Revue pour les Français Janvier 1907/II

Collectif
Imprimerie A. Lanier (2p. 484-493).

CE QUI SE PASSE DANS LE MONDE



Si l’on se reporte au début de l’année 1906, on aperçoit qu’en tous les cas il existe une puissance qui, en douze mois, n’a rien gagné du tout sinon un peu plus de vieillure qu’elle n’en avait alors. Cette puissance c’est le Maroc. Il y a un an, elle se rengorgeait aux côtés de son impérial protecteur ; Abdul-Azis et son Mahkzen se prenaient pour d’habiles diplomates et se flattaient d’avoir opposé les uns aux autres les nations européennes : ils escomptaient la longue durée de la querelle soulevée à leur endroit et par conséquent pour eux-mêmes une belle période de sécurité et d’immobilité. Ces illusions se sont évanouies. Le Maroc avait fait un faux calcul ; il en est toujours au même point et n’échappera pas à son sort. Les réformes sont toujours là qui attendent ; elles étaient présentées par la France ; elles le sont maintenant par la France et l’Espagne avec mandat de l’Europe ; si demain l’Allemagne intervenait à nouveau, ce serait finalement pour en imposer à son tour d’à peu près semblables. Toutes les palinodies du monde n’arrêteront pas la marche en avant de la civilisation.

Le Conflit des Lords et des Communes.

Après avoir si joliment piétiné les usages internationaux et froissé les convenances les plus élémentaires, Sir Henry Campbell Bannerman a proclamé en termes étonnants la déchéance de la Chambre des Lords. Gladstone l’avait déjà fait il y a quelque vingt ans. Il est mort et les Lords sont toujours là. Encore doit-on cette justice au Grand old man qu’il y avait mis des formes comme il le faisait en toutes choses, sans parler de son talent oratoire propre à rehausser n’importe qu’elle proposition. Sir Henry Campbell Bannerman n’ayant point de talent a pensé qu’il pouvait se passer aussi des formes. Sa colère a éclaté à la suite du vote en troisième lecture et de l’adoption par 105 voix contre 28 d’un « Education bill » qui n’est plus du tout que celui la Chambre des Communes avait adopté et qu’elle avait chargé le cabinet libéral de faire adopter tel quel par la Chambre des Lords ; celle-ci a transformé le projet au moyen d’un certain nombre d’amendements qui, prétend on, en ont complètement faussé l’esprit. Mon Dieu ! ces choses-là se voient et même dans des républiques très républicaines. On a vu le Sénat français ramanier de fond en comble des lois votées au préalable par les députés ; les sénateurs se sont même, il y a onze ans, offert le luxe de renverser le ministère Bourgeois que soutenait, au Palais Bourbon, une majorité compacte et certains croient qu’ils pensent sérieusement à en agir de même avec le ministère Clemenceau. La république n’en est pas tombée en pâmoison. Sir Henry Campbell Bannerman y est tombé au contraire et s’est servi pour caractériser le vote des Lords d’une expression fort malséante ; il l’a qualifié d’« intolérable ». Ce qui est intolérable, c’est qu’un premier ministre s’oublie jusqu’à invectiver de la sorte une portion du parlement de son pays pour un vote de nature à lui déplaire. Il est très vrai que la Cbambre des Lords ne s’inspire pas toujours d’une ardeur libérale très efficace ; elle émiette volontiers, dissèque, chicane et laisse passer les réformes comme au tamis. Mais d’autre part l’Angleterre qui a vécu les trois quarts du xixe siècle sous ce régime a, précisément pendant ce temps, réalisé tant de progrès dans la voie du libéralisme qu’à peu près aucun autre pays ne saurait lui disputer la préséance à cet égard. C’est donc que le procédé a du bon. La Chambre des Lords du reste ne professe aucune hostilité systématique envers le cabinet actuel et en votant le bill sur les Trades Unions qui garantit à ces syndicats l’intangibilité de leurs fonds sociaux et légalise pour ainsi dire le débauchage des non grévistes par les grévistes, elle a fait preuve d’une audace véritable. L’Education bill sera-t-il renvoyé par les Communes aux Lords tel qu’il était la première fois ? Ce procédé serait nouveau en Angleterre. Il est plus probable que le bill sera momentanément abandonné. Quant aux menaces proférées contre les Lords, le Premier fera bien d’y regarder à deux fois avant d’engager une querelle dont il paierait sans doute les pots-cassés. La popularité de la chambre haute n’est pas encore prêt d’être ébranlée, outre-Manche.

