Revue Musicale de Lyon 1904-02-17/Chronique lyonnaise

Chronique Lyonnaise

GRAND-THÉÂTRE


La Tétralogie

La municipalité a communiqué aux journaux quotidiens la note suivante :

La ville de Lyon a décidé qu’il serait donné, en avril prochain, deux cycles complets de la tétralogie (L’Anneau du Nibelung) de Richard Wagner, au Grand-Théâtre.

L’administration municipale a l’honneur de prévenir le public que les inscriptions pour chaque cycle, qui comprendra L’Or du Rhin’’, La Walkyrie, Siegfried et Le Crépuscule des Dieux, seront reçues à l’hôtel de ville (bureau des renseignements), à partir du 20 février courant, de 8 heures du matin à midi et de 2 heures à 5 heures du soir, aux prix ci-après pour chaque catégorie de places et pour les quatre représentations du même cycle.

Fauteuils d’orchestre 
 40 fr. par place
Premières loges (4 places) 
 160 »
Baignoires (4 places) 
 160 »
Balcon 
 40 » par place
Premières galeries 
 24 »  »
Secondes galeries 
 16 »  »
Avant-scènes, 2es galeries (6 places) 
 120 »  »

Parterres, 3 fr. ; 3es galeries, 1 fr. 50 ; 4es galeries, 0 fr. 80.

Les parterres, troisièmes et quatrièmes galeries seulement seront délivrées pour chaque représentation. Pour ces trois dernières catégories, on pourra néanmoins retenir la même place pour les quatre représentations de chaque cycle.

L’augmentation des prix est basée sur ce qu’il y aura plusieurs artistes en représentation.

Avis très important. — Les billets pris dans les bureaux municipaux seront seuls valables.

Aucune demande de place ne peut être garantie si elle n’est accompagnée du montant des places demandées.

Les plans du théâtre seront envoyés sur demande.

N.-B. — Si, pour cause de maladie d’artiste ou de tout autre cas de force majeure, une représentation ne pouvait avoir lieu, la Ville ne serait tenue de rembourser que le prix de la place retenue pour cette représentation.

Les représentations auront lieu aux dates ci-après :

Premier cycle : Le 5 ou 6 avril, L’Or du Rhin ; le 6 ou 7, Walkyrie ; le 7 ou 8, Siegfried ; le 9 ou 10, Le Crépuscule des Dieux.

Deuxième cycle : Le 12 avril, L’Or du Rhin ; le 13, Walkyrie ; le 14 ou 15, Siegfried ; le 16 ou 17, Le Crépuscule des Dieux.

L’administration se réserve le droit de changer ces dates à un jour près.

Nous espérons que, contrairement au bruit qui court, Mlle Janssen est au nombre des artistes en représentations engagés spécialement pour ces fêtes wagnériennes. Il nous semble invraisemblable que la municipalité songe à se priver du précieux concours de cette grande artiste que nulle autre ne saurait faire oublier. Du reste, en se plaçant uniquement au point de vue financier, l’administration municipale a pu se rendre compte de l’intérêt qu’elle a à ne pas remplacer Mlle Janssen par une autre artiste de la troupe alors même que celle-ci aurait chanté sur d’autres théâtres les principaux rôles de la Tétralogie.

Au sujet des représentations annoncées de la Tétralogie, le Salut Public fait les observations suivantes :

Nous nous faisons les interprètes d’un très grand nombre de nos lecteurs en demandant à la Ville de vouloir bien préciser cette information par l’indication de la distribution de l’œuvre de Wagner.

Les représentations de cette nature, qui ont lieu chaque année en Allemagne, à Bayreuth ou à Munich, sont généralement accompagnées de la liste des artistes qui doivent y figurer, et c’est ainsi également qu’on a procédé l’année dernière, à Bruxelles, où la Tétralogie a été donnée pour la première fois en français, au théâtre de la Monnaie. Il est du reste tout à fait légitime, qu’avant de retenir ses places, le public soit mis à même d’apprécier les conditions du spectacle qui lui est offert. »

Nous nous associons entièrement à cette observation très judicieuse de notre confrère.

