Revoil Voyage au pays des Kangarous 1885/ch13

Traduction par Bénédict-Henry Révoil.
Mame (p. 94-101).

CHAPITRE XIII

Fabrication de cordages. — La grotte aux peintures murales. — Ruth près des étangs. – Provisions pour la forteresse. — Blocus. — L’attaque et la défense. – Effusion de sang. — Resserrement du siège des sauvages. — Crainte de famine.


Max Mayburn éprouva une grande inquiétude jusqu’au moment où, l’aube ayant paru, il put se mettre en route avec tout son monde, car les buissons, selon lui, étaient un emplacement excellent pour leurs ennemis.

Tout en s’avançant, les jeunes gens trouvèrent des quantités de lianes textiles, dont les filaments avaient une vingtaine de pieds de long et pendaient aux arbres de tous les côtés. Ils en firent ample provision et s’éloignèrent en emportant ce fardeau, qui pouvait les tirer d’embarras.

Ils parvinrent ainsi devant une sorte de colonne, formée par un rocher très élevé, plantée dans la terre, au milieu d’un espace ouvert où l’attaque des ennemis n’était point à craindre. On fit halte pour le déjeuner, qui se composa de grillades de kangarou. Le repas terminé, Jack attacha une extrémité de ses lianes filamenteuses à un arbre, et commença une corde qui atteignit bientôt une très grande longueur. Ses camarades se livrèrent au même travail si bien que, lorsque vint le moment du départ, tous les jeunes gens se trouvèrent chargés à un tel point, qu’ils pliaient sous le poids. Ils ne marchèrent pas moins courageusement, avec le désir d’employer, aussitôt que possible, ces cordes à l’ouvrage proposé par Jack.

Leur route les amena vers une chaîne de collines s’étendant de l’est à l’ouest, au pied de laquelle ils parvinrent avant la fin du jour.

On trouve toujours, dans les gorges de ces montagnes de l’Australie, des grottes où l’on peut se cacher. Les voyageurs ne tardèrent pas à rencontrer une de ces cavernes qui peuvent contenir vingt personnes au moins ; elle était parfaitement sèche, et un sable fin en couvrait le sol. Dès que le feu eut été allumé, les nouveaux venus découvrirent que déjà la grotte avait été habitée ; car les parois en étaient couvertes de peintures sauvages, représentant des animaux et des hommes, coloriés et d’un aspect saisissant.

Ce fut avec un grand plaisir que les jeunes gens examinèrent les dessins figurant des kangarous, des opossums, des lézards de diverses grandeurs et des têtes d’homme colossales, dont les lignes ressemblaient fort à celles que tracent les enfants au début de leurs leçons.

« Je ne crois pas qu’il me fût possible de dessiner un kangarou aussi bien que celui-là, observa Gérald ; mais je pense que je rendrais mieux une tête d’homme. Regardez, miss Marguerite, en voilà une qui a les cheveux rouges et le nez vert.

— C’est drôle, mais très instructif, répondit Max Mayburn car cela prouve que ces sauvages ne sont pas si ignorants qu’où veut bien le dire. Je voudrais pouvoir établir des relations amicales avec quelques-uns des habitants, fit-il en s’adressant à Arthur.

— Cela serait possible s’ils venaient à nous ouvertement, d’une façon amicale mon cher père, répondit-il mais à les voir se glisser dans l’ombre et chercher à nous surprendre, nous devons penser que leurs intentions sont hostiles. Ne sommes-nous pas forcés, en ce moment, de songer à nous défendre contre leur attques ? Ne nous faut-il pas monter la garde de peur de surprise ? À ce sujet, je suis d’avis que nous ferions bien de nous barricader. »

Chacun approuve la motion d’Arthur, et l’orifice de la grotte fut bien vite protégé par une masse de pierres.

On procéda ensuite au souper, puis chacun se coucha, et l’on dormit avec plus de quiétude que la nuit précédente.

