Revue Musicale de Lyon 1904-01-26/Chronique lyonnaise

Chronique Lyonnaise

LES CONCERTS

La Schola Cantorum Lyonnaise

Nous arrivons un peu tard après tous nos confrères de la presse quotidienne et hebdomadaire pour parler du concert donné mercredi dernier par la Schola Cantorum lyonnaise sous la direction de M. Georges Marty, chef d’orchestre de la Société des concerts du Conservatoire de Paris. Nous sommes du reste tout particulièrement heureux de constater le succès magnifique remporté par cette jeune société. Ce succès, dû aux bonnes volontés de tous, combinées par l’ardente énergie de notre ami et collaborateur G. M. Witkowski, fut du reste bien justifié : Tout le monde a reconnu la belle tenue des chœurs d’amateurs, leur vaillance, leur solidité jointe à un juste souci de l’expression, leur courage et leur homogénéité, en même temps que les qualités vraiment remarquables de l’orchestre de la Schola.

Car la Schola a depuis cette année un orchestre — et aussi un orgue — à elle ; celui-là est composé de professionnels et d’amateurs et parmi eux se trouvent des artistes de tout premier ordre comme M. Fargues, Mlle Roussillon-Millet, MM. Mariotte, Faudray et bien d’autres.

Nous n’avons pas à revenir sur les œuvres exécutées mercredi dernier. Nous avons, dans le précédent numéro de notre Revue, analysé les principales et il y a peu de choses à dire de l’air d’Orphée’’, bien connu et consciencieusement rendu par la belle voix de Mme Marty et des cantiques de Bach, si intensément expressifs et de lignes si pures, très bien chantés par Mlle Éléonore Blanc.

Dans le concert presque unanime d’éloges, adressés à la Schola, nous relèverons pourtant une note discordante. Un journal spécial se plaint amèrement de l’insuffisance de voix d’hommes. Bien qu’il ne soit pas dans nos habitudes de faire la critique des critiques de nos confrères, nous nous permettrons, pour une fois, de discuter cette opinion en raison de l’importance considérable et de la diffusion énorme du journal « organe du mouvement artistique et orphéoniste de la région lyonnaise » qui s’en fait l’écho. Notre confrère, dans un compte rendu d’une bienveillance d’ailleurs très marquée, affirme que les chœurs comptaient mercredi « une douzaine de ténors (dont quelques-uns ne semblent être que des barytons) et quinze basses à peu près pour lutter contre une centaine de dames. » Oserons-nous remarquer que ce bilan n’est pas tout à fait exact ? Il y avait sur l’estrade — très exactement — vingt et un ténors et trente et une basses.

En se basant uniquement sur le nombre des voix, il est facile de constater que l’équilibre est très satisfaisant, si l’on admet avec notre confrère — ce qui d’ailleurs est discutable — que « sur les 100 choristes dames, il n’y en ait guère que la moitié qui chantent, le reste se contentant de faire, devant l’orchestre, un rideau très gracieux assurément, mais peu acoustique. »

Du reste, de l’avis général, le grand progrès que marque le concert de mercredi sur le premier donné par la Schola réside précisément dans l’obtention de cet équilibre qui avait fait quelque peu défaut l’an dernier dans l’exécution de la cantate « Bleib bei uns » et des fragments d’Hippolyte et Aricie. Peut-être les ténors pourraient-ils faire preuve de plus de vaillance, mais leur partie se perçoit pourtant sans peine ; quant à la partie de basse, elle est solidement tenue et n’est à aucun moment couverte par celles des soprani et des alti.

Notre confrère fait un autre reproche à la Schola : c’est d’avoir choisi, parmi les nombreux oratorios de Hændel, Samson, œuvre relativement peu connue, au lieu du célèbre Messie ou d’Israël en Égypte. Nous estimons, au contraire, ce choix excellent, et la Schola, à notre avis, a eu grandement raison de ne pas suivre les errements habituels aux musiciens qui nous révèlent toujours les mêmes œuvres et à qui nous devons, par exemple, d’avoir entendu cent fois la Sonate à Kreutzer, alors que, à Lyon, nous n’avons jamais vu, sur un programme de musique de chambre telle autre sonate (la dixième) de Beethoven…

M. Georges Marty s’est, en deux répétitions rendu complètement maître de l’orchestre et des chœurs sérieusement exercés depuis plusieurs semaines par M. Witkowski, l’éminent directeur de la Schola à qui sa profession ne permet pas malheureusement de prendre part officiellement aux concerts de la Société. M. Marty, dans sa direction, a été d’une précision et d’une netteté admirables et il ne saurait être rendu responsable des seuls défauts reprochés à l’orchestre : la lourdeur des contrebasses, et les couacs des trompettes, cette dernière imperfection, à vrai dire, étant imputable moins aux instrumentistes eux-mêmes qu’à la difficulté extrême des parties écrites par Haendel.

