Remarques de médecine sur différents sujets/Partie II


SECONDE PARTIE.


1o. Des effets des grandes pertes de sang. 2oDe la force du cœur. 3oDe l’action des vaisseaux qui reçoivent le sang. 4oDe la maniere dont se fait la circulation du sang. 5oDe l’usage des purgatifs. 6oDu passage des sucs au bas-ventre dans la masse du sang. 7oDe l’usage des sudorifiques. 8oDe l’occasion de purger au commencement des maladies. 9oDe ce qu’il faut entendre par le mot d’orgasme. 10oDe la maniere de traiter les fiévres intermittentes. 11oDe la meilleure methode de donner le Quinquina.



L’Action du cœur et des vaisseaux dans ce qui concerne le cours du sang ; l’occasion de purger au commencement des maladies aiguës, dans le temps de l’orgasme, & la maniere de traiter les fiévres intermittent, seront les principaux articles que la Réponse de M. Hecquet au Journal de Paris, nous donnera lieu d’examiner ici. Cette Réponse est la piece la plus sçavante & la plus curieuse du Recueil. Avant que d’exposer ce qu’elle contient d’important sur la Medecine, on dira un mot de l’Avertissement qui la précede, dans lequel l’Auteur annonce qu’il n’a pû obtenir la permission de la faire imprimer, & que la raison dont on a autorisé ce refus, c’est qu’on veut arrester les invectives. M. Hecquet fait là-dessus diverses plaintes : il soûtient que ce qu’on lui a reproché comme invective, ne merite point ce nom[1], & que le procedé qu’on a tenu à son égard est un procedé inique, auquel il a fallu cependant se soumettre sans avoir, dit-il, d’autre ressource que d’en appeler au public comme Juge naturel & desinteressé de ce déni de Justice. Il fait paroistre en cette occasion un grand zele pour le bon ordre, & il n’oublie rien pour faire connoistre quelle temerité c’est de vouloir affecter les justes ressentimens d’un Auteur plein de conscience, qui ne cherche à se défendre que pour défendre la vérité, & dont les paroles sont, non des emportemens, comme on les a qualifiées, & comme les Journalistes de Trevoux ont osé le faire depuis dans leurs Memoires, mais seulement des expressions fortes & vives d’un sage & pieux ressentiment[2]. M. Hecquet avant cela, fait plusieurs plaintes generales contre le Journaliste qui a donné l’extrait de la These sur la saignée ; il dit que ce Journaliste s’est toûjours declaré peu équitable & inofficieux envers ses Confreres : ce sont ses propres termes[3] ; Que les douceurs du Journaliste ne sont gueres que pour le merite étranger ; qu’il le releve ou le flate alors, mais qu’il le craint, ce semble, dans ses voisins, ou qu’il voudroit l’obscurcir ; qu’on lui a vû exercer une injuste critique contre des ouvrages de ses Confreres, que mal à propos il a essayé de deshonorer dans le public.

Il faut pardonner ces plaintes à un Auteur qui se croit offensé, & qui est encore dans les premiers mouvemens de sa douleur. On sçait que le Journaliste a parlé de quelques ouvrages de ses Confreres ; sçavoir, du Traité des Alimens par M. Lemery, du Corollaire des institutions de Botanique par M. Tournefort, de la Pratique des maladies aiguës par M. Tauvry, de la These de M. Geoffroy sur la generation de l’homme, du Discours prononcé par M. Azevedo dans les Ecoles de Medecine de Paris, & de la These de M. Hecquet sur la saignée. On sçait que ce sont là les seuls Confreres du Journaliste, des ouvrages desquels le Journaliste ait parlé. Mais on sçait aussi que de tous ces ouvrages, il n’y en a que deux dont il se soit contenté de faire l’extrait simplement sans y mêler d’éloges, sçavoir, le Traité des Alimens, & la These sur la saignée ; que pour ce qui est des autres, il en a parlé avec une estime & une consideration singuliere. C’est tout ce qu’on remarquera sur cet article. M. Hecquet après quelques autres plaintes semblables, qu’il est juste, comme on a dit, de pardonner à un premier mouvement, vient enfin à sa Réponse. Il la commence par des reflexions sur quelques endroits d’un extrait du 31e Journal de 1706, où l’illustre Auteur de l’extrait[4], pour faire voir combien il est difficile à ceux qui travaillent au Journal de satisfaire tous leurs Lecteurs, dit entr’autres choses, selon la citation de M. Hecquet, que la maniere de bien faire un Journal n’est pas encore bien définie, puisqu’on ne connoist pas précisément les devoirs d’un Journaliste[5]. M. Hecquet s’écrie là-dessus : Mais pourquoi se mêler de ce qu’on ne sçait pas encore ? Doit-il donc estre permis de commencer par faire, en attendant la connoissance de ce qu’il faut faire ? Cette leçon est judicieuse ; il y seulement deux petites choses à dire : La première, c’est que M. Hecquet n’a pas pris garde que l’ouvrage dont il s’agit, ne sçauroit se faire comme il faut, si l’on ne s’accommode au goust du public : que pour s’accommoder à ce goust, il faut se consulter auparavant ; & qu’on ne sçauroit se consulter, si l’on ne commence par travailler, afin de voir quel jugement le public portera : Ensorte donc qu’il faut ici commencer par faire, pour avoir la connoissance de ce qu’il faut faire. La seconde, c’est que l’illustre Auteur de l’Extrait ne dit point que les Journalistes ne sçachent pas comment on doit faire un Journal ; mais seulement que la pluspart du monde ignore ce que c’est au juste qu’un bon Journal, & quels sont les devoirs des Journalistes. Voici les termes : A parler naturellement, quelque communs que soient devenus les Journaux, il n’est pas si commun de sçavoir au juste ce que c’est qu’un bon Journal ; & l’on diroit volontiers qu’il est aussi rare de rencontrer des personnes qui sçachent précisément les devoirs des Journalistes, que de trouver des Journalistes qui les remplissent parfaitement. M. Hecquet au lieu de rapporter ces paroles comme elles sont dans l’original, leur a laissé prendre par mégarde, un autre tour en les citant ; mais il ne faut pour cela que de la distraction, & cet Auteur en a quelquefois sur des matieres bien plus graves.

