Revue musicale — 14 septembre 1839
Depuis long-temps nous n’avons eu à nous occuper de l’Opéra. Le répertoire de l’Académie royale de Musique varie si peu, pendant cette saison surtout, qu’à moins de vouloir entrer dans les détails des représentations les plus ordinaires, tenir registre des bons et des mauvais jours de Duprez, des roulades de M. Massol, des points d’orgue de Mlle Nathan ou de Mme Stoltz ; en un mot, de prétendre écrire les petites annales du théâtre, on ne sait qu’en dire. Le Lac des Fées, de M. Auber, les débuts de Mlle Nathan, cette cantatrice si cruellement déçue dans ses illusions de prima donna, un assez médiocre ballet que n’a point su faire valoir Mlle Elssler, comme jadis Mlle Taglioni, qui donnait cent représentations à la plus mesquine rapsodie, à la Révolte au Sérail, par exemple ; la Vendetta, de M. de Ruolz : voilà toute l’histoire de l’opéra depuis six mois. Nous avons parlé du Lac des Fées, ce joli chef d’œuvre de M. Auber, nous avons parlé aussi des débuts de Mlle Nathan ; si nous disons quelques mots de la Vendetta, nous serons au courant.
La partition de M. de Ruolz se distingue par de louables qualités qui font bien présumer pour l’avenir du jeune musicien. La mélodie, bien qu’elle ne soit pas toujours d’une extrême originalité, a souvent de la verve et de la franchise, et son instrumentation est traitée avec soin. Ce qui manque à l’auteur de la Vendetta, c’est la science de la mise en œuvre, l’expérience de l’art ou du métier, comme on voudra. Ainsi nous aimerions plus de variété dans les rhythmes, de concision dans les formes, coupées, pour la plupart, sur les patrons de Donizetti. M. de Ruolz donne à tous ses morceaux des dimensions égales, et se laisse aller, avec trop de complaisance, à ce penchant des jeunes musiciens, de développer outre mesure et de vouloir à toute force donner de l’importance à des parties sur lesquelles on doit passer rapidement. Il faut que M. de Ruolz se défie aussi de cette tendance qui le porte à traiter un morceau en dehors des conditions du poème pour lequel il écrit, défaut que l’auteur de la Vendetta tient de l’école italienne nouvelle, et surtout de Donizetti, dont M. de Ruolz se rapproche pour la mélodie, comme d’une autre part, dans l’instrumentation, on sent qu’il incline vers M. Halévy. M. de Ruolz écrit ses duos, ses airs et ses trios pour l’acquit de sa conscience beaucoup plus que pour la situation qu’il a sous les yeux, et qu’il s’agit de rendre. Il est vrai que M. de Ruolz pourrait, à bon droit, rejeter la faute sur ses poètes, et dire que s’il a procédé de cette façon, c’est que son sujet ne lui inspirait rien de mieux. En pareil cas, l’excuse serait fort admissible. Quoi qu’il en soit, le succès que M. de Ruolz vient d’obtenir est d’autant plus estimable, qu’il ne le doit qu’à lui seul.
Nous voudrions voir l’Opéra, ce noble théâtre qui dispose de si beaux élémens, entrer dans une voie meilleure et se renouveler un peu. Partout l’activité règne ; l’Opéra-Comique, si arriéré jadis et que Mme Damoreau a mis au pas, vient d’engager, à grands frais, des chanteurs et des cantatrices. Le Théâtre-Italien vient de s’enrichir encore de Mlle Pauline Garcia. L’Académie royale de Musique seule demeure stationnaire. Duprez n’est plus ce qu’il était, sa voix s’appesantit et diminue ; deux ans de labeurs excessifs ont accablé le grand chanteur. Un jeune homme doué de l’organe le plus ravissant qui se puisse entendre, s’était présenté pour l’aider à supporter le fardeau du répertoire, et le remplacer au besoin. Que fait-on pour M. de Candia ? On lui refuse les occasions de se produire et de conquérir sa part de cette faveur du public que Duprez veut avoir tout entière. Pour ce qui regarde les cantatrices, les difficultés se compliquent encore. Les cantatrices de l’Opéra tiendraient à merveille le second rang dans une troupe où l’on compterait la Grisi et la Persiani ; mais il est impossible qu’on ne songe pas à s’appuyer sur des talens plus généreux et plus solides. Voici bien long-temps que le provisoire dure, il faut cependant y mettre un terme. Nous doutons que M. Meyerbeer trouve dans le personnel de l’Opéra, tel qu’il est aujourd’hui, des interprètes dignes de l’œuvre nouvelle qu’il compose. Passe encore pour les ténors ; mais la voix profonde, éclatante, inspirée, la prima donna qu’il rêve, sera-ce Mlle Nathan, ou Mme Stolz ? Il était question dernièrement de mettre à la scène le Fidelio de Beethoven, pour faire pendant au Don Juan de Mozart. Pourquoi ne saisirait-on pas cette occasion pour engager Mlle Lowe, la brillante cantatrice de Berlin, dont M. Meyerbeer a parlé tant de fois avant les débuts de Mlle Nathan, et dont il reparlera sans doute à son retour de Boulogne ? Mlle Lowe ou toute autre ; mais il faut à l’Opéra une cantatrice du premier rang. Les compositeurs et le public la demandent avec une égale ardeur, et cette fois les intérêts de l’art se concilient trop bien avec ceux de l’administration pour qu’elle puisse, sans encourir les inconvéniens les plus graves, négliger long-temps d’y faire droit.