Revoil Voyage au pays des Kangarous 1885/ch30

Traduction par Bénédict-Henry Révoil.
Mame (p. 209-215).

CHAPITRE XXX

Une proposition de mariage. — Bill est repoussé. – Ses moyens de vengeance. — Vol au fond des poches. — Retour de Jack. — Encore Black Peter. — La fête des « coureurs des bois ». — Fuite dans la nuit. — Chasse à l’émeu. — Les chasseurs désappointés. — La poursuite. – Le stratagème.


Le pauvre Davy n’était point incorrigible, et tous les prisonniers employèrent les meilleures paroles pour lui faire reconnaître ses fautes et lui indiquer les moyens de les réparer. Le seul obstacle était le frère de ce malheureux, qui ne cessait de venir visiter les Mayburn et avait osé prétendre à la main de Marguerite.

« Je sais bien, disait ce bandit, que celle qui deviendrait ma femme se refuserait à habiter, comme je le fais, avec ces sauvages errants ; mais mon intention est de m’établir, de construire une maison et d’y ouvrir une taverne au milieu des bois. Mme Bill se prélasserait comme une reine, en compagnie de son père et de ses frères. »

Hugues et Gérald eussent volontiers pris le coquin par les épaules, afin de le jeter à la porte mais Arthur arrêta son frère et son ami, et intervint auprès de son père.

« Bill, dit-il au convict, épargnez dorénavant à ma sœur un discours aussi absurde qu’insultant. D’autre part, elle est trop jeune pour penser à s’établir ; et enfin son éducation, ses principes religieux, s’opposent à une union contractée avec un « coureur des bois. »

— C’est à voir, répliqua Bill, qui regarda méchamment son interlocuteur. Vous auriez dû laisser parler mademoiselle elle est d’âge à s’expliquer sans interprète. Lorsque j’aurai touché votre rançon, nous verrons ce qu’il restera à faire. Il n’a pas été question de votre sœur dans le marché, et vous jugerez alors du pouvoir que j’exerce en ces lieux. »

Marguerite éprouva une terreur indicible à ces paroles elle regrettait l’absence de Jack, qui était toujours d’un bon conseil dans ces affaires difficiles. On pouvait fuir avec l’aide de Baldabella, qui se montrait chaque nuit, et de Davy, qui, honteux de la proposition de son frère, avait enfin ouvert les yeux et comprenait qu’il suivait un chemin très périlleux.

La hutte d’écorces qui se trouvait à l’extrémité du campement, tout près d’un bois touffu, avait été séparée en deux au moyen d’écorces nouvelles fournies par le convict repentant. Grâce à cette espèce de paravent, qui cachait les dames à la vue des nègres gardiens des prisonniers, on pouvait ouvrir un trou par derrière, afin de se sauver pendant l’osbcurité.

Toutefois, à moins d’être réduits aux dernières extrémités, les captifs ne voulaient rien entreprendre avant le retour de Jack. Ils espéraient que celui-ci amènerait des auxiliaires qui les tireraient des mains des audacieux « coureurs des bois ». Ce qui n’empêcha pas que l’on fit part à Baldabella des projets de fuite, et qu’on la pria de se tenir prête. On comptait sur Davy pour servir de guide.

Plusieurs jours s’écoulèrent encore au milieu des angoisses. Les prisonniers étaient plus sévèrement gardés que jamais. Si l’un d’eux s’aventurait au dehors pour respirer autre chose que l’air fétide de la hutte, il était aussitôt rudement repoussé, soit par les noirs, soit par les « coureurs des bois ». Jenny et Ruth, s’étant éloignées de quelques pas afin de couper l’herbe qu’elles désiraient employer en guise de litière dans l’endroit où elles reposaient, furent saisies par les femmes ; elles eurent leurs vêtements déchirés, les cheveux arrachés, et, qui pis est, furent dépouillées de tout ce que contenaient leurs poches.

« Me voilà plus pauvre que Job, disait la vieille Jenny Wilson. À quoi servira mon nécessaire à coudre à ces drôlesses qui ne portent ni vêtements ni chapeaux ? Il ne me reste plus maintenant ni fil, ni aiguilles, ni ciseaux. Oh ! miss Marguerite elles m’ont voté le dé d’argent que vous m’aviez acheté à Londres, mon petit livre de prières et mes lunettes, un présent de M. Mayburn. Enfin qu’importent mes lunettes, puisque je n’ai plus de livre à lire ni de couture à faire ? »

Ruth versait d’abondantes larmes.

