Revue des Romans/Introduction

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DE LA NÉCESSITÉ DE CET OUVRAGE.



Par une tolérance qui a, comme toute chose, son bon et son mauvais côté, la lecture des romans n’est plus l’objet d’une exclusion absolue dans la famille, et les femmes ne sont plus obligées de cacher le livre qui charme leur solitude. On a compris que les ouvrages d’imagination pouvaient produire le bien, par cela même qu’ils pouvaient produire le mal ; qu’ils pouvaient ramener les esprits à des sentiments vrais, comme ils pouvaient les égarer par l’exaltation. On a compris avec justice qu’il ne fallait pas condamner le genre, mais les écrivains qui en tiraient un mauvais parti ; enfin, la raison est venue dire : Tout dépend du choix.

Le roman n’a pas de poétique et de règles : il se prête admirablement à l’expression de la pensée ; le roman, c’est tout l’auteur, comme on l’a dit du style. Aussi la positivité de notre siècle l’a rendu moins dangereux, mais nous le répétons : Tout dépend du choix.

Par le roman, les femmes sont intervenues dans la littérature avec la grâce et la délicatesse qu’elles savent mettre à toute chose ; le choix des sujets, les sentiments, la sensibilité, même le vague de l’expression, ont été pour elles des moyens de succès ; mais dans leurs productions il faut aussi choisir.

Les hommes font du roman un cadre pour tous les tableaux : l’histoire avec ses scènes tragiques, le drame bourgeois avec ses émotions, la comédie avec son langage railleur, la farce avec son gros rire, y trouvent leur place ; la terreur et la pitié, la critique de mœurs, le merveilleux, le positif, les sciences même, dans leurs détails les plus minutieux ou dans leurs résultats les plus sommaires, en un mot, le monde est le domaine du romancier. — Walter Scott a fait revivre le passé sous sa plume, quelques écrivains prévoient l’avenir, beaucoup flattent ou censurent le présent ; mais dans ce chaos de publications de styles si divers, d’intentions si mobiles, tous les ouvrages ne conviennent pas indistinctement à tous les lecteurs : il faut choisir.

Les écrivains sont séparés en deux camps, marchent sous deux bannières : ici on regarde la littérature comme un moyen de distraction, là comme un moyen de direction ; ceux-ci ne se préoccupent d’aucun but ; ceux-là, sous l’influence d’une idée, marchent à une preuve ; les premiers se montrent satisfaits d’amuser, d’intéresser ; les autres prétendent amuser, intéresser et enseigner. On le comprend donc, le choix est important.

C’est principalement pour guider dans le labyrinthe d’un catalogue que cet ouvrage a été conçu : il devient indispensable à la mère de famille, au jeune mari, à la femme sérieuse, à quiconque, pour les heures de solitude, pour la veille d’une nuit, demande au roman des émotions, un monde imaginaire, enfin l’oubli de soi-même. À la campagne, comme à la ville, ce livre sera le livre de prudence ; car, on le sait, l’analyse sèche et nue d’une œuvre d’imagination, en indique la pensée, sans lui rien ôter de ses qualités essentielles.

Nous avons l’intime conviction que notre Revue des Romans épargnera l’ennui de lire certains livres, préservera du dégoût d’en lire quelques autres, et fera connaître une multitude de charmantes productions dont on aurait probablement toujours ignoré l’existence. Nous n’avons pas cependant la prétention d’avoir fait un ouvrage complet sur une matière aussi étendue (six volumes ne suffiraient pas pour donner les titres des romans imprimés en français) ; seulement, nous pensons n’avoir omis, dans les onze cents analyses des romans que contiennent nos deux volumes, aucune des productions remarquables des plus célèbres romanciers.

Notre intention d’ailleurs n’est pas de borner notre publication à ces deux volumes. Comme nous avons l’espoir qu’ils seront accueillis avec l’intérêt que tout lecteur instruit accorde au travail consciencieux, pour compléter le nôtre, nous publierons chaque année, en un volume in-8o, une Revue annuelle et rétrospective des Romans, divisée en deux séries : la première contiendra l’analyse des romans anciennement publiés qui ne se trouve pas dans la présente publication ; la seconde sera consacrée à l’analyse des romans publiés en 1838 et en 1839.


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