Revue pour les Français Juin 1907/IV

Collectif
Imprimerie A. Lanier (2p. 694-711).

L’AUSTRALIE DE NOS JOURS[1]



L’opinion publique européenne s’occupe peu de l’Australie. Les Anglais eux-mêmes la connaissent mal ; la plupart des Français, pas du tout. C’est dommage. L’importance d’un pays par rapport à nous ne se doit pas mesurera la distance. La politique de toutes les grandes puissances étant devenue mondiale, rien de ce qui se passe hors de chez elles ne leur doit rester inconnu, à plus forte raison lorsqu’il s’agit d’un pays vaste et riche d’espoirs avec lequel l’Europe entretient d’activés relations. C’est le cas de l’Australie.

Si l’éloignement de ses territoires n’infirme en rien les excellentes raisons que nous avons de la considérer attentivement, il paralyse évidemment nos moyens d’investigation. Des nouvelles qui nous sont transmises un mois après leur temps d’actualité piquent mal notre curiosité. Nous ne parlons pas des télégrammes, toujours incomplets, souvent tendancieux, qui exigent des explications d’autant plus étendues que l’objet de leurs communications nous est moins familier. D’autre part, les Européens sont très rares qui furent jamais aux antipodes : absorbés par leurs affaires privées, les commerçants n’ont cure de communiquer leurs observations au public ; passant rapidement, les touristes en voyage d’agrément ou d’études, en rapportent des impressions parfois exactes, toujours superficielles.

Les livres sur l’Australie sont d’autant plus insuffisants, en anglais aussi bien qu’en français. Nous en possédons d’excellentes études à propos de questions spéciales ; nous n’avions jusqu’alors aucun ouvrage de première main suffisant pour nous faire connaître le pays dans sa physionomie générale. En publiant hier chez Pion un volume qui résume les observations de son long séjour aux antipodes, M. Biard d’Aunet nous a rendu l’immense service de combler cette lacune. Son Aurore australe est une œuvre considérable. Elle suppose autant d’expérience que de travail et s’appuie sur une documentation formidable dont l’effort nous échappe grâce à la maîtrise de l’auteur. Il nous décrit successivement la vie intellectuelle, sociale, économique et politique de l’Australie. Nous l’avons abondamment plagié en écrivant pour les lecteurs de cette Revue les pages suivantes.

La Société australienne

L’Australie, quinze fois plus vaste que la France, est dix fois moins peuplée. Ses quatre millions d’habitants, d’origine britannique, assemblés depuis deux générations, constituent aujourd’hui une nation distincte. L’Australien, qui reste un Briton, n’est déjà plus un Anglais. Il mérite donc d’être étudié pour lui-même.

La société australienne s’est formée en toute indépendance. Elle participe des qualités et des défauts de ceux qui se sont faits eux-mêmes. Comme eux, elle est aventureuse et libre d’allures. Conséquence de son origine sociale et de son milieu géographique.

C’est une plaisanterie que de chercher les ancêtres des Australiens d’aujourd’hui parmi les convicts déportés en Nouvelles-Galles du sud de 1789 à 1846. Ceux-là furent peu nombreux, 30.000 peut-être, et laissèrent peu d’enfants pour cette raison majeure : les femmes étaient en nombre infime au milieu d’eux. Les vrais pères des Australiens de nos jours sont les 7 à 800.000 aventuriers immigrés dans le pays après la découverte de l’or en 1851, tous chercheurs de fortune — ce qui n’exclut pas l’honnêteté. Il va de soi que leurs petits-fils ne doivent pas avoir les mêmes idées ni les mêmes goûts que ceux des fermiers du Canada ou des puritains d’Amérique.

D’autres influences ont agi sur la société australienne. La plus énergique est celle du climat. Déterminant les produits du sol, il oblige les populations à envisager certains intérêts déterminés, à observer certains usages, à pratiquer des habitudes spéciales : il agit ainsi sur la race et la modifie. Observons donc que la distance climatologique est considérable entre l’Australie et la Grande-Bretagne. Comme l’écrit M. Biard d’Aunet, « l’Angleterre est un pays humide et froid, l’Australie un pays sec et chaud. Donc entre les habitants de ces deux pays, les différences ne pourront que s’accentuer, les ressemblances que s’atténuer. Dans la lutte entre le climat et l’atavisme, chaque génération enregistrera une défaite de celui-ci, car rien ne peut prévaloir contre la loi immuable de la nature qui tend à transformer l’individu pour l’adapter aux conditions du sol. » Ainsi s’est constituée une nation australienne, de la famille anglo-saxonne, mais parfaitement émancipée.

La société australienne a déjà perdu la caractéristique primordiale de la société d’outre-Manche : l’uniformité de jugement qui fait que nos voisins de toutes classes et de toutes conditions pensent naturellement de même à propos d’un grand nombre de questions et constituent un bloc national discipliné et respectueux des traditions. L’Australien, lui, respecte « l’ordre légal », mais se moque des traditions ; « il ne se permettra pas de porter dans la rue un objet enveloppé dans un journal, mais il entend penser comme il lui plaît et dire sa pensée quand il lui convient. Il l’exprimera, tantôt poliment, tantôt brutalement, et n’y fera guère de différence. Les mentalités australiennes sont déjà plus éloignées les unes des autres que celles des habitants de la Grande-Bretagne ne le sont entre elles ». L’auteur a prononcé ici l’expression décisive en opposant à la mentalité anglaise les mentalités australiennes.