Il vient ensuite au Journaliste qui a fait l’extrait de la These ; & après avoir protesté qu’il évitera les invectives, comme indignes de gens de Lettres, il se plaint avec beaucoup de douceur & de modestie, de ce qu’on a choisi pour Journaliste un homme qui lui paroist meriter si peu de l’être. Il dit, mais sans aucun fiel, que c’est un homme qui ne doit qu’à la protection & à la fortune l’estat qu’il soûtient dans le monde, un homme qui a plus d’esprit que de science, plus de talens que d’érudition, plus d’adresse que d’experience, plus de mots que de choses, &c. Il demande avec la mesme moderation, quelles preuves cet homme a donné de sa probité ? Puis il se plaint de ce que les Journalistes se mêlent quelquefois de juger, & il dit là-dessus, qu’un Journaliste estant un Historien, ne doit jamais porter de jugement. Pour ce qui est de ce dernier article, peut-estre que la lecture du premier Journal de l’année 1708. aura détrompé M. Hecquet[6]. Cet Auteur fait ici des reproches au Journaliste sur son âge qui n’est pas assez avancé, dit-il, pour lui donner le droit de decider. Quelque debonnaire que paroisse M. Hecquet dans toutes ses plaintes, on ne laisse pas d’entrevoir qu’il est piqué. Cependant il ne semble pas qu’il ait lieu de l’estre, puisque si le Journaliste a parlé comme il a fait de la These sur la saignée, il a suivi en cela le dessein mesme de M. Hecquet, qui declare en termes exprès, n’avoir fait imprimer sa These que pour dresser un piege au Journaliste, & engager ce Censeur à la critiquer. « On se reduisit, dit M. Hecquet[7], à ne donner d’abord que la traduction de la These sur la saignée ; ce fut, il faut l’avoüer, une sorte de piege qu’on voulut tendre au penchant railleur du Journaliste, bien persuadé que la matiere de la saignée, qui est si peu de son goust, & qu’il a si grand soin de décrier en tout occasion, seroit un puissant attrait & une furieuse tentation d’égayer son esprit. L’événement a justifié le soupçon. »

Le Journaliste ayant donc donné dans le piege, il semble que M. Hecquet qui ne demandoit pas mieux, devroit estre plus content ; mais il y a ici une circonstance à remarquer ; c’est que le Journaliste a esté au-delà du dessein de l’Auteur. M. Hecquet ne s’attendoit pas à voir la verité attaquée au point qu’elle l’est par le Journaliste. Il avertit donc que le motif qui l’a porté à prendre ici la défense de sa These, n’est autre chose que l’obligation où il s’est vû de défendre la verité offensée, voici ses paroles qui sont pleines d’édification.

« Quoi de plus intéressant que la verité[8] ! seroit-elle donc moins respectable en Medecine que partout ailleurs ? Or, s’il est constamment vrai qu’il faut saigner, un Medecin peut-il estre indifferent pour la saignée ? Et si l’on prouve la verité de la saignée, ou qu’elle est veritablement necessaire, pourra-t-on la décrier ? Si l’on demontre enfin qu’elle est le plus ancien & le plus indispensable de tous les remedes, auquel aucun autre ne peut estre sûrement substitué ; que la saignée enfin toute seule, pourroit tarir la source la plus ordinaire de tous nos maux en suppleant au défaut de la transpiration, ce sera une verité constante, qu’il ne sera point permis de laisser tourner en ridicule. Or cet ouvrage tout mince qu’il pourroit paroistre au Journaliste, va à prouver cette verité, & à établir la certitude du secours que la saignée apporte en Medecine ; On est donc en obligation de défendre cette These par l’amour qu’on doit avoir pour la Vérité. »

