Revue pour les Français Novembre 1906/II

L’AFRIQUE FRANÇAISE


Les territoires d’Afrique, protégés et administrés par la France, couvrent à peu près 10.700.000 kilomètres carrés, soit plus du tiers de ce continent. Ne nous laissons pas éblouir ni écraser par l’énormité du chiffre — une grande partie de ces territoires sont désertiques et sans valeur actuelle, — retenons plutôt l’étendue des possessions françaises dignes d’exploitation immédiate : plus de quatre millions de kilomètres carrés, superficie équivalente à la moitié de l’Europe continentale. Elles contiennent environ trente millions d’habitants indigènes et présentent, de l’Algérie à Madagascar, une infinie variété d’aspects, de climats et de « possibilités ».

L’Algérie.

L’Algérie est la plus proche de nos colonies, si proche qu’on l’a considérée comme un prolongement de la mère-patrie en y taillant trois départements administrés comme tous les autres et rattachés au ministère de l’intérieur. Elle présente cette particularité historique qu’elle n’a pas cessé d’être — au moins nominalement — une colonie vassale de l’étranger depuis l’époque où les Carthaginois y fondèrent leurs première comptoirs au ixe siècle avant notre ère. Aux Carthaginois succédèrent les Romains (146 avant J.-C), les Vandales (429), les Byzantins (553), les Arabes (711), les Turcs (1518) et les Français. Ces dominations successives et les luttes qui les accompagnèrent furent peu favorables au progrès de l’Algérie. Seuls les Romains y entreprirent une véritable colonisation qui s’affirme encore de nos jours par de nombreux vestiges. Ils en firent leur grenier d’abondance, y poursuivirent de gigantesques travaux d’art, y construisirent d’immenses cités, telle cette admirable Timgad — la Pompéi africaine — avec sa majestueuse voie triomphale, son forum, son théâtre, que nos archéologues ont fait sortir de la poussière et qui donnent à l’Afrique romaine une figure plus énorme encore que celle que nous lui supposions d’après l’Histoire.

Après les Romains les Arabes, par l’importation de l’islamisme, révolutionnèrent le pays, entraînant ses habitants à la conquête de l’Espagne et leur laissant l’empreinte inaltérable de leur civilisation. Plus tard les Turcs en firent un repaire de brigands dont les excès amenèrent, en 1830, l’intervention française.

La résistance des indigènes, générale jusqu’en 1846, se perpétua longtemps encore par des insurrections partielles. L’agitation de certaines tribus, à peine éteinte de nos jours, nécessita la division du pays en territoire civil et territoire militaire : par les empiètements successifs du premier sur le second nous pouvons juger des progrès de la pacification.

À présent l’Algérie est bien une terre française. Pour la première fois en contact avec des populations musulmanes, nos gouvernements les ont d’abord traitées maladroitement et n’ont pas su gagner leur loyalisme. La politique actuelle, de plus en plus algérienne, réussira sans doute à les attacher à la France par un double lien d’intérêt et de reconnaissance ; elle saura satisfaire en même temps les légitimes désirs de la population européenne qui prétend exercer sur l’administration locale de son pays d’adoption une influence prépondérante.

L’Algérie, dont le climat est presque partout agréable à l’Européen et parfaitement salubre, est une merveilleuse colonie de peuplement. La population européenne qui n’atteignait que 35.000 âmes en 1841, se chiffre aujourd’hui par plus de 600.000 et représente plus du septième de la population arabe. Elle augmente rapidement. Les Français d’origine y tiennent la première place : ils sont 365.000 ; les naturalisés Français sont 129.000 ; les Espagnols 155.000 ; les Italiens 38.000.

Ces résultats sont dûs en grande partie à l’œuvre de colonisation officielle qui a permis de fixer aux indigènes et aux colons des emplacements favorables en leur fournissant les moyens de les mettre en valeur. Ainsi furent installées en moins de trente ans — de 1871 à 1895 — quinze mille familles françaises, population rurale qui compte plus de 100.000 membres. Leur race, saine et féconde, a déjà subi l’influence de son entourage et présente une physionomie originale. Leur type se transforme, leur langage se caractérise par un accent particulier, leur mentalité change. Ils forment véritablement une France nouvelle qui promet de nous faire grand honneur.

