Revue Musicale de Lyon 1903-12-29/Nouvelles diverses

Nouvelles Diverses

Nous lisons dans le Daily Mail :

La représentation de Parsifal a eu lieu, la veille de Noël, à l’Opéra métropolitain de New-York. C’est la première fois que cet opéra a été joué ailleurs qu’à Bayreuth. Le spectacle, auquel ont assisté sept mille personnes, a duré sept heures. Les critiques déclarent qu’il a eu un caractère moins impressionnant qu’à Bayreuth.

En réponse aux appels d’un public enthousiaste, M. Conried, directeur de l’Opéra, a prononcé un discours. Jamais on n’a vu aux États-Unis une assistance plus émue. Toutefois, on ne trouve pas que l’œuvre ait grand charme.

Le Sun, don’t les critiques musicales passent pour les meilleures, dit que Parsifal est l’enfant de la décrépitude artistique de Wagner : « La mise en scène est imposante, mais non pas la musique. »

Le 18 décembre dernier a été représenté à Elberfeld un opéra intitulé Zlatorog. La musique est due au compositeur Rauchenecker, né en 1844 à Munich, et qui, avant de s’établir comme chef d’orchestre à Elberfeld, aurait été violoniste au Grand-Théâtre de Lyon. Nous serions heureux si quelqu’un de nos lecteurs se rappelait cet ancien artiste de notre orchestre et nous confirmait son passage à Lyon.

La Semaine, journal d’Anvers, constate que Guillaume Tell a fait au Théâtre Royal, 147 fr. 65 de recettes.

Il ne nous est pas désagréable de constater que les Lyonnais ne sont pas les seuls à se désintéresser des chefs-d’œuvre du Répertoire.

Le compositeur Qui vient de donner une partition très réussie pour Mademoiselle Fifi, pièce tirée, comme on sait, de la nouvelle de Maupassant, et déjà représentée en russe au Théâtre international, par Mme Yavorskaïa. C’est le Théâtre de l’Hermitage qui a monté cet opéra. C’est une tentative d’opéra réaliste qui a été très bien accueillie du public. Le thème paraîtra sans doute se peu prêter à l’inspiration musicale et cependant, d’après les critiques du cru, le compositeur semble avoir heureusement surmonté toutes les difficultés en mêlant les scènes les plus joyeuses aux épisodes les plus dramatiques.

Le directeur du théâtre de l’Hermitage est M. Mikhalovski, un riche fabricant, y dépense 125.000 francs par an. Il cumule, du reste, son emploi en jouant les rôles les plus difficiles et souvent écrit les pièces.

Une opinion de Berlioz sur les directeurs de théâtre :

« Les directeurs sont tous les mêmes ; rien n’égale leur sagacité pour découvrir les platitudes, si ce n’est l’aversion instinctive que leur inspirent les œuvres prévenues de tendances à la finesse de style, à la grandeur et à l’originalité. Ils se montrent à cet égard, en Allemagne, en Italie, en Angleterre et ailleurs, plus publics que le public. Je ne cite pas la France, on sait que nos théâtres lyriques, sans exception, sont et ont toujours été dirigés par des hommes supérieurs. Et quand l’occasion s’est présentée pour eux de choisir entre deux productions, dont l’une était vulgaire et l’autre distinguée, entre un artiste créateur et un misérable copiste, entre une ingénieuse hardiesse et une sottise prudente et plate, leur tact exquis ne les a jamais trompés. Ainsi, gloire à eux ! tous les amis de l’art professent pour ces grands hommes une vénération égale à leur reconnaissance. »

Dernièrement a été donnée à Genève, la première représentation française d’Adrienne Lecouvreur, musique de François Cilea.

La partition du jeune et déjà célèbre compositeur napolitain suit scène par scène la comédie dramatique de Scribe et Legouvé, traduite en italien par Colantti et retraduite en français par Paul Milliet. L’œuvre est vivante et mélodique ; l’influence de Massenet s’y fait sentir. La représentation a été un gros succès.

Un pianiste en sandales et tunique blanche ferait rire dans une opérette, mais nous ne pouvons nous imaginer l’effet qu’a dû produire à Naples, un Allemand, Lutzow, qui s’est présenté devant un auditoire de concert dans cet accoutrement et cela pour taper du piano. En temps de carnaval, une pareille mascarade serait plus ou moins acceptable, mais cette réclame faite en tunique blanche et sandale en temps ordinaire dépasse les bornes. Et on parlera encore d’Alcibiade !  !  !

Le compositeur Paul Dukas travaille, en ce moment, à un opéra dont Maurice Maeterlinck a écrit le livret, Ariadne et Blaubart.

