Revoil Voyage au pays des Kangarous 1885/ch14

Traduction par Bénédict-Henry Révoil.
Mame (p. 102-109).

CHAPITRE XIV

Recherches dans la caverne. – Le bosquet enchanté. — Un passage difficile pour conquérir la liberté. – Préparatifs de fuite. – Usage du fusil. – Un cas de conscience. — Le départ. – Voyage à travers les fondrières. – La rivière. – Fabrication d’une hache. — Une plante nouvelle.



Après avoir dîné avec la plus stricte sobriété, et après s’être assurés que les sauvages s’étaient pour le moment retirés dans les bois, les prisonniers de la caverne reprirent leurs occupations. Hugues et Gérald, ne pouvant rester en place, se mirent à fureter, deci, delà, dans les méandres de boyaux qui s’ouvraient de toutes parts le long des parois de la caverne. C’est ainsi qu’ils se risquèrent le long d’une fissure aboutissant à une double muraille, tapissée, comme un bosquet enchanté, de lianes fleuries au milieu desquelles chantaient des oiseaux invisibles.

« Quelle admirable découverte ! dit Hugues à Gérald. Il s’agit maintenant de trouver en quel endroit aboutit ce passage. »

Un bloc de pierre, tombé du haut de la montagne, terminait ce bosquet enchanté. Mais il était haut d’environ deux mètres, et pour parvenir à son sommet nos deux explorateurs amoncelèrent des pierres en forme d’escalier, au moyen duquel ils se hissèrent sur la pointe. Un coup d’œil jeté sur ce qui les entourait leur fit apercevoir un chaos de roches superposées, enchevêtrées dans des massifs de verdure.

Les jeunes gens ne purent résister à la tentation de humer l’air extérieur, et ils s’avancèrent sans difficulté à travers les bosquets touffus.

« Faisons en sorte de retrouver l’entrée de ce labyrinthe, dit Hugues à Gérald. Mais comment faire ? Ah ! j’y suis. Voilà, de la craie, la même sans doute que celle dont les sauvages se barbouillent le corps ; ramassons-en pour marquer le chemin. »

En effet, à l’aide de cette terre blanche, O’Brien et son ami tracèrent une croix à l’issue du bosquet enchanté. C’était le point de départ.

« Il sera impossible de se perdre, dit Hugues. Nous voici en face du midi, et si nous pouvons découvrir la route qui aboutit hors de la forêt, il nous sera facile de continuer notre route. En avant »

Ce n’était pas chose facile que de suivre directement les méandres de ce désert broussailleux, émaillé de temps à autre de champs de gazon et sillonné par des ruisseaux le long desquels s’élevaient de grands arbres : eucalyptus, noyers muscades, et acacias couverts d’une multitude de fleurs dorées. Toutes ces essences croissaient entre les roches et offraient aux yeux un spectacle grandiose.

Les jeunes explorateurs ne négligèrent pas de tracer sur les arbres et les roches de grandes marques qui, pareilles aux fils d’Ariane ou aux cailloux du Petit-Poucet, devaient les aider à revenir sur leurs pas. Mais à chaque instant ils s’arrêtaient pour admirer les oiseaux s’élançant hors de leurs nids, comme pour protester contre la présence de ces étrangers envahisseurs.

« Ne ferions-nous pas bien, dit enfin Gérald à Hugues, de nous approvisionner de gibier et d’œufs pour pouvoir tenir pendant une semaine dans notre forteresse ?

— Cela, me paraît inutile, répliqua Hugues puisque nous ne pouvons pas conserver nos vivres, en raison de la chaleur. Qu’il nous suffise d’apporter quelques spécimens de ces oiseaux à mon père et à ma sœur, pour prouver la vérité de notre découverte. Ce dont il s’agit, c’est de trouver l’endroit où aboutit ce défilé, qui nous conduira peut-être à la liberté.

— Le chemin en est difficile de toutes façons, fit Gérald ; mais continuons. »

En effet, les deux amis se glissèrent sous les buissons, sautèrent de roche en roche, traversèrent quelques ruisseaux, pendant une heure environ, jusqu’au moment où Hugues dit à son ami qu’à son avis ils feraient bien de retourner, de peur d’alarmer leurs parents et amis.