En raison même de ses divergences, la société australienne est donc infiniment plus difficile à pénétrer que la société britannique. M. Biard d’Aunet nous y entraîne, nous en présente tour à tour les différents groupes et les principaux types ; artistement campés, ceux-là nous semblent vivre sous nos yeux. En ce pays d’action fiévreuse, le commerce et la spéculation ont sans doute absorbé toute activité intellectuelle : l’aristocratie du savoir est très clairsemée ; elle renferme un certain nombre de personnages distingués mais aucun en situation éminente. « En dehors du mouvement intellectuel de l’humanité », l’Australie n’a pas d’activité scientifique propre. Ses savants se tiennent au courant mais ne cherchent pas davantage. « Elle emprunte sa science à Londres, comme elle y a emprunté ses usages, ses idées générales et le capital de sa dette ». Son public a peu de goût pour les. sciences et arts. Ses « foyers de civilisation nationale » Sydney et Melbourne ne possèdent ni Académie, ni Institut, ni École des Beaux-Art, ni École normale supérieure. L’enseignement des langues mortes est peu suivi ; l’enseignement des langues vivantes est presque nul.

Malgré les efforts de l’Alliance Française, notre langue n’y est pas répandue. Considérée comme un art d’agrément, comme une « superfluité élégante », elle est complètement négligée dans les Universités. À Melbourne seulement, la chaire de français a été confiée à un de nos compatriotes[2] qui, par son influence et son énergie personnelles, à réussi à en développer considérablement l’importance. À Sydney cet enseignement n’existait que sur les programmes au moment de notre séjour, au commencement de 1903. Nous nous souvenons d’avoir visité l’Université de cette ville en compagnie d’un distingué professeur français en mission[3] : nous avons du renoncer à parler notre langue avec le titulaire de la chaire de français, incapable de nous entendre et de se faire comprendre ! Nous avons d’autre part vainement cherché dans les Clubs australiens les journaux et périodiques français : nous n’en avons pas trouvé davantage chez les grands libraires. Ajoutez que notre langue est privilégiée entre toutes les autres, vous apprécierez la modeste influence de celles-ci.

Cela explique, dans une certaine mesure, l’indifférence, des milieux australiens — et l’ignorance qui en découle — pour le monde étranger à l’empire britannique. Connaissant les affaires extérieures uniquement par la presse anglaise ou l’Eastern Telegraph, ils n’en sont pas toujours impartialement instruits. Ceci leur est préjudiciable. À force d’exalter leur orgueil de race en considérant la partie non-britannique du monde comme une quantité négligeable, ils en arrivent à vivre uniquement pour eux-mêmes, comme s’ils existaient seuls, et méprisent d’excellents exemples. Sous ce rapport, l’Australie est restée très britannique, l’Australien est devenu plus anglais que l’Anglais du vieux monde. « Persuadé qu’il existe seulement deux conceptions de la vie : l’anglaise, qui est bonne, et la non anglaise, qui ne l’est pas », il a voulu n’utiliser jamais que des procédés britanniques. Les splendides résultats qu’il en a obtenus pendant la première période de son établissement aux antipodes ne prouvent pas qu’elles soient excellentes. M. Biard d’Aunet nous l’explique. « La lutte contre les difficultés matérielles ne réclame qu’une énergie soutenue. Les pionniers de ce nouveau monde possédaient cette qualité, et les profits de l’exploitation d’un sol encore vierge les en ont bientôt récompensés. Mais l’organisation d’un peuple naissant, l’orientation qu’il doit prendre dans sa collaboration à l’œuvre générale de la civilisation, offrent des problèmes d’une plus vaste complexité. Peut-être a-t-on perdu de vue en Australie qu’il s’agissait d’une expérience non encore faite, puisque c’est la seule colonie de peuplement que la Grande-Bretagne a créée sous un climat très différent du sien et sans qu’aucune autre nation lui ait préparé la voie, comme le fit la France au Canada pendant environ deux siècles ». Assurément les Australiens l’ont oublié. Leur « insociabilité internationale », qui contraste d’ailleurs tout à fait avec leur affabilité privée, constitue un obstacle au progrès de leurs sociétés. Ils ne s’en rendront compte qu’à force d’expérience et par eux-mêmes, car ils détestent les avis.

