Revue Musicale de Lyon 1904-03-30/Nouvelles diverses

Nouvelles Diverses

Tandis que la Société philharmonique de Berlin fait des affaires d’or, avec ses concerts fort bien dirigés par M. Arthur Nikisch, M. Richard Strauss vient d’être obligé, par suite de manque de public, de renoncer à ceux qu’il avait entrepris dans la salle du théâtre Kroll. On le regrette du côté des artistes parce que M. Richard Strauss faisait exécuter beaucoup d’œuvres de jeunes compositeurs, et particulièrement de ceux de Munich, ses compatriotes.

En vue du grand congrès musical qui va se tenir à Rome à l’occasion du centenaire de saint Grégoire-le-Grand, des études intéressantes se poursuivent à l’abbaye du Mont-Cassin, bien connue par les travaux importants, qui y ont vu le jour depuis plusieurs siècles. Le père Anelli, l’illustre prieur et l’archiviste de cette abbaye, prépare une édition critique, avec notes et commentaires des œuvres musicales du célèbre Guido d’Arezzo, publication à laquelle il travaille depuis nombre d’années.

Paderewski renvoyé de Saint-Pétersbourg :

Nous lisons dans le Neueste Nachrichten paraissant en Suisse, la nouvelle suivante :

Le célèbre pianiste et musicien polonais, Paderewski, s’étant fait entendre en présence de l’empereur de Russie, le Tzar très enthousiasmé par le jeu magistral de Paderewski a félicité l’artiste en ces termes : « Je me réjouis de pouvoir admirer tant de perfection chez un artiste russe. »

Paderewski répondit aussitôt, avec toute la dignité qui le caractérise : « Que Votre Majesté Impériale me pardonne, mais je suis Polonais. »

Comme suite à cette réponse, Paderewski reçut le jour même l’ordre de s’éloigner immédiatement de Pétersbourg et de n’y plus jamais revenir ; on ordonna en même temps à la presse d’informer le public que Paderewski… interrompait la série de ses concerts annoncés à Pétersbourg.

L’Union orchestrale de Munich doit faire entendre avec mise en scène, le 4 et le 6 mai de cette année, dans la salle Kaim, deux des œuvres musicales de Jean-Jacques Rousseau : le Devin du village et Pygmalion, cette dernière d’après une partition qui appartient à l’empereur d’Allemagne.

Emprunté à notre excellent confrère Gil Blas cette petite histoire de mœurs théâtrales. Si non è vero… — Il s’est passé cet été dans un kursaal non éloigné de Paris, une scène amusante. Le directeur qui comptait sur une saison fructueuse, avait engagé des musiciens pour des concerts qui devaient être donnés jusqu’au 25 octobre ; mais la saison d’été ayant fini beaucoup plus tôt qu’on ne le pensait, si toutefois même elle avait commencé, il décida de supprimer, à dater du 15 septembre, ses concerts du soir et réunit ses artistes pour leur proposer de résilier leur contrat à la date du 25 septembre. La plupart acceptèrent ; mais une dizaine d’entre eux refusèrent : « Nous sommes engagés jusqu’au 25 octobre, répondirent-ils ; nous voulons bien jouer jusque-là, mais vous devez nous payer. » — Ah ! vous ne voulez pas résilier ? reprit l’autre ; eh bien ! vous allez voir ! » Et le directeur, fort de ses droits, exigea que chaque soir les dix musiciens récalcitrants vinssent au kursaal en habit et cravate blanche, avec leur instrument sous le bras, à l’heure du concert, désormais supprimé. Le concierge de l’établissement les enfermait dans le jardin, les y laissait, dans le froid et l’obscurité se morfondre pendant deux heures, et ne leur ouvrait la porte qu’à l’instant prescrit pour la fin du concert qui n’avait pas lieu. Les musiciens attrapèrent tous des coryzas et voulurent résilier. Mais cette fois, c’est le directeur qui ne voulut plus !

Voulez-vous savoir comment certains chanteurs et certains spectateurs comprennent les œuvres qu’ils jouent ou qu’ils entendent ? Alors, lisez ces divers propos d’hier et d’avant-hier que M. Adolphe Jullien en rapporte dans son feuilleton du Journal des Débats :

« C’est d’abord un journaliste, un faiseur d’esprit patenté, qui, après avoir entendu le délicieux chœur des voisins, de la Statue, d’une gaité si franche, émettait gravement cet avis, en homme qui sait ce qui convient ou ne convient pas à l’Opéra : « Ce joli chœur, et c’est dommage, est presque comique. » À la bonne heure, et voilà un camarade qui excelle à saisir le sens d’un morceau, le ton d’une scène ! Encore s’il consentait à s’informer, s’il prenait exemple sur cet apprenti ténor dont Pottier, l’ancien chef du chant à l’Opéra, me racontait un jour le trait suivant : « Quel drôle d’opéra, disait l’élève à son maître en étudiant le rôle de Raoul de Nangis ; quel drôle d’opéra ! On y parle tout le temps des huguenots et on ne les voit jamais ! »

Et ce brave Cobalet, le baryton mort récemment, qui, lorsqu’il répétait à l’Opéra-Comique le rôle du torero dans Carmen, arrivant à ce vers si connu : « Et songe en combattant qu’un œil noir te regarde ! » ne s’y trompait pas lui malin, et s’arrêtait pour bien expliquer qu’il comprenait ! « Oui, oui, disait-il ; c’est le taureau qui me fixe ! » Enfin, certain soir, — pour terminer comme j’ai commencé : par la Statue, — est-ce qu’une dame placée derrière moi, une dame élégante et distinguée, ne répondait pas le plus sérieusement du monde à quelqu’un qui se plaignait de trouver Mme Ackté un peu sèche, un peu froide dans le personnage de Margyanne : « Eh ! bien, mais c’est ce qu’il faut, puisqu’elle représente une statue ! »

Le Propriétaire-Gérant : Léon Vallas.

Imp. Waltener & Cie, rue Stella, 3, Lyon.