« Mais qu’entends-je ? dit alors O’Brien ; on dirait le bruit d’un cours d’eau. »

Et voilà les deux jeunes gens qui s’aventurèrent encore au milieu de mille difficultés de terrain, et parvinrent enfin sur la rive d’un fleuve resserré entre des montagnes et se dirigeant vers l’ouest. Le lit du courant d’eau avait environ quarante mètres de large ; mais il était tellement encaissé, qu’il semblait impossible de le traverser. Des massifs de bambous croissaient sur les bords ; mais, en regardant plus loin, les jeunes gens s’aperçurent que le pays était très découvert.

« Plût à Dieu que nous pussions traverser ce fleuve ! dit Gérald ; nous échapperions ainsi à ces méchants sauvages, qui probablement n’ont pas de canot. Nous conduirons Jack en cet endroit, et il pourra fabriquer une embarcation qui nous donnera les moyens de fuir ces lieux inhospitaliers et cette peuplade de démons. Nous allons lui porter un morceau d’écorce comme preuve de la possibilité de l’essai que nous lui proposons. »

Tout en parlant ainsi, les jeunes gens coupèrent une grande lanière d’eucalyptus, qu’ils roulèrent de façon à en faire un vaste cornet, au milieu duquel ils placèrent quatre faisans et une certaine quantité d’œufs. Cette récolte se fit pendant qu’ils retournèrent sur leurs pas, en suivant les traces blanches faites avec la craie ; si bien que Hugues et O’Brien parvinrent bientôt devant la croix qu’ils avaient tracée au sortir du « bosquet enchanté ».

Quelques minutes après, ils rentraient dans la caverne et se montraient aux yeux de ceux qui y étaient restés.

« Nous sommes allés en maraude, dit Gérald en tirant les faisans de son cornet d’écorce. Que penses-tu de notre chasse, général Arthur ?

— Je crois que vous avez commis une grande imprudence, mon frère et toi, répondit l’aîné des Mayburn ; mais je devine que vous avez trouvé quelque issue cachée hors de cette caverne. Toutefois, comment vous êtes-vous risqués ainsi pour le plaisir de nous rapporter ces quatre faisans ?

— Oh ! nous avons fait une découverte très importante, observa Hugues, et je suis certain que ni notre père ni Marguerite ne nous blâmeront lorsqu’ils auront jugé par eux-mêmes de la beauté et de la sûreté du lieu d’où nous venons. »

Et les deux jeunes gens se mirent à raconter leur voyage aventureux hors de la caverne assiégée, bénis par leurs auditeurs, qui retrouvaient l’espoir de fuir loin de ces lieux sombres, où la faim et la soif les eussent un jour ou l’autre, livrés aux sauvages.

« Qui nous empêche de partir tout de suite ? observa Max Mayburn.

— C’est impossible, mon père, répliqua Arthur. Il nous faut d’abord trouver les moyens de traverser le fleuve, et, d’autre part, la journée est trop avancée pour que nous puissions quitter la caverne avant la nuit. En dernier lieu, il faut que les sauvages restent persuadés que notre intention est de leur résister dans cette caverne.

— N’importe, monsieur Hugues, dit alors Jack, si vous n’êtes pas trop fatigué, vous m’obligeriez fort en me montrant le « bosquet enchanté ». Wilkins viendra avec nous, afin de m’aider à porter mes cordes. »

Le convict ne se le fit pas dire deux fois il prit un rouleau des câbles fabriqués par Jack, et suivit O’Brien et le jeune Mayburn, qui accompagnaient l’habile ouvrier, l’industrieux compagnon.

Ce que les deux amis leur montrèrent les combla de joie ; ils ne pouvaient en croire leurs yeux.

« Ah ! fit alors le convict, foin des oiseaux et des œufs ! Que ne pouvons-nous mettre à bas un de ces kangarous ! Vive le ciel bleu, j’apprécie cela, moi qui sais ce que c’est qu’une prison. Dieu me préserve d’y revenir !