« Qui donc a renversé ces pierres ? demanda Wilkins en se levant d’un bond, aux premières lueurs du jour.

— Ce doit être Ruth, répliqua Jenny Wilson, qui, après avoir donné à manger à ses poules et tout arrangé comme si nous étions dans une maison, m’a dit qu’elle allait sortir pour chercher de l’eau. C’est une bonne travailleuse, monsieur Wilkins, mais elle a ses façons à elle.

— Drôles de façons, qui auraient pu donner accès dans notre chambre à coucher à une centaine de moricauds ! Je crois, mon cher Jack, que nous ferons bien d’aller à la recherche de votre sœur. »

Les voyageurs furent très mécontents en apprenant la sortie extra-matinale de Ruth ; mais ils se dirent qu’après tout elle ne devait pas être bien loin, car, devant la grotte, se trouvaient une mare et des ruisseaux où l’eau coulait en abondance.

Quelques minutes s’étaient à peine écoulées, que l’on entendit des cris stridents au dehors. Chacun s’empara de l’arme qui lui tomba sous la main, et, parvenus devant l’orifice de la grotte, on put voir la jeune fille courant à perdre haleine du côté du campement poursuivie par six indigènes entièrement nus et armés de zagaies. Ces noirs allaient évidemment s’emparer de Ruth si l’on ne se portait aussitôt à son secours.

« Il faut crier à pleins poumons, s’écria Wilkins, et leur adresser une volée de flèches ; visez juste. Tous les coups doivent porter ; c’est indispensable, sinon nous sommes perdus. »

Les indigènes brandissaient leurs zagaies ; mais les voyageurs se mirent à pousser des hurlements et montrèrent leurs couteaux, dont les scintillements au soleil effrayèrent les premiers. Ceux-ci s’arrêtèrent et regardèrent en arrière, comme s’ils s’attendaient à voir leurs camarades arriver à leur secours. Il n’en était rien ; aussi, se voyant seuls, les sauvages lancèrent leurs armes et se sauvèrent au milieu des buissons.

Ruth était tombée de peur sur le sol, et quand Jack la releva, il s’aperçut qu’elle avait été blessée à l’épaule. Par bonheur, ce n’était qu’une égratignure la flèche avait été retenue par le vêtement et n’avait fait qu’effleurer la peau.

« Ils vont me manger ! criait-elle. Ils nous croqueront tous. Qu’est-ce que Jenny va dire ? Ils m’ont pris ma calebasse pour porter de l’eau ! »

La malheureuse créature avait, en effet, dans un moment de terreur, laissé tomber cet ustensile de ménage, et c’était une perte réelle. Tandis que Gérald ramenait Ruth à la caverne les autres jeunes gens se dirigèrent vers les mares et les ruisseaux, avec l’espoir de retrouver la gourde et dans l’intention de rapporter de l’eau.

Le récipient fut, en effet, retrouvé et l’on se hâta de le remplir pour revenir bien vite au campement, où régnait une véritable panique.

« Je suis d’avis de nous éloigner rapidement d’ici, disait Max Mayburn.

— N’en faisons rien, répliqua Wilkins, qu’Arthur interrogeait du regard. Comment pouvons-nous fuir à travers la plaine, chargés comme nous le sommes ? Nous ne tarderions pas à voir à nos trousses une centaine de noirs, si ce n’est plus, dans le hideux costume que vous savez.

— Mais, mon pauvre garçon, si nous demeurons ici, nous serons massacrés, observa le vieillard.

— N’ayez pas peur, cher père, répliqua Arthur. Wilkins me paraît être d’avis de rester ici et d’y soutenir un siège, jusqu’à ce que ces sauvages soient fatigués de nous tenir en respect.

— Voilà qui est parfaitement dit, ajouta Wilkins ; nous en viendrons certainement à bout ; mais il faut s’occuper des provisions, afin de ne pas mourir de faim. Il s’agit de manger, voyez-vous, pour se défendre avec courage.