France et Italie.

Beaucoup de Français s’imaginent que le roi Victor Emmanuel voit d’un très bon œil les mauvais rapports qui prédominent entre Paris et le Vatican. C’est là une erreur et sans aller jusqu’à croire — ce qui pourtant se dit couramment dans les cercles diplomatiques romains — à savoir que l’anticléricalisme est un germe de discorde éventuelle entre la France et l’Italie, il faut admettre que notre politique présente ne répond en rien aux vœux du Quirinal. Toute la force politique péninsulaire depuis trente ans réside dans ce fait considérable que les deux pouvoirs qui se partagent l’héritage romain, le spirituel et le temporel, ont des intérêts identiques et sont d’accord sur les grands principes sociaux tout en vivant séparés par des questions de formes et par le souvenir soigneusement entretenu de part et d’autre des événements de 1870. Un pape aussi éclairé que Léon xiii, un roi aussi intelligent que Victor Emmanuel iii s’entendaient à merveille sur l’opportunité d’un tel état de choses. Ils sentaient que l’Église et l’État perdraient également à se rapprocher et à conclure au grand jour une alliance effective. Pie x évidemment ne s’élève pas à la compréhension d’une pareille nécessité mais la tradition établie par son illustre prédécesseur continue de l’obliger à une réserve qui ne serait pas dans ses désirs. On peut être sûr que, du côté du Quirinal, rien ne sera tenté en vue de l’en faire sortir. Que souffle pourtant un vent d’anticléricalisme apportant de France l’idée et la formule de la séparation, voire même l’illusion d’une « déchristianisation » possible du monde latin, voilà le pape et le roi obligés de se réunir pour faire face à l’ennemi commun. Voilà leurs intérêts confondus et le loyalisme qui, dans toute l’Italie, confond les opinions extrêmes dans une même sympathie à l’égard de la maison de Savoie, ce loyalisme risque de sombrer. La menace de la république apparaîtra à l’horizon, la discorde régnera et les belles ambitions de richesse et de prospérité s’évanouiront. Le gouvernement royal ne désirait qu’une chose, c’est que le président Loubet visitât le Souverain-Pontife durant son séjour au Quirinal ; cela, c’eût été une victime morale de haute valeur. Puisque cette visite n’a pu avoir lieu, le roi et ses conseillers souhaitent que du moins la dispute actuelle n’ait pas de lendemain et qu’un modus viventi pacifiant puisse être trouvé, de façon que, le plus tôt possible, à Paris… l’on parle d’autre chose.

Une appréciation sur les Japonais de Californie.

