Revue Musicale de Lyon 1904-01-12/Les Musiciens lyonnais

NOTES ET DOCUMENTS POUR L’HISTOIRE DE LA MUSIQUE À LYON

Les Musiciens Lyonnais

ET LE ROY DES VIOLONS

Avant d’aborder l’examen des rapports, toujours aigres, qui ont existé entre les musiciens lyonnais et le Roy des Violons’’, il ne nous semble pas inutile de rappeler en peu de mots ce qu’était ce dernier.

En 1321, les ménétriers de Paris, concentrés dans un quartier spécial, la rue au Jugléeurs, se réunirent en corporation, autant pou assurer la conservation des bonnes traditions musicales que pour monopoliser entre leurs mains les profits du métier. Dirigée d’abord par des jurés, cette association ne tarda pas à mettre à sa tête un chef, qui prit ou conserva le titre déjà consacré par l’usage de Roy des Ménestrels. Dès son origine, cette corporation sut prendre un essor et une importance considérables, dont l’accroissement ressort aussi bien des termes de ses règlements successifs que de la qualification et des pouvoirs accordés à son chef. Déjà, au xive siècle, ce dernier s’intitule Roy des menestriers du Royaume de France, titre qui lui est officiellement reconnu dans de nouveaux statuts confirmés par le Conseil du Roy en 1407, à la demande, y est-il dit, des musiciens de Paris et aultres de nostre Royaume. Cette affirmation, très certainement risquée, dénote l’intention bien arrêtée du chef de la corporation d’étendre sa juridiction au delà de la capitale. Son pouvoir territorial et sa compétence allèrent croissant jusqu’en 1658, mais à partir de cette époque, sous les coups réitérés des organistes, des professeurs et des compositeurs, et par suite des privilèges accordés aux bandes de violon du Roi et à l’Académie de danse, le Roy des Violons dut revenir peu à peu au titre de Roy des Ménétriers et des joueurs d’instruments à danser, alors que ceux-ci n’occupaient plus qu’un rang secondaire dans l’échelle des musiciens. Aussi, le violoniste Guignon, le dernier pourvu de l’office, en arriva, après une lutte aussi acharnée que stérile, à résigner en 1773, un titre qui ne comportait plus aucun pouvoir sérieux.

Le Roy des Violons était chargé de maintenir la police du corps ; il jugeait tout ce qui concernait l’exercice de la profession, délivrait des brevets de maîtrise, fixait la durée et les conditions d’apprentissage, et, enfin, percevait des taxes et des amendes, dont une part lui appartenait, et dont le surplus passait soit à l’hospice de Saint-Julien, fondé par les Ménestrels, soit au fisc. Cette dernière destination était la grande force de la corporation, pour obtenir des pouvoirs publics la confirmation et l’accroissement de ses privilèges, en dépit des protestations de tous genres, que ne tardèrent pas à formuler les musiciens.

La première conséquence de l’extension de la juridiction territoriale du Roy des Violons, fut la faculté de se choisir des lieutenants, qui exerçaient soit directement, soit encore par des substitués, les pouvoirs de leur commettant, non sans en retirer pour eux un bénéfice : les exactions de ces subalternes furent certainement la principale cause des attaques dirigées, sans relâche, contre l’institution, à partir du xviie siècle.

Il est fait mention des députez du Roy des Violons dans les statuts de 1407, que l’acte de confirmation rend obligatoires par tout le Royaume, sans que toutefois, il y soit porté aucune disposition spéciale pour les musiciens de Province. Ce n’est guère qu’en 1658 et en 1747 que les droits et surtout les obligations de ces derniers furent indiqués d’une façon expresse, dans les villes Majeures (Lyon en était), l’aspirant doit subir l’épreuve devant le lieutenant, payer un droit de maîtrise et de confrérie.

Le premier lieutenant, dont on connaisse le nom, est un nommé Nicolas Hestier, qui, en 1508, avait dans sa juridiction la Touraine. On va voir que les musiciens de Lyon ne tardèrent pas à être aux prises avec un personnage analogue[1].