« Ma pauvre bourse ! disait-elle. Bon Dieu ! il y avait deux schellings et une pièce de six pence, mon porte-bonheur ! Elles m’ont volé mes rubans du dimanche, mes gants de coton et mon livre de messe. »

Max Mayburn consola les deux femmes en leur montrant son paroissien de poche qu’il avait conservé, et dans lequel il puisait chaque jour la force et l’espérance. Marguerite assura à Jenny Wilson que quand ils seraient tous arrivés à la « ferme des Marguerites », Mme Deverell lui offrirait un assortiment de fil, d’aiguilles, de ciseaux, et remplacerait les lunettes indispensables.

Certain soir, Gérald fut tenté de quitter la hutte pour prêter l’oreille à des bruits insolites qui avaient lieu au dehors. Arthur, qui s’était aperçu de son absence, craignait déjà qu’il ne lui fût arrivé malheur, lorsque le jeune écervelé revint en criant :

« Jack est de retour ! il est là-bas ! Mais j’ai vu en même temps trois ou quatre nouveaux coquins, et dans le nombre Black Peter ».

C’était là une très mauvaise nouvelle, et Max Mayburn adressa à son fils un regard des plus tristes.

« Il faut que Marguerite se sauve, dit-il enfin ; elle ne peut pas demeurer davantage au milieu de ces bandits. Et ce pauvre diable de Wilkins ! le réprouvé Black Peter l’a pris en haine, il n’est donc pas en sûreté au milieu de nous ; il partira également. N’est-ce pas ton avis, non enfant ?

— Je saurai quel parti nous devons prendre lorsque Jack m’aura appris la cause de son retour. Il faut que je le voie. »

On entendait dans le lointain des rumeurs qui prouvaient que tout n’allait pas bien dans le village australien. Les prisonniers en conclurent que l’on avait reçu de l’eau-de-vie, et que les noirs et leurs femmes ressentaient déjà les funestes effets de la boisson corrosive. L’ivresse était devenue furieuses d’horribles blasphèmes proférés par les convicts, et répétés par leurs hideux camarades les sauvages, parvenaient aux oreilles des voyageurs prisonniers.

Au milieu de ce désordre, Jack put s’échapper et revenir près de ses amis. Il était harassé de fatigue et rempli des plus terribles appréhensions car il comprenait que l’ivresse épouvantable dans laquelle tous les bandits étaient tombés pouvait d’un moment à l’autre les pousser au meurtre.

« Monsieur Arthur, dit-il d’une voix brève, je me suis emparé d’un fusil et de quelques munitions ; Davy va venir nous rejoindre avec une autre arme à feu dès que les coquins seront complètement ivres et dans l’impossibilité de se mouvoir. Il s’agit donc de nous évader sans délai ou nous sommes perdus. Black Peter a déclaré qu’il agirait à sa guise, et vous savez ce qu’il veut faire. S’il n’était pas ivre, il serait déjà ici, la menace à la bouche.

— Hélas ! hélas ! fit Max Mayburn, comment es-tu tombé entre les mains de cet homme sans foi ni loi ?

— Nous l’avons rencontré en chemin, répliqua Jack, monté sur un superbe cheval qu’il avait sans doute volé dans quelque ferme. Il était habillé comme un gentleman et accompagné de trois « coureurs des bois » de son espèce, tous parfaitement montés et équipés. Ils conduisaient un chariot rempli de barils de liqueur, destiné à opérer des échanges pour du bétail qu’ils voulaient aller revendre dans l’intérieur des terres. Peter me reconnut dès qu’il eut jeté les yeux sur moi, et il me demanda ce que vous étiez tous devenus. Le compagnon de route qui m’avait été donné se chargea de répondre à cette question. Vous auriez frémi, monsieur Mayburn, d’entendre sacrer et pester Black Peter contre Bill, qu’il accusait de niaiserie puisqu’il sacrifiait une pareille prise, — la vôtre, — pour une misérable somme de cent livres sterling. « C’est dix fois ce chiffre-là que j’aurais obtenu ! « disait-il. Allons ! je vais me rendre près des sauvages, et leur démontrer que Bill les a trompés. »

