Revue pour les Français Février 1907/II

Collectif
Imprimerie A. Lanier (2p. 531-540).
LES RELIGIONS DE L’ASIE[1]

LE PARSISME



Parmi les grandes religions, déchues mais vivantes encore, le parsisme est une des principales et des plus hautes. Sa naissance et son évolution dominent l’histoire de l’ancienne Perse. Son influence morale s’exerça loin, et certains philosophes modernes ont trouvé des raisons — discutables, sans doute, mais sérieuses — de le présenter comme une des sources du christianisme. Sa doctrine est d’ailleurs suffisamment intéressante en soi, ses pratiques, ses coutumes, suffisamment curieuses et attrayantes, pour justifier directement l’étude que nous lui consacrons.




Le parsisme est connu sous différents autres noms dont la seule énumération est instructive. Parsisme, d’abord, vient de parsi : « persan » et signifie religion des Perses. Il fut autrefois désigné sous le nom de mazdéisme, religion d’Ahura Mazda « le Seigneur grand Sage », son Dieu ; d’avestisme, religion de l’Avesta, son livre sacré ; de magismev, religion des mages, ses grands prêtres ; et de zoroastrisme, religion de Zoroastre, son prophète et son fondateur.

Tout le monde connaît Zoroastre, de son vrai nom Zarathoustra. Sans posséder à son propos de documentation considérable, nous savons qu’il est né en Médie au viie siècle avant notre ère, que sa vie fut mouvementée, errante, que la propagation de sa doctrine lui attira de dramatiques tribulations, qu’elle s’épanouit enfin dans un triomphe par la conversion éclatante du roi Hystaspe. Zarathoustra mourut alors, vers 580, mais il avait fait œuvre et laissait un livre immortel : l’Avesta, la bible des parsis. Cela est de l’histoire. Nous laissons de côté les légendes qui confondent Zoroastre avec Abraham et les fantaisistes récits — dont Pline l’Ancien s’est fait l’écho — qui ont placé sa vie « 6000 ans avant celle de Platon » et qui l’encombrent d’événements surnaturels. Il s’est toujours trouvé, en toute religion, des fidèles pour enluminer les figures de ceux qu’ils nomment leurs saints ou leurs prophètes !

L’Avesta primitive était une œuvre colossale, une encyclopédie. Elle ne nous est pas parvenue dans sa forme première. Telle que nous la possédons — le savant philologue Darmesteter nous l’assure — elle est seulement à l’Avesta du temps passé ce que sont à la Bible les extraits qu’on en trouve dans le paroissien romain. Le reste a péri sous les décombres de Persépolis mis à sac par Alexandre le Grand — désastre irréparable ! La fumée de cet incendie semble envelopper encore d’une ombre épaisse toute l’antiquité orientale…

L’Avesta et ses commentaires sacrés furent jusqu’à nos jours inconnus des Européens. Le voyageur français Chardin qui s’en fut à la cour de Perse au xviie siècle nous parle bien, dans sa relation de voyage, des sectateurs de Zoroastre, mais seulement pour nous en décrire quelques cérémonies bizarres, quelques coutumes particulières. Le premier, Anquetil-Duperron rapporta des Indes les manuscrits fameux déposés vers 1760 à la Bibliothèque royale : ils demeurèrent indéchiffrables jusqu’au jour où Eugène Burnouf en 1840, eût achevé la reconstitution de leur langue qui est celle de l’ancienne Médie : le zend, proche parent du sanscrit.

Connaissant à présent l’Avesta et toute la littérature religieuse qui y prit sa source — en zend, en vieux-perse, en pehlvi et en persan moderne — nous avons une notion très nette sinon très complète de la morale, du culte et de l’histoire du mazdéisme.

La religion mazdéenne repose entière sur la lutte du Bien et du Mal. Elle est apparentée par ce dualisme avec les vieilles croyances indiennes des Védas et des Brahmanas suivant lesquelles l’homme doit ensemble prier des milliers de dieux bons et apaiser autant de dieux mauvais. En s’inspirant de ces croyances, Zoroastre les a purifiées : sa religion est essentiellement monothéiste ; les dieux anciens, bons et mauvais, sont devenus des démons ou des anges, inférieurs à la divinité ; leurs luttes se perpétuent sous l’impulsion d’un Dieu unique, pour sa gloire et pour son triomphe.

