Rembrandt (Verhaeren)/09
IX.
Conclusion.
Rembrandt est, nous l’avons déjà dit, le peintre des
miracles. Il doue d’authenticité le surnaturel. Pour y
réussir, il n’y a qu’un moyen : confondre volontairement
le mystère et la vie, les tordre en un même éclair.
Rembrandt y parvient toujours, parce qu’il est, en même
temps qu’un peintre divin, le peintre le plus émotionnellement
humain. Il tient entre ses mains les deux tronçons
de la foudre. Il recueille les pleurs, les cris, les joies,
les souffrances, les espoirs au plus intime de nous-mêmes
et nous montre le Dieu qu’il célèbre, agité des mêmes
tumultes que nous. Ou bien encore, il nous le présente avec
une telle douceur, une telle bonté, une telle sérénité qu’il
nous impose le prodige par l’amour. Son Christ, ses
patriarches, ses saints, ses apôtres qu’il meut et qu’il éclaire
dans la région des étonnements et des visions ne sont que
des hommes plus profondément hommes que nous. Les
artistes du moyen âge nous faisaient accéder au surnaturel,
grâce à des dons de naïveté et de candeur. Lui, il
nous y mène par les chemins de la souffrance, de l’angoisse,
de la tendresse, de la joie, c’est-à-dire par les
chemins de la vie totale.
Les Rubens, les Titien, les Véronèse, les Velazquez ne sont pas même religieux. Ils trouvent dans la Bible et la légende de belles mises en scène ; ils interprètent les textes d’après leur fantaisie ; ils n’ont point le respect et l’adoration du sujet qu’ils interprètent ; ils ne descendent point assez profondément en eux-mêmes pour y découvrir le Dieu que tout grand homme porte en soi-même. L’art leur est plaisir, l’art les enflamme et les enivre : leurs chefs-d’œuvre sont une exaltation des belles formes de l’existence. Ils ont la vue, ils n’ont pas la vision. Rembrandt, tout comme Dante, comme Shakespeare, comme Hugo, est voyant. Jamais peintre ne le fut comme lui, et c’est pourquoi il les domine tous.
Il s’est, comme nous l’avons dit, libéré autant qu’on le peut, de son temps et de son milieu.
Et vraiment fallait-il qu’il le fît pour n’être que du pays et de l’heure de son imagination et de son rêve. Ainsi s’essore-t-il tout naturellement en plein prodige et le traduit-il tout naturellement par son pinceau.
Son tempérament, son caractère, sa vie, tout conspire à nous montrer son art tel que nous avons essayé de le définir. Une profonde unité les scelle. Et n’est-ce pas vers la découverte de cette unité-là, qui groupe en un faisceau solide les gestes, les pensées et les travaux d’un génie sur la terre, que la critique, revenue enfin de tant d’erreurs, devrait tendre uniquement ?
Ceux dont la postérité se souvient apparaissent, s’ils
sont très grands, comme des forêts formidables et sauvages. Il y faut tracer des chemins qui partent tous d’un
point unique pour qu’on puisse parcourir sans fatigue
leur étendue mystérieuse et se retrouver soi-même, après
ces explorations solennelles, émerveillé et grandi.