La reprise de la Walkyrie aura lieu jeudi 18 février. Cette œuvre sera interprétée par M. Gauthier (Siegmund), Mme Mazarin (Sieglinde), M. Sylvain (Hunding), Mme Claessen (Brunnhilde), Mlle Domenech (Fricka). M. Daraux (en représentation) chantera le rôle de Wotan.

Nous ne voulons pas juger d’avance cette distribution, mais il est permis cependant de supposer qu’elle sera loin de valoir celle de la création (Grand-Théâtre, 4 janvier 1894) qui réunissait trois artistes de premier ordre : M. Lafarge (Siegmund), Mlle Janssen (Sieglinde) et Mme Fiérens (Brunnhilde) et qui était complétée par Mme Desvareilles (Fricka), M. Seintein (Wotan) et M. Sylvestre (Hunding).

LES CONCERTS

Concert Fauré

Le 8 février, le maître Gabriel Fauré a triomphé deux fois comme compositeur et comme interprète de sa musique, avec le concours de MM. Henri Marteau, Pahnke et Rehberg. Au programme, la sonate pour piano et violon (op. 13), déjà bien connue des mélomanes lyonnais, s’encadrait entre les quatuors en sol mineur (op. 45) et en ut mineur (op. 15), que le public de nos concerts a trop rarement occasion d’entendre. Les admirables œuvres, tout ensemble exquises et fortes, puissantes sans emphase, et dont l’élégante intimité est faite pour l’enchantement d’une élite ! Tout ce que ces mots : « musique de chambre » promettent de joies délicates, vous le trouverez là, ou nulle part. Il y a longtemps que l’on ne peut plus sans banalité, parler de charme à propos de M. Fauré. Ce qui fait la beauté paradoxale de ses quatuors, c’est qu’ils unissent à une parfaite clarté d’ordonnance cette grâce insaisissable que le magicien de la Bonne Chanson a répandue sur ses merveilleux Lieder. Écoutez, par exemple, les deux adagios, ces purs et profonds poèmes élégiaques ; le scherzo du 1er quatuor, dont les prestes ébats, traversés de lueurs lunaires, semblent se passer dans la forêt du Songe d’une Nuit d’Été ; et cet autre scherzo (quatuor en sol mineur) dont les rythmes inquiétants et fantasques enveloppent de leurs tourbillons tous les thèmes de l’allegro initial : est-il possible de plier les formes traditionnelles aux jeux d’une plus souple fantaisie ! Jusqu’en les subtils raffinements de son art, M. Fauré demeure un héritier des classiques. La tradition entre ses mains, devient si ductile, qu’il peut aller à la découverte des terres inconnues sans rompre jamais le fil conducteur.

Le jeu de M. Fauré ressemble à ses œuvres : son style sobre et d’une magistrale tenue, coloré sans recherche d’effets, animé d’une intime et persuasive émotion, console des outrances pianistiques que les solistes nous infligent trop souvent. J’ai souvenir d’avoir entendu dans le 2e quatuor un des plus célèbres pianistes français : comparé à celui de l’auteur, son jeu éblouissant et froid fait sentir quelle distance il y a d’un virtuose professionnel à un profond musicien.

MM. Henri Marteau (violon), Pahnke (alto) et Rehberg (violoncelle) doivent être associés à ces éloges pour leur exécution compréhensive et l’ensemble délicatement homogène qu’ils réalisèrent. Dans son interprétation chaleureuse et fine de la sonate, M. Henri Marteau a déployé une fois de plus les qualités de sonorité et de style qui lui sont habituelles.

L. A.

Concert Rinuccini-Geloso

MM. Rinuccini et Geloso ont donné lundi 8 février la deuxième séance de leur cycle de sonates de Beethoven pour piano et violon ; ils ont supérieurement joué la cinquième, la sixième et la septième sonates.