« En disant cela, Black Peter avait rejoint ses collègues et leur disait : « Nous allons ramener au campement ces deux hommes, — il parlait du guide et de moi, — et voir ce qu’il y a à faire. » En effet, nous revînmes et Black Peter, en se montrant à Bill, déconcerta celui qui vous a fait prisonnier. J’ai bien vu que demain matin Bill céderait le commandement à Black Peter. Il ne nous restera donc plus de chances de fuir si nous ne partons pas dès ce soir. Eh bien ! Davy, dit-il au convict qui arrivait avec précaution, que se passe-t-il là-bas ?

— Ils sont à la veille de se battre. Cela va commencer entre Bill et Black Peter, qui se sont pris à bras-le-corps et ont été séparés par les trois amis du dernier. Je les ai vus adresser un coup d’œil significatif à Peter, en lui disant que l’on arrangerait les affaires le lendemain matin. Je ne pense pas qu’il soit sage d’attendre jusque-là. Ainsi donc, si vous êtes prêts et que cela vous convienne, profitons de l’obscurité et partons.

— Merci, mon brave homme, dit Arthur nous sommes décidés, et nous désirons fuir : merci de vouloir bien nous servir de guide. Je vous promets solennellement d’obtenir votre pardon de M. Deverell, si nous avons le bonheur d’arriver à la « ferme des Marguerites. » Je me demande seulement comment mon cher père et ma pauvre sœur pourront aller jusque-là.

— J’y ai songé, reprit le convict. C’est moi qui soigne les chevaux du campement : je me suis emparé des deux qui nous appartiennent à mon frère et à moi, et des quatre que montaient Black Peter et ses trois amis. Ils sont là derrière dans le bois, tout sellés et harnachés. À minuit je reviendrai, et j’espère que vous serez tout prêts à me suivre. Baldabella est prévenue ; elle sera des nôtres et nous accompagnera. Avant qu’il fasse jour nous serons loin d’ici. Les méchants camarades n’ont pas d’autres chevaux pour nous poursuivre et, d’ailleurs, leur ivresse ne sera pas de sitôt dissipée ».

On entendait vociférer de plus en plus les noirs et les « coureurs des bois » aussi Marguerite et les deux femmes se pressaient-elles les unes contre les autres dans la hutte séparée, et au fond de laquelle une issue avait été pratiquée par Gérald et Hugues pour fuir quand l’instant serait venu. On n’attendait plus que l’occasion favorable et le signal que Davy devait donner.

Peu à peu les hurlements et les blasphèmes s’éteignirent, et le silence se rétablit. Les captifs sentaient leur courage renaître et ils se levèrent quand la voix de Davy se fit entendre, laquelle murmurait à travers l’ouverture :

« En route, et surtout ne faites pas de bruit. Il y a un certain nombre de noirs couchés devant la hutte. Ne passez pas devant eux, de peur de les réveiller. Baldabella est là avec moi ; elle vous guidera ; moi je passe devant pour vous attendre à l’endroit où sont les chevaux. »

Les prisonniers sortirent l’un après l’autre de la hutte, et, conduits par Baldabella, se frayèrent un chemin à travers bois, sans s’occuper des épines et des broussailles qui déchiraient leurs mains et leurs vêtements. Un rayon de lune leur montra enfin Davy, tenant les chevaux par la bride, sur la lisière de la forêt.

« Arrangez-vous comme bon vous semblera, dit-il nous sommes douze, c’est-à-dire deux pour un cheval. Divisez le poids sur chaque bête. »

Baldabella refusa de monter un des chevaux : elle confia Nakina à Wilkins, et préféra marcher ; mais elle allait d’un pas si léger, qu’elle tenait pied aux chevaux, quelque chargée qu’elle fût ; malgré la rapidité de leur amble, à travers les plaines gazonnées.

Pendant six heures les fugitifs s’avancèrent dans la direction du sud, sans prononcer une parole et sans être poursuivis. Ce fut seulement quand vint le matin qu’ils célébrèrent leur liberté en remerciant le ciel d’avoir veillé sur eux. Davy lui-même joignit son humble prière à celle des Mayburn et de leurs amis.

