LE BON SENS, LES USAGES ET LA LOI
par Henry BRÉAL

LA JUSTICE GRATUITE



La Justice est gratuite en France !

Que voilà donc une belle phrase ; et comme ce généreux principe flatte nos âmes démocratiques.

« La Justice est gratuite en France » ; répétons-le une fois encore… mais ajoutons : il faut payer cher pour l’obtenir.

Car la justice est gratuite à peu près comme sont gratuites les représentations théâtrales (sauf votre respect !) S’il est bien certain que le plaideur ne paye pas ses juges, le spectateur ne paye pas d’avantage les acteurs : l’un verse de l’argent pour obtenir le billet qui lui donne le droit d’entrer dans la salle de spectacle ; l’autre ne peut pénétrer dans le prétoire sans avoir payé le papier timbré sur lequel doit être rédigée sa demande. L’argent perçu aux guichets du théâtre va dans la caisse directoriale qui entretient les acteurs ; les sommes versées au timbre et à l’enregistrement sont recueillies par l’État qui rémunère les magistrats.

Et savez-vous combien il est perçu, chaque année, par l’État en droits de timbre et d’enregistrement ? Sept ou huit cent millions. Ajoutez à cela les sommes versées pour leurs frais aux officiers ministériels, et pour leurs honoraires aux conseils juridiques, et le bilan de la justice gratuite commencera d’être respectable.

Les frais sont tels que, souvent, dans les procès, les parties ne sont plus en désaccord que pour savoir qui les paiera ; récemment nous voyions un dossier d’une affaire portant sur la résiliation de la vente d’un cheval qui valait 350 francs : il y avait 1.874 fr. 25 de frais et le procès n’était pas terminé.

Si être un « plaideur » n’est plus un métier comme le disait Montesquieu, c’est encore, en outre d’un tourment moral, une dépense fort onéreuse : c’est presque un luxe.

Tous les gens pratiques ou gênés s’abstiennent de recourir à la justice ; ils transigent et font des sacrifices, même quand ils ont le droit et la raison pour eux ; à moins qu’ils ne soient indigents et n’obtiennent l’« assistance judiciaire ».

Je reviendrai, dans un mois, sur les inconvénients et les abus de cette institution d’ailleurs si bienfaisante.


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