Malgré leur caractère enjoué, leur humour, leur cordialité naturelle, les Australiens ne tolèrent pas la critique, même celle de leurs compatriotes d’Angleterre. Ils s’indignent dès qu’elle se manifeste sous une forme quelconque. L’auteur veut oublier ce que cette indignation « a d’excessif et d’un peu ridicule pour n’y voir que l’expression spontanée d’un sentiment qu’il est plus noble et moins dangereux d’exagérer que de perdre » et «  l’excuse mieux encore en se souvenant que l’Australie actuelle est l’œuvre de trois générations. Ce sont les pères et non les aïeux des Australiens d’aujourd’hui qui l’ont faite. Cela ne suffit-il pas, conclut-il, pour qu’elle leur semble parée de toutes les vertus, exempte de tous les défauts ? ».

Le socialisme en Australie

Les expériences sociales de l’Australie lui ont acquis quelque célébrité parmi les personnes du vieux monde. Vaguement impressionnés par les résultats apparents de ces expériences, nos réformateurs socialistes ont eu vite fait de conclure à leur entier succès : ils nous ont invités à en suivre l’exemple. Leur opinion nous semble un peu hâtive. Les réformes sociales accomplies depuis quinze ans aux antipodes sont loin d’avoir encore porté leurs fruits : il est trop tôt pour apprécier leurs résultats définitifs sur la vie nationale du pays. D’ailleurs ces résultats, considérés dans leurs conséquences immédiates, présenteraient-ils de merveilleux encouragements — ce qui est loin de la vérité — il n’en serait pas moins illogique de nous les vouloir proposer en imitation. Nos vieilles sociétés européennes ressemblent peu à l’Australie par la structure ; elles en diffèrent énormément par le milieu. De même que telles plantes croissent là-bas et dépérissent sur notre sol, pareillement telle réforme sociale produira d’excellents effets aux antipodes et sera désastreuse chez nous. Il n’en résulte pas qu’il n’y ait rien à apprendre — ni même rien à prendre, comme le remarque M. Biard d’Aunet — des initiatives australiennes. « Leurs mésaventures aussi bien que leurs succès comportent un enseignement ». Il faut seulement les étudier sans parti pris.

Lisez Biard d’Aunet : « Les partisans de l’étatisme en France, malgré leur intention de réaliser des expériences analogues, n’ont pas encore jugé opportun de nous entretenir avec quelques détails des affaires du monde austral. Il se sont bornés à nous dire, de temps en temps, que tout y allait pour le mieux, grâce au socialisme. Cette discrétion, à première vue surprenante, est on ne peut plus légitime. Pour en indiquer les motifs, il suffira de montrer en quoi nos réformateurs se distinguent des socialistes australiens. » En effet le socialisme australien, dont l’objectif se confond avec celui du socialisme européen, diffère de celui-ci sur plusieurs points très importants.

Tandis que les socialistes français se détachent de l’idée de patrie, ceux d’Australie y tiennent énergiquement : leur patriotisme, « intransigeant jusqu’à l’exclusivisme », est « vibrant jusqu’à la gasconnade ». Même contraste à propos de religion : ceux-là s’acharnent à en combattre toutes les formes ; ceux-ci lui témoignent simplement une respectueuse indifférence. Cléricaux et anticléricaux n’existent pas aux antipodes : « des catholiques ultras, des presbytériens ardents, des libres penseurs déclarés, des israélites pratiquants, se rencontrent dans la vie publique, se classent dans tous les partis, sans qu’il soit tenu compte de leurs opinions religieuses ». Troisième dissemblance : les socialistes australiens professent un respect profond de l’ordre légal ; on sait le peu de cas qu’en font les nôtres. Malgré la fréquence des conflits et l’âpreté des luttes, le parti ouvrier australien a toujours su garder une attitude correcte. Peut-être lui doit-il une large part de ses succès. Réserve faite des fautes commises en France par les partis conservateurs et modérés, il est juste de constater avec M. Biard d’Aunet que « chez nous aussi les mêmes aspirations eussent rencontré moins de résistance si les meneurs du mouvement n’avaient pas eu la maladresse de s’aliéner les patriotes, d’exaspérer les croyants et d’eflrayer les gens paisibles ».

Une autre différence, c’est que le socialisme australien ne se paie pas de mots et ignore les formules. Il est pratique. On a dit qu’il était « sans doctrine ». Cette expression n’est pas précisément heureuse. Un socialisme sans doctrine ne serait rien moins que du socialisme puisque le socialisme lui-même est une doctrine, et même un dogme. En vérité, « le parti socialiste, en Australie comme ailleurs, est le serviteur et l’organe d’une classe qui espère trouver la satisfaction de ses intérêts dans un nivellement égalitaire obtenu par degrés. Mais, plus sage et plus pratique qu’on ne l’est en France, il trouve inutile de s’attarder tout d’abord aux considérations philosophiques, n’en recherche pas la discussion, et, par conséquent, s’abstient d’en faire parade. Le socialisme australien n’est pas sans doctrine. On ferait mieux ressortir la différence qui le sépare du nôtre en disant qu’il est sans déclamations. »

Enfin le socialisme australien, à l’opposé du nôtre, n’en appelle pas le moins du monde au sentiment de la solidarité internationale : bien au contraire, il est exclusiviste et ne souffre pas de concurrence. Nous en trouvons la preuve dans l’attitude politique du labour party au cours des années récentes ou s’affirma son influence. Le travail législatif accompli sur ses instances semble avoir eu pour objectif l’isolement de l’Australie. Il est principalement représenté par trois grandes lois relatives aux douanes, aux postes et télégraphes et à l’immigration. Nous les allons passer en revue, regrettant de ne pouvoir, en un aussi bref exposé, résumer à leur suite la magistrale étude de M. Biard d’Aunet sur l’arbitrage en matière de conflits du travail[4]. Contentons-nous de la signaler aux lecteurs désireux d’en d’acquérir une exacte notion.

