Revue canadienne/Tome 1/Vol 17/Causerie Scientifique(février)

Compagnie d’imprimerie canadienne (17p. 113-119).

CAUSERIE SCIENTIFIQUE.



La Revue Canadienne. — La force motrice. — L’électricité substituée au charbon — Plus de vapeur. — La lumière électrique et M. Jamin. Nouvelles améliorations. — Les horloges pneumatiques. — La culture de la vigne au Canada. — Égalité sociale et politique de la femme.


La Revue Canadienne s’est tenue dans le silence pendant toute l’année mil huit cent quatre-vingt ; elle s’est recueillie sans aucun doute, pour faire provision de forces nouvelles et asseoir son organisation sur une base plus solide. Comme le pèlerin fatigué, elle s’est assise sur le bord du chemin, demandant au repos une réparation physique et morale qu’une alimentation insuffisante ne pouvait lui donner. Puis, comme le pèlerin reposé, elle s’est aussi levée de nouveau, elle s’est élancée avec vigueur sur la route, se disant avec confiance : Je parviendrai au but de mon voyage !…

Le Prospectus de l’année 1881, de la Nouvelle Revue, les célébrités littéraires qui figurent dans sa première livraison sont une garantie satisfaisante pour le lecteur de la vitalité abondante qui va se manifester dans son existence.

L’affirmation des principes et leur défense vigoureuse, voilà bien ce qu’il faut à notre jeune société ; et ce grand ouvrage fait par les laïques, voilà bien la tâche qu’il est convenable de voir remplir ! Le laïcisme sincèrement catholique doit opposer ses rangs au laïcisme hypocritement impie ; le clergé, malgré son travail héroïque, ne suffit pas à cette rude besogne ; à côté des douze apôtres, il y avait toute une grande foule prêchant la vérité.

Mais je ne veux pas me laisser entraîner au courant des réflexions toutes naturelles que la réapparition de la Revue m’inspire. À d’autres de les recueillir et de les dire longuement ; et je me hâte de rentrer respectueusement dans cet autre temple où mes devoirs de chroniqueur scientifique m’obligent de me tenir renfermé.

Rien ne meurt, tout renaît dans la nature ; c’est bien ce fait d’histoire naturelle qui a servi de base à des théories matérialistes de toute sorte, théories que l’esprit humain s’amuse à creuser en tâtonnant. Néanmoins les savants se préoccupent beaucoup de ce temps-ci, de cette prétendue vérité de renaissance de toute chose, ils en doutent ; et au sujet des agents créateurs de la force motrice, ils sont à se demander comment cette force motrice sera-t-elle engendrée quand il n’y aura plus de combustible — chose qu’il faut prévoir, moment psychologique terrible qu’il faut parer.

Nous avons eu le bois, le charbon, la tourbe pour alimenter la vapeur motrice, mais tout cela meurt et ne renaît pas, renaît peut-être, mais pas assez puissant pour jouer le même rôle ; ce sont bien tous des acteurs qui, une fois entrés dans la tombe, ne reviennent plus. Que faire alors quand tout cela, tout cet indispensable deviendra d’une rareté désespérante, comme une chose précieuse ? C’est là la grande question posée devant le fauteuil de la science ; c’est là le grand problème à résoudre dans l’intérêt de l’humanité qui ne pourrait vivre sans machine, sans cette force motrice, aujourd’hui sa Déesse ou sa Divinité.

Devant cette question, devant ce problème, les savants se sont dit d’abord et tout naturellement : cherchons d’autres agents moteurs ; c’était facile à trouver, la nature en offre à chaque pas sur la terre et sur l’onde. Les chutes d’eau, les marées, le vent, l’électricité atmosphérique, etc., toutes ces différentes forces peuvent être concentrées, n’est-ce pas, et donner le mouvement !

Voici comment une expérience a été faite dans ce but, à Sermaize, dans le département de la Marne. Il s’agit du labourage à vapeur remplacé par le labourage électrique. La machine Gramme est substituée au charbon.

Prenez une locomobile de 8 chevaux pour faire tourner une machine Gramme qui transmet un courant électrique jusqu’au champ du labour. Au champ de labour vous placez une autre machine Gramme qui reçoit le courant de la première. C’est cette seconde machine qui fait fonction de moteur ; elle donne une force suffisante pour entraîner un treuil sur lequel s’enroule un câble qui est attaché à son extrémité à une charrue double brabant. À l’autre extrémité du champ, vous avez une troisième machine Gramme qui reçoit le courant, et qui possède aussi un treuil ; celui-ci sert à enrouler le câble qui tire la charrue d’une extrémité du champ à l’autre. Au moyen d’un moteur électrique vous labourez ainsi votre champ avec une vitesse surprenante, le mécanisme étant simple, facile à déplacer, selon les besoins.