Malheureusement les immigrants espagnols et italiens deviennent chaque année plus nombreux et, malgré les efforts tentés par l’administration française pour les franciser rapidement, menacent de l’emporter sur nos colons. Ce danger doit être combattu par une publicité plus large des avantages offerts là-bas aux Français de bonne volonté. Il faut dire à nos paysans qui s’en vont s’étioler dans les villes quelle existence privilégiée les attend sous ce ciel merveilleux où d’immenses territoires fertiles sont encore à leur distribuer.

Ses richesses naturelles, considérables, sont encore loin d’être convenablement exploitées et pourtant l’Algérie jouit déjà d’une grande prospérité. Sans doute la France s’est imposé d’énormes sacrifices pour hâter sa pacification et sa mise en valeur, elle n’a pas ménagé son sang ni son argent, mais c’était raisonnable : elle s’en trouve largement payée. L’Algérie n’est pas seulement pour elle un immense grenier, elle fut aussi la porte ouverte à notre expansion nationale dans les pays qui l’avoisinent et reste un point d’appui utile à la préservation et au progrès de toute l’Afrique française.

La Tunisie.

La Tunisie couvre une superficie égale à la moitié de l’Italie. Son histoire se confond jusqu’au xixe siècle avec celle de toute l’Afrique du Nord. Restée indépendante après notre conquête de l’Algérie, elle est devenue protectorat français en 1881. La Tunisie qui tient beaucoup de la grande voisine dont elle n’est séparée par aucune limite naturelle, s’en distingue heureusement par son homogénéité territoriale, par sa température à la fois plus égale et moins sèche, par sa population moins turbulente et plus accessible au progrès.

La colonisation française s’y est développée avec une rapidité étonnante qui s’explique dans une large mesure par la modération avec laquelle nous avons exercé notre influence sur le pays. En conservant de l’ancien régime indigène tous les rouages compatibles avec l’œuvre nouvelle que nous prétendions accomplir, nous avons assuré à la Tunisie une tranquillité durable ; en lui accordant une administration autonome, nous lui avons permis de se développer à l’abri des influences fâcheuses qu’a souvent exercées sur le gouvernement de nos colonies notre politique intérieure. Les résultats acquis prouvent l’excellence de ce système.

En 1881, le commerce total de la Régence se chiffrait par 23 millions de francs ; il dépasse aujourd’hui 160 millions. Le pays est méconnaissable à ceux qui l’ont parcouru il y a vingt ans.

La mise en exploitation du sol s’est effectuée tout autrement qu’en Algérie. Au lieu d’une masse de petits agriculteurs vivant sur leurs terres, nous y trouvons surtout de grands propriétaires, souvent absents, exploitant leurs domaines par l’intermédiaire de régisseurs, employant un grand nombre d’ouvriers à gages. Ainsi s’est constitué en Tunisie un prolétariat européen dont l’importance augmente sans cesse, circonstance peu favorable à l’émigration de colons français. Sur 131.000 Européens fixés en Tunisie, nous trouvons seulement 28.000 Français contre 86.000 Italiens et 12.000 Maltais.

Ces conditions de peuplement sont dangereuses pour la France. Sans doute, sur 712.000 hectares de terres en culture appartenant à des Européens, les Français en possèdent 628.000, ils ont en mains les capitaux et accaparent les entreprises, leur rôle économique est primordial. Il n’en est pas moins vrai que l’élément étranger les submerge, supplée à la valeur par le nombre et finira par acquérir à leurs dépens la prépondérance sociale. Il est bien difficile d’exercer notre action nationale sur ces masses et d’en former une société française d’idées. L’administration y travaille. Sans mériter le reproche d’exagération, nous pouvons dire que l’avenir de la Tunisie française demeure lié au succès de cet effort.

Le Maroc.

Nous ne pouvons pas quitter l’Afrique du Nord sans mentionner le Maroc, sa partie la plus riche. Les conquêtes de la France en ont fait une enclave entre ses possessions. Elle doit y exercer par la force des choses une absolue prépondérance qu’elle aurait aisément conquise depuis longtemps si nous avions su profiter des privilèges de fait qu’elle y possède.