Il nous paraît intéressant de mettre sous les yeux de nos lecteurs la communication très pessimiste que le correspondant du Times à San-Francisco vient d’envoyer à son journal. Les principaux passages que nous citons en donnent une idée exacte. Nous ne partageons pas sa manière de voir. Encore une « guerre fatale » à l’horizon. Fatal le conflit armé entre la France et l’Allemagne ; après Fachoda, ce fut la lutte contre l’Angleterre qui devint fatale ; puis ce fut la guerre entre la Russie et l’Angleterre ; puis c’étaient hier l’Allemagne et les États-Unis, l’Autriche et l’Italie, qui tenaient le record de la fatalité et voici maintenant la querelle américano-japonaise. Les seules batailles dont personne n’ait jamais songé à prophétiser l’engagement fatal, ce furent Port-Arthur et Manille, ce furent justement les occasions où, depuis trente ans, le canon tonna et le sang coula. Donc voici ce que pense le correspondant du Times de la situation actuelle sur la côte du Pacifique et, nos réserves faites, on comprendra que son appréciation vaille d’être citée. « La guerre, écrit-il, éclatera d’ici à cinq ans entre les États-Unis et le Japon, peut-être même avant, peut être même dans quelques mois ; telle est l’opinion ancrée dans l’esprit des classes moyennes en Californie. Les Californiens sont arrivés à cette conclusion que le Japon convoite les Philippines et Hawaï et que, n’était l’état précaire de ses finances, il ouvrirait immédiatement les hostilités. Mais lorsque le Japon se sentira prêt, il ne manquera pas de trouver, affirment-ils, un prétexte pour partir en guerre. Entre temps, il entretient une campagne destinée à maintenir un état d’esprit hostile aux États-Unis. Il est certain que le fait qu’une opinion semblable soit celle d’une fraction importante du peuple américain crée une situation dangereuse ; cette situation, dans le cas même où il n’existerait entre les deux pays aucune autre cause de rivalité, constituerait en soi une menace perpétuelle. Il faut même s’attendre à un redouble ment plutôt qu’à une diminution de la tension actuelle. Et, pour tant, un étranger arrivant en Californie ne peut découvrir aucun motif qui justifie du fait des Japonais la situation présente. Les évaluations les plus élevées fixent à cinquante mille le nombre des Japonais résidant en ce pays. C’est une pure absurdité d’estimer à quatorze mille le taux mensuel de l’immigration japonaise. La moyenne des immigrants est d’environ mille par mois, et même ce chiffre ne pourra se soutenir longtemps, étant donné l’effort du gouvernement mikadonal pour détourner vers la Mandchourie et la Corée le flot de l’émigration. D’autre part, il ne paraît exister aucun fondement sérieux aux plaintes dont les Japonais sont l’objet. Le règlement sur l’enseignement, cause immédiate du conflit, est tout à fait ridicule. Il y avait exactement quatre-vingt treize japonais dans les écoles de San-Francisco quand le Comité de l’enseignement fit paraître sa circulaire reléguant les Japonais à l′École des Orientaux. Certains d’entre eux avaient peut-être dépassé l’âge où l’on est encore écolier, mais l’enquête la plus minutieuse n’a pu révéler le moindre fait d’immoralité. « Aimeriez-vous voir votre petite fille assise sur les bancs de l’école à côté d’un Japonais adulte ? » tel est le refrain actuel des Californiens. On tire encore argument du fait que beaucoup de Japonais seraient atteints de « trachoma. » Il se peut que quelques Japonais résidant en Californie soient victimes de cette affection mais la proportion n’est pas supérieure pour eux à celle des autres immigrants. On remarquera d’ailleurs que l’examen spécial dont cette maladie est l’objet, tant au moment où les navires quittent le Japon que lorsqu’ils arrivent à San-Francisco, est effectué de la façon la plus sévère. Il est certain qu’aucun des quatre-vingt treize Japonais qui fréquentaient les écoles n’en était atteint Les restaurateurs et les hôteliers californiens refusent d’avouer qu’ils ferment leurs portes aux Japonais mais il est parfaitement certain qu’on ne rencontre aucun Japonais dans les établissements de premier ordre. On leur fait comprendre de façon détournée mais suffisamment nette, qu’on ne désire par leur présence. » Telle est cette correspondance qui appellerait plus d’une réflexion, notamment au sujet de l’âge des Japonais fréquentant les écoles californiennes… Pourquoi donc y tolérait-on des adultes ?

Budgets de députés.

