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LA DÉCLARATION DES DEVOIRS



Au moment même où l’Assemblée constituante s’occupait de rédiger la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, certains de ses membres proposèrent qu’une Déclaration des devoirs y fut jointe ; mais, dès le 4 août 1789, cette motion fut repoussée. Elle ne devait être reprise, et cette fois avec succès, qu’en 1795. On ne se contenta plus seulement d’amender alors la Déclaration des droits de 1789 ; on rédigea, au lendemain même des excès de la Convention, une Déclaration des devoirs qui est, au demeurant, un recueil de préceptes moraux sauf en ses articles viii et ix dont la portée politique est considérable.

Voici le texte de cette Déclaration, généralement peu connue et qui méritait cependant de n’être point éclipsée pendant plus d’un siècle par la Déclaration des droits laquelle a eu les honneurs de l’affichage jusque dans nos colonies les plus reculées :

Art. i. — La Déclaration des droits contient les obligations des législateurs ; le maintien de la Société demande que ceux qui la composent connaissent et remplissent également leurs devoirs.

Art. ii. — Tous les devoirs de l’homme et du citoyen dérivent de ces deux principes gravés par la nature dans les cœurs : Ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fit ; faites constamment aux autres le bien que vous voudriez en recevoir.

Art iii. — Les obligations de chacun envers la Société consistent à la défendre, à la servir, à vivre soumis aux lois et à respecter ceux qui en sont les organes.

Art. iv. — Nul n’est bon citoyen s’il n’est bon fils, bon père, bon frère, bon ami, bon époux.

Art. v. — Nul n’est homme de bien s’il n’est franchement et religieusement observateur des lois.

Art. vi. — Celui qui viole ouvertement les lois se déclare en état de guerre avec la Société.

Art. vii. — Celui qui, sans enfreindre ouvertement les lois, les élude par ruse ou par adresse blesse les intérêts de tous ; il se rend indigne de leur bienveillance et de leur estime.

Art. viii. — C’est sur le maintien des propriétés que reposent la culture des terres, toutes les productions, tout moyen de travail et tout l’ordre social.

Art. ix. — Tout citoyen doit ses services à la patrie et au maintien de la liberté, de l’égalité et de la propriété toutes les fois que la loi l’appelle à les défendre.

Les sept premiers articles se passent de tout commentaire mais il est intéressant de s’arrêter un instant sur les deux derniers. Ils affirment l’un et l’autre le droit de propriété dans les termes les plus formels puisqu’ils font dépendre « tout moyen de travail et tout l’ordre social » du « maintien des propriétés » et obligent le citoyen à défendre ce « maintien de la propriété ». Ce ne sont point là des formules de hasard. La Déclaration des droits de 1789 avait en son article ii proclamé la propriété un « droit naturel et imprescriptible de l’homme ». La Déclaration des droits de 1793 avait laissé intact le droit de propriété ; elle n’était pas socialiste mais non plus n’était pas anti-socialiste. La Déclaration des devoirs est anti-socialiste ou anti-collectiviste, si l’on préfère, à un degré plus éminent que la Déclaration de 1789. En 1789, on avait affirmé que la propriété était un droit naturel et imprescriptible ; en 1795 on fait obligation au citoyen de défendre la propriété sur le maintien de laquelle « reposent la culture des terres, toutes les productions, tout moyen de travail et tout l’ordre social ». C’est une protestation solennelle et directe contre le collectivisme. Il nous a donc paru intéressant de la signaler, rompant cette espèce de conspiration du silence qui semble s’être créée pour maintenir dans l’oubli la Déclaration des devoirs.