À mesure que votre distance augmente vous augmentez la force de votre courant, afin de toujours la conserver au même degré. Le labour mécanique donne un rendement en plus de 30 %.

« Les premières tentatives de transmission électrique de la force ont de l’importance, nous dit Henri de Parville qui nous rapporte cette expérience. N’importe qu’on perde en route 50 % et plus du moment que l’on prend la force à même un réservoir inépuisable ? Les marées engendrent journellement une puissance motrice si grande qu’elle échappe à toute évaluation numérique. Les dénivellations de la mer peuvent servir à emmagasiner de l’air dans de vastes récipients, à comprimer d’un côté, à le raréfier de l’autre. On peut ainsi créer directement de la force en abondance. Imaginez ces forces transmises par le télégraphe jusque dans les grandes villes. Il suffira d’avoir son fil spécial pour recueillir à domicile la puissance motrice que l’on désirera. Le fil qui conduira la force apportera en même temps l’électricité et la lumière. Et cet immense réservoir d’eau que nous appelons l’Océan deviendra le réservoir de la force, de la chaleur et de la lumière, l’instrument complet de la production industrielle et la source inépuisable de la richesse publique ! »

L’on voit tout de suite les conséquences de cette première expérience de Sarmaize, les mille et une applications pratiques qui en résulteront et la révolution merveilleuse qu’elle va opérer ; décidément la vapeur a fait son temps.

Le moteur électrique me ramène encore, cette fois-ci, à la lumière électrique, telle que M. Jamin vient de nous la donner. Il résulte des expériences de M. Jamin ce qui suit :

L’on peut allumer et éteindre les lampes placées dans le même circuit sans les toucher en ouvrant et fermant les communications.

Chaque lampe contient un nombre illimité de bougies ; à mesure qu’une s’éteint, une autre s’allume, ce qui permet de régler l’éclairage à la manière voulue ; au cas même où une lampe serait brisée, cet accident n’affecterait pas les autres lampes.

Un fil de cuivre de un millimètre conduit la lumière à quatre kilomètres, et un fil de deux millimètres le conduit quatre fois plus loin.

La force de la lumière peut être modifiée à volonté. Un cheval de force entretient deux bougies d’une valeur lumineuse supérieure à cinquante carcels.

Avec ces améliorations, la lumière électrique triomphe nécessairement, et met le gaz à l’agonie, malgré les allures dédaigneuses de ce dernier. L’exemple donné à Montréal par notre entreprenant concitoyen, M. Craig, aidé de ces changements nouveaux si avantageux, forcera notre ville, comme bien d’autres, à substituer l’électricité au gaz comme agent d’éclairage, et il nous sera donné de voir avant longtemps cette amélioration surprenante. Pythagore avait célébré les danses des astres, nous chanterons à notre tour ces astres nouveaux que l’électricité met à notre service.

Une curiosité de la science qui fait parler d’elle de ce temps-ci est bien celle qui nous est fournie par les horloges pneumatiques.

Rien de plus variables que les heures publiques et privées, quelles qu’elles soient ; cette irrégularité des heures est souvent cause de désagréments fâcheux, sinon de conséquences bien graves, et il est malheureux que l’on ne puisse se fier ni à l’horloge du salon, ni à la montre qui est dans son petit coin de la poche, ni au cadran de la place publique. C’est ce qui a été compris, et l’on a essayé de porter remède à ce mal agaçant.

En 1878, on a pu voir fonctionner à l’Exposition de Paris des horloges pneumatiques, et le voyageur en Autriche peut constater leur mise en pratique partout. La chose est déjà vieille, comme on le voit, mais pour nous que de nouveautés ! Le mécanisme est encore bien simple, et l’horloge pneumatique est facilement comprise.

Il y a quatre pompes à vapeur qui compriment l’air dans d’immenses réservoirs, d’où partent des tuyaux qui se rendent aux horloges publiques et aux pendules des maisons. À chaque minute, il est dirigé du réservoir un volume d’air comprimé, capable d’exercer une pression suffisante pour faire avancer d’une minute les aiguilles de tous les cadrans grands et petits. Et voilà tout. Ajoutez, si vous voulez, au tuyau principal un autre tuyau latéral, et vous aurez la même pression, la même heure marquée, et votre nouveau cadran se comportera comme tous les autres. C’est l’histoire de l’aqueduc qui déverse à tous les individus leur approvisionnement d’eau avec une égale force ; il suffit d’ouvrir les robinets. Bientôt à côté du robinet à l’eau nous aurons le robinet à heure…