Ces trois sonates ont déjà été jouées à Lyon et très bien. Si, depuis vingt ans, neuf sur les dix sonates ont été exécutées en public, bien éphémère a été le passage de quelques unes sur les programmes, tandis que trois ou quatre s’y sont étalées avec obstination.

Chacune de ces sonates eût-elle été d’ailleurs jouée cent fois, que cela ne retirerait rien à l’originalité, ni à l’excellence de l’idée de MM. Rinuccini et Geloso. Il est indéniable qu’ils sont les premiers à nous faire entendre en trois séances la série complète de ces sonates. Personne n’y avait songé avant eux.

Dieu sait combien de fois depuis Habeneck chez Pasdeloup, puis chez Colonne et Lamoureux, les symphonies de Beethoven ont été jouées et rejouées à Paris. Il y a trois ans, à l’instar de ce qui se fait en Allemagne, les neuf symphonies furent données les unes après les autres au concert Lamoureux. Ce fut comme une révélation. On connaissait à fond chaque symphonie prie isolément. On ne soupçonnait pas la grandeur, la sublimité du monument constitué par l’assemblage de ces symphonies.

De même que les symphonies, les dix sonates piano et violon forment par leur réunion un bloc splendide. MM. Rinuccini et Geloso sont les premiers à présenter à notre admiration ce majestueux édifice. Le système qu’ils ont inauguré n’est-il pas la meilleure leçon de choses ? N’est-il pas autrement instructif que l’audition de deux ou trois de ces sonates, même précédée d’une savante conférence ?

Que ces deux excellents artistes ont donc eu raison d’adopter l’ordre chronologique ! C’est le seul logique ; ils auraient, en ne s’y conformant pas, commis une lourde faute.

L’intérêt qu’il y aurait à mettre en parallèle dans la même séance une sonate de la première et une sonate de la seconde manière est purement hypothétique. En voici la raison. Cette fameuse classification de l’œuvre de Beethoven en trois manières — que tout le monde connaît et qu’il est encore plus facile d’apprendre par cœur qu’une sonate — est assurément vraie dans ses grandes lignes. Elle se trouve fréquemment en faute quand on va au fond des choses.

Cette classification a répondu à une nécessité. Il a bien fallu placer quelques jalons dans cet immense domaine. Mais il faut bien se garder de prendre cette classification au pied de la lettre.

Il est, par exemple, inexact d’affirmer que toutes les œuvres de la première manière ne sont qu’une reproduction du style de Mozart. Sauf quelques exceptions, les œuvres de cette première manière portent l’indiscutable empreinte du style de Beethoven. En veut-on des exemples ? On n’a que l’embarras du choix. Le premier et le quatrième mouvements du trio en ut mineur (Op. 1, no 3) sont-ils, en bonne vérité, du pur Mozart ? N’appartiennent-ils pas à la seconde manière, aussi légitimement, sinon plus, que la huitième sonate, pour piano et violon (Op. 30, no 3). L’adagio de la troisième sonate pour piano et violon (Op. 12, no 3) ne présente-t-il pas plus manifestement le caractère de la seconde manière que l’allegretto scherzando de la huitième symphonie (Op. 93) ? etc. On pourrait citer encore une interminable liste d’exemples analogues.

Donc, l’ordre chronologique, dans l’exécution intégrale d’œuvres de Beethoven, d’une même catégorie, est le seul admissible. L’inspiration du Maître est si riche, si variée, que tout danger de monotonie pouvant résulter de l’audition, l’une après l’autre, de deux œuvres contemporaines, est écarté. Chacune des deux sonates de l’œuvre 12 ne possède-t-elle pas son allure bien personnelle ?