On ne sçauroit s’empêcher ici de remarquer que l’obligation dont parle M. Hecquet est d’autant plus grande, que si on venoit une fois à bout de convaincre le monde par de bonnes preuves, que la saignée toute seule, & sans qu’aucun autre remede puisse lui estre sûrement substitué, peut tarir la source la plus ordinaire de tous nos maux, l’étude de la Medecine se trouveroit considerablement abrégée. Quelques Lecteurs diront, qu’à force de saigner on peut tarir la source du sang, & qu’ainsi on ne sçauroit contester à M. Hecquet qu’avec la saignée toute seule on ne puisse effectivement tarir la source de tous les maux : mais outre que, selon Monsieur Hecquet, le sang n’est point si facile à tarir que l’on croiroit, ce seroit chercher à plaisanter mal à propos, car ce n’est pas une verité de la nature de celle que M. Hecquet défend ici, qu’il faut tourner en ridicule. Il a donc raison de le prendre sur le ton serieux, & de se faire mesme un point de consciences de défendre sa These. Il ne faut pas douter qu’un Auteur aussi zelé que celui-ci pour la vérité, ne fust prest de donner son sang pour elle en cette occasion, ou plûtôt qu’il ne voulust donner beaucoup plus ; car M. Hecquet, ainsi qu’on le peut voir par sa These, ayant découvert que le sang n’est point si necessaire à la vie, auroit peut-estre honte de sacrifier si peu de chose. Au reste une puissante raison[9] qui l’engage à préferer ici la saignée à tous les autres remedes ; c’est que, dit-il, ce n’est gueres qu’aux bons Medecins qu’on adresse le reproche de trop saigner. Les Critiques trouveront peut-estre que M. Hecquet est en cela aussi sensé que ces Poëtes dont parle Horace[10], lesquels s’estant mis en teste, que ce n’estoit gueres qu’aux bons Poëtes qu’on adressoit le reproche de trop boire, se mettoient à boire jour & nuit, croyant par là qu’ils seroient pris pour d’excellens Poëtes. Mais il est facile de montrer à ces Censeurs, qu’il y a une grande difference entre la conduite d’un Medecin qui croit se faire du nom en saignant le plus qu’il peut, & celle d’un Poëte qui croit s’en faire aussi en beuvant sans cesse : car enfin ce n’est point une chose qui ait du rapport à sa poësie que de boire ; au-lieu que c’est une fonction mesme de la Medecine, que d’ordonner des saignées. Ils repliqueront sans doute, que ce n’est point une fonction de la bonne Medecine que de faire trop saigner. Mais la replique porte à faux, puisque M. Hecquet dans sa These, fait voir par des axiomes incontestables qu’on ne sçauroit saigner trop.

On a, dit-il, toûjours assez de sang pour la vie[11].

Rien ne pullule tant que le sang[12].

On peut oster presque tout le sang d’un animal sain, sans lui oster la vie[13].

Dans une grosse maladie on peut diminuer des forces & du sang, au-delà mesme de ce qu’on pourroit croire[14].

On a vû des malades guérir après avoir perdu jusqu’à quatre-vingt livres de sang[15].

Un malade n’a pas plus besoin de sang & de forces qu’un homme endormi[16].

La force du cœur se trouve fort augmentée dans la fiévre[17], & a besoin de beaucoup moins de sang pour s’entretenir. Et plusieurs autres maximes semblables qui se trouvent répandues dans cette sçavante These.

M. Hecquet, après avoir expliqué les pieux motifs qui l’ont engagé à prendre la plume, examine l’Extrait qu’on a fait de sa These dans le Journal des Sçavans.