— N’oubliez pas l’eau, fit Marguerite ; car si nous sommes assiégés pendant quelque temps, ce sera chose importante.

— Ne craignez rien, Mademoiselle, l’eau ne manquera pas. À vrai dire, j’aimerais mieux de la bière. Ah ! si nous avions un tonneau, nous pourrions le remplir avant que ces moricauds fussent de retour. Voyons, Jenny, avant de songer à faire cuire notre déjeuner, donnez-nous tout ce que vous avez en fait de coquilles et de récipients à eau. »

La cuisinière vida le contenu de la gourde dans l’écaille de tortue, et Wilkins s’en empara pour aller la remplir aux petites mares, où il fut suivi par tous les jeunes gens, qui portaient des coquillages que l’on devait employer au même usage. On songea également à se procurer des vivres. Les arbres étaient couverts d’oiseaux on eût dit une volière. Rien n’eut été plus facile que d’en abattre un grand nombre à coups de flèches ; mais l’important était de se munir d’eau avant le retour de l’ennemi. Tout calcul fait, quand les récipients furent pleins, les jeunes gens calculèrent qu’ils en auraient à peine pour deux jours et encore en la ménageant beaucoup.

À peine eurent-ils pu tuer une douzaine de faisans, que les coo-ee des indigènes se firent entendre de nouveau, toujours de plus en plus près. Ils se virent forcés de rejoindre la caverne pour se préparer à la défense.

Le premier soin des naufragés du Golden-Fairy fut de fortifier sérieusement l’orifice de la cavité à l’aide de grosses pierres. D’autre part, comme il était clairement démontré par les illustrations murales de la grotte qu’elle était connue des sauvages, il parut opportun aux assiégés de se livrer à des recherches sérieuses, afin de s’assurer s’il n’y avait pas d’autres issues par lesquelles les indigènes auraient pu pénétrer et les surprendre. L’examen prouva que les boyaux qui s’ouvraient deci delà n’aboutissaient pas au dehors. On trouvait, en différents endroits, des traces de feu, preuves du séjour qu’avaient fait en cet endroit des habitants prédécesseurs de la famille Mayburn mais, à part la petite provision de bois préparée la veille, rien ne pouvait servir à faire cuire les aliments.

« Nous ne sommes pas encore habitués à manger de la viande crue, dit Hugues à son frère ; aussi, monsieur le commandant Arthur, je suis d’avis de faire une « sortie » pour nous procurer du bois.

— Soit, répondit celui-ci ; mais avant tout il faut s’assurer, en regardant à travers les créneaux, que nous ne risquons rien en quittant nos fortifications.

— C’est convenu, riposta Hugues. Ah ! grand Dieu ! Gérald, regardez tous ces sauvages, là, devant nous, tenant leurs zagaies dans la main gauche et prêts au combat. Arrière, Ruth ! petite folle n’as-tu pas déjà vu de près ces horribles figures ?

— Oh ! mademoiselle Marguerite, s’écria la jeune fille, ils vont venir vous dévorer. Ils se moquent bien des murs de pierres, ces païens-là ! Ce sont des fantômes noirs, des démons. Oh ! maître Mayburn, nous sommes perdus ! »

Les naufragés du Golden-Fairy, tout en faisant taire la malheureuse fille, examinèrent les sauvages qui se présentaient à leurs yeux. Ils étaient là par centaines, tout nus, le corps badigeonné de craie blanche avec laquelle ils avaient dessiné sur leur peau noire, les uns des figures fantastiques, d’autres les côtes d’un squelette. Ils sautaient, dansaient, gesticulaient, s’écartaient en criant comme des forcenés ; leur agilité était merveilleuse, et ils tenaient dans leurs mains des javelots, qu’ils se disposaient à lancer dès qu’un but humain se présenterait à leur vue.