Il n’est que temps de parler de l’exécution des cinquièmes, sixième et septième sonates. Elle a été superbe. MM. Rinuccini et Geloso ont présenté des œuvres parfaitement mises au point. Les mouvements qu’ils ont pris sont les vrais. Ils ont rendu avec un intelligent discernement le caractère particulier de chaque sonate. Ces deux artistes possèdent l’un et l’autre, sur leur instrument, une maîtrise absolue. La sonorité de M. Rinuccini est à la fois puissante et d’un grand charme. M. Geloso a un vibrant tempérament d’artiste. On ne peut que souhaiter à tous les pianistes un mécanisme aussi souple et aussi brillant.

La salle entière a chaleureusement applaudi acclamé et rappelé MM. Rinuccini et Geloso.

Ce n’était que justice.

S.

Concert Mauvernay

Il serait vraiment décourageant d’organiser des concerts populaires, analogues à la belle séance, donnée la semaine dernière, par Mme Mauvernay, si l’on ne savait qu’un tel but : éduquer la masse, par l’audition et l’explication des grands chefs-d’œuvre de la musique, est destiné à demeurer encore longtemps dans le domaine de l’utopie, tout en conservant, d’ailleurs, la fière élégance d’un geste noble et charitable. Il n’en demeure pas moins avéré que le peu d’empressement apporté par la population lyonnaise à encourager et soutenir des manifestations artistiques d’un ordre indiscutablement élevé, n’est pas fait pour reconquérir à notre vieille cité la réputation de bon goût et de culture musicale, que d’aucuns ne se font pas faute de lui refuser. Je ne parle pas seulement des séances classiques, dites de musique de chambre, qui ne peuvent guère être suivies et goûtées que par une élite, en raison du coût élevé des places et du caractère éminemment sérieux, souvent aride, qu’elles présentent. Pour remplir une salle, dans de telles conditions, il faut ce que le vulgaire dénomme judicieusement un « numéro sensationnel », de préférence un pianiste réputé ou un chanteur émérite. Mais il est un genre de concerts, et j’en reviens ainsi au point de départ de cette digression, car l’audition de Mme Mauvernay rentre dans cette catégorie, dont les Lyonnais ont le loisir, depuis quelques années, de goûter le haut enseignement et la profonde protée artiste : je veux parler des auditions, organisées par la Schola de Paris, et, depuis un an, par notre chère filiale lyonnaise, séances qui n’obtiennent, ni moralement, ni matériellement, le succès qu’elles méritent[1]. Quelles sont les causes de cette défaveur, de cette indifférence incroyable du public, j’entends du gros public, non des snobs, ni des vrais artistes, à l’égard de manifestations musicales, s’adressant à tous les épris de beauté, quels que soient leurs goûts, leurs préférences (les programmes comportent des œuvres de toutes écoles, pourvu que la musique en soit bonne), quel que soit surtout leur niveau social ? Sans qu’aucune solution acceptable se présentât, l’inquiétante énigme se posait et s’imposait, l’autre semaine, à mon esprit, pendant que je considérais la salle des Folies-Bergère, où se trouvait rassemblée une assistance, certes, des plus distinguées, mais précisément trop élégante et insuffisamment nombreuse, chaude, enthousiaste, pas assez « peuple », en un mot. Le Concert organisé par le distingué et très aimable professeur de notre Conservatoire, rentrait complètement dans la note des plus belles auditions de la Schola, auxquelles je faisais allusion, plus haut, et justifiait complètement la noblesse de son titre de Concert populaire, aussi bien par le bon marché des places que par le choix judicieux et la variété des œuvres portées au programme, dont nul numéro fâcheux (sauf peut-être les dernières pièces, jouées par Mme Panthès) ne déparait la magistrale ordonnance.