Le premier article à quoi il trouve à redire, c’est qu’on ait appelle cette These un écrit[18]. L’Auteur de cet écrit se propose de montrer. Et la raison, c’est que le mot d’écrit, selon lui, ne s’entend que d’un libelle méprisable, ou d’une piece odieuse. Voilà une remarque que nos Grammairiens ne se sont pas avisez de faire. Ils ont cru jusques ici que le terme d’écrit au singulier, se disoit d’un ouvrage renfermé en peu de feuillets. Le Journaliste lui-mesme dans le 15e journal de l’année 1704. en parlant de son propre[19] ouvrage, ne l’appelle point autrement qu’un Ecrit. Cet Ecrit, dit-il, a esté composé au sujet d’une Lettre imprimée dans les Memoires de Trévoux du mois de Novembre 1703. Or il n’y a pas d’apparence qu’un Auteur veüille décrier son propre Livre, & le traiter de libelle méprisable, ou de piece odieuse. La remarque de M. Hecquet est donc tres-necessaire pour corriger le mauvais usage qu’on a fait jusqu’ici du terme d’Ecrit. On dira peut-estre que M. Hecquet pourroit bien s’estre trompé ; mais comment avoir ce soupçon d’un Ecrivain qui paroist sçavoir si bien nostre Langue ? d’un Ecrivain qui se garde bien de dire une retention d’urine ; mais qui dit une retenuë d’urine[20] : d’un Ecrivain qui écrit, que la saignée doit estre préferée au-dessus de sa purgation[21] : Que la saignée a plus de facilité que le bas-ventre pour suppléer au défaut de la transpiration[22] : Que la saignée est capable pour rendre aux liqueurs leur fluidité[23] : Qu’on ne peut faire suer ceux en qui le foye ou la rate est schirreuse[24] : Que la bile devenuë lixiviale, rend le sang colliquatif[25] : Que les glaires sont les suites d’un sel fondant & colliquatif, qui tient tout en fonte & en fusion[26] : Que la cause la plus ordinaire de la pluspart des maux opiniâtres, est la présence d’une bile caustique, qui tient le sang en colliquation[27] : Que le suc nourricier se tient quelquefois dans une colliquation continuelle[28] : Que les viscères regorgeans de sucs superflus inonderont leurs voisinages par des fontes & des colliquations de liqueurs bisarres[29] : Et quantité d’autres exemples semblables, sans parler d’un grand nombre d’expressions figurées qui brillent dans les deux Theses, comme, par exemple, que quelques-uns pourroient s’imaginer que les sudorifiques seroient les substituts de la transpiration[30] : Mais qu’il n’y a pas d’apparence que des drogues qui participent pour la plupart du souphre & du mercure, soient bien propres à devenir les substituts de la transpiration arrestée[31] : Que quelquefois une maladie paroist sereuse, parce que la bile en furie éclabousse, pour ainsi dire, les parties de serositez[32] : Que le sang dans la fiévre est un cahos de sucs mal assortis & de liqueurs incongruës[33] : Que pour expliquer les filtrations, il ne faut avoir recours ni aux levains, ni à tant de vaines imaginations de configurations differentes, & de pores diversifiez, toutes fictions également dignes d’un anatheme éternel[34] : Que quelquefois une bile caustique rompt l’ordre & la consonance des fonctions[35] : Que les Grands se laissent aller comme les petits aux raisons frivoles qu’on leur allegue contre la saignée, comme s’il pouvoit estre moins honteux à leurs esprits qu’à leurs personnes de tomber en roture[36] : Qu’à Dieu ne plaise que sous le nom de sang on se figure un amas de sucs acides, acres, salins, ou de semblables liqueurs turbulentes & seditieuses[37] : Que des matieres aussi fougueuses, & si contraires à l’ordre & à la paix, conviendroient mal à la nourriture de l’homme[38] ; Que dans le temps d’une grosse maladie, le sang boüillant, la bile en fureur, & toutes les liqueurs mutinées, portent par tout le trouble[39] : Que les Médecins qui expliquent les filtrations par les levains, sont des Philosophes Mitrons, des Medecins bouillans de levains[40] : Et une infinité d’autres expressions sublimes, qui font voir que cet Auteur ne connoist pas seulement à fond l’usage qu’on doit faire des termes dans le sens propre & naturel ; mais qu’il sçait si bien celui qu’on en doit faire au figuré, lorsqu’il s’agit de l’exprimer noblement, que personne n’est plus capable que lui de former au stile sublime les jeunes Medecins, & de leur apprendre à s’expliquer avec dignité dans les matieres qui regardent leur profession. C’est aussi une des choses ausquelles il s’est le plus attaché ici ; il le déclare lui-mesme dans sa Préface. « On s’est encore appliqué, dit-il[41], à accoûtumer les jeunes Medecins à des raisonnemens plus suivis & plus geometriques, à donner à leurs esprits plus de justesse, & plus de noblesse ou de dignité à leurs expressions. »

Au reste M. Hecquet ne se contente pas de la remarque de Grammaire qu’il vient de faire sur le terme d’Ecrit, il en fait une autre fort curieuse sur la difference qu’il y a entre suivre & venir après : sur la difference, par exemple, qu’il y a entre dire que les grandes pertes de sang sont ordinairement suivies d’hydropisie, & dire, qu’après les grandes pertes de sang, il arrive des hydropisies. Qu’on cherche tant qu’on voudra dans M. de Vaugelas, dans M. Menage, dans le Père Bouhours & ailleurs, on n’y trouvera point de remarque de la force de celle-ci. M. Hecquet avertit donc, que de dire que les grandes pertes de sang sont ordinairement suivies d’hydropisies, c’est dire, que les grandes pertes de sang sont souvent des hydropisies, au lieu que de dire, qu’après les grandes pertes de sang il arrive des hydropisies ; c’est faire entendre, que ces hydropisies ne sont point produites par les pertes de sang.

