L’OCÉANIE FRANÇAISE


Étant donnée la part glorieuse échue à nos navigateurs dans la découverte et l’exploration du Pacifique sud, on s’étonne à bon droit que la France n’y occupe pas un plus grand nombre de territoires. Nos marins n’ont pas, hélas ! témoigné d’un sens politique à la hauteur de leur courage : l’un d’eux, un amiral je crois, débarqué en Nouvelle-Zélande bien avant qu’elle ne fût anglaise, trouva « ce rocher » indigne d’être abrité par le drapeau français et se retira sans l’y avoir planté ; un de ses successeurs commit plus tard la même impardonnable erreur à propos des Nouvelles Hébrides.

Les Anglais, qui passèrent après nous, surent mieux prévoir et se montrèrent moins dédaigneux. Voilà pourquoi l’Océanie, grande comme l’Europe continentale, leur appartient presque en totalité tandis que les possessions françaises y couvrent une superficie inférieure à celle de la Belgique !

Elles sont formées de deux groupes d’îles, ayant pour centres la Nouvelle-Calédonie et Tahiti, et de l’îlot inhabité de Clipperton situé au large du Mexique.

La Nouvelle-Calédonie.

La Nouvelle-Calédonie, annexée en 1853, devint dix ans plus tard la fameuse colonie pénitentiaire que l’on sait. C’est seulement en 1876 que les explorations de Jules Garnier amenèrent la découverte du nickel, puis du chrome, du cobalt, du charbon même et qu’apparut son énorme réserve minière.

Son état actuel ne répond pas absolument aux espérances de cette époque. La transportation pénale, loin d’être l’instrument de la colonisation, en a toujours été le parasite. Le bagne, non content de sa propre faillite, s’est opposé au développement de tout ce qui l’entourait et l’administration locale n’en a tiré aucun parti.

Ce fut ensuite une lourde faute de consacrer à la colonisation agricole de la Nouvelle-Calédonie des efforts qu’auraient dû absorber tout entier l’amélioration des moyens de communication et l’exploitation des mines. La Nouvelle-Calédonie doit être considérée comme un pays minier, dans lequel les intérêts de la mine doivent être pris en considération avant toute autre chose. L’agriculture et l’élevage y constituent des ressources accessoires qui ne méritent pas les encouragements officiels qu’on leur a récemment prodigués à la suite d’illusions vraiment inexplicables.

Enfin les disputes politiques et religieuses ont achevé d’énerver la population, la divisant en deux partis irréductibles qui gaspillent leur argent et leurs forces à s’entrecombattre. Le Conseil général néo-calédonien les représente dignement : persécuter les prétendus ennemis de sa majorité, entraver tous projets, si grands et généreux soient-ils, susceptibles de profiter à un adversaire politique, décourager les meilleures initiatives y compris celle du Gouverneur qui doit malheureusement compter avec une assemblée dont l’incompétence est notoire, telle est l’œuvre accomplie au cours de ses sessions ordinaires et extraordinaires.

Le plus extraordinaire, c’est que la colonie ait trouvé moyen de se développer malgré de telles entraves. Elle a bénéficié de précieux concours individuels. Sa fortune relative est l’œuvre de quelques personnes de grande intelligence et de haute envergure qui ont su réagir contre l’indolence du milieu et lui montrer sa véritable voie.

Autour de la Nouvelle-Calédonie se groupent ses dépendances : l’île des Pins, les Loyalty, les Wallis, Chesterfield, etc… et les Nouvelles Hébrides, merveilleux archipel où notre colonisation a joué un rôle prépondérant, qui sont françaises de fait, soumises en droit à un condominium franco-anglais. Nous en avons parlé longuement dans notre numéro de juillet 1906, que nous nous permettons d’indiquer au lecteur, insistant sur cette thèse que si nous en abandonnions jamais la possession nous serions fatalement amenés à perdre tout crédit dans cette partie du monde austral.

Les établissements français de l’Océanie.

Le groupe français connu sous le nom d’Établissements de l’Océanie se compose d’une série d’archipels dont les principaux sont formés par les îles de la Société (Tahiti), Marquise, Touamotou, Gambier, etc.

Ces pays au climat merveilleux, surnommés par les Américains le « Nice français du Pacifique », n’ont jamais fait l’objet d’un moment d’attention sérieuse de la part de la métropole. Ils sont si loin qu’ils ont été laissés tout à fait à l’écart ; par habitude, nos marins de la division du Pacifique les visitent chaque année, ils en rapportent d’enthousiasmes impressions — traduites avec tant de charme dans le Mariage de Loti, — mais nos commerçants, comme nos émigrants, les ignorent, qui seraient pourtant intéressés à les connaître.

À l’opposé, les Américains y font preuve d’une activité telle que Tahiti, la clé de ces îles, leur appartient en fait bien plus qu’à nous.

Le commerce du groupe — alimenté à l’exportation par la nacre, le coprah, la vanille — s’effectue pour les six septièmes avec l’étranger, principalement avec San-Francisco, Valparaiso et Auckland ; il est absolument nul avec les possessions voisines de la Nouvelle-Calédonie.

Tahiti, desservie par les lignes de navigation américaines et australiennes, n’est reliée à la France que par quelques voiliers de Bordeaux qui font le voyage en quatre mois, par le cap Horn !

Cette situation nous apparaît doublement triste en raison de la position magnifique que ces établissements occupent sur le chemin de Panama. Au jour du percement de l’isthme, nous y trouverons un point d’appui précieux… si nous avons su le conserver.

En fait, l’Océanie française subit l’action fatale de sa situation géographique. Émiettés aux antipodes de la France, ses territoires éprouvent l’attraction de leurs grands voisins : l’Amérique et l’Australie. Ils sont trop loin de nous, et trop près d’eux.

Est-ce un motif pour les abandonner, pour renoncer à notre part de bénéfice dans la conquête de l’hémisphère austral ? C’est au contraire, nous semble-t-il, une raison de mieux veiller sur eux. L’importance de ces possessions, qui nous parait médiocre lorsque nous les considérons séparément, grandit beaucoup lors que nous les jugeons d’ensemble. Leurs intérêts sont solidaires : l’administration coloniale les a grossièrement méprisés en les isolant complètement les unes des autres. Les deux principaux groupes s’ignorent. Pour aller de Nouméa à Papeete, il faut passer par l’Australie et suivre une route quatre ou cinq fois plus longue que la distance de ces deux villes. Ce défaut de cohésion est un non-sens. Hâtons-nous d’y remédier si nous voulons sauver l’Océanie française des accaparements qui la menacent et préserver dans cette partie du monde l’influence de notre pays.