Tous les prisonniers de la caverne éprouvèrent une sorte de terreur, et Jack, qui d’ordinaire était le premier à excuser les fautes de sa sœur, ne put s’empêcher de s’écrier :

« Oh Ruth, c’est ta faute si nous sommes ainsi cernés par ces noirs, qui en veulent à nos vies.

— Hélas ! mon frère aimé, je n’ai pas cru mal faire en sortant chercher de l’eau. Lorsque j’ai aperçu le premier sauvage qui m’a poursuivie, je me suis mise à courir en criant pour vous prévenir. Tu sais le reste.

— Oui, certainement. Mais, après tout, mieux vaut encore avoir ses ennemis devant soi que derrière. Monsieur Arthur, laissez-moi leur décocher une flèche.

— N’en faites rien, répliqua celui-ci. Il faut épargner nos « munitions », et, d’autre part, je ne veux pas que nous soyons les agresseurs. Si nous possédions de la poudre et des balles, il suffirait de tirer quelques coups de feu pour les mettre en fuite ; mais je tiens particulièrement à ne pas tirer une seule pincée la poudre de notre petite provision. Voyons maintenant ce que font ces horribles coquins. »

Un sauvage d’une grande taille s’était hissé sur un bloc de rocher à trente mètres de la caverne, et, l’arc bandé, se disposait à lâcher la corde qui tenait la flèche. Ses doigts se détendirent, et le roseau pointu vint passer entre les têtes des prisonniers, rassemblés près de l’ouverture de la grotte, pour aller renverser une des coquilles pleines d’eau.

« Gredins ! misérables ! s’écria Jenny Wilson. Voyez, monsieur Mayburn, le malheur qu’ils viennent de commettre.

— Il n’y a pas autant de mal, ma brave femme, que s’ils avaient crevé l’œil de l’un de nous. Nous savons ce que ces sauvages peuvent faire ; c’est à nous de nous garer maintenant. »

Gérald ne put se contenir davantage ; et, prenant son arc, il lança une flèche, artistement barbelée, dans l’épaule du sauvage, qui, poussant un cri de douleur, dégringola du haut de son rocher.

Tous les compagnons de ce guerrier indigène l’entourèrent aussitôt, et quelques instants après, emporté par quelques noirs, il disparaissait dans la forêt, suivi de toute la bande.

Wilkins ne put retenir sa joie il frappa sur l’épaule d’O’Brien en lui disant : « Bravo, mon garçon vous êtes diantrement adroit, et ces damnés chiens doivent savoir ce que nous pouvons faire. Si vous aviez manqué votre coup, c’en était fait de nous tous. Les sauvages s’apercevront que nous sommes à deux de jeu.

— Je ne puis vous approuver, Gérald, observa Max Mayburn. J’espère que le malheureux n’est pas grièvement blessé.

— Cependant, Monsieur, ajouta Wilkins, ces gens-là ont tiré sur nous avec l’intention de nous faire du mal ; aussi n’est-ce qu’un prêté rendu.

— Enfin ils sont partis ! puissent-ils ne pas revenir ! répliqua Gérald. Ah ! si nous pouvions maintenant nous procurer du bois.

— Un moment, un moment, fit Arthur ; pas d’imprudence. Nous avons assez de combustible pour un jour, et nous ignorons à quelle distance nos ennemis ont pu fuir.

— Pas si loin que vous pourriez le croire, observa Wilkins. Derrière chaque arbre, chaque rocher, il doit y avoir une sentinelle noire. Il nous faut donc manger ce que nous avons comme nous pourrons. Bientôt nos ennemis nous joueront un autre tour de leur façon. »

Ce qui fut dit fut fait, et la journée s’écoula de la sorte, les yeux au guet, à écouter les cris de signaux des sauvages, sans jamais les apercevoir. Jenny Wilson avait fait rôtir les faisans avec le bois qui se trouvait dans la caverne, tandis que Marguerite remplissait un sac des plumes de ces oiseaux, afin que son père pût y reposer sa tête, malgré les protestations de ce dernier, qui prétendait n’avoir pas besoin de cette « douilletterie » et ne pas vouloir ajouter un autre bagage à celui dont ils étaient déjà chargés.