Après cela, qui n’avouëra que M. Hecquet n’est pas seulement habile Medecin, mais qu’il est encore habile Grammairien ; sa remarque est trop belle, pour ne pas meriter d’estre rapportée dans son entier. La voici. « Le Journaliste dit, qu’il est vrai que les grandes pertes de sang sont ordinairement suivies d’hydropisies : mais voici les propres termes de la These. On convient qu’il arrive après de grandes pertes de sang des hydropisies, &c. Ainsi le Journaliste ne fait non plus scrupule d’ajoûter que d’omettre ou changer comme il lui plaist dans un ouvrage. L’expression du Journaliste va à faire entendre, que les pertes de sang sont souvent des hydropisies ; & l’expression de la These n’est que pour avouër qu’il vient des hydropisies après des pertes de sang. Mais elle montre que ces hydropisies ne sont point produites par les pertes de sang. La These en donne les raisons, le Journaliste plaisante sur les raisons, & fait dire à la These, que les hyropisies sont les suites ordinaires des pertes de sang. Est-ce là faire un Extrait ? C’est imposer[42]. »

Sans mentir, la remarque de M. Hecquet est délicate, & à moins que d’estre aussi versé que lui dans la Langue, on ne peut s’appercevoir de la difference qu’il y a entre dire, qu’après les grandes pertes de sang il survient des hydropisies ; & dire, que les grandes pertes de sang sont ordinairement suivies d’hydropisies. Quoiqu’il en soit, M. Hecquet ne veut pas qu’on croye que son expression aille à dire, que les pertes de sang causent des hydropisies, & il a raison de chercher à s’en défendre, puisqu’il auroit en cela parlé comme Hippocrate & Galien[43]. Mais ce n’est pas dequoi il s’agit. Il est bon de voir si M. Hecquet qui se plaint avec tant de raison qu’on a changé son expression, n’auroit point par mégarde changé celle du Journaliste. Le Journaliste, au lieu de citer les propres paroles de M. Hecquet, sçavoir, que l’on convient qu’il arrive après de grandes pertes de sang, des hydropisies, &c. lui fait dire : Qu’il est vrai que les grandes pertes de sang sont ordinairement suivies d’hydropisies, &c. M. Hecquet qui rapporte d’abord cette citation comme elle est dans le Journal, la rapporte ensuite d’une autre maniere, & la convertit en celle-ci : Il est vrai que les hydropisies sont les suites ordinaires des pertes de sang. Sur quoi il se recrie : Est-ce là faire un Extrait ? c’est imposer. Mais ne pourroit-on point demander à M. Hecquet s’il ne change point lui-mesme les termes du Journaliste, d’une maniere qui en altere le sens ? Car enfin, s’il y a de la difference entre dire, que les grandes pertes de sang sont ordinairement suivies d’hydropisies, & dire, qu’après de grandes pertes de sang il arrive des hydropisies ; n’y en a-t-il pas davantage entre dire, que les grandes pertes de sang sont ordinairement suivies d’hydropisies, & dire que les hydropisies sont les suites ordinaires des pertes de sang ? Le jour est suivi de la nuit, & la nuit est la suite du jour, ne sont point deux expressions semblables pour le sens ; l’Hiver est suivi du Printemps, & le Printemps est la suite de l’Hiver, ne sont point la mesme chose non plus. Il y a donc une grande difference quelquefois entre dire, qu’une chose est suivie d’une autre, & dire que cette autre en est la suite. Ainsi de ce que le Journaliste fait dire à M. Hecquet, que les grandes pertes de sang, sont ordinairement suivies d’hydropisies, il ne s’ensuit pas qu’il lui fasse dire, que les hydropisies sont les suites ordinaires des pertes de sang. Il est vrai que quand M. Hecquet l’auroit dit, il n’auroit rien dit en cela que de conforme au sentiment des meilleurs Medecins : mais il ne s’agit pas ici du fond de la doctrine, il s’agit de la difference de deux expressions qui n’ont point le mesme sens, & dont la derniere fait mieux entendre que l’autre, que les hydropisies sont les effets ordinaires des pertes de sang. M. Hecquet n’a pas pris garde sans doute à cette difference, car s’il l’eust apperçûë, il n’y a pas d’apparence[44], que pour donner plus de couleur au reproche d’infidelité qu’il fait à son adversaire, il eust voulu lui-mesme commettre une infidelité.


I.

Mais pour revenir à la question qui vient d’estre touchée ; sçavoir, si les hydropisies & les cruditez qui arrivent après les grandes pertes de sang, sont les effets ou non, des grandes pertes de sang, on pourroit dire à M. Hecquet, qu’une raison qui semble prouver que les grandes pertes de sang pourroient bien estre la cause des maux qui les suivent : c’est qu’il faut une certaine quantité de sang, pour changer en sang le suc des alimens, en sorte que lorsqu’il y a trop peu de sang pour faire ce changement, il ne se doit produire qu’un sang imparfait, & par conséquent un sang tres-propre à causer les maux que M. Hecquet avouë[45] qui arrivent après les grandes pertes de sang ; sçavoir, des hydropisies, des cachexies, des cruditez, & la mort mesme.

On peut ajouter à ceci la remarque d’Olier sur l’Aphorisme 27. de la 4e section, où[46] Hippocrate observe que ceux qui dans le cours d’une fiévre ont perdu beaucoup de sang, ne manquent gueres quand ils commencent à guerir, de faire des déjections pleines d’eaux & de cruditez : Holier[47], pour expliquer l’Aphorisme, dit, que les grandes pertes de sang ne pouvant se faire sans une grande dissipation d’esprits animaux, & de chaleur naturelle, laissent l’estomach & les autres visceres dans une telle langueur, que lorsque le malade entre en convalescence, & qu’il commence à manger, à peine l’aliment peut-il se convertir en chyle, & le chyle en sang, & que mesme les sucs faute d’action ne se distribuent qu’imparfaitement aux differentes parties du corps, ce qui est cause que le bas-ventre ne peut plus rendre que des eaux & des cruditez.