Le Customs Act est une habile compilation « des dispositions les plus sévères des ordonnances de douanes, non seulement des États australiens, mais des pays où les tracasseries du fisc ont atteint les limites extrêmes ». On aurait pu l’intituler : déclaration de guerre au commerce. Son application rigoureuse produisit une perturbation générale dans les affaires et inaugura, particulièrement contre le commerce maritime, « un régime d’oppression que les journaux des grands ports d’Australie définirent en une expression caractéristique : Harashing shipping ». Toutes les compagnies de navigation — les compagnies britanniques comme les autres — souffrirent d’une série de mesures vexatoires dont la plus originale est assurément celle qui concerne les provisions de bord. M. Biard d’Aunet la résume ainsi : « Cette mesure visait les compagnies postales de navigation, anglaises et étrangères, dont les bâtiments, venant d’Europe ou y retournant, ont à eflectuer entre Freemantle (Australie occidentale) et Sydney (Nouvelles Galles du Sud) un parcours de 4.900 milles marins (aller et retour), coupé par des relâches dans les principaux ports. Le Customs bill ordonnait que toutes les provisions, de bouche et autres, consommées à bord, seraient passibles des droits de douane, même en haute-mer, depuis l’arrivée du bâtiment sur les côtes de l’Australie jusqu’à son départ du dernier port de l’Australie, en route pour l’Europe. Afin d’assurer la perception des droits, on avait imaginé de mettre sous scellés ces provisions à l’arrivée au premier port de relâche pour ne les lever qu’au départ de ce même port, après que le bâtiment aurait achevé tout son voyage, aller et retour, sur les côtes du continent australien.

« La rupture du sceau de la douane était bien entendu, interdite ; en sorte que si un paquebot, ayant besoin de ses provisions en cours de route, se permettait cette infraction, il était, dès son arrivée au prochain port de relâche, saisi, jugé et condamné à une forte amende.

« Cette prétention dépassait la mesure tolérable : d’abord, parce qu’un droit à l’importation ne peut s’appliquer qu’à des marchandises importées, c’est-à-dire consommées dans le pays ou débarquées pour cet objet ; en second lieu, parce qu’un bâtiment naviguant en haute mer cesse d’être sous la juridiction des autorités douanières, à quelque titre que ce soit. » Cette question donna lieu à d’interminables conflits et souleva parmi les armateurs une émotion peu sympathique à l’Australie affirmant d’aussi brutale façon ses sentiments exclusivistes.

Ce premier pas accompli, le second fut bientôt fait avec le Post and Telegraph Bill dans lequel le labour party trouva moyen de faire introduire, au milieu des règlements administratifs, une clause par laquelle le gouvernement australien « s’interdisait de subventionner un service postal à moins que la compagnie soumissionnaire eût pris l’engagement de ne pas employer d’hommes de couleur sur ses paquebots. » Les compagnies de navigation employant toutes, suivant leur intérêt bien entendu, des chauffeurs arabes et des domestiques asiatiques, refusèrent d’accepter cette clause ; leurs contrats n’ayant pas été renouvelés, on dut recourir à des expédients pour réorganiser le service postal entre la mère patrie et sa fille turbulente.

Cette œuvre bizarre et néfaste fut couronnée par le Bill relatif à l’immigration. Désirant supprimer la concurrence des étrangers et poursuivant leur but d’isoler l’Australie afin de s’y pouvoir livrer tranquillement à leurs expériences, les socialistes voulurent une loi, non seulement restrictive, mais prohibitive de l’immigration. Ils l’ont obtenue. L’Immigration restriction Act permet au gouvernement fédéral de refuser l’accès de son territoire à tout nouveau venu jugé indésirable. Voici par quel subterfuge : article 3, « l’immigration dans le Commonwealth est interdite à toute personne qui, invitée par un fonctionnaire, ne parvient pas à écrire sous la dictée et à signer en présence de ce fonctionnaire un passage de cinquante mots en une langue choisie par ce fonctionnaire ». Cette épreuve s’appelle le test. Nous en avons constaté personnellement l’application pendant notre séjour en Australie. Elle a donné lieu bien souvent à d’inénarrables complications. « Je l’ai vu appliquée, dit M. Biard d’Aunet, à un sujet allemand, fils de père allemand, qui, en plus de sa langue nationale, parlait le français et l’anglais. Il ne réussit pas à faire une dictée en grec, fut, de ce chef, condamné à six mois de prison puis expulsé et rapatrié en Allemagne peu de jours après sa condamnation ». Inutile d’ajouter que ces dispositions inhospitalières ont été encore aggravées, s’il est possible, contre les gens de couleur. Une loi spéciale — le Pacific islands Labourers Act — a même ordonné le rapatriement dans un délai de cinq années (depuis 1901) des indigènes polynésiens engagés dans les plantations tropicales du Queensland. Ces indigènes remplissant un rôle impossible à tenir par les blancs, l’unique effet de la loi fut de ruiner une industrie particulièrement florissante.