Un autre robinet qui est à se fabriquer parmi nous est le robinet du vin, cette liqueur divine que les poètes de tous les temps ont chantée, et dont les philosophes et les moralistes les plus sévères admirent la vertu. La culture de la vigne inaugurée depuis quelques années au Canada promet beaucoup, et notre soleil, malgré la rigueur de notre climat, semble être fait pour mûrir promptement son fruit délicieux. L’autorité gouvernementale ne saurait trop faire pour l’encouragement d’une culture aussi nécessaire, et qui est peut-être destinée à faciliter la réforme tempérante à laquelle on est à travailler aujourd’hui. Les pays du bon vin, en effet, offrent bien peu d’exemples d’ivrognerie ; l’on y chante bien : « le vin est bon et la vie est rose, » mais les excès d’intempérance y sont très rares. En travaillant à la culture de la vigne, on travaille donc en même temps à la réforme de la société, à l’expulsion d’un des vices connu comme le plus grand châtiment qui puisse être infligé à l’humanité.

Je crois qu’un encouragement a été déjà donné à cette industrie nouvelle ; qu’on fasse plus encore afin que le succès couronne les efforts de tous.

Le vin est une boisson divine, ai-je dit ; nul doute, et c’est peut-être parce qu’il possède ce caractère sacré qui vient d’un Dieu fait Homme, qu’il lui est donné de ne pas produire aussi facilement les malheureux effets des autres boissons mises en usage, et dont la variété semble prouver la nuisance.

Jean-Jacques Rousseau, continuant l’école de Pythagore, proscrivait le vin comme une boisson artificielle ; et pourquoi ne pas proscrire le pain qui est bien aussi une nourriture artificielle ? Non. Dieu a donné à l’homme différentes nourritures pour son usage et son bien, et il doit s’en servir.

Le besoin du vin se fait sentir parmi nous, pour aider d’abord à la réforme devenue nécessaire, et aussi pour refaire notre société débilitée, cette partie de notre société amaigrie, toujours malade, à qui on ne peut prescrire un bon vin que nous n’avons pas. Le vin, en effet, est certainement utile à la santé, et les autorités médicales sont bien d’accord à le considérer comme un tonique réparateur au plus haut degré ; les cordiaux merveilleux ont presque tous pour base un vin choisi, un vin riche en sucs nourriciers.

Le vin est un aliment et un remède : aliment de la nature affaiblie, remède de l’organisme malade. Espérons qu’avant longtemps nous aurons un vin canadien qui remplira ce double but.

Parler du vin, c’est bien cependant penser à l’amour, et penser à l’amour c’est vouloir parler de la femme.

La femme continue-t-elle à occuper l’attention de la science, allez-vous me dire ? Oui, plus que jamais.

L’émancipation de la femme est toujours la question à l’ordre du jour. La femme, se basant sans doute sur le proverbe : « Ce que femme veut Dieu le veut, » veut réussir dans son projet masculin, comme s’il n’en était pas de ce proverbe comme de bien d’autres… De tous côtés, il n’y a qu’un cri, et mes lectrices me pardonneront si je leur dis que c’est un cri de femme. Suffrage de la femme, contrôle de toutes les positions sociales par la femme, voilà le motto partout, excepté ici, où nos femmes ont assez de cœur pour comprendre qu’il vaut mieux être bonnes épouses, et assez d’intelligence pour ne se mêler que de leur propre affaire.

La science s’alarme avec la société de cette ambition déplacée qui ne peut que tourner au mal de tous, parce que la science comprend qu’il est nécessaire pour le bien de tous de travailler au véritable perfectionnement de la femme ; ce qui ne veut pas dire : l’égalité sociale et politique de la femme et de l’homme, comme l’a prêché Mlle  Hubertine Auclerc, au Congrès ouvrier socialiste de Marseille, et comme le prêchent aussi Louise Michel, Mlle  Aubé dans toute la France, et nombre d’autres femmes ailleurs.

Tout ce qui éloigne la femme de la maternité, l’éloigne de ses devoirs, et c’est là la grande vérité que la science médicale surtout voudrait lui faire comprendre, parce que la santé en est l’heureux résultat ; et c’est au triomphe de cette vérité que le monde scientifique veut travailler.

L’on a dit que ce sont les femmes qui ont remporté les dernières victoires politiques en Angleterre, et Gladstone devrait ainsi au sexe beau son retour au faîte des grandeurs. Je crois facilement à ce succès féminin ; la femme possède bien tout ce qu’il faut pour devenir un grand politicien, et les ruses de la lutte lui sont familières ; mais qu’arrive-t-il le lendemain de la victoire ; pour la femme c’est le lendemain d’une défaite. Allons, mesdames, laissez faire la Kaulla ; préparez plutôt de la charpie pour les blessés, et que le cœur malade trouve toujours son remède à la maison.

Pour résumer mes deux dernières pensées, si souvent inséparables, je dirai à l’avenir : donnez-nous du vin et gardez-nous nos femmes telles qu’elles sont.

Sévérin Lachapelle.