Liebaud[48] dans ses Scholies sur Olier, explique de la mesme maniere cet Aphorisme. Mais quand toutes ces explications seroient bonnes, elles ne contrarieroient en rien l’opinion de M. Hecquet, puisqu’il dit seulement qu’il faut moins s’en prendre ici au manque de sang qu’à sa mauvaise qualité & à sa corruption. En effet, si c’est proprement la mauvaise qualité du sang qui soit la cause des maux qui suivent les grandes hémorragies, pourquoi, sous pretexte que cette mauvaise qualité vient du manque de sang, vouloir soûtenir que les maux dont il s’agit en viennent aussi ? C’est aussi mal raisonner, que si l’on prétendoit qu’un homme qui boëte après s’estre blessé la jambe en tombant, boëte parce qu’il est tombé, comme s’il ne falloit pas plütost s’en prendre à la jambe blessée, qu’à la chute, puisqu’après tout il arrive souvent qu’on tombe sans se faire mal, que quelquefois mesme on court encore plus vite après s’estre relevé. Aussi M. Hecquet à qui rien n’échappe, remarque fort bien qu’on voit tous les jours des gens, qui après avoir perdu beaucoup de sang, ne laissent pas de se bien porter encore après, & quelquefois mesme de recouvrer avec usure l’enbonpoint qu’ils avoient auparavant. Ainsi donc, quand des malades deviennent hydropiques aprês de grandes hemorragies, il faut dire qu’ils sont devenus hydropiques après avoir perdu beaucoup de sang, & non pas à cause de la perte qu’il en ont faite. Quand un homme est mort après une chute ou il s’est cassé la teste, il ne faut pas dire, qu’il est mort d’une chute, mais après une chute, sa mort venant plûtôt de ce qu’il s’est cassé la teste, que de ce qu’il est tombé ; & les chutes estant toûjours innocentes, pourvû qu’on ne se blesse point, & qu’il n’arrive dans le corps aucun dérangement ; Il en est ainsi, des grandes pertes de sang, lesquelles, selon la remarque de M. Hecquet, ne font jamais de tort, pourvû que le sang ne se corrompe point, qu’il soit bien conditionné, qu’il circule aisément, & qu’il ne se ralentisse nulle part[49].


II.

On a remarqué dans le Journal des Sçavans, que M. Hecquet dit que le cœur par lui seul, & sans le secours des arteres, peut soûtenir l’effort de trois mille livres & plus[50] ; & que quelques signes plus bas[51] il avertit que la force du cœur est bornée par la nature à ne pouvoir pousser que la valeur de vingt livres. Le soin qu’on a eu de rapprocher ces deux propositions, fait soupçonner à M. Hecquet qu’on a crû y voir de la contradiction, c’est pourquoi il n’oublie rien pour battre là-dessus en ruïne le Journaliste. La maniere dont il s’y prend perdroit de sa force par le recit, il vaut mieux rapporter les propres termes de l’Auteur. A la Vérité le discours est un peu long ; mais il porte avec soi dequoi recréer les Lecteurs. Voici donc comment M. Hecquet relance le Journaliste.

