Revue Musicale de Lyon 1904-03-02/Musiques d'Église

Musiques d’Église

ii

Nous ne voudrions pas nous exposer au reproche de détruire sans rien édifier : aussi exposerons-nous sommairement ce q’il faudrait faire pour que la musique à l’Église soit vraiment une musique digne de l’Église.

À qui trouverait prétentieux notre dessein, nous répondrions que nous ne nous érigeons nullement en législateur, mais que, tout simplement, nous interprèterons, dans leur rigueur, les nombreuses décisions romaines touchant la musique à l’Église. Le dernier et catégorique motu proprio du Souverain Pontife Pie x, en précisant certains décrets vagues ou tombés en désuétude, est venu ajouter sa grande autorité à nos assertions privées ; de nous trouver en parfaite conformité avec les vues du chef de l’Église nous a rendu particulièrement heureux.

Abordant maintenant la pars ædificans de notre étude, nous ne pourrions mieux faire que de prendre comme guide la lettre et surtout l’esprit de l’ordonnance pontificale. Aussi bien, les indications qu’elle renferme ne sont point d’une observation facultative : « Afin que désormais, écrit Pie x, personne ne puisse invoquer l’excuse de ne pas connaître clairement son devoir et, pour écarter toute indécision sur l’interprétation de plusieurs choses déjà ordonnées, nous avons jugé expédient d’indiquer brièvement les principes qui règlent la musique sacrée dans les fonctions du culte et de rassembler dans un cadre général les principales prescriptions de l’Église contre les abus les plus communs en cette matière. Et c’est pourquoi, de Notre propre mouvement et de science certaine, Nous publions Notre présente instruction à laquelle, comme au code juridique de la musique sacrée, nous voulons, par la plénitude de notre autorité apostolique, qu’il soit donné force de loi, et nous en imposons à tous, par notre présent acte authentique, l’accomplissement le plus scrupuleux. »

Le texte est clair ; d’ailleurs, le Pape, dans une lettre au Cardinal Vicaire Mgr Respighi, a insisté sur l’obligation qu’il entendait imposer à tous par sa lettre.

Dans notre premier article, nous parlions successivement des abus concernant le plain-chant et des abus concernant la musique figurée ; adoptant la même division pour ceux qui vont suivre, nous indiquerons les principes généraux qui doivent régir la musique d’Église, musique grégorienne ou plain-chant d’abord, musique figurée en second lieu.

Tous les musiciens doivent suffisamment connaître ce que j’appellerais la technique musicale pour qu’il soit inutile d’y insister : pour le plain-chant, forme d’art strictement ecclésiastique et, par suite, ignorée des laïcs, il sera bon et même nécessaire de consacrer quelques développements aux questions de sa nature, de ses origines, de son histoire et à une étude sommaire de sa technique.

Qu’appelle-t-on plain-chant ? Le nom de plain-chant (plans cantus, chant « plan », simple, par opposition avec la musique, complexe à cause de l’harmonie) est le chant officiel de l’Église catholique, destiné à accompagner l’office divin. Pour constituer cet office, qui comprend comme point central le sacrifice de la messe, avec les prières qui s’y rattachent, et le Bréviaire, l’Église a emprunté les paroles des saints Livres et y a ajouté ses propres commentaires. Mais, puisque, selon l’expression du comte de Maistre, « la raison ne peut que parler et que, seul, l’amour chante » l’Église, qui aime Celui qu’elle se plaît à appeler son époux, devait chanter sa prière, et ce chant, c’est le plain-chant.

D’où vient le plain-chant ? [1] L’Église, par ses pontifes et ses savants, l’a-t-elle créé de toutes pièces, ou bien, provient-il de plusieurs sources qu’on a utilisées, de chants religieux déjà existants qu’on a transformés ? La question est difficile à résoudre, car les documents nous manquent sur la musique religieuse des Juifs et sur la musique religieuse des Grecs et des Romains qui toutes deux ont dû influer sur le chant de l’Église primitive.

L’opinion la plus commune parmi les musicographes qui se sont occupés des origines du plain-chant, et d’ailleurs la plus vraisemblable, puisqu’il n’est guère admissible que les premiers chrétiens se soient fait de toutes pièces un système musical, est que l’Église se servit des éléments de la musique hébraïque et surtout de la musique grecque. Il faut entendre par éléments tout au moins les modes et gammes des Héllènes, ce que confirment les noms donnés aux modes du plain-chant : modes dorien, hypodorien, ionien, etc.

En adoptant les éléments grecs, l’Église adopta-t-elle les airs grecs eux-mêmes, ce qu’on appelle les nomes en en changeant, bien entendu, les paroles ? Quelques-uns l’ont affirmé, mais Dom Mocquereau soutient la thèse contraire.

En admettant que les airs du plain-chant aient été composés par l’Église même, quels en furent les auteurs ? Remarquons le mot auteur, et non compilateurs. Vraisemblablement, ce furent des chantres très versés en leur art, encouragés par les premières Pères qui favorisaient beaucoup la musique, et dont le nom ne nous est pas parvenu. Saint Ambroise, au ive siècle, a, pense-t-on, le premier ordonné un système musical et composé beaucoup d’antiennes conservées dans la liturgie ambrosienne de Milan. Une fois composées ces antiennes et mélodies primitives, qui les réunit en un seul livre ? La tradition indique, comme auteur de ce travail, le Pape Saint Grégoire le Grand (590-604). Saint Grégoire réunit dans son Sacramentarium et son Liber antiphonarius, réforma et compléta les chants jusqu’alors usités ; il inventa les neuves, notation composée d’accents qui fixait les mélodies. Le chant ainsi collationné ou composé par saint Grégoire se répandit universellement et supplanta le chant ambrosien qui avait perdu de sa simplicité primitive. Une autre opinion, due à M. F. Gevaert, directeur du Conservatoire de Bruxelles, attribue la compilation des chants de l’Église aux papes Helléniques de la fin du viie et du commencement du viiie siècle, saint Agathon, saint Léon ii, Sergius Ier, et Jean vi ; mais cette opinion est loin d’être la plus commune.

(À suivre).
Jean Vallas.

  1. Pour cette étude sommaire des origines du plain-chant et de ses transformations successives, nous nous sommes aidé surtout de l’ouvrage de Dom Pothier, Les mélodies grégoriennes.