Revoil Voyage au pays des Kangarous 1885/ch10

Traduction par Bénédict-Henry Révoil.
Mame (p. 73-80).
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CHAPITRE X

Naufrage complet. — Le rivage inconnu. — Les fourmis vertes. — Le kakatoès blanc. — Les épaves. — L’arbre à gourdes. — Le ruisseau d’eau douce. — Projet d’un voyage sur le courant d’eau.


« Le catimaron est perdu, maître, dit Wilkins dès qu’il put parler ; mais nous sommes sauvés, c’est là l’essentiel. D’ailleurs je ne me sens pas encore prêt à mourir. Attention ! voyez ce ressac ! il est occasionné par l’eau qui sort d’une rivière intérieure. Nous arriverons en bon endroit, si nous réussissons à aborder sans nous briser sur ces rochers. Monsieur Mayburn, donnez-moi les rames, et mettez-vous au fond du canot. »

Arthur remercia Wilkins d’un coup d’œil amical. C’était chose dangereuse que de franchir les bancs de corail et les roches cachées sous l’eau ; il lui eût été impossible, avec son inexpérience, de vaincre cette difficulté. Aussi l’aide du convict lui paraissait être un bienfait de la Providence.

« Nous allons prendre l’autre canot à la remorque, dit-il ; souvenez-vous, Wilkins, que, sauvés ou perdus, il ne faut pas que nous soyons séparés.

— C’est convenu, reprit le convict. Nous allons remorquer les autres à l’aide de cette corde, et, si le canot chavire, chargez-vous de miss Marguerite, moi je me fais fort de sauver mes amis. D’ailleurs, la mer se retire, et je crois que nous allons pouvoir aborder sans trop de difficultés. »

Tandis que ceci se passait, Marguerite, son père et Jenny Wilson, cramponnés les uns aux autres, résistaient comme ils le pouvaient aux efforts des vagues qui roulaient sous leurs frêles embarcations. Tantôt les canots se trouvaient jetés en avant, tantôt ils étaient rapportés par l’eau bouillonnante.

« Écoutez-moi, s’écria le convict en s’adressant à Arthur et à Jack, lorsque nous allons passer du côté de la terre, sautez dans l’eau, tenez bien la corde, et nous parviendrons en dedans du ressac. »

Ce qui fut dit fut fait ; la manœuvre conseillée par Wilkins fut suivie de point en point ; si bien qu’à un moment donné le canot, traîné par Arthur et son père, qui se joignit à lui résista au retour de la vague, et, avant qu’une autre masse d’eau fût venue le reprendre, les naufragés purent le traîner sur le sable, où il échoua.

Jacques et O’Brien, montés dans l’autre esquif, réussirent de la même façon, avec cette différence que leur « coquille » fut renversée, et que Ruth, qui se trouvait dedans, s’évanouit de peur ; mais elle n’oublia pas de se cramponner au panier contenant ses poules. Lorsqu’elle rouvrit les yeux, ce fut pour pleurer la perte de deux de ses oiseaux qui avaient été noyés.

Dans le but de sauver Ruth Jack et Gérald avaient lâché la corde du canot, qui se trouva entraîné au milieu des brisants ; mais Wilkins et Arthur vinrent en aide aux deux jeunes gens ils ressaisirent la corde et ramenèrent le canot prendre sa place à côté de l’autre.

« J’espère, mes amis, dit alors Max Mayburn, que nous ne nous aventurerons plus sur l’Océan dans des barques aussi peu solides. Dieu merci ! nous voici parvenus sains et saufs sur la terre ferme, et rien ne nous obligera de reprendre la mer.

— Ce n’est cependant point ici que nous fixerons notre séjour, fit Arthur. Si j’ai voulu sauver nos canots, c’est dans le ferme désir de vous épargner des fatigues pour pénétrer au cœur du pays où nous sommes. Vous voyez cette rivière près de nous ; en remontant son courant, nous arriverons au milieu de l’Australie.

— Ne craignez-vous pas de rencontrer les indigènes ? observa Wilkins ; car ces sauvages connaissent aussi bien que nous les avantages du voisinage des courants d’eau douce.

— J’en conviens, mais nous verrons alors ce qu’il y aura à faire. Pour le moment, nous n’avons rien pour apaiser notre faim.

– Vous oubliez, cher ami, les poules grasses de Ruth, répliqua O’Brien.