« La pitoyable Geometrie que celle du Journaliste[52] ! comme si cette proposition, que le cœur par lui seul & sans le secours des arteres pourroit soûtenir l’effort de trois mille livres & plus, donnoit à entendre qu’une force ou puissance qui peut soûtenir l’effort de trois mille livres, doive en effet les mouvoir ? Est-il pardonnable à un homme public, à un Professeur Royal, à un Medecin en place, de si mal entendre les termes de Physique ? Il seroit excusable, s’il avoit à s’expliquer sur des matieres étrangères à sa Profession, comme sur la Musique, par exemple ; mais qu’un homme qui a le discernement & la science des mots ; qu’un Medecin qui a à parler de Physiologie, ne comprenne ni la force, ni la valeur des termes, c’est ce qui fait peur pour le public, & pitié à tout le monde. Que ne les prenoit-il ces termes, sur le ton plaisant, car il y est plus heureux ? Le cœur n’a de force que pour pousser vingt livres de sang, & on lui attribuë celle de soûtenir l’effort de trois mille livres ; voilà un étrange paradoxe pour le Journaliste : Cette expression le surprend, parce qu’il ne paroist pas également habile en Anatomie. Il est des parties qu’il connoît bien mieux que d’autres ; le bas-ventre, par exemple, est de celles qu’il a singulierement étudiées, il en connoît les reservoirs, la capacité, & tous les reduits, au point que la moindre glaire ne sçauroit s’y nicher à son insçeu, ni le moindre vermisseau échapper à sa connoissance ; il est un peu moins versé dans la science du cœur, c’est-à-dire, dans la structure de ses parties ; ses profondeurs & ses secrets en Physique comme en Morale lui ont paru inscrutables. Que ce soit donc un muscle creux, une puissance immense, une pompe, un piston d’une force merveilleuse, tout cela paroist avoir assez peu occupé son attention. Voilà pourquoi quand il faut mesurer ses forces, les calculer, & les comparer avec les resistances qu’il doit surmonter, le Journaliste manque de justesse, & les mots l’embarrassent, ou lui deviennent étrangers. Mais un exemple familier va le mettre au fait. Un coup de pompe qui pourroit pousser un volume d’eau à deux cens pas à travers[53] un seul tuyau droit & sur un plan uni & égal, ne pousse pas ce mesme volume d’eau à dix pas, si cette eau est obligée d’enfiler un million de tuyaux differemment recourbez, & qui souvent éleveroient l’eau contre son propre poids. Si donc l’on vouloit que la pompe poussast ce mesme volume d’eau à deux cens pas, à travers tous ces tuyaux recourbez, il lui faudroit donner une force infiniment superieure ; c’est ce qui arrive au cœur dans le corps humain, au lieu d’une puissance très-modique qui auroit suffi au cœur pour pousser vingt livres de sang du centre à l’habitude & aux extrémitez, s’il n’avoit eu qu’à parcourir quelques tuyaux droits sur un plan uni, il a eu besoin d’une force surprenante pour pousser le mesme volume de sang à travers des tuyaux infiniment multipliez, recourbez dans un million d’endroits, & qui ont souvent à pousser le sang contre son propre poids vers des parties élevées ; par la raison, qu’une puissance se trouve étrangement modifiée à raison des resistances qu’elle rencontre. Que si on ajoûte que le sang arrivé aux extrémitez, en est ramené au centre par la mesme impulsion du cœur, on comprendra comment le cœur qui n’a que vingt livres de sang à faire couler à travers tant de plis & de replis de vaisseaux, a eu besoin d’avoir dequoi soûtenir l’effort de trois mille livres & plus. C’est comme si l’on disoit au Journaliste, & peut-estre le comprendra-t-il mieux, que la Machine de Marly, qui ne doit envoyer de l’eau qu’à certaines distances, parce que cette eau doit enfiler des canaux differemment tournez, & conduits souvent sur des hauteurs ; que cette mesme Machine envoyeroit toute cette eau à des distances infiniment plus éloignées, si elle n’avoit à traverser que quelques canaux directs & sans détour ; par où l’on voit qu’il n’est pas de forces absolues, elles sont toutes relatives & dépendantes des resistances qu’elles trouvent à surmonter. La force de l’estomach, suivant la démonstration qu’en fait le célèbre M. Pitcarne, est incroyable, quoique l’estomach n’ait au plus que quelques livres à broyer ou à digerer. Les muscles des mâchoires supporteroient l’effort d’un poids de seize mille & vingt livres, ils ne sont cependant destinez qu’à relever & serrer la machoire. Quelques-unes de ces heures que le Journaliste prodigue à méditer sur la vermine employées à l’étude des Borelli, des Bellini, des Baglivi, des Pitcarne lui auroient épargné bien des bévûës. »

Il faut l’avoüer, M. Hecquet a raison de triompher en cette occasion. Voilà en effet bien des bévûës : Mais comme ceux qui reprochent aux autres d’en faire, n’en sont quelquefois pas exempts eux-mesmes, & que la pluspart du monde ne juge que sur les apparences ; on apprehende ici pour M. Hecquet, que ceux qui ne le connoissent pas assez, n’aillent s’imaginer que la bévûë est de son costé, de comparer comme il fait la force du cœur, dont les mouvemens sont secondez par ceux mesme des vaisseaux dans lesquels le sang est poussé ; de comparer, dis-je, cette force à celle d’une machine qui pousse de l’eau dans des tuyaux qui n’ont point d’action, & qui loin d’aider la machine à pousser l’eau, font des resistances que la machine doit vaincre. Car enfin, de l’aveu mesme de M. Hecquet, les vaisseaux qui reçoivent le sang sont tous autant de secours qui secondent le cœur pour pousser le sang. Voici ses propres termes :

« Il faut remarquer que tout est vaisseau dans nos corps[54] ; que ces vaisseaux sont pleins de liqueurs spiritueuses ; que leurs envelopes ou membranes sont toûjours prêtes à se mouvoir ; qu’elles se meuvent, pour mieux dire, continuellement, à peu près comme le cœur, par un mouvement systaltique de compression & de dilatation ; que ce mouvement enfin, semblable à une espece d’ondulation, commence dans le cerveau, & se continuë jusqu’aux extrémitez des nerfs : ce sera, si l’on veut, une espece d’oscillation, c’est-à-dire, d’ébranlement, qui, suivant l’impression qu’elle aura reçûë dans le principe des nerfs, continuera son trémoussement jusqu’aux parties les plus éloignées : y eut-il jamais rien de plus propre pour les filtrations, c’est-à-dire, pour conduire quelques liqueurs hors des vaisseaux ? »