— Quels beaux arbres ! s’écria Jack. Hélas ! il ne nous manque que des outils. Morbleu ! si j’avais la hache que brandissait hier dans ses mains un de ces méchants sauvages ! Il m’a semblé qu’elle était fabriquée avec une sorte de pierre dure : plaise au Ciel que nous trouvions un morceau de cette espèce de caillou dur !

— Vous oubliez, mon cher Jack, fit Wilkins, que nous ne pouvons point songer à abattre des arbres, entourés comme nous le sommes par des ennemis. Faisons plutôt une embarcation avec de l’écorce.

— En effet, répondit Jack. Écorcer un arbre peut se faire sans bruit : aidez-moi, et je ferai une sorte de bac pour traverser le fleuve. »

L’arbre fut dépouillé de son enveloppe extérieure, et on se hâta de cacher cette écorce dans les buissons, pour rentrer à la caverne. L’ombre descendait, et en s’attardant un peu il eût été à craindre que l’on n’aperçut plus les traces blanches et la croix qui les terminait.

Ils arrivèrent enfin.

« Allons, ma bonne Jenny, s’écria Gérald en rentrant dans la caverne et en dansant devant elle, préparez les paquets ; toi, Ruth, remets tes poules dans leur panier, afin d’être prête au bon moment. Dès le lever du soleil, quand je me mettrai à siffler, vous m’entendrez vous dire : En avant, marche !

— Nous agirons sagement, à mon avis, dit Arthur, en faisant une fausse sortie, pour laisser croire à nos ennemis que nous tenons toujours et que nous les bravons.

— Excellente idée, monsieur Arthur ! s’écria Wilkins. Nous leur fournirons une volée de flèches pour leur faire nos adieux. »

Le lendemain matin, quand tout était prêt pour quitter la caverne, après l’absorption d’un repas substantiel, Ruth, s’étant avancée du côté de la muraille qui barricadait l’entrée de la caverne, recula avec terreur et annonça aux assiégés que les hideux sauvages étaient toujours là.

Chacun se précipita du côté des meurtrières, et on put voir alors les indigènes qui avaient apporté d’énormes brassées de bois sec devant la caverne et avaient allumé un feu avec l’intention apparente de s’établir en cet endroit pour monter la garde. Mais les coquins se tenaient sur leurs gardes, et ils avaient eu la précaution de se placer sur le côté, de façon à ne pas être atteints par les flèches des assiégés. Cette surveillance était réellement vexatoire.

« Allons ! dit alors Wilkins, il va falloir « brûler un peu de poudre aux moineaux » pour empêcher ces jolis « blondins » de nous épier et de parvenir peu à peu à se glisser au milieu de nous. Voyez là-bas ce moricaud peint en rouge qui frappe le sol avec sa hache c’est celui qui a eu l’intention de m’atteindre avec sa flèche, dont j’ai senti le sifflement à mon oreille gauche. Voyons, monsieur Arthur, laissez-moi faire. Je ne veux pas le tuer, mais je compte lui faire une peur épouvantable. »

Arthur, nous l’avons dit, redoutait fort de tirer inutilement un coup de feu ; mais l’arrogance du sauvage et les chocs qu’il donnait à la muraille de pierre lui prouvèrent qu’il fallait en finir. Comme Wilkins lui promit de ne point blesser mortellement ce redoutable champion, l’aîné des Mayburn chargea le fusil et le remit aux mains du convict, qu’il savait être un très habile tireur.

Wilkins choisit attentivement son but et attendit le moment favorable pour tirer. Le sauvage levait sa hache pour abattre une pierre, lorsque la balle le frappa à l’épaule. Un cri de douleur répondit à la détonation et le blessé tomba la face contre la terre. Tout aussitôt la troupe qui l’entourait se prit fuir du côté des bois : deux indigènes seulement s’empressèrent de relever leur compagnon, qu’ils emportèrent en poussant d’affreux gémissements.

« Nous voilà débarrassés pour quelque temps de ces messieurs, fit Wilkins. Allons ! mettons-nous en route.

— Je voudrais bien m’emparer de la hache, dit alors Jack. Je ne crois pas, monsieur Arthur, que vous trouviez quelque objection à cela.