« C’est moi qui porterai ce sac-oreiller, répliqua Marguerite. J’espère que nous trouverons bientôt une rivière dont la navigation nous déchargera de tous nos fardeaux.

— Je préférerais, je l’avoue, fit Jenny Wilson, un véhicule traîné par des bœufs ; ceux de M. Deverell, entre autres, dans lesquels vous et M. Mayburn seriez transportés.

— Tandis que nous monterions à cheval, ajouta Hugues. Quoi que vous en disiez, cher père, sur la beauté de la nature dans ce pays, convenez qu’il y manque des animaux de charroi des chameaux, des éléphants, des lamas, des vigognes, voire même des onagres, que l’on dompterait avec un peu de ténacité. Le seul quadrupède que nous ayons encore rencontré, c’est le kangarou. Je n’ai jamais ouï dire qu’un homme soit parvenu à se servir d’un de ces animaux pour monture.

– C’est que l’on n’a pas essayé probablement, riposta Gérald. Ah ! si nous rencontrions quelque autruche pour la soumettre à nos volontés !

— Je ne pense pas, remarqua Max Mayburn, que l’émeu, qui est l’autruche de l’Australie, soit de taille suffisante pour porter des fardeaux, et que son caractère le dispose à se soumettre à l’homme ; mais aurons-nous jamais la possibilité de rencontrer un de ces oiseaux géants ? »

En se promenant dans les différents boyaux de la caverne, les jeunes gens découvrirent une certaine quantité de bois mort, empilé dans une cavité supérieure.

« Si les indigènes connaissaient cette ouverture qui aboutissait au rocher supérieur, se disaient-ils entre eux, ne pourraient-ils pas se glisser parmi nous ? » car il n’y avait pas à récuser l’évidence ; le fait était exact.

« Nous veillerons de ce côté-là, dit Hugues à ses amis. Jenny va être bien contente en voyant cette provision, qui suffirait à alimenter le foyer d’hiver d’une famille ; qui plus est, nous pourrons fabriquer des flèches à volonté. Allons, mettons-nous à l’œuvre avec les arêtes des poissons que nous avons mises en réserve, nous aurons bientôt des armes excellentes. »

Marguerite vit avec plaisir les deux jeunes gens les plus turbulents de la bande s’occuper sérieusement ; mais son père protesta contre la fabrication de ces engins, dont les pointes, inutiles pour la chasse aux oiseaux et aux animaux, étaient destinées à blesser ou tuer des hommes.

Wilkins, lui, fabriquait une paire de souliers à l’aide de la peau de kangarou, tandis que Jack façonnait de la corde avec le reste de l’écorce textile.

La journée se passa sans la moindre alerte.

La nuit fut également très calme, et l’aube parut sans que les sauvages eussent fait acte de présence. Cependant, avant midi, l’on aperçut tout à coup une troupe immense qui se rua devant l’entrée de la caverne, de façon à empêcher les assiégés de faire usage de leurs armes.

Les sauvages étaient armés de massues, à l’aide desquelles ils attaquèrent la muraille par trop primitive qui défendait l’entrée de la caverne. C’était là une tactique redoutable, et il fallait accumuler pierre sur pierre pour remplacer celles que les noirs arrachaient. Mais les jeunes gens ne perdaient pas courage les indigènes gagnaient du terrain ; il fallait donc agir sérieusement, et Wilkins se chargea de la riposte, en enfonçant jusqu’à la garde son coutelas dans la poitrine d’un sauvage qui avait passé la moitié du corps dans l’un des interstices du mur.

L’homme poussa un cri terrible et tomba au milieu de ses frères, qui l’entourèrent, examinèrent sa blessure et jetèrent leurs regards de tous côtés, sans pouvoir comprendre d’où avait pu partir le coup.