– Ah ! monsieur Gérald, s’écria la pauvre fille, auriez-vous le courage de dévorer ces gentilles créatures du bon Dieu ? Quant à moi, je mourrais plutôt que de toucher à un de leurs membres, fût-il même assaisonné en pâté avec du jambon.

— Ma chère Ruth, il n’est pas question de vos poules vivantes ; celles-là nous les protégeons, mais nous allons plumer et manger les deux qui sont mortes étouffées par l’eau de mer. »

Les naufragés du Golden-Fairy avaient pris terre au nord de l’embouchure d’une rivière très large, le long de laquelle ils s’avancèrent avec précaution car les rives étaient encaissées entre de hautes falaises, au pied desquelles une sorte de sentier serpentait à travers des roches moussues.

Enfin on songea à faire halte, et l’on choisit pour cela une grotte devant laquelle retombait un rideau de plantes grimpantes, qu’on eût dit placées là comme pour les garantir des atteintes du soleil. De larges dalles semblaient disposées en cet endroit comme pour servir de sièges, et les voyageurs y prirent place pour goûter un repas préparé par Jenny Wilson.

« Quelle chance, dit Arthur, d’avoir sauvé le fusil et les munitions ! Mais aussi quel malheur d’avoir perdu le canot et tout ce que nous y avions embarqué !

— Aie confiance en Dieu, ajouta Max Mayburn en s’adressant à son fils : regarde cet aigle blanc qui vole au-dessus de nos têtes : celui qui donne la nourriture à cet oiseau ne nous laissera pas mourir de faim, nous ses enfants.

— En effet, répliqua Hugues, car voici des huîtres et des crabes. Nous allons, sans nul doute, trouver des tortues dans ces parages ; nous découvrirons des nids et des œufs le long des falaises. Quant à l’eau douce, il n’en manque pas dans la rivière.

— Hélas ! ce qui nous manque, c’est une cafetière, une bouilloire et une rôtissoire, observa Ruth.

— Nous pourvoirons à tout cela, » répliqua le jeune garçon : puis il alla chercher une énorme coquille de moule, qu’il trouva au milieu des racines d’arbres. Il la présenta à la fillette en lui disant « Voilà pour faire bouillir de l’eau, et voici une fourchette pour les grillades, ajouta-t-il en lui tendant une des flèches grossières dent il comptait se servir pour la chasse.

Le repas préparé par Jenny Wilson fut copieux et très appétissant, quoique bizarrement cuit. On le servit sur les coquilles de moules ou d’huîtres dans lesquelles la cuisinière avait fait bouillir ou rôtir les membres détachés des poules noyées.

Par bonheur chacun avait sauvé son couteau, mais c’était tout : on manquait donc d’autres ustensiles nécessaires au confort de la vie.

Le repas terminé, les jeunes gens s’empressèrent de nettoyer leurs canots, remplis d’algues marines et d’eau salée ; ils les exposèrent pour se sécher devant les falaises. Étendant ensuite leurs manteaux par terre, ils engagèrent Max Mayburn et sa fille à se reposer, pendant qu’ils allaient tenir conseil, afin de savoir ce qu’il était prudent d’entreprendre.

Les pauvres jeunes gens étaient si fatigués, que leur bonne volonté ne résista pas aux exigences de la nature ; ils voulurent bien causer de leurs projets, mais leurs yeux se fermèrent, et ils s’endormirent tous et demeurèrent assoupis toute la nuit, sans se réveiller ni les uns ni les autres.

« Tout le monde debout ! s’écria Gérald, qui ouvrit le premier ses paupières quand l’aube parut. Hugues et moi nous allons nous diriger sur le rivage pour ramasser des œufs de tortue et faire provision de bois. De là nous grimperons aux falaises pour dénicher des œufs ; parvenus au sommet, nous inspecterons aussi l’horizon, afin de savoir où nous sommes et de quel côté nous devons avancer.

— Je vous accompagnerai, ajouta Arthur, car je ne me ferai qu’à moi-même pour prendre une décision. »

Un quart d’heure après, les jeunes gens rapportaient leurs chapeaux pleins d’œufs de tortue et du bois sec. Le feu était fait, les œufs cuisaient sous les cendres, et l’on se mit gaiement à déjeuner.

« Ah ! monsieur Arthur, que n’avons-nous un peu de thé ! observa Jenny. Je me passerais volontiers de sucre et de lait, si nous possédions du sou-chong. »

L’aîné des Mayburn ne put satisfaire la fantaisie de la bonne cuisinière : il lui promit seulement une nouvelle provision d’œufs pour le dîner, voire même du gibier.

