Revue Musicale de Lyon 1903-11-17/Un Interview Lyonnais

Un Interview Lyonnais

Dans la Chronique musicale de la Revue du Nouveau Siècle (numéro du 5 novembre), nous trouvons une interview de notre compatriote et collaborateur G.-M. Witkowski, qui intéressera certainement nos lecteurs :

« … Nous nous en sommes consolé (de la création de la Tosca à l’Opéra-Comique), en songeant que l’Opéra nous prépare l’Étranger et en allant, dimanche dernier, entendre chez Chevillard la symphonie de Witkowski. On a besoin de temps en temps, pour croire à l’avenir de la vraie musique, au milieu de l’universel cabotinage des Léoncavallo et autres sous-Mascagni, de fortifier sa foi artistique par l’audition d’une œuvre à l’inspiration noble et soutenue, savamment écrite et solidement pensée. On éprouve une joie à cette création, que l’on sent issue d’un cerveau capable de réflexion, en même temps que d’émotion. Aussi, voulant avoir l’opinion d’un sincère et profond musicien, pour présenter à nos lecteurs un tableau récapitulatif des tendances qui se manifestent à l’heure actuelle, nous sommes-nous adressé tout naturellement à l’éminent compositeur. Aux yeux de M. Witkowski, la musique de théâtre est un genre inférieur ; son évolution est distincte de l’évolution générale de l’art musical et doit être étudiée séparément. En effet, elle n’est pas, comme celle de la Symphonie, exemple d’éléments étrangers, elle est intimement liée aux différentes étapes de l’art dramatique : tel drame, telle musique. Il y a plus, ses manifestations sont subordonnées à une foule de petites conditions matérielles, dont la perfection est difficile, sinon impossible à réaliser complètement : le décor, le jeu des acteurs, la figuration, en un mot, tout l’appareillage scénique, sans parler de l’exécution orchestrale, dont l’excellence lui est plus indispensable qu’à toute autre musique. Si l’on veut donc étudier l’histoire de la musique, c’est la symphonie et les genres purement musicaux qu’il faut prendre pour points de repère.

« Néanmoins, il s’est rencontré un génie, aussi puissant dramaturge que merveilleux musicien : c’est Wagner. Son influence a été immense, incalculable sur toutes les branches de l’art. À l’heure actuelle, quelques esprits originaux s’en sont partiellement affranchis. Mais la domination reste très tyrannique, et, en somme, il y a plutôt lieu de s’en féliciter. Car Wagner, bien compris, fécondé par l’inspiration et le travail personnels, peut créer des originalités nouvelles, et amener des tempéraments intéressants à prendre conscience d’eux-mêmes. C’est un spectacle navrant, s’il n’était parfois comique, de voir de jeunes musiciens ou des critiques superficiels juger et condamner en quelques lignes le créateur de la Tétralogie : à voir l’âpreté et la violence de leurs attaques contre le géant du drame lyrique, on ne peut s’empêcher de songer au proverbe : « Notre ennemi, c’est notre maître ».

« Certains compositeurs ont assurément inauguré une voie, nous dirions même une créature harmonique qui, par certains côtés, ne doit rien à Wagner, grâce à l’introduction dans la facture des accords d’un plus grand nombre des harmoniques naturels, qui accompagnent les sons fondamentaux. Il faut les en louer, ainsi que d’être revenus à l’emploi des anciens modes, plus variés et plus intéressants, que les deux modes où voudrait nous confiner, par une arbitraire décision, l’harmonie traditionnelle. C’est là une innovation, une incontestable originalité, mais en somme, elle ne date pas précisément d’aujourd’hui.

« En un mot, pour ceux qui ont foi dans les destinées de l’art (et M. Witkowski est de ceux-là), le progrès en musique s’accomplira en laissant le champ de la musique largement ouvert aux nouveautés et aux originalités, mais sans se priver des conquêtes du passé et sans exclure des moyens d’expression et des procédés d’écriture, qui ont servi d’instrument aux Bach, aux Beethoven, aux Wagner. »

Jules Sauerwein.