D’une façon générale, la suppression de l’immigration fut désastreuse pour le pays. Considérant uniquement le taux des salaires, les ouvriers ne l’ont pas immédiatement compris. La société entière en a souffert. S’étant privé des auxiliaires utiles que lui procurait la présence de quelques milliers de Chinois, de Canaques et d’Indous, « l’homme blanc, au lieu de s’élever au niveau des fonctions supérieures qui lui seraient nécessairement réservées et qu’une mise en œuvre plus pratique des immenses ressources du pays multiplierait, est abaissé à celui des fonctions inférieures à son intelligence et à ses aptitudes. » Ainsi la majorité de la nation s’emploie « à des travaux de force ou de patience, mécaniques, parfois répugnants, mais nécessaires, qui ne réclament ni intelligence ni technique de métier, et font de l’homme, pendant huit heures chaque jour et cinq jours par semaine, une machine de production médiocre, fragile, peu régulière et pourtant coûteuse. »

Sans parler des répercussions fâcheuses de ce système sur les dispositions intellectuelles et morales des populations, il contrarie évidemment l’intérêt général du pays. Ces considérations échappent aux socialistes. Ayant réalisé l’isolement de l’Australie, ils ont simplement préparé leur terrain d’expérience. Malheureusement leur attitude extravagante, ayant porté ses premiers fruits, perd tous les jours la sympathie d’une fraction nouvelle de l’opinion publique. On n’agit pas impunément, comme ils l’ont fait, contre la nature et le bon sens. Une réaction s’esquisse. Certains de leurs chefs eux-mêmes, ayant passé par le pouvoir, en sont revenus plus modérés, justifiant à l’autre bout du monde cette vérité dont nous apprécions la valeur : « il est souvent fâcheux qu’un socialiste soit ministre, mais il est bon qu’il l’ait été. » Bref le développement du socialisme aux antipodes, favorisé jadis par les conditions particulières de la première période de colonisation, semble aujourd’hui bien compromis, « La majorité du pays s’est prêtée à des expériences, parce qu’on ne lui a montré d’abord qu’une partie du programme, et en se disant qu’après tout, on ne la mènerait pas bien loin. Un peu par ignorance, beaucoup par insouciance, elle a laissé faire. Depuis qu’on lui a dit où on voulait la mener, sa défiance est en éveil ».

La Constitution fédérale australienne

La Fédération australienne a été formée en 1901 par l’union des colonies de Nouvelles Galles du Sud, Victoria, Australie méridionale, Australie occidendale, Queensland et Tasmanie, désormais transformées en États (States). Elle fut le résultat d’un mouvement d’opinion préparé de longue date par le célèbre Sir Henry Parkes et dirigé en dernier lieu par M. G. H. Reid, un des hommes politiques les plus considérables et les plus estimés du pays.

Elle n’aboutit pas sans de vives résistances de la part des cinq grandes colonies continentales. Possédant chacune un vaste territoire, ayant vécu pendant plus de cinquante ans dans un état de parfaite indépendance les unes vis-à-vis des autres, et leurs capitales étant séparées par d’énormes distances, ces colonies « avaient géré leurs intérêts propres sans souci d’une future union ». Des sentiments particularistes s’y étaient développés ; bien plus, on se défiait les uns des autres et cette défiance se trouvait portée à ce point que les réseaux des chemins de fer de certains États voisins avaient été construits sur un écartement différent ! Ces sentiments ont failli faire échouer la Fédération et subsistent encore au dessus d’elle : cela complique son fonctionnement.

D’une part, la Constitution, pour être approuvée au référendum, a dû représenter « un minimum de fédération », par conséquent « un minimum de cohésion ». D’autre, part les attributions respectives du Parlement fédéral et des assemblées des États n’ayant pas été tranchées avec une heureuse précision, les conflits sont fréquents et entraînent, de la part des populations, d’amères protestations qui vont parfois jusqu’au regret de s’être laissées entraîner dans l’Union. En décembre 1905, les deux chambres de la Nouvelle Galles du Sud adoptèrent ainsi presque unanimement une résolution « exprimant le profond mécontentement de la façon dont les droits des États étaient considérés au Parlement fédéral ». En septembre 1906, l’Assemblée législative de l’Australie occidentale votait une motion, ratifiée en décembre par le Conseil législatif, « affirmant l’inutilité de continuer à faire partie de l’union, et déclarant le moment venu de soumettre à un référendum la question de la rupture du lien fédéral ». « En Queensland, le regret d’avoir adhéré à la Fédération est généralement répandu et ouvertement exprimé ». Bref, l’esprit d’union n’est pas encore fait et chaque État fait bon marché des intérêts communs pour se retrancher derrière « ses droits ». Sans doute le temps atténuera ces difficultés. Elles n’en ont pas moins entraîné jusqu’alors des résultats fâcheux pour la bonne conduite des affaires du pays.