— Ni moi non plus, s’écria Gérald : les dépouilles du vaincu appartiennent au vainqueur. »

Max Mayburn, avec cette bonhomie qui était son partage, fit bien quelques objections, qui ne furent point prises en considération par ses autres compagnons ; mais Arthur déclara qu’il ne fallait rien prendre aux sauvages, et Jack dut se résigner.

Sans perdre plus de temps, tous les assiégés, chargés de leurs paquets, quittèrent la caverne, précédés par les deux pionniers de la découverte. Ils arrivèrent enfin, à leur grande joie, en plein air sous le « berceau enchanté », et sortirent ensuite au milieu de la ravine aboutissant au fleuve.

Max Mayburn était aux anges de se trouver ainsi délivré, de pouvoir admirer encore cette étrange végétation de l’Australie, ces oiseaux multicolores qu’il eût voulu tous emporter avec lui. Mais il fallut user de prudence, et ordre fut donné de ne point parler et d’éviter de faire rouler des pierres, de peur du bruit. C’est de cette façon que l’on parvint sur le bord de la rivière.

Jack retrouva facilement les lanières d’écorce coupées la veille par ses amis et lui il façonna, avec ces débris et les cordes fabriquées à l’avance, une sorte de radeau auquel il ajouta deux rames également faites de morceaux d’écorce adaptés à des tiges de bambou.

« Allons ! monsieur Hugues, fit-il alors, venez avec moi faire l’essai de cette embarcation. Prenez un des bouts de la corde, et quand nous aurons passé de l’autre côté nous fixerons l’autre extrémité du câble si bien que par un va-et-vient tout le monde se trouvera transporté sur la rive opposée. »

Hugues, enchanté d’être choisi pour passer le premier, descendit sur la fragile embarcation, et, avec le concours de Jack se hasarda sur le courant du fleuve. Les deux hardis navigateurs ne tardèrent pas à atteindre l’autre rive. Ils se glissèrent au milieu des roseaux, parvinrent sans peine à fixer solidement la corde à un arbre. À l’aide d’un second câble qui passait dans un anneau formé de branches d’arbres, le radeau-bac put revenir près des autres voyageurs. Marguerite prit place à son tour, et arriva sans encombre vers son frère et leur ami Jack. L’un après l’autre les naufragés du Golden-Fairy risquèrent la même entreprise, et réussirent à débarquer sains et saufs. Seulement le dernier, ce fut Wilkins, coupa la corde qui retenait le bac du côté du départ, et fut halé doucement près de ses camarades d’aventures.

Cela fait, on laissa le radeau-bac s’en aller à la dérive, tandis que l’on se frayait un passage à travers les joncs et les bambous qui obstruaient les bords du courant d’eau.

En parvenant sur le point culminant de la berge, les voyageurs aperçurent devant eux une plaine verdoyante, qui s’étendait aussi loin que les yeux pouvaient s’égarer à l’horizon.

« Dieu soit loué ! s’écria Gerald O’Brien en sautant de joie, me voici revenu sur le sol de la « verte Èrin », ma patrie, la vieille Hibernie. Nous n’avons plus à craindre de mourir de la pépie l’eau coule partout ; je la sens clapoter sous la semelle de mes bottes.

– Parbleu, nous sommes dans un marécage, dit Wilkins et il nous serait impossible de courir si nous le voulions. Il nous faudra faire attention pour ne pas enfoncer. Allons la main aux dames. »

Jenny Wilson, à qui le convict adressait ces paroles polies, n’était pas accoutumée à sauter ; cependant, tout en obéissant aux mouvements indiqués par Wilkins et en faisant appel à ses souvenirs de jeunesse, elle parvint à franchir d’un endroit sec à l’autre tout l’espace occupé par le marécage.

À chaque instant les voyageurs effarouchaient de nombreuses volées d’oiseaux aquatiques, parmi lesquels de superbes grues au plumage admirable, que Max Mayburn suivait dans l’espace. D’autre part, le passage des naufragés soulevait des myriades d’insectes dont les piqûres étaient fort désagréables mais l’espoir de conquérir la liberté faisait oublier ces inconvénients.