La plupart des noirs se mirent à fuir, poursuivis par une nuée de flèches que lancèrent les jeunes gens. Les autres indigènes demeurèrent près de leur frère, lui prodiguant des soins touchants et l’emportant loin de l’endroit où avait eu lieu sa chute. La blessure du nègre était mortelle.

Il va sans dire que les noirs qui portaient secours à leurs camarades furent respectés, et purent disparaître sans qu’il leur fût fait le moindre mal. Pendant tout le reste de la journée on n’entendit que les gémissements des femmes indigènes, qui s’éteignirent peu à peu dans l’éloignement, et tout redevint calme aux alentours de la caverne.

Quand le jour parut le lendemain matin, les assiégés furent d’avis que la forteresse dans laquelle ils se trouvaient n’était pas tenable, car la chaleur était intolérable et l’eau manquait.

« Il nous faut absolument renouveler notre provision, fit Arthur, sinon nous sommes perdus. Voyons ! trois d’entre nous vont se rendre à la source pour remplir nos récipients, tandis que nous ferons bonne garde et que nous protégerons leur entreprise. »

Hugues, Wilkins et Arthur s’emparèrent de la gourde et des coquilles. On laissa Jack et Gérald pour défendre l’entrée et veiller sur les femmes.

Arthur ne voulut pas emporter le fusil ce fut Jack qui le garda, avec ordre de s’en servir à toute extrémité.

Lorsque le moment fut venu, les trois explorateurs armés de flèches et d’arcs, emportant les vases à eau, sortirent avec précaution, tandis que Jack etO’Brien se tenaient près de l’ouverture qui avait été pratiquée pour leur livrer passage, avec ordre de boucher l’entrée au cas où cela serait nécessaire.

Les trois amis arrivèrent sans être inquiétés jusqu’à la mare la plus proche et se jetèrent tout d’abord à genoux pour étancher la soif qui les dévorait. Puis ils remplirent tous les récipients qu’ils avaient apportés et se disposèrent à retourner à la caverne.

En ce moment-là un terrible coo-ee frappa leurs oreilles et leur prouva que leur tentative avait été découverte. Ce cri fut répété par les échos des montagnes et par les sauvages qui se tenaient en embuscade ; les jeunes gens couraient de toutes leurs forces. À un moment donné, une flèche siffla aux oreilles de Wilkins. Les trois camarades posèrent par terre leurs réservoirs pleins d’eau et bandèrent leurs arcs. Ils se virent alors poursuivis par une douzaine de sauvages qui se tenaient à quarante pas derrière eux. Les flèches sillonnèrent l’espace, et l’on put s’apercevoir, à la confusion qui régna dans la troupe des noirs, que les coups avaient porté. Ce temps d’arrêt donna aux jeunes gens la facilité de reprendre leurs vases pleins d’eau et de parvenir à l’entrée de la caverne avant que les sauvages eussent pu se rallier et les empêcher de passer derrière la barricade.

« Tirez ferme sur tous ces maudits ! Enfin nous voilà en sûreté, Il nous sera possible de tenir encore pendant deux ou trois jours. Nous serons réduits, en ce cas, à nous nourrir de pommes de terre et d’avoine verte, objecta Jenny, car il ne nous reste plus que six faisans, qui se décomposent par l’effet de la chaleur. Nous avons, il est vrai, des poules qui mangent plus qu’elles ne valent et qui seront excellentes rôties.

— J’espère que vous ne ferez pas cela, s’écria Ruth. Voyez donc ! elles ont pondu six œufs cela vaut bien la peine qu’on nourrisse ces pauvres bêtes. Oh ! mademoiselle Marguerite, ne permettez pas qu’on tue mes poules ! »

Miss Mayburn accorda grâce entière aux volailles de Ruth, car elle fit observer que la valeur édible des œufs répondait à celle de l’avoine picorée par elles.

« Jenny, dit-elle à la cuisinière, ayez confiance en Dieu, qui nous fournira notre pain de tous les jours. »