Les rapports du Commonwealth avec la mère patrie n’ont pas toujours été empreints d’une cordialité plus parfaite. Officiellement le Commonwealth of Australia est une dépendance de la Couronne. En fait, il est souverain et son indépendance « atteint la limite extrême compatible avec l’existence d’un lien le rattachant à la métropole ». Entre toutes les colonies britanniques autonomes, l’Australie est géographiquement la plus libre de suivre ses impulsions : elle en a usé largement. Le gouvernement anglais n’intervient jamais dans ses affaires et n’a sur elle aucune autorité directe. Le Commonwealth ne reconnaît à la mère patrie d’autre droit que celui de la défendre contre l’étranger.

Par contre il tient fort à sa qualité de « portion » de l’empire britannique et semble à ce point de vue « avoir pris au sérieux l’originale définition que l’abbé Galiani, il y a cent cinquante ans, donnait de la liberté : le droit de nous mêler de ce qui ne nous regarde pas ». L’Australie juge et critique avec désinvolture la politique générale de l’empire. « Elle trouverait exorbitant que le gouvernement du Transvaal s’occupât de la législation du Commonwealth sur l’immigration, mais quand l’importation des coolies chinois fut autorisée et réglementée dans l’Afrique du Sud par le gouvernement britannique, pour l’exploitation des mines, le Parlement fédéral australien n’hésita pas à voter une protestation et à l’adresser, par la voie officielle, au cabinet de Saint-James. Si la question du Home rule pour l’Irlande reprend quelque actualité, le même parlement rédige une motion de sympathie et la fait parvenir par la même voie. L’opinion publique l’encourage dans cette attitude car elle a son mot à dire dans toutes les questions. On a tenu dans les principales villes d’Australie de grands meetings convoqués sur l’initiative d’hommes politiques, au sujet de l’alliance anglo-japonaise, de la juridiction au Natal, du mouvement révolutionnaire en Russie, même de l’affaire Dreyfus. » Ces manifestations sont platoniques et sans danger. Mais l’Australie dépasse la mesure en prétendant subor donner le droit des gens à sa fantaisie législative et en méprisant, sans tenir le moindre compte des nécessités de la politique géné rale de l’Angleterre, les conventions conclues par la Couronne. « Ces velléités exubérantes ont mis souvent à l’épreuve la patience et l’ingéniosité du gouvernement anglais. Quiconque a suivi de près les événements en Australie pendant les dernières années n’a pu qu’admirer cette patience et cette ingéniosité auxquelles est dû le maintien de la cordialité dans des relations que de trop fréquents désaccords rendent assez difficiles ». Ces considérations se rattachent étroitement à la question de l’impérialisme britan nique dont la solution intéresse au plus haut degré la politique de toutes les grandes puissances, à commencer par la France. Nous y reviendrons plus loin.

La valeur matérielle de l’Australie

L’Australie est un continent immense, d’aspects et de climats variés. À l’époque de l’installation des premiers Européens, vers la fin du xviiie siècle, sa population indigène devait atteindre environ 300.000 âmes : elle n’est plus aujourd’hui que de 50 a 100.000 et diminue sensiblement à chaque recensement.

La population blanche, anglaise aux 95 centièmes, compte à peu près quatre millions d’individus. Chiffres en mains, M. Biard d’Aunet nous assure que « la puissance de production de la fraction déjà reconnue exploitable de l’Australie — sans parler des vastes territoires encore inexplorés — pourrait satisfaire aux besoins de 40 millions de personnes ». Cette indication met en lumière l’extrême absurdité des lois dont nous avons parlé, qui ont fermé les portes du pays au moment où son intérêt lui commandait de les ouvrir toutes grandes. D’ailleurs, les Australiens sont rien moins que prolifiques. Le coefficient de natalité baisse chaque année depuis trente ans. Actuellement l’accroissement naturel de la population y est de 14 pour 1.000. Dans ces conditions, « le chiffre de ses habitants n’atteindrait que dans vingt ans à 5.500.000, et l’époque à laquelle elle serait assez nombreuse pour que ce pays prenne rang parmi les grandes puissances serait reculée au siècle prochain. L’importance de cette constatation n’échappera pas au lecteur. Elle commande et limite l’avenir politique et — quoique dans une moindre mesure — le développement économique du continent australien ».