En effet, toute la journée fut employée à franchir cette fondrière, et le soleil descendait derrière l’horizon lorsque les voyageurs parvinrent sur la lisière, devant un arbre aux feuilles larges et semblables à celles du noyer, essence très rare en Australie.

Les jeunes gens se mirent alors en chasse, et rapportèrent des canards sauvages pour le repas du soir. Max Mayburn et tous ceux qui l’entouraient adressèrent à Dieu des actions de grâces et chacun chercha ensuite dans le repos l’oubli et la réparation de ses fatigues.

Le lendemain, dès le matin, on se remit en marche, en s’appuyant sur des bâtons que les jeunes gens avaient coupés pour chacun, et on eut pu les prendre pour des pèlerins se rendant à quelque chapelle lointaine.

Il leur fallut encore traverser des marécages ; mais, grâce à leur appui, ils purent franchir ces obstacles le cœur gai et sans trop de fatigues.

Très souvent les jeunes chasseurs voyaient des kangarous bondir devant eux, des opossums s’élancer dans les branches des arbres, et bonne envie leur prenait de les poursuivre.

« À quoi bon ? disait Arthur : ne sommes-nous pas assez chargés ? Il nous serait impossible de porter autre chose sur nos épaules. Prenez patience jusqu’au moment où nous arriverons à l’endroit où nous ferons halte. Il y a tant de gibier dans ce pays-ci, que nous trouverons aussitôt à nous approvisionner. Mais, attention ! nous nous éloignons des montagnes, et nous enfonçons de plus en plus au milieu des marécages. Mon avis est de nous porter à l’ouest, et de tenter l’ascension du sol élevé avant de nous arrêter pour passer la nuit. »

Ce n’était pas chose facile que de gravir ces montagnes, couvertes de broussailles, par une chaleur étouffante ; mais, quand nos voyageurs atteignirent le sommet, ils furent récompensés de leur peine par la vue d’une ravissante vallée dont le niveau était plus bas que celui du pays qu’ils avaient parcouru, et qui était couverte de monticules verdoyants, d’arbres géants sous lesquels poussait un gazon épais, émaillé de fleurs de toutes couleurs dont les parfums pénétrants embaumaient l’atmosphère.

Des perroquets au plumage chatoyant se jouaient au milieu des arbres, faisant entendre des cris rauques interrompus quelquefois par des sons mélodieux provenant d’un oiseau inconnu ; des ruisseaux sans nombre sillonnaient de toutes parts cette plaine, qui rappelait le paradis, et à l’extrémité de laquelle Arthur aperçut un grand courant d’eau.

« Il nous faudra traverser encore ce fleuve, observa Hugues : ainsi, mon cher Jack, vous aurez à nous construire encore quelque embarcation.

— Pourquoi, ajouta Max Mayburn, ne nous établirions-nous pas au milieu de, ce vallon, image du paradis terrestre ? Nous élèverions une hutte suffisante pour nous abriter, et nous vivrions ici dans la joie et l’abondance. Qu’en dis-tu, Marguerite ?

– Je crois, mon père, fit celle-ci, que notre existence serait oisive et sans aucun but.

— Vous oubliez, Monsieur, continua Wilkins, que les sauvages ne tarderaient pas à nous découvrir et à nous faire un mauvais parti.

— Sans compter, ajouta Jenny Wilson, que nous n’aurions pas la possibilité de nous vêtir convenablement quand les habits déchirés que nous portons seraient complètement usés.

— Allons ! cher père, les votes sont contre votre motion, observa Arthur. Moi aussi je pense que les sauvages connaissent le pays où nous sommes, et qu’un jour ou l’autre ils nous surprendraient traîtreusement comme ils ont voulu le faire.

– J’ai tort et j’en conviens, fit Max Mayburn.

— Voilà ce que nous allons faire, continua Arthur nous parcourrons la vallée en nous avançant du côté du grand fleuve, là-bas ; quand nous l’aurons traversé, nous saurons du moins que nous avons laissé nos ennemis sur ce bord, et nous garderons l’espérance de ne plus rencontrer de sauvages sur l’autre rive. »

En effet, le voyage continua à travers un pays accidenté de montagnes, de ruisseaux, de forêts. Du haut d’un pic élevé, nos explorateurs aperçurent un large courant d’eau qui leur parut ne pouvoir être franchi autrement que dans une sérieuse embarcation.