S’emparant de son fusil et d’un sac muni de cartouches, il s’éloigna suivi d’O’Brien et de Hugues, en suivant le sentier qui longeait la falaise, en amont de la rivière.

Les trois explorateurs parvinrent bientôt, sous des massifs de plantes tropicales, à des sortes de marches de pierre qui leur donnèrent accès sur les sommets des falaises. Leur premier soin fut alors d’inspecter l’horizon, afin de se rendre compte de la position.

Ils furent aussitôt certains d’être arrivés sur la terre ferme, au milieu d’une baie dominée par des montagnes, au centre de laquelle coulait la rivière dont l’embouchure était défendue par des bancs de coraux. Par quel miracle providentiel, se demandait Arthur, avaient-ils pu échapper à une mort certaine sur ces récifs dangereux ?

Au delà des bancs de coraux, les jeunes gens se montrèrent des points noirs qui étaient indubitablement des îles semblables à celle qui leur avait servi de refuge après le naufrage du Golden-Fairy.

« Je voudrais bien voir notre père près de nous, s’écria Hugues. Regarde, Arthur, quels sont ces oiseaux blancs et jaunes. Mais, je ne me trompe pas : ce sont des kakatoès. Je voudrais bien lui en rapporter un.

— Laisse-moi faire, dit Gerald O’Brien, j’ai mon arc et des flèches ; je vais essayer. »

Tout en parlant ainsi, il visa un kakatoès aussi gros qu’une poule, et l’abattit avec la plus grande adresse.

« Que Marguerite et notre père vont être contents s’écria Hugues. Nous l’empaillerons.

– Et nous ferons rôtir sa chair pour y goûter, ajouta Gérald.

– Allons à la recherche des nids, fit Arthur, car il nous faut une provision d’œufs assez considérable. Un kakatoès est très gros, couvert de plumes ; mais, une fois « déshabillé », j’hésite à croire qu’il pût suffire à rassasier neuf personnes affamées. »

La « chasse » aux provisions fut très fructueuse ; non seulement les jeunes gens trouvèrent de nombreuses couvées de jeunes oiseaux, dont un grand nombre bons à manger, mais encore des œufs frais d’animaux de mer et de kakatoès.

En revenant au campement, les jeunes gens traversèrent des bois touffus sous lesquels on entendait un ramage très bruyant, preuve évidente qu’il y avait là une nombreuse société empennée, cachée dans les arbres. Mais aux nombreuses piqûres qu’ils ressentaient à leurs jambes, ils reconnurent aussi la présence de fourmis qui s’attachaient à leur chair et paraissaient ne pas vouloir abandonner cette proie nouvelle.

« Je suis d’avis de réparer les canots, dit Arthur, afin de remonter le plus tôt possible la rivière, sur les bords de laquelle nous trouverons d’amples provisions, et dont les eaux nous rafraîchiront agréablement. Nous risquons peut-être de rencontrer des naturels ; mais, à bord de nos embarcations, il nous sera plus facile de fuir leur atteinte que si nous étions à pied le long de la rive. C’est convenu, il nous faut rapidement entreprendre ce voyage.

– Voici précisément devant nous un arbre à gomme, dont le produit nous servira soit à raccommoder nos canots, soit à d’autres préparations. Nous amènerons Jack ; mais, que dis-je ? j’oublie que tous ses outils ont été emportés à bord du radeau naufragé.

— C’est une grande perte, répondit Arthur ; mais il ne faut pas se désespérer pour cela. Avec du travail on parvient à tout. »

En arrivant près du campement, les trois explorateurs trouvèrent Jack examinant d’un air soucieux les deux canots désemparés. Wilkins et Marguerite s’étaient dirigés sur la plage afin de profiter de la marée basse et de découvrir, si faire se pouvait, quelque épave du radeau échappée aux attaques de la mer. Gérald les avait rejoints, et bientôt il poussa un cri de joie en leur indiquant un coffre de pommes de terre, que Jack avait solidement cloué afin d’empêcher que les tubercules ne fussent atteints par l’eau de mer. Ils étaient secs, en effet.

Marguerite, à son tour, découvrit un sac de toile renfermant du linge, que Black Peter n’avait pas cru devoir emporter, mais que la sœur d’Arthur et de Hugues appréciaient à sa juste valeur.