L’augmentation de traitement que se sont votés les députés français a eu ce résultat inattendu de faire connaître au public l’état des budgets individuels de ses législateurs. Pour se concilier l’opinion, qui jugeait abusive l’élévation de neuf mille à quinze mille francs de l’indemnité parlementaire, on a cherché à l’apitoyer en lui présentant la liste des oppositions dont un grand nombre de traitements étaient l’objet. N’est-ce pas entre le tiers et la moitié — ou même plus — des députés qui se trouvent endettés de façon grave ? Voilà un chiffre à méditer. Il n’excite la pitié qu’au premier aspect. Sans doute un homme marié et père de famille, obligé de vivre à Paris avec neuf mille francs par an et d’y remplir ses fonctions législatives, n’arrive point à joindre les deux bouts. Mais pourquoi est-il député ? Ce n’est pas là une carrière. Il faut le renversement du bon sens qui s’est opéré dans le cerveau "collectif pour en arriver à cette conception de l’apprenti politique, dépourvu d’expérience de la vie, sans bagage d’aucune sorte derrière lui et qui, d’emblée, prétend, à force de bagout ou d’audace, avoie sa part dans le gouvernement direct du pays. La formule ancienne qui réservait pratiquement aux gens riches ce privilège-là n’est plus de mise aujourd’hui ; cela va sans dire ; mais ce n’est pas là une raison pour se présenter à la députation quand on n’a aucunes ressources personnelles. Encore une fois il n’y a pas là une carrière et il ne s’agit pas de savoir si M. Un Tel a la « vocation » du métier parlementaire. Il pourrait bien aussi avoir la vocation d’être banquier ou agent de change. Faut-il que l’état lui en procure les moyens s’il ne les a pas ? Pourquoi ne le ferait-on pas ? Parce que le bon sens général exige qu’avant de charger un homme d’administrer la fortune de ses concitoyens, il ait fait preuve de quelque compétence et de quelque talent dans l’administration de la sienne propre. C’est exactement la garantie que devrait avoir à fournir le futur député. Un parlement moderne n’est autre chose qu’un conseil de gérance publique et l’on ne forme pas un conseil de gérance publique avec des individus qui n’ont pas su premièrement gérer leurs propres affaires.

La mort du Shah de Perse.

Mouzaffer-ed-dine n’était pas le premier venu ; il l’a prouvé par la façon dont il est parti. Sa lente agonie s’est déroulée sans entamer le calme, l’énergie et le sang-froid dont on savait que le monarque persan était capable mais dont il vient de donner en ses derniers jours une preuve manifeste. Quant à la portée politique de son règne, elle dépendra pour une grande part de ce que va être le règne de son successeur. Mouzaffer-ed-dine qui avait succédé en 1896 à son père était encore, à son avènement, un souverain de « bon plaisir » ; il comprit par la suite la nécessité de laisser s’accomplir des réformes que préconisait un groupe d’agitateurs derrière lesquels il était fort possible que se préparât un sérieux mouvement populaire. Ses conseillers l’incitaient à la résistance ; il s’y refusa. La question est de savoir si son fils inclinera ou non vers la réaction autocratique ; il a déjà marqué des tendances inquiétantes à cet égard. S’il en devait être ainsi, l’initiative de Mouzaffer-ed-dine n’aurait servi qu’à compliquer la situation en y apportant les germes d’un conflit entre la dynastie et ses sujets. En cas contraire, on saura gré au Shah défunt d’avoir ouvert la route à une évolution nécessaire. Quant à la politique extérieure du royaume, après avoir reposé sur une base très précaire, elle est aujourd’hui si simple dans ses grandes lignes et en même temps si avantageuse qu’on n’en saurait discuter le principe. Tenir la balance égale entre la Russie et l’Angleterre était pour la Perse une difficulté de tous les jours, tant que l’hostilité de ces deux puissances demeurait intense en cette portion du monde. À présent que, là comme partout, une détente heureuse s’est opérée entre elles, modifiant non seulement des ambitions qui se défiaient, mais des intérêts qui se heurtaient, l’horizon s’est singulièrement éclairci autour du Théran ; d’autre part, l’argent allemand est proche ; on peut le faire venir au moindre signe. C’est quelque chose pour un pays dont l’outillage par trop rudimentaire oppose une barrière au moindre progrès… Il semble que le nouveau Shah, pour peu qu’il y apporte quelque sagesse et quelque prudence, puisse retirer de cette situation des bénéfices considérables.

Affaires de Russie.