Le Sahara.

Le Sahara français est grand comme dix fois la France. C’est un mélange confus de déserts de sable ou de pierres et d’oasis, une plaine généralement accidentée, rehaussée çà et là de massifs montagneux qui s’élèvent jusqu’à 2.500 mètres. L’extrême sécheresse qui le caractérise oppose à sa pénétration un obstacle effrayant mais pourtant moins insurmontable qu’on ne l’a très longtemps supposé. Il n’est pas complètement inhabité et renferme même une population importante : les Touareg, ses véritables maîtres, qui sont plusieurs centaines de mille, valeureux et organisés. Après avoir essayé de les gagner pacifiquement la France a dû lancer contre eux plusieurs expéditions armées qui n’ont pas encore arrêté la résistance qu’ils nous opposent. Leur soumission nous est indispensable avant l’établissement des voies transsahariennes qui doivent relier directement toutes nos possessions africaines et leur donner l’homogénéité qui les transformera en un puissant empire. Cet espoir représente pour nous toute la valeur du Sahara. Ses régions sont improductives, son importance économique est nulle.

L’Afrique occidentale française.

Le gouvernement général de l’Afrique occidentale française a été constitué en 1899 par la réunion des colonies du Sénégal, de la Guinée, de la Côte d’Ivoire, du Dahomey et des territoires de la Mauritanie. Sa superficie atteint 2.277.000 kilomètres carrés peuplés par environ dix millions d’habitants.

Les territoires de la Mauritanie saharienne ont été revendiqués par la France dans une intention purement politique et sans aucune arrière-pensée d’exploitation économique. Notre pénétration s’y poursuit méthodiquement par l’établissement de relations pacifiques avec les principaux cheikhs auxquels nous accordons l’investiture et qui acceptent notre suzeraineté.

Sur la côte au sud du cap Blanc sont situées les pêcheries récemment étudiées et déjà célèbres du banc d’Arguin. Elles dépassent, paraît-il en richesse et en variétés tous les centres déjà connus.

Le Sénégal subit l’influence de la France depuis la fin du xvie siècle. Il englobe aujourd’hui l’ancienne région du Soudan français constituée en gouvernements militaires. Son climat n’est pas naturellement insalubre : la malaria et la fièvre jaune qui y firent tant de victimes y deviendront sans doute inconnues dans quelques années, grâce aux mesures énergiques entreprises pour la destruction des moustiques, leurs seuls propagateurs.

Les principaux produits du Sénégal sont l’arachide, le caoutchouc, la gomme et l’or alluvionnaire. Son commerce extérieur a dépassé 78 millions en 1905.

La France occupe depuis 1865 la région des « Rivières du sud » qui, augmentée du Fouta-Djalon et du bassin du Haut-Niger est devenue la Guinée Française. Le Fouta-Djalon, massif montagneux et bien arrosé, véritable Suisse africaine, est considéré comme le sanatorium de l’Afrique occidentale. Ses habitants, les fameux Peulh, race énergique et intelligente, convertie à l’islamisme, s’occupent principalement d’élevage : c’est là pour la colonie une ressource de grand avenir, étant donnée l’extrême rareté du bétail dans les pays avoisinants.

Au delà, dans les terres basses, la culture du riz promet des résultats considérables. Cependant, la valeur économique de la Guinée tient surtout à l’exploitation du caoutchouc. Elle a pour débouché principal le port de Konakry, dont l’activité sans cesse croissante accuse le progrès de son commerce représenté en 1905 par 13.600.000 francs d’importations contre 14.800.000 francs de produits exportés.

La Côte d’Ivoire, où l’expansion française se manifesta dès 1842 est administrée par la France depuis 1889. Les deux tiers de son territoire sont une vaste forêt tropicale dont l’exploitation, à peine commencée, accuse déjà la grande richesse représentée jusqu’à présent surtout par l’acajou. Les terrains défrichés sont susceptibles de culture intensive que rend malheureusement difficile la pénurie et l’infériorité de la main-d’œuvre. Les plantes à caoutchouc abondent et les palmiers fournissent en huile et en noix de palme un rendement facile. Des gisements aurifères qu’on dit importants ont été découverts sur les plateaux du Baoulé et dans la région de Kong, célèbre par la résistance et la capture du fameux conquérant soudanais Samory.

