Revue Musicale de Lyon 1903-12-29/À travers la presse

P. Forest
Revue Musicale de Lyon (p. 128-129).

À travers la Presse

Le Courrier Musical (Jean d’Udine). À propos de la musique de scène de F. Le Borne pour « l’Absent » pièce de M. Georges Mitchell.

« Cette partitionnette flatte l’une de mes marottes les plus tenaces. Elle démontre victorieusement que l’on peut écrire, en faisant œuvre d’artiste, de la symphonie excellente pour accompagnement de parlé. Je l’ai dit vingt fois : puisque vous ne savez plus ou que vous ne voulez plus (à cause des nécessités prosodiques et de la justesse des accents), puisque vous ne voulez plus écrire des mélodies vocales, vocalement intéressantes, laissez donc les comédiens déclamer librement, et concentrez dans l’orchestre seul toute la musique de vos drames lyriques. M. Le Borne prouve qu’on peut y réussir complètement et que la richesse polyphonique est conciliable avec une grande discrétion sonore. Quant à l’objection que l’on m’a souvent faite, à savoir que le parlé risque d’être faux par rapport à l’orchestre, voilà qui n’est guère à craindre avec les harmonisations nouvelles. Une dissonance de plus vous fait peur ? Je vous croyais plus brave, sinon plus téméraire ?… »

… Nous ne partageons pas du tout l’avis de M. Jean d’Udine. Nous ne ferons pas à sa théorie l’objection qu’il prévoit, encore qu’elle soit très justifiée ; qu’on essaie en effet de faire chanter dans Pelléas et Mélisande les rôles de femme par une voix d’homme et réciproquement, et l’on remarquera combien cette simple transposition d’un octave rend parfois dissonantes certaines phrases ; les oreilles sensibles ne seront-elles pas choquées davantage par le parlé ? Mais l’objection que nous ferons à notre excellent confrère est celle-ci : Le spectateur, amateur de théâtre seulement, qui va entendre une pièce avec musique de scène, estime que la musique le gène pour suivre les paroles et le musicien fait presque toujours la réflexion que nous nous avons entendues maintes fois : « Les comédiens ne pourraient-ils pas se taire ? Leurs histoires m’empêchent d’écouter la musique ! »

Dans son numéro du 15 décembre, la Renaissance Latine publie un très remarquable article de M. Camille Mauclair sur l’Esprit romain et l’Art français.

La grande revue (15 décembre), A. Messager. – À propos de la nouvelle école musicale italienne vériste.

« Le mot Vériste n’a aucune signification. Comment, en effet, peut-on voir dans les ouvrages récemment mis à jour la manifestation d’une nouvelle école vériste ou pas ? En quoi ces compositeurs diffèrent-ils de leurs prédécesseurs ? par une formule nouvelle ? par l’écriture ? par l’harmonisation ? par la tendance ou par l’exécution ? Rien dans tout cela cependant qui soit bien neuf. La forme est toujours la même, c’est bien toujours l’opéra tel qu’on l’avait conçu depuis Rossini, Bellini, Donizetti et autres ; rien de commun avec le drame lyrique et les réformes introduites par Wagner dans les rapports de la musique avec la scène. Tout au plus peut-on constater un certain effort pour se débarrasser des formules trop démodées : la cavatine se dissimule et devient un cantabile ; dans les duos les personnages chantent l’un après l’autre et renoncent à l’ensemble traditionnel à la tierce ou à la sixte et le final n’est plus forcément chanté par tous les artistes alignés devant le trou du souffleur, mais c’est bien toujours le même et antique procédé. On n’évite pas plus la chanson bachique que le chœur religieux auquel vient s’ajouter la voix de la prima donna en détresse, pas plus que la chanson du postillon avec accompagnement de fouet et de grelots que le septuor où chaque personnage exprime sur la même musique des sentiments totalement différents. L’écriture n’est évidemment pas le côté brillant de ces compositeurs et, quant à l’harmonisation, elle est devenue plus prétentieuse sans être plus intéressante… »

À propos d’un concert donné récemment à Saint-Étienne par Mme Roger-Miclos et M. Hollmann, le Mémorial de la Loire publie une intéressante lettre que nous reproduisons ci-dessous, et dont nous partageons entièrement les idées :

 Monsieur le Directeur,

Un public choisi applaudissait, hier, deux grands artistes ; on louait à l’envie la plénitude de son, le coup d’archet ample, tour à tour délicat et vigoureux, de M. Hollmann ; Mme Roger-Miclos, à la silhouette de prêtresse antique, faisait admirer sans restriction, la grâce et l’élégante netteté de son jeu.

Mais un regret semble avoir été partagé par beaucoup d’auditeurs ; votre estimable journal est certainement le mieux à même de le formuler ; le voici brièvement : Certains artistes parisiens ont sur les capacités musicales des Stéphanois un regrettable préjugé ; ils craignent de fatiguer le public par des œuvres de longue haleine ; et le programme, au lieu d’un nombre restreint d’œuvres excellentes, comporte une suite de morceaux de genre.

Nous souhaiterions que des artistes comme ceux que nous avons applaudis hier nous traitent mieux que ceux-là ne l’ont fait ; l’un et l’autre maîtres virtuoses, pourquoi ne nous ont-ils pas fait entendre une sonate de Hændel, de Beethoven, de Mendelssohn, ou d’un autre « jeune » comme Boëllmann, plutôt qu’une polonaise, simplement agréable ? Madame Roger-Miclos, nous dit-on, est une « merveilleuse interprète de Schumann » ; la valse banale de Moszkowski n’eût-elle pas été remplacée avec avantage par la fantaisie ou les nocturnes du Maître ! Ou l’ariette de Haydn, gracieuse d’ailleurs, par les œuvres superbes, où vibre la beauté et que traverse un souffle de grandeur, que César Franck a intitulées l’une Prélude.Aria.Finale, l’autre Prélude.Choral – et Fugue » ?

Un concerto de Saint-Saëns n’aurait pas fait regretter celui de M. Desjoyeaux.

Il est inutile de faire remarquer que ces réflexions sont un hommage rendu au talent de Mme Roger-Miclos et de M. Hollmann.

Mais nous espérons que M. Peracchio, dont le zèle de propagande musicale est à la hauteur du talent, fera venir à Saint-Étienne d’autres artistes ; et alors, ne pourrait-il les prier de nous considérer comme des auditeurs qui comptent sur la venue des virtuoses pour entendre interpréter les œuvres des grands maîtres, celles surtout que leur difficulté ne rend accessibles qu’à eux ?

P. Forest.