Le territoire de l’Australie « produit aujourd’hui — en quantité énorme — presque toutes les matières nécessaires à l’alimentation humaine et aux industries nées du progrès de la science. Mais, par une singularité qu’aucune autre colonie ne possède à un degré approchant, et qui explique l’impression défavorable des premiers occupants, toute la richesse de l’Australie (à l’exception naturellement de ses mines) a été importée. La faune et la flore australienne n’ont rien offert aux nouveaux arrivants, de même que les sauvages habitants de cette contrée ne leur ont rien laissé ! »

Parmi les ressources naturelles de l’Australie, l’or a droit aux honneurs de la priorité pour le rôle qu’il a joué dans le développement économique, politique et social du pays. En 1851, l’Australie en produisit pour 23 millions de francs. Elle en fournit aujourd’hui pour environ 400 millions par an, chiffre équivalent au cinquième de l’extraction mondiale de l’or.

L’exploitation du précieux métal ne représente pourtant pas la plus grande richesse du pays. L’industrie principale est celle de la laine. « Dans les bonnes années, l’Australie produit actuellement 700 millions de livres de laine, évaluées 700 millions de francs ». Malheureusement cette production est assez instable. Le pays est à peu près périodiquement victime de sécheresses persistantes, ruineuses pour l’élevage. La plus récente a duré sept années — de 1896 à 1903 — et a fauché 40 millions de moutons ! La production lainière étant le premier facteur de la situation économique du pays, celle-ci dépend dès lors absolument des conditions météorologiques. L’absence de pluie est un désastre. Nous nous souvenons d’avoir traversé, en mai 1903, des campagnes entièrement jonchées de squelettes d’animaux. Il nous semble qu’un peu de prévoyance de la part de l’État et des principaux éleveurs atténuerait ces conséquences. La moyenne d’eau pluviale absorbée par le sol australien est, en effet, normale ; elle est seulement mal répartie : il pleut torrentiellement pendant plusieurs années, pas du tout pendant les suivantes. De grands travaux d’irrigation pourraient donc remédier à ces caprices de la nature. Nous savons qu’on en a entrepris, mais sont ils suffisants ? À présent que les troupeaux se sont reconstitués au cours de quatre bonnes années, il est à craindre qu’on n’oublie les enseignements de la dernière période désastreuse. La prévoyance n’est pas une vertu australienne.

L’élevage du bétail — augmenté du commerce du lait, du beurre et de la viande expédiés jusqu’à Londres en frigorifiques — produit 170 millions par an. En somme « les produits exportés des industries pastorales australiennes atteignent près de 900 millions par an. Ces industries, par leur caractère de durée indéfinie, leurs facultés d’améliorations progressives, les certitudes sur lesquelles elles reposent, l’activité saine qu’elles répandent autour d’elles » sont la vraie fortune du pays. Il était naturel que nous y insistions aux dépens des industries agricoles et même des industries minières.

Celles-ci sont bien connues. Pour celles-là, M. Biard d’Aunet cite, à titre d’indication, deux chiffres qui peuvent donner une vague idée des possibilités d’extension des cultures australiennes et qui méritent, pour ce fait, d’être retenus : « On a constaté, dit-il, que 43 pour 100 seulement de la totalité du territoire du Commonwealth recevaient 37 centimètres de pluie, en moyenne, par an. C’est le minimum nécessaire à la culture. Or les 12 millions d’acres actuellement ensemencés en Australie ne représentent qu’un et demi pour cent de cette superficie. Quant à la surface bien arrosée, c’est-à-dire recevant plus de 75 centimètres d’eau par an, elle comprend environ 25 millions d’acres, et, par conséquent, n’est utilisée que dans la proportion d’un vingtième. Sans asseoir aucune présomption positive sur de pareilles données, on en peut cependant conclure que la terre ne manquera pas au développement de l’industrie agricole australienne. » Les minerais de toute sorte que récèlent son sous-sol sont aussi loin d’être épuisés et atteignent aujourd’hui une production annuelle de 200 millions de francs, soit 600 millions en y comprenant l’or. Ajoutons les manufactures dont le rendement est évalué à 700 millions de francs. En résumé, « le Commonwealth est à la tête d’une surproduction annuelle de 2 milliards de francs en matières premières ou d’alimentation, universellement demandées et de placement usuel sur de vastes marchés extérieurs ».

La question intéressante est de savoir « à l’aide de quelles ressources il a obtenu ce surplus de production et quel usage il en a fait. Cette question n’est autre que celle de sa situation financière ». Elle n’est pas très brillante. Sa dette est considérable : 5 milliards de francs — toute proportion gardée deux fois au moins celle de la France. « Alors qu’en France le capital emprunté est, par tête d’habitant, de 677 francs, il est, en Australie, de 1.600 francs. » Son budget est très lourd : 855 millions, chiffre énorme « pour un pays qui n’a que 4 millions d’habitants et ne consacre pas plus de 24 millions à sa défense militaire et navale » !

L’Australie supporte cette situation chargée avec une relative facilité. Il n’empêche qu’elle exige de très grands ménagements. Ayant contracté au dehors la plus grande partie de sa dette, l’Australie, si férue de son indépendance politique, n’a pas su conquérir son indépendance financière. Faute de changer ces conditions, elle découvrira tôt ou tard, à ses dépens, que l’une ne peut aller sans l’autre.