Je sais bien, que Lyon est, en ce moment débordé de concerts, que c’est toujours aux mêmes portes que l’on frappe, enfin que le Grand-Théâtre faisait, ce soir-là, salle comble avec l’admirable Louise Janssen, dans le Crépuscule des Dieux, et que la population de notre ville ne peut, le même jour, alimenter deux foyers artistiques. Alors, vous répondrai-je, comment expliquer — sinon par l’impétuosité des bas instincts de la foule — que chaque jour voit s’élever les magnifiques recettes de l’Horloge ou du Casino, où défilent, en des revues luxueuses, de scabreux tableaux, galamment encadrés de décolletages suggestifs et pimentés de déshonnêtes calembours ? Il n’est donc point de milieu, pour le bon peuple : le gros rire et la vile plaisanterie du café-concert, ou les arcanes sombres de la Tétralogie ?

Éducation populaire, fraternité artistique des diverses couches sociales ! Chimère et nobles billevesées ! Et pourtant, j’y crois fermement, à la réalisation de cette admirable utopie ; mais la Tétralogie ne sera pour rien dans cette lente pénétration du Beau parmi les instincts grossiers de la foule. Bach, Beethoven, Franck et D’Indy suffiront, avec l’énorme monument de leurs œuvres, d’une si large et si expressive bonté, l’humanité éternelle des Cantates, la magnificence des Oratorios d’Haëndel, le mysticisme de la Rédemption, les symboles vibrants du Chant de la Cloche et de l’Étranger. Mais sachons commencer par le début, les Symphonies classiques, celles de Beethoven, notamment, pilier et base de toute musique, après le grand Jean-Sébastien Bach et avant Schubert, Schumann et les délicieuses mosaïques du lied moderne.

Quant au Crépuscule, si vous le voulez bien, nous attendrons à plus tard, avant d’y envoyer nos domestiques ; le temps consacré à l’étude des maîtres, que je viens de citer, ne sera pas perdu, croyez-moi. Aussi bien, sera-ce toujours une distraction des jours de paye, d’aller contempler — suivant l’ingénieuse remarque de mon spirituel ami, Edmond Locard — les incartades du cheval Grane (du Cirque Rancy) devant le Walhall flamboyant, ou les aptitudes diverses du bétail de l’Anneau du Nibelung

Le concert de Mmes Mauvernay et Panthès correspond assez bien au programme éducateur, que je me permettais de tracer il y a un instant. Ces artistes ne doivent pas seulement être félicitées et remerciées pour la beauté des œuvres qu’elles nous firent entendre ; l’interprétation fut digne de la composition. Je ne ferai pas à Mme Panthès l’injure de comparer son prestigieux mécanisme à celui de Pugno, de Diémer ou de Planté, virtuoses à qui cette noble artiste ne doit rien envier, sur ce point peu intéressant, d’ailleurs. Il est, pour de telles sommités musicales, un autre critérium que le nombre de notes, d’arpèges, d’octaves etc., exécutés à la seconde, je veux parler du tempérament artistique, de la compréhension de l’œuvre, qui font de l’interprète un collaborateur original, presqu’un créateur. Or, entendre Mme Panthès jouer le Carnaval de Schumann (certaines parties, plus fantaisistes : Valse noble, Papillons, Reconnaissance, etc. en furent spécialement bien rendues, la Toccata et fugue, de Bach-Tausig, et surtout la Mort d’Isolde et la xiie Rhapsodie hongroise (exécution idéale, de lyrisme et de coloris) — c’est précisément assister à l’une de ces magiques transformations, qui ressemblent à de véritables enfantements. Il ne fut pas besoin aux auditeurs de Mme Panthès d’apprendre sa nationalité russe, par les aimables renseignements du programme : la puissance descriptive du jeu, les qualités de coloris vibrant, et d’ardeur, qu’atténue une langueur morbide et passionnée, due à l’influence d’un Orient proche, et que traduit merveilleusement la physionomie constamment en éveil de l’artiste souffrant et aimant avec la musique qu’elle interprète, suffisaient à éclairer l’auditeur attentif, le spectateur curieux.