On se hâta d’apporter au campement ces épaves précieuses. Jenny et Ruth étaient désolées.

« Quelle malchance, Mademoiselle ! dit la cuisinière à Marguerite, l’eau de la rivière est tellement saumâtre, qu’elle ne peut servir à nul autre usage qu’à la cuisson du poisson, et nous n’en avons pas.

— Je n’avais pas réfléchi, dit Max Mayburn, que la marée montante doit infailliblement ramener l’eau salée, et il nous faut, coûte que coûte, nous éloigner d’ici.

— Tout d’abord, nous allons dîner avec ces œufs, Jenny, observa Arthur. Cela fait, Jack et moi nous remonterons le cours de la rivière, et nous trouverons bien quelque source se jetant dans le grand cours d’eau pour nous désaltérer.

— Cela suffira pour nous, mais pour les autres ? Comment leur rapporterons-nous leur part, faute de récipients autres que des écailles d’huîtres ou de moules ? Plût à Dieu que la mer nous rendît notre tonneau ! Allons examiner la plage, et voir si la mer l’a rapporté sur le sable.

— Je crains bien qu’à cause de sa pesanteur les vagues n’aient pas pu le soulever et le ramener près de nous. Ce tonneau doit être à moitié enseveli dans le sable, et il faudra une grande tempête pour le détacher et le lancer à la côte. Nous choisirons les plus grands coquillages que nous pourrons trouver pour les remplir et les rapporter ici, en employant toutes les précautions possibles. Ah ! si l’un des canots était en état, nous vaincrions toutes les difficultés. Jack, voyons, pouvez-vous les réparer ? »

Jack fouilla dans ses poches, et n’y trouva que quelques paquets de ficelle, un couteau à fermoir, un marteau et une poignée de clous.

« Je voudrais avoir ma hache et ma scie, fit-il ; alors tout irait bien. Mais ne nous laissons pas abattre. Nous trouverons autre chose pour réparer ces canots. Dieu merci, M. O’Brien a toujours son arc et ses flèches.

— Quant à moi, je n’ai plus que des débris de mes armes que j’ai ramassés sur la grève. Mais je compte sur toi, mon ami Jack pour les raccommoder et les remettre en état. Ah cher père, si j’avais eu mon arc, je t’eusse rapporté ce matin un splendide faucon à tête blanche.

— Cela m’eut fait grand plaisir, mon enfant, reprit le vieillard, car c’est un oiseau rare, au dire des naturalistes. Ce kakatoès est lui-même un admirable spécimen que je tiens à conserver, si cela peut se faire. Nous mangerons la chair lorsque je l’aurai écorché. »

On attendit, pour avoir de l’eau fraîche, que la marée fût basse, et comme le liquide était toujours saumâtre dans le lit de la rivière, les jeunes gens en remontèrent le courant à travers la forêt qui bordait les rives. Ils parvinrent enfin, à la distance de trois milles environ, jusqu’à une ravine exposée au nord, du haut de laquelle une cascade très limpide se jetait dans le lit du grand courant.

Les explorateurs furent unanimement d’avis qu’il fallait suivre ce ruisseau en remontant vers sa source. De grands blocs de rochers bordaient le lit de cet affluent, au fond duquel on voyait des cailloux blancs et une nombreuse famille de poissons.

« Quelle eau excellente ! s’écria Arthur. Ne dirait-on pas du champagne frappé ?

— C’est vrai, répondit Hugues. Ma foi ! ce paysage est ravissant. Il me semble que nous suivons une avenue à l’extrémité de laquelle se trouve un vieux château mauresque.

— Dans lequel demeure une belle princesse, renfermée dans une tour d’acier à la porte de laquelle veille un enchanteur noir, la tête appuyée sur un dragon rouge. Tous les quatre nous accourons au secours de la prisonnière, armés d’un fusil, et n’ayant pour munitions qu’une douzaine de cartouches.

— Hélas ! cela ne suffira pas pour mettre à malemort un enchanteur et un dragon, répliqua Hugues. Si les fées ne nous portent pas dans leur cœur, il nous faudra employer tout ce que nous avons de valeur, de prudence et d’énergie pour réussir. D’ailleurs, c’est Arthur, qui, avec son air tranquille, va être le héros de l’aventure.

— Nous ferons plus tard le siège du château enchanté, répondit celui-ci. Contentons-nous de rapporter triomphalement à la maison une provision d’eau fraîche pour les pauvres altérés. Hé ! Hugues, cria-t-il à son frère, que fais-tu donc là, grimpé sur cette roche pointue ?