Tous les voyageurs éprouvaient le besoin de prendre des forces par un repas substantiel : Baldabella exhiba alors un sac rempli de galettes et de noix dont il fallut se contenter. L’espoir de trouver de l’eau pour boire fit remonter les fugitifs à cheval mais ils ne tardèrent pas à se désespérer, car, tout en avançant au milieu d’un pays verdoyant, ils ne rencontraient ni source, ni ruisseau, ni lac. Dans tous les trous qui avaient été remplis par les pluies il n’y avait plus que de la boue humide. Les figuiers étaient nombreux sur le passage des cavaliers, mais ils ne portaient plus de fruits.

Par contre, leurs branches étaient couvertes de kakatoès et de pigeons, dont les jeunes chasseurs, pourvus d’arcs et de flèches, firent ample provision. Le quatrième jour, Baldabella, qui marchait en tête, se mit à crier : Yarray ! yarray ! ce qui voulait dire : de l’eau ! de l’eau ! et les voyageurs aperçurent devant eux, se dirigeant vers le sud-ouest, une petite rivière qui n’était pas sur la voie indiquée par Davy mais on résolut cependant de suivre le cours de ce torrent impétueux, non seulement pour abréger le supplice de la soif, mais encore pour donner de la force aux chevaux, qui commençaient à faiblir.

On fit halte sur les bords de l’eau, et d’autres moments de repos se succédèrent chaque jour dans la même position. Un après-midi, à l’une de ces stations nécessaires, les jeunes chasseurs s’étaient mis à la poursuite de quelques oiseaux, quand Gérald s’écria tout à coup « À cheval ! à cheval ! j’ai vu des émeus. »

En effet, sur la lisière d’un bois, les fugitifs purent voir un troupeau de ces oiseaux géants qui paissait avec calme, comme l’eussent fait des moutons.

« Nous n’avons pas besoin de ce gibier-là, observa Max Mayburn. Pourquoi troubler ces oiseaux ?

— Bah ! l’un d’eux ne sera pas désagréable pour notre provision, dit Jenny Wilson, et ces messieurs sont fatigués de toujours manger des pigeons et des kakatoès. »

Max Mayburn soupira en songeant qu’on allait troubler la quiétude de ces bêtes inoffensives ; il se contenta de recommander qu’on se bornât à tuer un seul oiseau. Les jeunes gens, ardents à la chasse, sautèrent sur leurs chevaux, et, armés de zagaies et d’arcs, se lancèrent au galop, voulant tout d’abord séparer les animaux les uns des autres. Un émeu plus gros que ses congénères, et déjà atteint par quelques flèches, les entraîna à sa poursuite. Il tourna autour des chevaux et finit par atteindre l’animal monté par Gérald, qui se cabra et tomba sur le sol.

Les autres cavaliers, alarmés à la vue de cet accident, accoururent au secours de Gérald, et l’oiseau blessé, profitant de l’opportunité qui lui était offerte, regagna le troupeau de ses congénères, au grand déplaisir des chasseurs.

Le cheval de Gérald ne tarda pas à se relever son cavalier n’était nullement blessé, mais le coursier avait reçu de l’émeu un coup de patte si terrible, qu’Arthur vit avec désespoir qu’il faudrait retarder le départ de la caravane pour donner à la bête le temps de se rétablir, en admettant que cela fût possible.

Max Mayburn profita de l’occasion pour adresser une leçon à ses enfants et aux autres chasseurs. Non seulement ils étaient restés « bredouilles », mais encore ils étaient cause des souffrances d’une bête utile, indispensable en ce moment-là.

« Il faut au moins un jour de repos à votre cheval, dit Wilkins à Gérald. Voyons ! il s’agit de sonder l’horizon et de savoir si nous ne sommes pas poursuivis. »

Hugues et Gérald allèrent à la découverte, et montèrent au sommet d’un figuier placé en vedette à l’entrée d’un bois.

« J’aperçois le ruisseau que nous avons suivi, serpentant à travers la plaine, dans la direction du sud-ouest, observa Hugues, et mes yeux s’arrêtent à l’horizon sur une masse verdoyante.