Ahura Mazda ou Ormuzd « le Seigneur Grand Sage » est ce Dieu. Son pouvoir est immense, éternel, mais il est contrarié par l’action d’Ahriman « le Malin Esprit ». Ahriman lutte à armes égales contre Dieu, mais son pouvoir est périssable : pour l’anéantir Ormuzd a créé le monde, en a fait un rempart entre le ciel et l’enfer, un vaste champ de bataille où la victoire finale doit lui appartenir trois mille ans après Zoroastre. En attendant, Ormuzd et Ahriman se disputent la nature et les hommes : à toute bonne création du premier s’oppose immédiatement une création mauvaise du second. Tous deux sont aidés par une foule de lieutenants, énumérés dans les saints livres, qui se multiplient sans arrêt. Toute la religion, toute la morale qui en découle a pour point de départ ce combat.

Sur le champ de bataille de la création, l’homme lui-même est un combattant. L’homme bon doit lutter pour le Bien contre le Mal. Il fut longtemps désemparé, troublé, jusqu’au moment où Dieu dicta ses instructions à Zoroastre, telles que nous les trouvons dans l’Avesta.

La morale avestique est peu portée à l’idéal et s’en tient le plus souvent aux conceptions utilitaires. Tous les actes « qui rendent la terre plus heureuse » sont agréables à Dieu et utiles pour le bon combat. La famille et la propriété sont à la base de tous les biens : construire une maison, cultiver un champ, semer du blé, élever du bétail, planter un arbre fruitier sont d’excellentes actions. Les parsis poussant à un tel degré cet amour de la terre, ce désir de la féconder, on a pu dire qu’ils ont élevé l’agriculture à la hauteur d’une religion : voilà comment, sans doute, la Perse antique étonna le monde par sa fertilité !

Le credo mazdéen se résume en ces déclarations : « Je me déclare adorateur de Mazda, disciple de Zarathoustra, ennemi des daêvas (démons)… ; je loue et appelle les bonnes pensées, les bonnes paroles, les bonnes actions, dans ma pensée, dans ma parole et dans mon action… ; je loue la bonne religion de Mazda qui bannit les querelles, fait déposer les aimes, etc… »

Le mazdéisme est une religion agissante. Faire le bien ne suffit pas : il faut haïr le mal, combattre les méchants, s’acharner même après eux. Pour ce faire, il faut être fort : voilà pourquoi cette religion réprouve l’ascétisme, condamne les privations et proclame le jeûne un péché. Elle est favorable au mariage qui lui crée de nouveaux soldats. Elle aime la richesse pour l’excellent emploi qu’on en peut faire. « Le riche vaut mieux que le pauvre » affirme-t-elle, parce que le riche qui fait un bon usage de sa fortune lui semble mieux armé pour accomplir le bien et lutter contre les méchants.

Cette préférence marquée pour la force, pour la fortune, doit être interprétée au sens élevé que prétend lui donner l’Avesta. Elle est en soi profondément choquante et semblerait odieuse si nous voulions l’analyser selon les principes de la morale chrétienne. Il en est de même de la prédilection du mazdéisme pour les mariages consanguins. Il était louable, dans la Perse ancienne, d’épouser sa mère ou sa sœur, « comme imitation des incestes nécessaires du commencement de l’humanité ». De fait le roi Cambyse épousa ses deux sœurs ; Artaxercès Longue-main, sa fille ; Sisimithrès, roi de Bactriane, sa mère… et nous pourrions multipliera l’infini ces exemples tirés de l’histoire. La tradition s’en est perdue et les parsis actuels s’épousent seulement entre cousins. Sauf cette particularité qui, jugée dans l’esprit de notre temps, nous semble infâme, le mariage mazdéen offrait des garanties qu’on chercherait vainement dans beaucoup de religions postérieures. La monogamie était de règle et la répudiation n’était pas tolérée. Un cas unique autorisait la bigamie : lorsque l’épouse était stérile et consentait expressément au second mariage de son mari.

Telle est, très résumée, la morale mazdéenne. Elle professe une remarquable indulgence à l’égard des individus étrangers à sa foi : tel acte impardonnable à un parsi doit être pardonné à l’infidèle, « parce qu’il ne savait pas ».

Les prescriptions morales de l’Avesta ont force de loi. Toutes les sanctions pénales sont énoncées dans les saints livres. Elles se traduisent par des actes de réparation, des cérémonies de purification et des châtiments corporels.