C’est avec sa diction toujours impeccable minutieuse, que Mme Mauvernay a chanté de charmantes Canzone de Tenaglia et d’Haëndel, pages discrètes, d’un archaïsme aimable et parfumé. La voix de {{Mme|Mauvernay est vraiment fort belle, d’un timbre vibrant et riche en inflexions caressantes ou volontairement dures, suivant le lied interprété. Je ne reviendrai pas, aujourd’hui, sur les nostalgiques et délicates mélodies de notre excellent collaborateur A Mariotte. Je consacrai, jadis, dans cette même Revue, un article bibliographique aux Trois Sonatines d’Automne de ce musicien distingué[2], je ne puis qu’y renvoyer le lecteur curieux et m’associer pleinement aux applaudissements unanimes qui accueillirent Crépuscule candide et Caresses tristes, interprétées excellemment par Mme Mauvernay et l’auteur.

Avec « Toccata et Fugue », pour piano, Bach était représenté par une de ses œuvres les plus admirables, la cantate « Ich habe genug » pour une seule voix. Le vieux Cantor qui a écrit lui-même le poème de cette composition, y voulait exprimer à la fois le désir du ciel et la lassitude de l’existence terrestre. De là, une rare unité de sentiment, dans cette œuvre, qui commente les paroles inspirées et les aspirations sublimes du vieillard Siméon, mettant en musique un texte de son cantique « Nunc dimittis » Au saint vieillard, il suffit, pour satisfaire à l’espoir de toute une vie, d’avoir tenu pendant quelques instants le Sauveur dans ses bras et de l’avoir vu. Cette douce paix, cette confiance intime, Bach les connut toute son existence, pour en avoir éprouvé l’avènement dans son cœur : sans cesse la pensée de s’endormir au Seigneur guida sa vie. Aussi n’est-ce pas une œuvre composée à jour fixe et pour une date prescrite qu’il nous présente.

Cette cantate, destinée à la purification de la Vierge de 1731 ou de 1732, comprend des fragments plus anciens, tels qu’un air dédié à sa seconde femme, Anna-Magdalena Wülken, et écrit pour elle une tierce plus haut, dans le livre de musique qu’il lui dédia en 1725. C’est l’air, le seul, hélas, que M. Frölich nous ait fait entendre de cette belle œuvre. « Schlummert ein ihr matten Augen » d’une expression émue et profonde ; M. Frölich en fit ressortir admirablement la noblesse mélancolique et la ligne pure, grâce à cette voix chaude et surtout à ce style, d’une irréprochable ampleur, qui placent l’excellent baryton parmi les premiers solistes de concert de l’époque. « Le Soldat » n’est peut-être pas une des meilleures compositions de Schumann ; par contre Fauré a su mettre, dans son exquise paraphrase de l’ « Automne » toute l’élégance triste et les ors atténués des feuilles qui tombent et des arbres qui se dénudent. M. Frölich a chanté ces deux lieder et une assez médiocre « Sérénade » de Tchaikowski, avec toute la compréhension et la sincérité d’un grand artiste. Quant aux nombreux profanes, qui s’imaginent encore que le rôle d’accompagnateur est une tranquille sinécure, dévolue aux ratés du virtuosisme, je leur conseille d’aller entendre Mlle Rabut : ils jugeront quelle conscience et quel talent il faut déployer, pour s’assimiler à ce point la pensée des maîtres et collaborer avec une telle autorité à l’impression générale, dégagée par une audition, d’un si remarquable niveau artistique.

Henry Fellot.

Concert Malats

Vendredi soir 12 février a eu lieu le troisième concert de la Société lyonnaise de musique classique. M. Malats a donné un récital de piano.

Il s’est montré virtuose extraordinaire et, ce qui est bien mieux, artiste dans la vraie et large acception du mot. Il fait de son mécanisme qui est prodigieux, le docile serviteur des intentions des maîtres. Son unique idéal est de faire comprendre et sentir les beautés des œuvres qu’il interprète.