L’aurore australe

Il nous reste à considérer l’attitude de l’Australie dans le monde. « Si lointaine et isolée qu’elle soit, elle a sa place dans notre civilisation, et déjà des intérêts considérables la rattachent au vieux continent. Les Australiens ne paraissent pas s’être rendu compte de l’utilité de ménager ces relations, quoiqu’elles soient surtout à leur profit. Ce n’est pas une raison pour nous de les négliger. » Cette remarque est d’autant plus exacte que l’Australie est un des facteurs les plus importants de l’impérialisme britannique. Son attitude est capable d’influencer, par répercussion, toute la politique extérieure de la Grande-Bretagne.

Nous avons précédemment noté l’indépendance de fait du Commonwealth et l’affectation qu’emploient ses gouvernants à l’affirmer. Parmi les graves problèmes soulevés en ce pays par l’impérialisme figure celui de la défense du territoire. « À l’époque actuelle, l’Australie est protégée surtout par son éloignement et la médiocrité du profit qu’on pourrait retirer d’une expédition dirigée contre elle. Elle pourrait être protégée aussi par la flotte britannique, à supposer qu’elle ne fut pas occupée ailleurs ». La division navale qu’y entretient la métropole est incapable de surveiller une frontière maritime de 140.000 kilomètres. Il faut savoir d’ailleurs qu’elle n’en a pas l’obligation. L’Angleterre est maîtresse de cette flotte et serait libre de l’appeler, en temps de guerre, où bon lui semblerait. Cette combinaison chagrine les Australiens : ils veulent une marine de guerre pour eux seuls, et, insoucieux de ce qu’elle coûtera, ils s’obstinent à la réclamer. Ils l’obtiendront.

Cela ne veut pas dire que ce jour là l’Australie cessera d’être « loyale », mais elle aura quand même rompu un des liens qui l’attachent à l’empire. Cependant qu’elle le veuille ou non — M. Biard d’Aunet nous assure qu’elle le veut : c’était déjà là notre avis — elle est retenue dans l’orbite de la mère patrie par un lien solide : l’intérêt. Celui-là subsistera longtemps. Il en résulte que les rapports réciproques de l’Australie et de l’Angleterre ne soulèvent pas de diflicultés sérieuses.

Il en est autrement des rapports de l’Australie avec les étrangers. Possédant vis à vis d’eux des droits et des devoirs, elle n’est pas davantage qualifiée pour faire respecter ces droits que responsable de l’accomplissement de ces devoirs. Le gouvernement anglais est ainsi harassé de réclamations des gouvernements étrangers contre l’insociabilité de l’Australie plaçant ses lois extravagantes au-dessus du droit des gens, en même temps qu’il se trouve en butte aux sollicitations du Commonwealth contre l’action des étrangers dans l’océan Pacifique sud. Cette situation juridique semble inextricable en fait, et pourtant, en y réfléchissant, on la trouve parfaitement normale. N’étaient les égarements de la politique australienne, elle n’offrirait que des avantages.

Ces égarements sont assurément passagers. Nous avons confiance que le « bon sens anglais » en aura raison tôt ou tard. Il en sera de même à l’intérieur du Commonwealth. La nation australienne s’est montrée aventureuse, obstinée dans ses erreurs : cette attitude a certainement nui à son développement normal. Mais, « elle est assez jeune pour que les leçons de l’expérience puissent, avant d’être trop rudes, lui devenir profitables ».

Elle est « robuste et saine ». « Si, comme l’ont fait les Américains au siècle dernier, elle met au premier plan le travail et l’agitation politique au dernier, un bel avenir est devant elle. Cette Aurore australe peut devenir pour les vieilles nations, selon qu’elles seront actives ou négligentes, un bienfait ou un danger. » La France occupe aux antipodes de riches domaines. Ses acheteurs de laine sont les meilleurs clients de l’Australie. Elle doit jouer dans cette partie du monde un rôle de premier ordre. Qu’elle témoigne donc à l’Australie une attention mesurée aux intérêts qu’elle y possède. Qu’elle regarde « ce qui se passe là-bas ».

M. Biard d’Aunet termine son livre sur ces mots. Nous n’avons pas la prétention d’en avoir donné au lecteur un résumé complet. Il n’est pas de cette catégorie d’ouvrages qu’il est aisé d’analyser en quelques mots. Chaque page renferme quelque impression à souligner, quelque réflexion à retenir. Nous avons dû choisir entre elles. Il nous aurait fallu trois fois l’espace de cette Revue pour effleurer tous les sujets qu’il traite de la façon la plus sérieuse et la plus attrayante à la fois. Attirer l’attention de nos lecteurs sur un coin du monde aussi fâcheusement négligé qu’utile à bien connaître, tel fut notre seul but. Nous sommes heureux d’avoir mis à profit pour l’atteindre un ouvrage d’aussi grande valeur que celui de M. Biard d’Aunet.


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  1. À propos d’un livre récent : l’Aurore australe, par Biard d’Aunet, 1 vol. à la librairie Plon.
  2. M. Maurice Carton.
  3. M. Privat-Deschanel.
  4. L’Aurore australe, p. 144 à 173.