Les délits les plus graves pour un mazdéen sont la plupart du temps de nature à nous paraître infimes. Beaucoup ont trait aux animaux qui, bons ou mauvais, jouent naturellement un rôle actif dans l’armée d’Ahriman ou dans l’armée d’Ormuzd. Ils ont été classés en conséquence. Le taureau, par exemple, est vénéré au premier rang ; le chien est entouré d’une considération telle que sa femelle, sur le point de mettre bas, doit être soignée comme une femme ; de même le « chien d’eau », la loutre ; de même le hérisson, etc… Par contre, les tortues, les crapauds, les loups, les fourmis, les vers et toutes les bêtes qui rampent sont abhorrées et pourchassées.

Toutes les sanctions pénales sont nettement tarifées. Ainsi « l’homme qui a tué une loutre » recevra dix mille coups de lanière — rachetables à raison d’environ cinq francs par coup — et devra, comme réparation, accomplir une bonne œuvre en élevant, par exemple, deux fois sept petits chiens, en tuant dix mille serpents, fourmis, crapauds, etc… Le meurtre d’un chien coûte moins cher : 500 à 800 coups de lanière, selon la race, plus l’acte de réparation. Mais certains crimes, d’une gravité exceptionnelle, sont inexpiables : la sodomie, le vol de grand chemin, le fait de porter seul un cadavre, de manger de la charogne, etc… Ils entraînent la mort immédiate, sans jugement, et la damnation perpétuelle.

Comme l’indiquent les exemples cités, le châtiment n’est pas l’expression d’un désir de défense sociale. Il a pour mobile unique l’expiation, la réparation religieuse : tel homme ayant commis une mauvaise action pour le compte d’Ahriman, a le devoir d’en balancer immédiatement l’effet par une bonne action accomplie pour le compte d’Ormuzd. La justice est d’ailleurs uniquement dispensée par les prêtres.

Les prêtres mazdéens s’appelaient autrefois magu « mages » ; on les nomme aujourd’hui mobeds. Caste fermée à dignité héréditaire, leur pouvoir politique fut immense aussi longtemps que le mazdéisme fut incorporé à l’État. En outre, quantité d’attributions et même de métiers leur ont toujours été strictement réservés, tels l’exercice de la médecine, la pratique des exorcismes, de la magie, et naturellement tous les actes du culte. Ils tenaient une telle place dans la vie des populations persanes qu’ils ont survécu à la ruine de leur religion. L’invasion musulmane victorieuse du zoroastrisme a plié sous leur influence. En adoptant l’islam, ils en ont fait un schisme à leur usage ; de magu ils sont devenus mollahs : leur nom seul a changé.

Le culte a pour objet fondamental la purification des créatures. La prière vient après : l’acte prévaut sur la parole.

Le feu et l’eau, principaux symboles de pureté, sont l’objet d’une grande vénération. Rien de mal n’en peut sortir. Les docteurs parsis en étaient arrivés à prouver (!) que celle-ci ne tue pas davantage par immersion que celui-là par combustion. Le feu est « le plus proche allié de l’homme dans sa lutte contre les démons » ; il est « l’ami qui, bien nourri, rend au centuple ce qu’on lui donne » ; il représente Dieu sur la terre car « il est la lumière et la lumière c’est Dieu. » Sa présence est dès lors indispensable à la célébration du culte et dans les temples mazdéens — surnommés d’ailleurs temples du feu — la place d’honneur lui appartient. Des assistants l’y entretiennent perpétuellement en lui manifestant un tel respect que les ennemis du mazdéisme ont attribué à ses adeptes le sobriquet d’« adorateurs du feu ». Cette expression n’est pas exacte : les parsis n’adorent pas davantage le feu que les chrétiens n’adorent le pain et le vin.

Le rôle de l’eau est inférieur : il apparaît surtout à propos du baptême que tout bon mazdéen doit subir entre sept et quinze ans.

Tous les jours de l’année ont une destination religieuse et sont des fêtes, en quelque sorte. Les plus grands jours fériés sont d’abord en l’honneur des saisons pour célébrer la force et la beauté de la création, puis consacrés au culte des ancêtres, aux mânes, aux fravashis.

L’Avesta nous présente l’être humain composé de cinq éléments : le corps, la vie (le souffle), la forme (l’ombre), l’âme et la fravashi. La mort les disperse. Par elle le corps s’en revient à la terre, le souffle au vent, l’ombre au soleil, l’âme s’unit à la fravashi, seule immortelle !