L’empereur Nicolas vient d’adresser un rescrit à M. Stolypine. Le fait digne de remarque, ce n’est pas que l’empereur ait rédigé ce rescrit mais bien que M. Stolypine en soit le destinataire. Si vous vous rappelez dans quelles circonstances ce dernier a pris le pouvoir, quelle éphémère durée on prédisait à son ministère et par quelle effroyable tragédie s’inaugura sa politique, vous admettrez que M. Stolypine non seulement parait doué d’une belle fermeté d’âme mais encore se conduit en habile homme. Par quelles mesures a-t-il obtenu l’amélioration réelle qui, depuis cinq mois, s’affirme dans l’ordre public russe, on dispute beaucoup sur ce point. Certains répètent d’après des correspondances particulières et des on-dit de voyageurs que le sang a coulé à flot et que le caractère impitoyable de la répression a eu momentanément raison de l’effervescence populaire. Cela n’est pas absolument prouvé. Le régime russe n’a jamais été à la confiture de rose ; il ne l’est certes pas en ce moment. Mais nous croyons qu’il convient de faire entrer en ligne de compte la grande lassitude éprouvée par la nation. Jamais le gros des forces nationales n’a donné dans l’agitation révolutionnaire ; ce fut l’œuvre de quelques milliers d’énergumènes, la plupart sincèrement épris de leur cause d’ailleurs et croyant à la grandeur de leur rôle. Le peuple en fut énervé et le montra, mais au fond du cœur il ne fut jamais avec ces hommes dont la mentalité diffère par trop de la sienne propre. Aujourd’hui, il se sent excédé, dépourvu d’espérance et de sécurité et il regrette le temps passé. C’est de ce sentiment qu’est faite pour une bonne part la stabilité de M. Stolypine sans que cette constatation du reste enlève rien au mérite considérable de cet homme émiment.

En même temps que le rescrit impérial, le ministère des finances a donné un communique officiel de l’exercice 1906 qui n’est pas de nature à déplaire aux porteurs de fonds russes. Les recettes ordinaires pour l’année entière fournissent un excédent de 241 millions de roubles sur 1905. Quant aux dépenses, elles se sont montées à 2051 millions de roubles. Il y a de « l’extraordinaire » de part et d’autre. Il est rentré en recettes qui ne se reproduiront pas : 704 millions de la réalisation de l’emprunt 1906, 35 millions de la réalisation de la rente intérieure et 336 millions d’obligations à court terme nouvellement créées. Par contre, on a payé 467 millions pour liquider la guerre japonaise, 110 millions pour secours aux populations éprouvées par la famine et 445 millions pour le remboursement des obligations à court terme de 1905 et de 1906 ; tout cela se compense à peu près. En somme l’exercice 1906 laisse un excédent d’environ 213 millions. Après déduction du déficit de l’exercice 1905 il restera un excédent net d’environ 53 millions de roubles. On comprend que le ministre des finances ait été félicité par le tsar du résultat de ses efforts.

Potins décoratifs.

Il paraît que M. Viviani a fait nommer chevalier de la Légion d’honneur le citoyen Évrard, secrétaire général du syndicat des mineurs du Pas-de-Calais et que, par contre, M. Briand n’a pas réussi à vaincre les résistances du Conseil de l’ordre lequel s’oppose, sans qu’on sache exactement pour quelles raisons, à la nomination en la même qualité de Madame Sarah Bernhardt. Il est triste pour la Légion d’honneur d’avoir à constater que le mérite de M. Évrard ne s’en trouve pas rehaussé d’une ligne et que la réputation de Madame Sarah Bernhardt n’en est pas diminuée d’une once. Comment voulez-vous qu’il en soit autrement ? À l’heure où M. Sardou devient grand-officier, on constate que M. de Vogué n’est pas même chevalier et pendant qu’on marchande un bout de ruban à quelque brave officier blanchi sous l’uniforme, on en entortille le cou d’un marchand de chronomètres ou d’un inventeur de pilules digestives. Tout cela était inévitable dans une démocratie, soupirent les philosophes. Possible, mais ce qui ne l’était pas, c’est que des gens d’esprit le perdissent, comme cela se voit journellement, à l’idée de leur boutonnière agrémentée d’un filet rouge ; ce qui ne l’était pas, c’est que la mode continue d’autoriser chez nous ce qu’elle ne tolère pas ailleurs, le port extérieur d’un petit ruban ou d’une petite rosette semblables à ceux dont on orne les caniches et les caniches du moins ont sur l’homme la supériorité de n’avoir pas quémandé leur décoration et de ne s’en point enorgueillir.


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