— Il est allé s’assurer si cet arbre n’était pas un chou-palmiste, observa Gérald. Quant à moi, je préférerais un pommier couvert de beaux fruits.

— Mais il n’y a point de pommier en Australie, répondit Arthur, ni rien qui ressemble à cet arbre-là. Par contre, les choux-palmistes sont excellents mais je ne crois pas que mon frère ait découvert un de ces végétaux aériens.

— Attention, là-bas ! fit alors Hugues du haut de la roche. Gare à vous ! »

Tout aussitôt une énorme gourde vint tomber au pied d’Arthur et des deux autres jeunes gens. Ce cucurbitacé n’était pas fraîchement cueilli, il avait même longtemps séjourné sur le sol, au point d’être sec ; mais quand Hugues eut rejoint ses camarades d’excursion, Arthur lui expliqua que si ces végétaux n’étaient pas bons à manger, du moins leur destination providentielle était de servir de récipient pour transporter de l’eau.

Tout aussitôt Jack coupa le col de la gourde, et fit sortir de l’intérieur les graines et la pulpe desséchée qui les contenait. Quand cette opération eut été terminée, Arthur entoura la gourde d’une corde, et plaça ce seau d’un nouveau genre sur ses épaules, après l’avoir complètement rempli d’eau.

Sur leur route, en revenant au campement, Jack trouva un eucalyptus, autrement dit un gommier, qu’il dépouilla de son écorce ; puis il ramassa tout ce qu’il put de la gomme qui coulait de la blessure, et l’on retourna près de M. Mayburn et de sa fille, en hâtant le pas, de peur d’être surpris par la marée montante.

Max Mayburn fut enchanté de la découverte faite par son jeune fils ; il demanda qu’on le conduisît le lendemain dans les parages où croissaient les arbres à gourdes, persuadé que c’était là une essence inconnue en Europe.

« De toute façon, c’est une heureuse chance qu’ont eue mes frères et nos amis. Ils ont droit de prendre une large part du repas que nous leur avons préparé. Chacun d’eux recevra en outre une pomme de terre bouillie dans l’eau salée, au centre d’une coquille de moule. »

Ce dîner fut très goûté par les naufragés, qui déclarèrent que les tubercules avaient acquis un goût excellent dans l’eau salée. On fit une grande consommation d’huîtres, qui abondaient sur les rochers de la plage et même en amont de la rivière, comme l’annoncèrent les explorateurs.

Ce fut aussi avec un sentiment de vive reconnaissance que les neuf naufragés prièrent Dieu au moment de prendre du repos, et lui adressèrent des actions de grâces.

Au soleil levant, Jack se mit au travail. Il appliqua des pièces d’écorce sur les parties fendues ou ouvertes du canot, et les couvrit de gomme ; cela fait, il les exposa au soleil, afin qu’elles se séchassent complètement.

Il parvint ensuite, après de nombreux efforts, à couper avec son couteau des branches droites pour servir du gaffes. Il restait encore une rame échappée au naufrage ; à l’aide de bouts de bois rejetés sur la plage, le courageux ouvrier réussit à fabriquer trois autres rames.

Tandis que Jack était au travail, Hugues et Gérald se livraient à la recherche des œufs de tortue, dont ils rapportèrent une grande quantité, voire même une petite tortue. Cette trouvaille n’était pas grand’chose, car ni les uns ni les autres des naufragés n’aimaient la chair fade de ces ovipares ; mais il n’y avait pas à choisir en fait de victuaille, aussi la tortue fut-elle tuée et mise à cuire dans sa propre casserole.

« Voilà la gomme sèche, fit remarquer Arthur à la fin du repas ; m’est avis, cher père, que nous ne devons pas rester plus longtemps le long de ce rivage infesté par les moustiques ; dans une heure, la mer va monter : pourquoi ne nous mettrions-nous pas en route ?

— Soit, » répliqua Max Mayburn, qui joignit les mains, et pria le Ciel de bénir ses enfants et ses compagnons d’infortune.

Wilkins avait baissé la tête d’un air convaincu ; on voyait que ce pauvre diable comprenait enfin le bonheur d’une vie honnête. Hugues et Marguerite, dont il écoutait volontiers les conseils, furent très satisfaits de voir leurs efforts couronnés de succès. Le pauvre pécheur revenait au bien, et rentrait dans le sein de la société.