Revue pour les Français Décembre 1906/VII

Collectif
Revue pour les Français1 (p. 473-476).

PHÉNOMÈNES OCCULTES



Si l’on avait annoncé aux adeptes de la doctrine matérialiste, il y a trente ans, que la science sur laquelle s’appuyaient leurs convictions s’apprêtait à les trahir, ils eussent de très bonne foi déclaré pareille hypothèse absolument hors de discussion. Quelle apparence y avait-il, en effet, que la série des découvertes par lesquelles le mécanisme cérébral humain livrait peu à peu tous les secrets de sa nature et de son fonctionnement put arriver à franchir la limite des phénomènes rationnels et s’enfoncer dans une région dont le matérialisme précisément se croyait désormais fondé à nier l’existence. C’était son précepte fondamental que la mort ne pouvait rien laisser subsister de l’individu qu’un peu de matière s’effritant plus ou moins vite et propre à se transformer selon la loi universelle. Ce précepte, il n’était pas toujours bienséant de le formuler ; on admettait que la religion expirante eût droit à des égards et ses ennemis les plus acerbes se hasardaient seuls à lancer de si brutales vérités. Mais le sourire sceptique des autres en disait long et, d’une manière générale, on doit reconnaître qu’en ce temps-là le monde scientifique inclinait vers l’acceptation de moins en moins contestée du matérialisme intégral.

Or l’an dernier, M. le professeur Richet, lequel n’est pas influencé assurément par aucune considération confessionnelle, a pu écrire que l’existence désormais certaine de l’occultisme — c’est-à-dire d’une manifestation de la conscience des morts — ouvrait à l’étude des horizons nouveaux et incommensurables. La franchise de M. Richet n’a pas été du goût de tout le monde et il est à remarquer que ce sont des catholiques convaincus qui ont protesté avec le plus de véhémence comme si, assurés dans leur foi, il leur était pénible de recueillir des preuves scientifiques de l’existence de l’âme. Une préoccupation similaire semble s’affirmer dans un petit ouvrage récent du Dr Lapponi, qui vient de mourir précisément, prévenu d’avance par un de ses malades. Après avoir nettement distingué l’hypnotisme, ordre de phénomènes absolument naturels mais encore insuffisamment connus, de l’occultisme, le Dr Lapponi dénonce avec insistance le danger que courraient l’intelligence et la raison des profanes s’ils s’adonnaient à des expériences d’un genre émouvant et troublant auxquelles ils n’auraient pas été préparés par leur carrière. À cet égard M. Lapponi a parfaitement raison : il faut laisser aux seuls hommes de science le soin d’élucider peu à peu de pareilles questions. L’opinion publique n’a rien d’autre à faire qu’à enregistrer les résultats acquis au fur et à mesure ; mais cela, elle a le droit d’y prétendre. Voilà justement ce qu’indiquait le professeur Richet dans l’article sensationnel que nous venons de mentionner. Il faisait le départ entre ce qui semble prouvé et ce qui ne l’est pas encore, indiquant aux gens du monde à quel niveau se tiennent, en fait d’occultisme, les découvertes actuelles. Ce niveau ne peut plus être contesté que de façon partiale. En effet dans les ouvrages tels que, pour n’en citer qu’un, celui du savant anglais Myers il y a souvent deux parties distinctes ; des faits d’un côté et de l’autre des conclusions. Ces dernières même présentées directement et sans y insister peuvent séduire par leur plus ou moins grande ingéniosité mais ne sauraient nier la moindre présomption de vérité : la base sur laquelle elles reposent est encore trop faible et trop petite. Quant aux faits, ils sont tellement nombreux et leur vérification est entourée de nos jours de précautions si minutieuses qu’il n’y a plus moyen d’en récuser le témoignage et de se refuser à les prendre en considération. Ces faits sont multiples et nous n’avons pas à en relater le détail ici. Mais dans la plupart des cas — et c’est là ce qu’il importe d’en retenir — ils consistent en une mise en communication de l’homme avec des êtres immatériels qui, en outre, se sont fréquemment affirmés comme étant les prolongements, pour ainsi parler, d’individualités humaines disparues !

Ce qui est fait pour surprendre dans ces communications ce sont les moyens toujours vulgaires par lesquels on les obtient et l’ordinaire insignifiance des résultats qu’on en tire : c’est enfin l’intervention soudaine d’éléments ignominieux que décèlent des propos malpropres et obscènes. Quelle est donc la condition de ces esprits qui, ayant la possibilité de « répondre » aux questions que des hommes leur posent, ne le savent faire que d’une manière niaise ou ignoble ? Quelle est aussi la nature d’une présence qui se traduit par des élévations ou des abaissements brusques de température, des déplacements automatiques de meubles, des productions de flammes ou de sons anormaux ? Enfin le terme esprit est-il approprié du moment que certains de ces êtres ont rendu visibles leurs formes indécises et qu’on a pu les photographier ? Ce sont là des points d’interrogation gigantesques et si l’on considère que la Bible, les papyrus égyptiens et aussi les récits des plus anciens voyageurs occidentaux qui visitèrent les Indes relatent déjà des faits semblables, on est porté à se demander où est en tout ceci le progrès de nos connaissances et en quoi la science moderne a éclairci le mystère ?

Elle ne l’a pas éclairci directement sans doute mais elle l’a vérifié et, en pareille matière, une vérification sérieuse vaut un éclaircissement. En admettant même la parfaite véracité de ceux qui nous ont transmis le détail des expériences extraordinaires d’autrefois, on ne peut nier que leur pouvoir de contrôle ne fut mince. Ils n’y pouvaient employer que leurs sens, la vue, l’ouïe, le toucher. Or quand un thermomètre accuse un froid ou une chaleur intenses produits inopinément dans une pièce, il y a une preuve absolue que les sens n’ont pas été trompés par l’imagination en constatant ces modifications inexplicables de température.

À notre avis, il est désormais inutile de se regimber contre de pareilles constatations. Il faut que les adeptes du matérialisme en prennent leur parti ; leur doctrine préférée est à bas ; elle a été renversée par l’objet même de son culte, la science expérimentale. Plus nous irons, plus le principe si nettement proclamé par le professeur Richet s’imposera à la conscience de tous. L’esprit est évidemment distinct de la matière ; en tous cas il survit, en quelque manière, à la destruction corporelle ; il peut continuer d’exister et d’en avoir conscience. Nous ne savons rien de plus mais cela est énorme.

Une seule conséquence pratique à en tirer au point de vue moral : il faut respecter les religions qui apparaissent désormais beaucoup moins contraires à l’esprit scientifique qu’elles n’en avaient l’air. On peut, du reste, rapprocher de cet écroulement de la doctrine matérialiste celui de la critique des Livres saints judaïques et chrétiens. Un savant allemand rappelait dernièrement que rien ne subsiste plus des données d’après lesquelles Renan a écrit. Cela n’enlève au grand écrivain ni le mérite littéraire de son œuvre ni l’intérêt de ses déductions, mais toute la force de son argumentation s’en trouve ébranlée. Les cinquante dernières années du xixe siècle il s’est déduit des quantités de choses que nous apprenons aujourd’hui être parfaitement improuvées. Ces déductions, en général, tendaient à opposer la religion à la science. Or, il n’y a pas entre elles l’antinomie essentielle que l’on croyait. Soyons donc moins affirmatifs, moins intransigeants. Prenons une nouvelle « leçon d’erreur »… et attendons la vérité toujours lente à se découvrir.