– Arthur, cria Gérald à son ami, viens donc voir un point noir qui se trouve derrière nous, vers le nord. Il me semble que ce nuage s’avance de ce côté. »

L’aîné des Mayburn ne se le fit pas dire deux fois, et quand, parvenu près d’O’Brien, il eut regardé à son tour, il murmura :

« Tu ne t’es pas trompé, Gérald ; ce point noir s’agite : nous sommes poursuivis, et nous ne pouvons pas continuer notre route. Reste ici à surveiller, moi je descends de l’arbre pour tenir conseil avec nos amis.

— Donne-nous les fusils, répliqua O’Brien, nous garderons le passage, et aucun de ces bandits, je le jure, ne pourra franchir le chemin.

— Ce plan est impraticable, mon cher ami, fit Arthur ; contente-toi de veiller, et laisse-moi savoir, le plus tôt possible, quel est le nombre des hommes qui s’avancent. »

Le brave garçon se hâta de descendre du figuier pour annoncer la fâcheuse nouvelle aux amis, qui ignoraient ce qui se passait. La désolation fut extrême.

« Il faut faire partir en avant M. Mayburn et mademoiselle, dit Jack. Qu’en pensez-vous, monsieur Arthur ? Nous tiendrons ici de façon qu’ils aient sur ces bandits une grande avance, et puis nous nous lancerons au galop pour aller les rejoindre.

– Que dis-tu de ce projet ? demanda Max Mayburn à Marguerite. Davy vous conduirait, les trois femmes, Nakina et toi, vers nos amis les Deverell.

— Mon cher père, répliqua la jeune fille, nous vivrons ou nous mourrons ensemble. Il nous serait impossible de vous laisser ici exposé au danger. Ne pourrions-nous pas nous cacher dans l’épaisseur de ces fourrés ? Peut-être nos persécuteurs ne nous y découvriraient point.

— Hélas ! ils suivent notre piste, répondit Arthur. Ne vois-tu pas d’autre moyen, Wilkins ?

— Peut-être. À trompeur, trompeur et demi. Il me paraît possible de les mettre sur une fausse voie. »

La forêt qui s’étendait derrière les fugitifs longeait le courant d’eau, dont elle se trouvait éloignée d’environ cinquante mètres, et de l’autre côté de ce ruisseau des massifs de roseaux s’élevaient comme un paravent de verdure.

« Il faut essayer de les envoyer de l’autre côté, continua Wilkins : dépêchons-nous d’amener les chevaux par ici. »

Par les conseils du brave homme, les jeunes gens montèrent sur les cinq bêtes valides, après avoir conduit Marguerite, son père et les femmes au milieu du plus épais fourré, où l’on força le cheval blessé de pénétrer à son tour. Cela fait, les cavaliers se lancèrent au galop et traversèrent la petite rivière, brisant sur l’autre rive les bambous, de façon à indiquer leur passage jusqu’au marais qui se trouvait devant eux. Il était dès lors inutile de procéder plus loin car la piste devait être infailliblement perdue.

On fit entrer les chevaux dans le lit du courant d’eau, que l’on suivit ainsi pendant environ cent mètres ; puis on sortit un à un, et l’on regagna le bois, en effaçant toutes les traces au fur et à mesure qu’on les imprimait à terre.

Au milieu de la forêt se trouvait un espace couvert par une herbe haute, au centre de laquelle on plaça les bêtes au vert avec des entraves aux pieds.

Cela fait, on attendit en silence les événements. Seuls, Arthur, Gérald et Hugues retournèrent aux figuiers, dans le feuillage desquels ils se blottirent, afin de mieux surveiller les ennemis. Ils se tenaient aussi prêts à défendre leur forteresse, car ils étaient armés de fusils.

On distingua bientôt la troupe qui s’avançait et se composait des « coureurs des bois », poussant devant eux un troupeau de bœufs et d’un grand nombre de noirs.

Par bonheur ce corps d’armée, relativement considérable marchait à pied, fort lentement, eu égard aux bestiaux, et Arthur vit tout de suite que, si les six chevaux avaient été tous bien portants, rien n’eût été plus facile que d’éviter ces coquins, acharnés à la poursuite de la petite troupe.

Combien cette chasse de l’émeu était donc regrettable !

Il parut important au jeune chef de laisser passer les bandits, afin de les suivre de loin.