Pietro Mascagni a un grand avantage sur sa musique : on l’admire. Il a, dans le monde de la critique, des amis dévoués, qui vantent ses qualités personnelles lorsqu’ils ont à formuler un jugement sur l’une ou sur l’autre de ses œuvres. Ainsi, ils ne sont jamais embarrassés. Ces jours-ci, l’illustrissime maëstro les avait conviés, au théâtre Del Verme, à Milan, à la première de son opéra Iris, qu’il dirigeait en personne. Qu’on fait les amis dévoués au lendemain de la représentation ? Se gardant bien d’apprécier la musique du maître, dont ils ne pouvaient méconnaître l’incurable faiblesse, ils se sont empressés de le proclamer le premier des dramaturges italiens modernes, en déclarant que sa présence au pupitre, la conviction chaleureuse avec laquelle il avait dirigé son œuvre, avaient exalté au plus haut point la sympathique curiosité du public.

Les débuts de Massenet.

Lorsqu’il fut admis au Conservatoire, Massenet, dont les ressources étaient des plus modestes, se vit obligé, pour vivre, d’entrer aux Nouveautés comme choriste, puis au Gymnase, comme triangle, et au Théâtre lyrique, comme timbalier.

Après qu’il eut écrit Marie-Magdeleine, dans l’espoir que la partition pourrait être exécutée aux Concerts Populaires, il demanda une audition au créateur de ces concerts. Par une triste et pluvieuse soirée de février, il gravit, le cœur ému, l’escalier du redoutable Pasdeloup. Or, pendant qu’il jouait, au piano, son œuvre d’une si haute inspiration, Pasdeloup s’amusait à ouvrir et à fermer alternativement une fenêtre, pour faire sortir la fumée que renvoyait la cheminée. Massenet contempla longtemps, le cœur plein de tristesse, le portrait de Gluck, appendu au mur, qu’une balle avait troué pendant la Commune, puis il rassembla les feuillets épars de sa musique, attendant quelques mots d’encouragement. Hélas ! son attente fut vaine ; c’est à peine si, lui frappant sur l’épaule, lorsqu’il partit, Pasdeloup consentit à lui dire : « Allons, mon garçon, vous avez bien gagné votre dîner ! » Arrivé sur le boulevard, Massenet se mit à pleurer. Il était tout à fait découragé. Heureusement, il n’y avait pas que des Pasdeloup dans le monde : Mme Viardot fit bientôt triompher Marie-Magdeleine à l’Odéon, et Ambroise Thomas dit au jeune maître : « Soyez content, votre ouvrage reviendra et restera ! » Enfin, Gounod lui adressa cette touchante lettre : « Mon cher ami, le triomphe d’un élu doit être une fête pour l’Eglise. Vous êtes un élu. Le ciel vous a marqué du signe de ses enfants ; je le sens à tout ce que votre belle œuvre a remué dans mon cœur. Préparez-vous au rôle de martyr, c’est celui de tout ce qui vient d’en haut, et gêne ce qui vient d’en bas. Mais ne gémissez pas, et ne soyez pas triste. Souvenez-vous que quand Dieu a dit : « Celui-c est un vase d’élection », il a ajouté : « et je lui montrerai combien il lui faudra souffrir pour mon nom ». Sur ce, mon cher ami, déployez hardiment vos ailes, et confiez-vous, sans crainte, aux régions élevées où le plomb de la terre n’atteint pas l’oiseau du ciel. – À vous de tout mon cœur. – Ch. Gounod. »

Histoire d’un ténor indispensable, – C’était au temps où Quélus était directeur du Théâtre de la Monnaie à Bruxelles. La première année de sa direction, il engagea le fameux Wicart comme ténor « seul et sans partage ». Wicart était un fantaisiste et un pensionnaire grincheux et ombrageux. Il ne consentait à chanter que si on l’avait averti de la représentation dès l’avant-veille. Et, cette condition étant observée, il ne se gênait pas pour faire savoir à son directeur, quelquefois même à l’ouverture des bureaux, que, souffrant de la gorge ou de la tête, il ne chanterait pas. Alors il fallait, dare dare, changer le programme au grand préjudice du directeur, au grand désappointement des spectateurs. Wicart étant, malgré tout, en grande faveur auprès du public. Quélus dut le rengager l’année suivante. Mais il eut soin d’engager en même temps un autre ténor — aux appointements de 1000 francs par moi – qui avait pour mission de se trouver au théâtre chaque fois que devait chanter Wicart, de se costumer et de rester pendant toute la soirée au foyer des artistes, prêt à entrer en scène. Wicart faillit, pour tout de bon, en faire une maladie. Mais le remède énergique de Quélus eut de si bons résultats, que jamais plus Wicart ne manqua une représentation. Il consentit même à chanter dans les ouvrages annoncés le matin seulement et, à la fin de la saison, le ténor supplémentaire quitta Bruxelles sans jamais avoir paru devant le public.

Le clavecin sur lequel Rossini étudia ses premières leçons de musique, que lui donnait le chanoine Joseph Malerbi, figurera à la prochaine exposition de Saint-Louis. L’authenticité de l’instrument est incontestable ; il est à présent la propriété de M. Antonio Malerbi, et son histoire a été écrite par M. Tancredi Mantovano, professeur d’esthétique et d’histoire de l’Art au Lycée de Pesaro.