Les cérémonies funéraires sont réglées de façon très curieuse. Rien n’étant plus impur qu’un cadavre, on prend par avance toutes les précautions nécessaires pour en assurer l’isolement. En principe chaque maison doit posséder une chambre affectée spécialement au dépôt des malades irrémédiablement perdus et à l’exposition des morts. C’est là que devront être appelés deux prêtres pour apporter au moribond couché à terre sur un drap blanc la suprême purification du viatique ; c’est là que deux parents veilleront pour lui murmurer dans l’oreille, à la dernière minute, une invocation destinée à faciliter son salut.

Après la fin, personne ne doit toucher le cadavre. Il devient un objet d’effroi, car une abominable druje (sorte de fée) au service d’Ahriman s’en empare aussitôt, prête à sauter sur l’assistance, et lui reste attachée jusqu’au moment dit du « regard du chien. » Un chien « à quatre yeux » — soit tacheté au-dessus de chaque œil — possède seul, en efiet, le pouvoir de chasser la druje : on l’introduit près du cadavre ; il le flaire : elle s’enfuit ! C’est alors qu’on apporte le feu, soigneusement entretenu au moyen d’essences parfumées. La veillée mortuaire dure trois jours pendant lesquels l’âme du défunt est censée tenir encore à son corps et rôder alentour, indécise sur la route à prendre, besoigneuse de prières. Les assistants lui viennent en aide et, ce délai passé, se débarrasseront du cadavre.

Par leur particularité, les cimetières mazdéens jouissent d’une célébrité universelle. À vrai dire ce sont des charniers. Comme l’indique M. Victor Henry dans la savante étude qu’il a consacrée au parsisme, « puisque c’est péché grave d’abandonner un corps mort au fil de l’eau, crime de le confier à la terre, crime irrémissible de le livrer en pâture au feu, puisque les quadrupèdes carnassiers ne le dévoreraient qu’en en semant de toutes parts les débris immondes et vénérables, le dernier et seul parti à prendre était de recourir aux oiseaux de proie. » Pour leur faciliter la tâche, les parsis ont élevé partout de hautes tours rondes, massives, au sommet desquelles une plateforme est construite pour recevoir les corps. On les appelle dakhma. Nous en avons vu un grand nombre, au cours de nos voyages dans l’Asie antérieure : elles présentent toutes le même aspect, quelconque en soi mais terrifiant pour le voyageur informé de leur recel !

Les croque-morts ont seuls droits d’accès dans ces tours. Ce sont eux qui, aux jours des obsèques, dépouillent le corps de ses vêtements et le disposent, nu, sur la pierre ; ce sont eux qui, deux fois par an, débarrassent la plateforme des squelettes et les précipitent dans un puits spécialement ménagé au centre de l’édifice. Les familles viennent prier dans une chapelle voisine où un prêtre entretient le feu sacré.

Il est curieux de se rendre compte des précautions très minutieuses imaginées par les parsis pour se garantir à jamais du contact impur de leurs morts. Les eaux pluviales souillées qui ruissellent des dakhmas sont détournées dans des canaux et s’écoulent à travers plusieurs filtres de sable fin et de charbon pilé avant de se mêler à la terre. D’ailleurs les tours elles-mêmes sont censées suspendues, complètement isolées du sol grâce à l’accomplissement de certaines formalités magiques immédiatement avant leur construction.

Aussi grande est l’horreur du cadavre, aussi profonde est la vénération pour l’âme, la piété pour la fravashi. Les mazdéens sont spiritualistes. Leur religion accuse très fermement la croyance en la vie éternelle. Mais pour eux l’âme humaine n’y atteint qu’après force tribulations, ayant subi d’étranges épreuves dans l’invention desquelles il est facile de découvrir l’influence atavique des croyances païennes antérieures au zoroastrisme.

L’âme est jugée seulement trois jours après la mort. Ces trois jours sont pour elle l’antichambre de la vie future : elle est inquiète, elle continue de hanter le corps. À l’expiration de ce délai, l’âme voyageuse arrive à un pont gigantesque jeté sur un abîme et gardé par trois anges : Mithra, le soleil aux mille yeux et aux mille oreilles qui a tout vu, tout entendu et témoigne des actes de l’homme ; Rashun, symbole de la droiture, qui porte la balance où vont être pesées les bonnes et les mauvaises actions ; le troisième est indéterminé.

