pour le choix du poème de la Coupe du roi de Thule, fut rédigé par M. Sarcey.
  3. À ce propos, je recommande aux musiciens la lecture des notices du dictionnaire Larousse sur Djamileh et la Princesse jaune. Ils apprécieront le parti pris évident, étroit et injuste, auquel a obéi Félix Clément, rédacteur musical de ce dictionnaire.
  4. 1 vol. in-18o, Didier, Paris, 1872.
  5. On trouvera cette lettre à la fin du volume de M. C. Saint-Saëns, Harmonie et mélodie.
  6. 1 vol. in-8o. Didot. Paris, 1873.
  7. 2 vol. in-18, Pottier de Lalainne, Paris, 1873.
  8. Une brochure chez Durand-Schœnewerk, Paris, 1873.
  9. Berthold Damcke, compositeur russe, critique et professeur depuis longtemps fixé en France, mourut à Paris en 1875. Il avait été l’un des derniers et des plus fidèles amis de Berlioz.
  10. 2 vol. in-8o, Sandoz-Fischbacher, Paris, 1875. Une nouvelle édition, augmentée d’une étude sur Parsifal, a paru cette année chez Perrin, 2 vol. in-18.
  11. Avant lui, dès 1873, M. Claretie avait publié un ouvrage du même genre, les Prussiens chez eux, 1 vol. in-18, où il n’avait pas dédaigné, tout en protestant de son impartialité, d’exprimer son sentiment sur le Tannhœuser qu’il avait vu jouer à Berlin. À son avis, les Parisiens ont eu raison de s’ennuyer à la représentation de cet opéra, mais on doit les blâmer de l’avoir sifflé. De plus, Rienzi lui paraît supérieur au Tannhœuser, en tant que musique dramatique. M. Claretie s’est rencontré ici dans une communauté d’impressions avec Paul de Saint-Victor.
  12. 20 mars 1876.
  13. Dans le XIXe Siècle, non content de cette économie, Edmond About, perdant toute mesure, écrivit ces lignes injurieuses et brutales : « Cet Hervé sans esprit, sans gaieté et sans mélodie, ce perturbateur assommant et glacial, est devenu, sans dire pourquoi, l’ennemi rampant de la France. Après s’être longtemps engraissé de nos croûtes, il est venu en 1870 dans les fourgons de M. de Moltke, nous donner le coup de pied du maestro. »
  14. Cet article a été réimprimé dans une brochure publiée en 1881. à Bruxelles, imp. Sannes, et à Paris, chez Baur.
  15. Entre les comptes rendus de M. A. Wolff, le Figaro inséra, le 19, un article de M. Saint-Genest sur l’Histoire du plébiscite, où il comparait l’anti-patriotisme de MM. Erckmann-Chatrian à la gallophobie de Wagner.
  16. Au mois d’août 1876, M. Cat. Mendès avait d’ailleurs publié dans le Gaulois une série d’articles sur les œuvres dramatiques de Wagner antérieures à l’Anneau du Nibelung.
  17. Numéros des 19, 20, 21, 26 et 28 août 1876.
  18. 1 vol. in-18, Calmann Lévy, Paris, 1885.
  19. Numéro du 22 août 1876.
  20. Traduites en français par M. J. Weber dans le Richard Wagner de M. Paul Lindau, 1 vol. in-18, Hinrichsen, Paris, 1885.
  21. 1 vol. in-12, Schott, Bruxelles.
  22. Dans une lettre adressée le 19 août au Moniteur universel M. G. Monod décrivait le banquet donné à Wagner après la première série de représentations. « Après le saumon, Wagner s’est levé et a demandé à expliquer les paroles qu’il avait prononcées la veille. C’est à tort qu’on a cru que, dans sa pensée, il n’y avait pas eu d’art digne de ce nom dans le passé. Ce qu’il a dit ne s’appliquait qu’à l’Allemagne. Il y a un art italien, il y a un art français qui ont produit des chefs-d’œuvre de noblesse et de grâce, mais il n’y a pas d’art national allemand. Il n’y a eu que des tentatives individuelles et isolées, mais aucune grande tradition nationale durable. C’est cet art national qu’il voudrait contribuer à créer. »
  23. Plus tard, en 1879, causant avec M. Fourcaud, il exprimait le même sentiment : « Vous étiez nombreux, ici (à Bayreuth), aux représentations de l’Anneau du Nibelung, en 1876 ; je ne puis répéter assez combien j’ai été touché de votre attitude. Au-dessus des malentendus, qui n’étaient pas encore tout à fait dissipés à cette époque, vous éleviez ouvertement la question d’art et vous reconnaissiez que je n’apportais pas seulement les poèmes et des partitions ; mais qu’il se formulait, avant tout, dans mes ouvrages, un principe d’émancipation théâtrale et de réforme dramatique. Mieux que cela, vous l’avez proclamé chez vous sur tous les modes. »
  24. Pour les concerts, nous ne donnerons plus désormais que la date des premières auditions de fragments inédits, avec l’attitude du public et les appréciations de la presse ou du moins des rares critiques qui suivent régulièrement les matinées musicales.
  25. La Chronique musicale, journal bi-mensuel avec gravures et musique, fondé par M. Heulhard en 1873, parut jusqu’en 1876.
  26. 1 vol. in-18, Giraud, Paris, 1884.
  27. On vendait ce jour-là sur le boulevard des Filles-du-Calvaire, un supplément du journal l’Éclipse, intitulé : Richard Wagner et les Parisiens, orné d’un portrait-charge de Wagner, par A. Gill et contenant la traduction complète de la pièce satirique : Une Capitulation. Cette traduction, non signée, était de M. Victor Tissot. Une brochure in-8o de 16 pages.
  28. J’ai vu d’ailleurs le même fait se reproduire au Châtelet bien des années après. Le 25 février 1883, M. Colonne avait inscrit sur son programme un grand nombre de morceaux de Wagner. L’enthousiasme allait bon train quand, après le prélude de Parsifal, les bis provoquèrent un tumulte de hurlements et de sifflets si violents que beaucoup de personnes s’imaginèrent entendre recommencer le prélude mystique, alors que l’orchestre sonnait déjà les fanfares éclatantes de la Chevauchée des Walkyries.
  29. Auguste Morel, compositeur de province, qui fut directeur du Conservatoire de Marseille, mort depuis peu. Ce fut un des plus intimes amis de Berlioz.
  30. Liberté du 6 novembre 1876.