Le commerce de la colonie s’est élevé à plus de 28 millions en 1905.

Les ports du Dahomey, situés sur la côte des Esclaves, furent fréquentés dès le xve siècle par des navigateurs français. L’annexion du pays eut lieu en 1892 après une véritable guerre dirigée contre Behanzin, à présent exilé à Blida. Les amandes et les huiles de palme ont constitué jusqu’à présent son unique ressource, mais les essais de culture récemment effectués permettent de considérer le maïs et le coton comme ses plus riches produits d’avenir.


Cet aperçu très bref peut donner une idée sommaire de l’importance des colonies de l’Afrique occidentale française. Elles nous apparaissent aussi prodigieusement riches qu’immensément vastes. Leur conquête et leur pénétration furent une œuvre tellement superbe et gigantesque que nous ne pouvons manquer d’affirmer notre admiration et notre gratitude pour ses auteurs, chefs et soldats, connus et ignorés.

Leur mise en valeur n’exige pas moins d’efforts et nous devons associer ici les noms du docteur Ballay et de M. Roume qui ont su l’entreprendre avec une égale maîtrise : le premier est mort à son poste, de la fièvre jaune ; le second poursuit sa tâche, encouragé par un succès croissant.

L’avenir de ces possessions dépend de l’exécution d’un programme de travaux publics. Dans l’état actuel des transports, elles ne peuvent écouler qu’une infime partie de leurs produits. C’est aisé à comprendre. Ouvrez une carte de l’Afrique occidentale et considérez, par exemple, la Guinée. Savez-vous combien coûte le transport d’une tonne de marchandise de Konakry à Beyla, de la mer à l’arrière pays ? Exactement 1.424 fr. 80 ! Trouvez vous un produit agricole qui supporte une telle majoration de prix ? Non. L’exploitation du sol de ces régions est donc liée au perfectionnement des moyens de communication. Il leur faut des chemins de fer.

L’Afrique occidentale française qui possède déjà 1 200 kilomètres de voies ferrées doit rapidement doubler ce réseau sous peine d’être arrêtée en pleine croissance. Elle négocie à cet effet un nouvel emprunt de 100 millions qui bénéficiera probablement d’une garantie de la métropole mais qui s’en passerait aisément. En dix ans son commerce a doublé et cette colonie, dans l’enfance, représente déjà 20 % des échanges de l’empire colonial français[1] : les progrès qu’elle a réalisés dans sa période de formation lui assurent un prodigieux avenir.

Le Congo.

Le Congo français est formé des anciens territoires du Gabon, du Moyen-Congo, de l’Oubanghi-Chari et du Tchad. Nous l’avons acquis par lambeaux, à la suite des voyages de nos explorateurs, sans dépenser officiellement beaucoup d’efforts.

La facilité même de son annexion lui aliéna longtemps l’attention de la métropole et le priva des secours utiles à sa mise en valeur. En comparaison des résultats économiques obtenus dans l’État voisin du Conso belge, notre œuvre est demeurée inférieure. Les Belges ont compris avant nous la portée du mot de Stanley : « Sans le chemin de fer, tout l’État du Congo, quel que soit l’immensité de ses ressources, ne vaut pas une pièce de deux shellings », ils ont construit leur chemin de fer. Nous n’avons pas encore le nôtre.