Il est à croire que si ce délégué et tous ceux qui, dans la suite, soutinrent des prétentions pareilles, eussent été Lyonnais, ils ne se fussent pas exposés à payer leurs charges pour courir après un profit aléatoire. Enfants de notre cité, ils auraient connu avec quel soin jaloux étaient défendus les privilèges de la ville. Ils trouvèrent en effet, pour leur résister, non seulement les musiciens, mais le consulat, conservateur des droits locaux, dont la concession n’était pas sans lui coûter cher.

La première trace de la lutte remonte en 1517 et se trouve consignée dans un mandement de 6 liv. à payer à sieur Pierre Laurencin pour la vuydange de procès des eulx-disant roy et maîstres jurés labourins. Le litige était pendant, en la cour de la Sénéchaussée, entre : Jehan d’Escosse, soi-disant roy, et certains nommés Petit-Jehan le Rebequet, Mochet[2]et certains autres leurs consorts eulx-disans maîstres jurés de l’art de tabourin et ménéstriers de la dite ville, d’une part ; et les conseillers de la ville, pour intérêt de la chose publique, d’autre part. Le Roy des Violons avait profité d’une attaque dirigée contre les privilèges du travail à Lyon, pour introduire ses lieutenants et ses prétentions dans la place.

Dans ce litige, le consulat, tout en sauvegardant les privilèges municipaux et l’intérêt des musiciens, servait aussi celui des amateurs de musique, qui se heurtaient à un tarif fort élevé fixé, à son appétit, par sa majesté ménestrière.

La sénéchaussée donna gain de cause aux Lyonnais, mais l’affaire fut envoyée au Parlement, où elle eut vraisemblablement le même sort.

Indépendamment de son intérêt local, le document visé permet de combler en partie une lacune de plus d’un siècle, qui existe dans la dynastie violoneuse.

En effet, ni M. Bernhard, ni, après lui, M. d’Auriac ne citent aucun Roy des Violons, entre Jehan Facien (1422) et Roussol (1572). Jehan d’Escosse prendrait place entre les deux[3].

La tranquillité de nos musiciens ne fut pas bien longue : cette fois, le péril les englobait avec tous les corps d’état et métiers de la ville. Dans un but fiscal, Henri iii ordonna en 1581 l’établissement de maîtrises dans les Villes du Royaume non jurées : les joueurs et faiseurs d’instruments de Lyon furent taxés d’un droit de deux écus, modéré à deux tiers en 1597. On peut penser si le consulat s’opposa à la publication de ces édits, sans pouvoir toutefois obtenir satisfaction avant 1606.

En 1625, Louis Constantin, qui venait d’obtenir de Louis xiii, le titre de Roy et maîstre des menestriers et de tous les joueurs d’instruments tant hauts que bas du Royaume, se crut assez fort pour relancer les musiciens de Lyon et les obliger à prendre des lettres de maîtrise. Toujours sans succès.

Moins de quarante ans après, la lutte recommence : Guillaume Dumanoir avait obtenu en 1657, sans financer, en récomoense de son talent, la charge de Roy des Violons. Cet honneur et un succès qu’il venait d’obtenir sur les maîtres de danse lui firent juger le moment propice pour étendre sa domination. À cet effet, il délégua ses pouvoirs à un nommé Pierre Raymond, dit la Violette, maître joueur d’instruments de Lyon, qui ne craignit pas de tenter un nouvel et dernier effort contre ses confrères. Le procès battait son plein en 1660, entre : « le Prévost des Marchands et les Échevins de la Ville de Lyon intervenant dans l’instance entre Pierre Raymond dit La Violette maistre joueur d’instrumens de ladite Vîlle, et la communauté des maistres joueurs d’instrumens, au sujet de prétendues lettres de lieutenant de Roy des Violons de la Ville de Lyon, obtenues par ledit Raymond, qui vouloit s’y faire recevoir en cette qualité. » Nos archivistes ont conservé trace du volumineux dossier de cette instance, pour laquelle on s’était entouré de tous les documents propres à éclairer la justice : copies de lettres-patentes, édits, règlements, sentences judiciaires, bref tout un arsenal de pièces, au moyen desquelles, les sieurs Pirodon et Lathoud dressèrent au nom du Consulat un assez fade mémoire. Nous n’en retiendrons que les deux points suivants qui nous fourniront l’objet d’études postérieures :

