G. Crès (p. 170-172).

7 septembre 1911. — Il est vrai qu’à bien réfléchir, plus encore à bien compter, la « situation » en vaut la peine. Que son père se rassure entièrement sur l’avenir et le présent de son fils : il m’annonce aujourd’hui à déjeuner, coup sur coup, qu’il est autorisé à porter la « Veste de cheval », et qu’il est nommé Grand Trésorier Payeur de tous les Princes du Dedans !

Je ne sais de quoi il convient de le féliciter davantage : le port de la « Veste de cheval », du Ma-koua, est sans doute un honneur extrême ; la « veste » en question est un véritable vêtement de couleur jaune, mais comparable, si j’ose dire, à un chapeau, au couvre-chef que les grands d’Espagne gardent noblement sur la tête dans certaines églises où ils entrent, comme la veste, à cheval. René Leys en est fier, car seuls jusqu’ici quelques Princes du Sang et les Ducs au Casque de Fer, et quelques anciens conseillers chinois ont porté cet habit jaune… Et le grand Tuteur Untel, et le Prince mongol Untel et Untel et le Vice-Roi des deux Hou et d’autres encore, n’ont jamais, jamais pu l’obtenir.

C’est bien cela : la qualité rare de la vertu de cet « ordre » consiste éminemment dans le mépris de ceux qui le possèdent pour ceux qui l’ont manqué de peu… En quoi cette « distinction » ressemble à tous les ordres du monde…

L’autre titre est bien plus pesant, plus sonnant. René Leys est prêt à me chiffrer les mensualités qu’il devra désormais compter lui-même à chacun des Princes. C’est ainsi que ce brave « Pou-louen », bien connu des joueurs de billard européens et cependant ex-futur héritier du trône par son ancêtre direct, Tao-Kouang, dixième Empereur, Pou-louen, « émarge » pour onze mille taëls à chaque lune. Le Régent, pour cinquante-cinq mille… Quant à la Douairière Long-Yu, outre sa cassette particulière, savez-vous ce que lui rapporte le titre qu’elle porte ? Long-Yu !

— Oui, oui, on l’appelle Long-Yu.

— Ce n’est pas un nom ; c’est un titre, offert du bout du pinceau du Régent ; un titre qui la met au-dessus de toutes les vieilles concubines T’ong-tche… eh bien, ce titre lui vaut dix mille taëls… de plus tous les mois.

Je feins l’éblouissement : deux mots, deux caractères honorifiques, ont-ils donc à la Chine un si grand pouvoir financier ? Je comprends que la situation de René Leys soit solide : je totalise et je conclus :

— Vous me paraissez en bonne posture. Vous voilà donc en même temps ami du Régent et… a…mi de l’Impératrice. Vous réconciliez à travers vous la dynastie… C’est un grand service rendu… Comment l’ont-ils reconnu ?

Il me répond avec modestie et précision :

— J’ai reçu l’avis que mes appointements étaient portés à quatorze pour cent…

Certes ! je ne me risquerai pas à demander « quatorze pour cent » de quoi ! Cela doit être extraordinaire. Je félicite en toute confiance !…