Le Congo est notre colonie la plus peuplée. La politique indigène y joue dès lors un rôle particulier. Ses habitants qui mènent la vie sauvage se soucièrent peu de nous voir occuper leur pays aussi longtemps que nous les laissâmes en paix, mais dès qu’on fit appel à leur concours, ils résistèrent : n’ayant pas de besoins, ils ne comprenaient pas l’utilité de l’effort. En présence de cette difficulté, l’administration coloniale résolut d’attirer d’abord l’indigène par des avantages immédiats et à sa portée, puis de l’éduquer et de lui demander en retour le paiement d’un impôt dont la nécessité l’obligerait au travail. Méthode d’une application délicate ! Elle fut parfois au-dessus de l’expérience ou du caractère de nos jeunes administrateurs et donna lieu à des abus, voire à des crimes, encore présents à nos mémoires. Il faut savoir que la responsabilité en incombe aux personnes et non pas au système. Les instructions du commissaire général, M. Gentil, stipulent expressément que l’impôt indigène — fixé à 3 francs par an et par case habitée — doit être volontaire ; que la mission des administrateurs chargés de le percevoir est purement persuasive et pacifique : qu’ils doivent agir par l’intermédiaire des chefs de villages auxquels ils abandonnent 6 % de leurs recettes et n’exercer jamais la moindre répression pour cause de non paiement. Malgré les difficultés de cette procédure l’impôt indigène a produit 90.000 francs en 1902, 284.000 francs en 1903, 507.790 francs en 1904 : on escompte qu’il doit quadrupler. Les populations s’en acquittent de plus en plus volontiers en raison de la protection effective que la France leur accorde contre les traitants au service des compagnies concessionnaires. Elles s’accoutument peu à peu au travail et s’« associent » à l’œuvre coloniale. Quant à la corvée du portage, contre laquelle s’élèvent nos philanthropes en pantoufles, on s’efforce de l’adoucir mais elle demeure indispensable, ainsi qu’en tout pays où les voies de communication et les bêtes de somme font également défaut.

Les richesses naturelles du Congo sont variées à l’infini. Ses forêts, d’une beauté proverbiale, renferment quantité d’essences précieuses ; sa faune est riche et ses cours d’eau très poissonneux ; son sol se prête à toutes les cultures ; son sous-sol même contient de nombreux minerais.

Parmi ses productions actuelles le caoutchouc représente 40 %, l’ivoire 35 %, les bois d’ébénisterie 15 %, auxquels s’ajoutent en quantités moindres les huiles et amandes de palme, le café, le cacao, etc… Son commerce a atteint 21 millions en 1904, en augmentation de trois millions sur l’année précédente. Si nous voulons nous en donner la peine et mettre à la disposition du gouvernement du Congo les sommes indispensables qu’il réclame, la colonie saura bientôt se suffire à elle-même et nous payer de retour.

Madagascar et dépendances.

L’île de Madagascar a coûté à la France de durs sacrifices. En mesurant sa valeur à son prix d’acquisition, nous avons commis une erreur grossière qu’il est utile de dissiper.

Madagascar a beaucoup trop fait parler d’elle ; elle a promis au delà de ses moyens : à présent son crédit s’épuise et les déceptions sont d’autant plus vives à son propos que les espoirs semblaient fondés. La vérité, c’est qu’elle n’est pas pour nous une possession de première valeur et qu’elle a tenu longtemps dans nos préoccupations coloniales une place qu’elle ne méritait pas et qui revient à d’autres.

La colonisation agricole, malgré l’effort très énergique que lui a consacré le général Gallieni, n’a pas donné de bons résultats. Les Européens, attirés à grands frais, ont, en majorité, abandonné leurs concessions ; les indigènes, eux-mêmes, ont souvent laissé là leurs terres sous l’accablement des impôts qu’on prétendait en exiger pour faire face aux besoins d’une politique trop magnifique ; enfin le sol lui-même s’y prêtait mal : quel que soit l’avenir de ses rizières, Madagascar n’est pas un pays agricole, on s’en aperçoit un peu tard.

La colonie semble devoir se consacrer plutôt à l’exploitation forestière, à l’élevage et surtout aux mines, pour la mise en valeur desquelles la main-d’œuvre lui fait malheureusement défaut. On peut ainsi dire que son développement rationnel est lié dans une large mesure au problème de l’immigration d’une masse de travailleurs qu’elle aurait bénéfice, suivant l’exemple du Transvaal, à recruter parmi les Chinois.

Il lui faut aussi développer ses communications. Sans nier l’utilité du chemin de fer de Tananarive à la mer, qui sera probablement achevé l’année prochaine, nous pensons qu’on a trop sacrifié à son exécution et qu’il eût mieux valu employer l’effort et l’argent qu’on lui a consacrés à des travaux plus nécessaires.