« Nous ferons bien d’aller en avant pour reconnaître le territoire, observa Hugues.

– Et bien vous agirez, ajouta Wilkins. Attention, seulement ; vous allez trouver d’énormes poissons, des limaces, des serpents et toutes sortes de reptiles. Oh ! ne tremblez pas ainsi, mistress Wilson. Moi qui vous parle, j’ai trépigné sur toutes ces vermines-là, et elles ne m’ont pas dévoré. Mais que vois-je ? un « rond noir » devant nous ! »

Le « rond noir » désigné par Wilkins était un espace en cercle, au centre duquel on avait allumé du feu peu de temps auparavant. Au milieu de ce campement se trouvaient des flèches à moitié finies, armées de pierres pointues, dont la provision était amoncelée en tas ; il y avait, en outre, une hache de pierre non montée.

« Je ne m’approprierai pas cette arme, fit Jack à Arthur ; mais, quant à cette pierre informe, elle appartient à tout le monde, et je vais, à l’aide de ce silex, façonner un instrument pareil à celui que j’ai là sous les yeux. »

Il va sans dire que Jack réussit à imiter le modèle ; Hugues avait coupé une branche d’arbre pour façonner le manche, et Gérald recueillait de la gomme d’un eucalyptus. De cette façon, Jack put se faire une hache très solide, et il eut l’envie de s’en fabriquer une seconde, tandis que tous les voyageurs le regardaient travailler en se reposant.

Max Mayburn ne se sentait pas à l’aise dans cet endroit fréquenté par les sauvages. On se remit donc en marche, et l’on parcourut la route aboutissant au fleuve, en traversant un territoire couvert de belles herbes et d’avoines sauvages en pleine maturité, dont on fit ample provision.


Il fallut ensuite traverser un second marécage, qui avait été inondé à l’époque des pluies, et sur lequel avait poussé une forêt de mangliers dans les feuilles desquels les moustiques bourdonnaient sourdement. Le passage de ces « paluds » fut assez difficile pour arriver jusque sur les bords du fleuve, qui avait environ trois cents mètres de large et s’écoulait dans la direction de l’ouest. On ne pouvait pas songer à traverser le courant d’eau à gué ; et comme, de l’autre côté, de grandes montagnes empêchaient la vue de s’étendre au loin, on devait recourir à des canots pour aller en avant.

« Nous n’avons pas d’embarcation sous la main, remarqua Arthur ; je propose donc de descendre le courant pendant un ou deux jours tout en marchant, nous recueillerons des matériaux pour fabriquer un bateau. »

Les jeunes gens se prêtaient à tout ce qui pouvait être utile ; aussi se mirent-ils à chercher de tous les côtés pour trouver des arbres d’essences nouvelles : chênes, ormeaux, cèdres, buis, ou tout au moins leurs équivalents dans la faune australienne. Max Mayburn indiqua à ses enfants le xanthorrhea arborea, dont le tronc, haut de dix à douze pieds et large de deux mètres environ, était couronné par un massif de palmes d’une forme très gracieuse.

Wilkins désigna à la curiosité des voyageurs la plante à thé, que les colons d’Australie emploient au lieu et place de l’herbe chinoise. Jenny qui en fit une infusion, déclara qu’elle trouvait cette boisson excellente mais qu’elle serait encore meilleure si l’on avait du sucre et du lait.

Max Mayburn ajouta que cette plante devait être de l’espèce de celles qui sont très utiles dans la thérapeutique, car elle avait indubitablement une propriété bienfaisante pour le corps humain, et produisait, par l’ébullition une boisson salutaire et agréable.

« Je suis d’avis, ma chère Jenny dit-il à la vieille servante, qu’il est inutile de faire une trop grande provision de ce thé d’Australie, car, vous le voyez, la plante pousse partout, et nous avons déjà trop de choses à porter par cette chaleur accablante de la saison d’été. »