Revue Musicale de Lyon 1903-11-10/De la simplicité en musique

réflexions musicales

DE LA SIMPLICITÉ

EN MUSIQUE
et de l’Architecture dans sa Composition
(suite)

J’aurai recours, pour démontrer cette proposition, à un parallèle entre l’architecture et la musique. Les rapports entre les deux arts sont en effet intimes et nombreux. Hegel les énonça, si je ne me trompe, pour la première fois, et Beethoven, son contemporain connut sûrement les théories du philosophe allemand. De nos jours les compositeurs modernes (symphonistes) ont repris et développé ces mêmes théories, de manières diverses, mais tendant toujours aux mêmes résultats : la nécessité de la forme dans les œuvres symphoniques et la prédominance de la tonalité en tant que base et guide de cette forme.

Une symphonie est absolument assimilable à un monument, mais, entendons-nous bien, ceux-là se trompent du moins partiellement, qui croient définir cette analogie en appelant la musique « une architecture de sons ». Considérée dans ses sons, une œuvre musicale ne donnera jamais qu’une surface, ou mur, dont les notes seraient les pierres. Or, un mur est œuvre de maçon et nullement d’architecte. — Maintenant, me direz-vous peut-être, il y a beaucoup plus de maçons que d’architectes ?… C’est parfaitement vrai, et il en est en art, absolument comme dans la vie, mais là n’est point la question. — Il faut donc considérer la musique, non seulement dans sa hauteur ou la suite de ses sons, non seulement dans le déroulement de ses phrases ou sa longueur, mais encore dans les développements relatifs et relativement à la tonalité de ces mêmes phrases pour avoir la troisième dimension : la profondeur, et pouvoir édifier le monument.

Prenons une symphonie classique quelconque et examinons le premier Allegro, qui en est généralement le morceau fondamental. Une première phrase, ou idée, s’expose dans un ton déterminé, sans moduler et en quelque sorte parallèlement à elle-même : ceci nous donne un mur. La première idée terminée, une période modulante intervient qui nous conduit vers un autre ton dans lequel s’expose pareillement une deuxième idée : deuxième mur. Et la période modulante qui nous a menés de l’une à l’autre phrase, et dont la dénomination technique de pont est fort suggestive, deviendra la voûte qui rejoint les deux murailles ; et cette voûte, dont la courbure est l’image de la modulation qu’elle comporte, sera surélevée ou surbaissée, ogive ou plein cintre, suivant l’amplitude de cette modulation.

Inutile de pousser plus loin la comparaison, la chose est simple. Je n’ai d’ailleurs point l’intention de faire de la technique, préférant rester sur un terrain plus poétique et général. Le lecteur pourra, s’il le veut, continuer ce petit travail. Dans le développement qui suit cette exposition des deux idées, il saura trouver des salles, des galeries, des escaliers…, en se basant toujours sur ce fait que les fondations de l’édifice sont les tonalités principales de la symphonie, et que les relativités d’éloignement et de clarté des tons épisodiques, par rapport à ses tons principaux, détermineront la hauteur des étages, l’éclairement des salles et des fenêtres. L’Allegro est-il précédé d’une introduction lente ! Voici le narthex d’une basilique, les propylées d’un temple ancien. La symphonie comporte-t-elle un andante où se déroulent de larges phrases ! Nous découvrons de vastes rotondes aux coupoles hardies. Peu à peu le monument se complète, il s’achève, et le voici qui se dresse enfin devant nos yeux, temple, castel, ou cathédrale, profilant sur le ciel sa silhouette majestueuse ou héroïque, élégante ou mystérieuse, élevant dans la lumière les tourelles ajourées de ses scherzos et les colonnades de ses portiques imposants ! Et ce n’est point là, croyez-le bien, un simple jeu d’enfant, un amusant rébus ; encore moins, ce n’est une agréable fumisterie, mais le véritable symbole expliqué et explicateur de toutes les lois de la composition et de l’analyse des œuvres musicales.

(À suivre).
A. Mariotte.