Le commerce de Madagascar a atteint 45.800.000 francs en 1905, dont 19.400.000 francs à l’exportation représentée principalement par l’or (40 %), le caoutchouc (20 %), les peaux (13 %), le bétail (8 %), etc… Il représente moins de 6 % du commerce total des colonies françaises[2].

Dans les parages de Madagascar se trouvent les îles de Nossi-bé, de Sainte-Marie, Glorieuses, et l’archipel des Comores composé de Mayotte, Anjouan, Mohéli et la Grande-Comore. Leur valeur est essentiellement agricole et l’excellence du sol y permet les plus riches cultures, malheureusement paralysées dans leur extension par le manque de main-d’œuvre. La canne à sucre et la vanille en sont les principaux produits, exportés en 1904 pour une valeur de trois millions.

La Réunion.

L’île de la Réunion, située dans l’Océan indien à 800 kilomètres de Madagascar, appartient à la France depuis 1638. C’est une « vieille colonie » tropicale, purement agricole. Sa population est presque totalement française ou issue de français. Elle a joui d’une prospérité incomparable aux temps passés, mais elle est aujourd’hui dans une situation précaire. Souffrant déjà du manque de bras, elle a été d’autant plus éprouvée par la baisse des sucres qu’elle se consacrait presque entière à leur production. Elle doit à présent transformer les exploitations de canne à sucre qui encombrent son sol en cultures plus rémunératrices.

Son commerce, qui dépassa 80 millions de francs en 1860, est tombé à 40 millions en 1900 et à 32 millions en 1904. Le sucre représente encore 55 % de ses exportations complétées par la vanille, l’essence de géranium et de vétyver, le tapioca, etc.

Sensiblement plus au sud sont situées les îles Saint-Paul et la Nouvelle Amsterdam, poussières de colonies qui assurent à la France un poste sur la route de l’Australie au Cap, puis les îles Kerguelen, notre possession la plus voisine du pôle, dont la latitude correspond à celle de la Patagonie.

Somalie française.

Remontant vers le nord sur la côte orientale, nous rencontrons la colonie de la Côte française des Somalis. Elle n’a de valeur que par sa situation géographique. Son chef-lieu Djibouti, excellent port, constitue pour nos flottes un précieux point d’appui sur la route de nos colonies d’Extrême-Orient et de l’Océan indien : il est en même temps le principal débouché maritime de l’Éthiopie, tête de ligne du chemin de fer français dirigé sur Addis-Abbaba, et possède de ce fait une énorme importance commerciale.

Sur la rive opposée du Bab el Mandeb (côte d’Asie), le territoire de Cheikh Said, propriété française inoccupée, possède un bon mouillage qui commande l’entrée de la Mer Rouge et dont nous pourrions faire une station navale très utile au point de vue stratégique.

Telle est l’Afrique française.

Considérez sur une mappemonde l’ensemble des régions énumérées qui la composent. À l’exception de la côte des Somalis et des îles de l’océan indien, elles forment un même bloc. Leurs territoires, enclavant çà et là plusieurs colonies étrangères, communiquent tous entre eux par des voies terrestres. En y développant la circulation, nous en augmenterons l’unité. Le jour où des chemins de fer français relieront l’Algérie au Tchad et au Niger, nous aurons constitué un empire africain qui saura vivre et se défendre par lui-même. Jusque là nous n’en posséderons que les morceaux et nous risquerons de les perdre à la première attaque, car ils sont presque tous séparément indéfendables.

Ainsi la construction du transsaharien, si vainement discutée jusqu’alors, apparaît d’intérêt primordial. Son utilité politique étant admise, il est puéril d’y opposer sa non-valeur économique. La première condition du commerce n’est-elle pas la sécurité ? Travaillons donc à l’établir. La terre d’Afrique sera le refuge de notre puissance coloniale au jour, assurément lointain mais dont l’échéance est possible, où nous aurons « lâché » l’Asie : elle doit en être le rempart. Nous n’achèterons jamais trop cher la possession tranquille des privilèges que nous y avons acquis. Leur valeur équivaut à l’avenir de la France.


  1. Moins l’Algérie et la Tunisie.
  2. Moins l’Algérie et la Tunisie.