Dès les premières mesures de l’allegro assai de la sonate appassionnatta (op. 57) — composée presque aussitôt après la Symphonie héroïque (op. 55) — M. Malats s’est imposé par la netteté, la vigoureuse précision de son jeu. Il n’a pas tarder à prouver, qu’à ces qualités essentielles, il sait joindre de la chaleur et de la passion.

Le thème de l’andanto con moto a été rendu avec une telle douceur, chaque note était si bien tenue et si parfaitement liée avec sa voisine que l’on éprouvait presque l’illusion d’un orgue.

Dans les variations la partie chantante a toujours été lumineusement mise en dehors. En même temps les enjolivements tantôt plus, tantôt moins rapides étaient clairement perçus dans leurs moindres détails.

Le final allegro ma non troppo a été enlevé avec une maestria incomparable, une ardeur communicative, une vivacité surprenante. Jamais ce final n’a été rendu à Lyon d’une façon aussi remarquable.

Les Études Symphoniques (op. 13) sont en réalité 12 variations écrites en 1837 par Schumann sur un thème en ut mineur composé par un amateur. Elles sont aussi belles que difficiles. On ne s’est rendu compte que de la beauté spéciale à chaque variation, admirablement mise en lumière. Dans la douzième variation en ré bémol en forme de marche, M. Malats a dépensé un entrain et un brio stupéfiants.

Une personnalité musicale très éclairée de notre ville était, à la sortie du concert, d’avis que M. Malats joue le Chopin avec une mesure trop rigoureuse. Ne faut-il pas plutôt voir dans cette absence de relâchement du rythme, une louable réaction contre certaines interprétations par trop capricieuses ? Il faut de la fantaisie dans le Chopin mais sans exagération. Ce qu’il y a de certain c’est que M. Malats a bien romantiquement rendu la grâce languissante, le charme douloureux, la morbidezza des trois pièces de Chopin. Comme il sait faire chanter son piano !

La Campanella de Liszt est une fantaisie de bravoure sur la Clochettes de Paganini. Il semble que l’imitation de la clochette soit mieux réalisée par le piano que par le violon. Sous les doigts habiles de M. Malats, certaine note tintant dans l’aigu, imitait la clochette à s’y méprendre.

Le succès de M. Malats a été considérable. Cet éminent artiste a bien voulu ajouter au programme deux pièces de Domenico Scarlatti qu’il a ingénieusement soudées ensemble.

L’accueil enthousiaste du public lyonnais a ratifié la décision du jury qui a décerné à M. Malats le prix Diémer et l’a classé au nombre des plus grands pianistes vivants.

S.

Voici le programme du grand concert qui sera donné au Casino par l’orchestre Lamoureux, sous la direction de M. Camille Chevillard, le mardi 1er mars.

1re Partie : Ouverture de Benvenuto Cellini de Berlioz ; Cinquième Symphonie de Beethoven ; prélude de Tristan et Isolde et Mort d’Isolde de Wagner ; ouverture de Tannhauser.

2e Partie : Roméo et Juliette de Berlioz (2e, 3e et 4e parties) ; ouverture de Léonore no 3 de Beethoven ; Marche hongroise de la Damnation de Faust de Berlioz.

La location pour ce grand concert est ouverte chez M. Dulieux, éditeur de musique, 98, rue de l’Hôtel-de-Ville, jusqu’au 27 courant.

Le même concert sera donné le 29 février à Genève.

Dimanche prochain, 21 février, troisième concert Marteau.

Au programme : Quatuor en mi-bémol (no 12, op. 127) de Beethoven et Quatuor de E. Jacques-Dalcroze.

(Location chez MM. Janin, éditeurs de musique, 10, rue Président-Carnot).

  1. La récente, et pourtant, si belle exécution de la Schola lyonnaise en est un exemple aussi regrettable que concluant.
  2. Voir Revue Musicale de Lyon du 17 novembre 1903 (no 5).