La présence de M. Marty est d’autre part une victorieuse réponse aux très rares adversaires de la Schola qui prétendaient l’an dernier que la nouvelle société était dirigée contre le Conservatoire.

On a tout particulièrement admiré l’excellente exécution de l’ouverture d’Idoménée et de la Pastorale de l’oratorio de Noël de J. S. Bach avec ses alternances si curieuses et si belles du quatuor et des hautbois.

Comme l’ont remarqué tous nos confrères, le concert de mercredi dernier consacre en somme définitivement la Schola dont la vitalité s’affirmera de nouveau aux deux prochains concerts : le premier dirigé par le Maître Vincent d’Indy et dont le programme comportera des fragments d’Alceste de Gluck et une partie du Chant de la Cloche ; le second dirigé par M. Guy-Ropartz, l’éminent compositeur et chef d’orchestre qui a donné au Conservatoire de Nancy une si forte et si moderne impulsion.

Léon Vallas.
Quatuor Bolonais

Le célèbre quatuor bolonais, attendu l’hiver dernier et empêché au dernier moment par une maladie du premier violon, s’est fait entendre vendredi soir. Programme excellemment choisi ; une œuvre de haute valeur de l’école russe moderne précédant deux chefs-d’œuvre classiques.

Le quatuor en la (op. 10) de Glazounow n’avait pas encore été joué à Lyon. Il s’est imposé par le charme et le pittoresque des thèmes, le coloris et la richesse harmonique, la variété et l’originalité des rythmes. Le scherzo et l’adagio molto ont été particulièrement goûtés. Cette œuvre d’intense couleur locale et de parfaite clarté mérite de prendre place dans le répertoire de nos quartettistes amateurs.

Le quatuor en la mineur de Schumann (op. 11 no 1) et le quatuor en ut majeur de Beethoven (op. 59, no 3), sont universellement connus et admirés.

Comment le quatuor bolonais a-t-il interprété ces trois œuvres ?

Dans les deux premiers mouvements du quatuor de Glazounow la justesse ne fut pas irréprochable. Un la consciencieux fut repris par les quatre instrumentistes et cette légère imperfection ne fut plus sensible. Malgré cette petite anicroche, le quatuor de Glazounow fut rendu de fort satisfaisante façon. Le public fit un chaud accueil à l’œuvre et applaudit ses interprètes.

L’exécution du quatuor de Schumann a été excellente. Peut-être l’adagio n’a-t-il pas été dit avec toute la largeur requise. Le presto final a été magnifiquement enlevé. Vif succès.

Le quatuor de Beethoven — Helden quartett — a été encore mieux interprété. Le plaintif andante con moto quasi allegretto a été rendu avec l’émotion voulue. La gigantesque fugue terminale, jouée avec une fougue endiablée a produit, malgré une sonorité insuffisamment généreuse, une impression colossale. Les quatre artistes bolonais ont été applaudis, rappelés et c’était justice.

On s’attendait généralement à rencontrer dans un quatuor italien une sonorité plus ample et plus moëlleuse. À de très rares moments une réelle sécheresse de jeu, notamment chez le premier violon, a causé quelque étonnement. N’est-il pas probable que ces quatre consciencieux artistes, dans leur désir d’acquérir la correction, la précision exigées par la musique classique, ont fait des efforts énergiques et persévérants pour se dépouiller des deux principaux défauts habituellement reprochés aux virtuoses de leur pays : le bel canto trop langoureux, d’une part, et une exubérance trop fantaisiste dans les traits vifs et rapides, d’autre part ? Ils ont un peu dépassé le but. Tels qu’ils sont, ils constituent une phalange artistique d’un grand mérite. Qu’ils compriment un peu moins l’essor de leur tempérament expansif et ardent, ils seront parfaits.

Nous rendrons compte dans notre prochain numéro de la première SÉANCE DE SONATES donnée hier soir par MM. RINUCCINI et GELOSO.