L’on ajouctera encore que, outre que l’on choquerait la liberté publique, l’on heurterait la Charité, en ce que de temps en temps, il y a des pauvres renfermés qui, ayant appris à jouer du violon, estant en âge de raison, sortent de ladite Charité et gagnent leur vie dans la Ville en jouant de leurs violons, ce qu’ils ne pourraient faire, etc. etc.

En faisant ledit établissement (celui de la jurande) l’on détruirait une confrérie desdits joueurs d’instrumens introduite de tous tems, qui a des privilèges et des indulgences, et anéantirait les règlemens qui ont été par vous Messieurs (du Consulat) autorisés.

Le rôle des Recteurs de l’aumône générale dans l’étude de la musique, et la confrérie des Musiciens lyonnais sont deux sujets à traiter.

Ce fut le dernier assaut donné à nos musiciens : du reste le Roy des Violons avait bien assez à se défendre. Sa royauté et ses privilèges étaient attaqués en vertu du principe même qui avait été la base de leur création. Les ménestrels du xive siècle s’étaient réunis pour sauvegarder par des réglements la dignité et les bonnes traditions de l’art, mais envisagée sous un autre aspect, que les organistes, professeurs de musique et compositeurs, voulaient se soustraire à la juridiction de ceux qu’ils appelaient Menetriers, c’est-à-dire musiciens d’un ordre inférieur.

Pour que les revendications des musiciens fussent si réitérées et si opiniâtres, il fallait que le régime, réclamé par eux, eût de grands avantages, et par suis l’on devrait supposer que les cités affranchies des maîtrises et jurandes aient attiré dans leur sein l’élite des virtuoses. Il n’en fut rien pour Lyon.

Le xvie siècle, alors que le pouvoir du Roy des Violons était assez peu assuré, peut fournir une brillante phase de l’histoire musicale de notre ville, résultat d’une double influence : d’abord, l’arrivée des musiciens italiens, qui suivaient la fortune de leurs riches compatriotes, puis le protestantisme, qui voulut étendre sa réforme sur le culte comme sur le dogme. Il lui fallut une musique nouvelle pour chanter ses psaumes, et c’est à Lyon, qu’elle trouva ses théoriciens et ses praticiens les plus remarquables. Après cette période, Lyon ne prit plus guère le souci, que de mettre ses célébrités musicales au monde, pour les voir briller ensuite dans

la capitale.
G. Tricou.

Nous continuerons dans notre prochain numéro la publication de l’étude de M. Daniel Fleuret, professeur au Conservatoire, sur la littérature de l’Orgue.

    1. Musiciens ##
  1. V. Bernhard ; dissertation sur la corporation des Ménétriers ; et D’Auriac : La corporation des Ménétriers.
  2. Petit Jehan le Rebequet (1507-1547) ménestrier, était natif de La Baume en Viennois, il figure comme musicien au banquet offert aux ambassadeurs suisses en 1547.

    Jean Quille dit Mochet, taborineur, figure dans les pièces d’archives depuis 1507. Il fut inhumé à Saint-Paul en 1524. Le quartier Bourgneuf était le centre des bandes de musiciens.

  3. Dans une liste des Officiers domestiques de l’Hostile de Madame Loyse et Charlotte de France, fille du Roy François Ier, du 1er  octobre 1516, au dernier May 1517, figure, Jehan Grand dit d’Escosse, joueur de musette.