Aussitôt après la pesée, l’âme continue sa route. Elle arrive à un autre pont suspendu sur l’enfer et conduisant au paradis. Elle y rencontre un bon et un mauvais génie : le premier la soutient, le second la bouscule, et, suivant sa valeur, elle entre en paradis ou elle tombe en enfer. Elle y attendra l’heure de la résurrection.

La résurrection des morts couronne l’œuvre du mazdéisme. Trois mille ans après Zoroastre doit naître le Sauveur dont l’intervention mettra fin à la lutte du Bien et du Mal. Ahriman définitivement vaincu par Ormuzd, la création aura perdu sa raison d’être. Ce sera la fin du monde. Tous les morts devront alors ressusciter pour subir le jugement dernier. Un déluge de métal fondu les enveloppera, où disparaîtront les méchants tandis que les bons en sortiront indemnes. Le Mal n’existera plus sous aucune forme, l’enfer sera vacant et deviendra, avec la terre, une annexe du paradis où les justes jouiront d’une infinie béatitude, éternellement.

Telle est la religion de Zoroastre. Née sous l’égide du grand empire des Mèdes, elle atteignit son apogée sous la dynastie sassanide, du iiie au viie siècle de notre ère. Dès cette époque, l’influence du christianisme suscita quelques défections parmi ses sectateurs ; bientôt naquirent les hérésies manichéiste et maldakite, causes de discorde, avant-coureurs de décadence ; finalement l’invasion musulmane précipita sa ruine.

En l’an 637 les Perses furent vaincus par les Arabes à Nahavand, près de l’ancienne Ecbatane. Cette bataille décida du sort du mazdéisme en Perse : Zoroastre y fut supplanté par Mahomet et l’Avesta par le Coran. La chute fut d’autant plus rapide et plus absolue que la religion s’étant toujours trouvée liée à l’État fut naturellement combattue avec plus d’acharnement. Les prêtres, habitués au pouvoir et peu préparés aux souffrances, furent aussitôt gagnés à la cause de l’envahisseur. Les plus fidèles se révoltèrent, voulurent garder leur foi mais n’eurent bientôt d’autres moyens d’échapper aux persécutions que le culte secret ou la fuite. Ceux qui choisirent la dissimulation furent les moins nombreux ; peu à peu submergés par les musulmans, ils diminuèrent sans cesse jusqu’à nos jours. Les autres ont émigré d’abord en Khorassan, puis au golfe Persique dans l’île d’Ormuzd, enfin aux Indes qui sont devenues dès lors le foyer du culte parsi.

Le mazdéisme d’aujourd’hui compte à peine 150.000 adeptes. On n’en trouve pas 10.000 en Perse. Ils ont d’ailleurs perdu leurs véritables traditions religieuses — leurs prêtres même ignorent la langue de l’Avesta — mais sont demeurés fidèles à la morale de leurs ancêtres ; tous vivent de leur travail et jamais on n’a vu parmi eux un mendiant ni une prostituée. Les persans musulmans les désignent sous le nom de guèbres, « païens », et les tiennent à l’écart sans les jamais plus molester. Leur situation s’améliore depuis quelques années grâce à la protection du gouvernement britannique obtenue par les parsis indiens très soucieux du relèvement de leurs frères.

Au contraire des guèbres, les parsis de l’Inde ont conservé leur culte dans sa pureté primitive et forment une communauté puissante et riche. Établis en grand nombre à Bombay, Surate, Barada et dans le Goudjarate, ils ont essaimé à Madras, à Ceylan, en Chine, à Batavia et jusqu’à Londres et Liverpool. En eux le mazdéisme est bien vivant.

Bien que fidèles à son usage antique, ils comptent parmi les plus progressistes et les plus avancés des Indiens. Ils ont résolument adopté la civilisation européenne compatible avec leurs croyances. Les Anglais ont trouvé parmi eux de précieux collaborateurs. Actifs, intelligents, ils s’adonnent surtout au commerce et à la politique ; ils occupent à Bombay une situation de premier ordre et sont rangés parmi l’élite des dirigeants ; leurs femmes sont devenues féministes à notre manière, font de la littérature, du reportage, étudient les sciences, la médecine, — et c’est ainsi que le parsisme, adopté au progrès nécessaire, leur apparaît toujours plus jeune, toujours plus vrai, toujours plus digne de leur perpétuel attachement…


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  1. Lisez l’Islamisme dans la Revue pour les Français de septembre 1906.