Mais cela n’est rien en comparaison de ce que le mesme M. Hecquet dit sur cet article dans la These sur la boisson[55]. « Par solides, dit-il, il faut comprendre les vaisseaux dont la tissure des parties est composée, ce sont des tuyaux pleins de ressorts, qui se dilatent & se compriment continuellement. Ces vaisseaux de figure conique perdent de leur diamietre ou de leur capacité à mesure qu’ils s’éloignent de leur origine, sans perdre cependant de leur vertu de systole, qui les accompagne & les suit par tout. Ce sont donc comme autant d’aides & de substituts pour le cœur, dont ils imitent les fonctions ; car ils battent sans cesse, & font effort sur le sang, lequel comprimé & mis en contrainte, se releve & repousse les parois des vaisseaux qu’il dilate, tant par son ressort, que par son volume, & l’impulsion qui le chasse & le fait avancer. » Et dans la Préface de la Réponse au Journal[56]. « C’est ainsi qu’on a compris chaque vaisseau comme autant de cœurs subrogez, qui broyent par une systole ou une contraction habituelle les liqueurs à mesure qu’elles passent. »

Selon ce systeme, bien loin donc de conclure avec M. Hecquet que la force du cœur doive estre énorme pour pousser le sang & le faire circuler dans un si grand nombre de vaisseaux ; il semble qu’on pourroit dire au contraire, que le cœur n’a besoin pour cela que de tres-peu de force, puisque le sang n’est pas plûtôt sorti du cœur, que les vaisseaux dans lesquels il entre, le poussent eux-mesmes par leurs battemens, & le font circuler. Il est vrai que ces vaisseaux sont repliez & recourbez, mais quelque repliez & recourbez qu’ils soient, ils n’en donnent pas plus de peine au cœur, puisqu’on suppose que tous ces vaisseaux chassent le sang, ensorte qu’ils sont, pour ainsi dire, autant de cœurs multipliez, & pour parler avec l’Auteur, autant d’aides & de substituts pour le cœur, autant de cœurs subrogez. Il semble mesme, qu’on pourroit expliquer par ce moyen, comment la circulation du sang s’est pû faire en certaines personnes dont le cœur estoit si endommagé, comme on l’a découvert après leur mort, qu’on ne peut pas concevoir qu’il pust faire autre chose que pousser le sang jusqu’à l’embouchure de l’artere pulmonaire, & de l’aorte. Cependant la circulation se faisoit, puisque ces malades vivoient ; il faut donc dire, que cette circulation venoit de ce que le sang, après avoir esté pousse jusqu’à l’entrée de l’artere, estoit poussé par l’artere mesme, & ensuite par les autres vaisseaux qui le conduisoient enfin, de proche en proche, jusques au cœur, en sorte que tous ces vaisseaux faisant l’office du cœur, le sang ne pouvoit manquer de circuler.

Que le cœur, sans que la mort s’ensuive tout-à-coup, puisse quelquefois estre endommagé au point que l’on vient de dire, l’exemple suivant dont on a esté témoin, semble pouvoir en servir de preuve. Le 7e de Mars de l’année 1708. M. Joly Maistre Chirurgien de Paris ouvrit le corps de Madame Angouillan morte, rue S. Jean de Beauvais, d’une maladie singuliere, dont il seroit trop long de rapporter les circonstances. Le corps fut ouvert peu d’heures après la mort, en présence du Medecin & de l’Apoticaire de la malade, accompagnez de plusieurs personnes de la famille. On trouva la surface & les ventricules du cœur, si gangrenez en quelques endroits, qu’à mesure qu’on touchoit ces endroits, ils s’effaçoient sous le doigt, quelque legerement qu’on lest touchast. Or comme cette gangrene ne pouvoir pas s’estre formée tout-à-coup, un moment avant la mort & qu’il falloit necessairement qu’elle eust subsisté quelques jours auparavant, on doit dire que le cœur en cet estat ne pouvoit tout au plus pousser le sang qu’à l’entrée de l’artere, & qu’ainsi il falloit que les vaisseaux, comme autant de cœurs subrogez, poussassent eux-mesmes le sang & le fissent circuler. On ajoûte à cela, que si on lie à un chien vivant le ventricule gauche du cœur, ensorte que le sang ne puisse estre poussé dans l’aorte, cette artere ne laissera pas de comprimer le sang qu’elle aura reçû du cœur, & de le pousser dans les veines.

En supposant donc que les vaisseaux, par leurs mouvemens de compression & de dilatation chassent le sang, il est visible qu’on épargne au cœur toutes les resistances qu’il auroit à surmonter, si ces vaisseaux ne faisoient que recevoir le sang sans le pousser, & qu’ils fussent sans action comme les tuyaux d’une pompe, ausquels M. Hecquet les compare. Il ne semble donc pas que le cœur ait besoin d’une si grande force pour vaincre la resistance des vaisseaux, puisque les vaisseaux ne lui en font point, & que loin de lui en faire, ils le secondent tous, estans ses aides & ses substituts, & autant de cœurs subrogez qui poussent le sang à mesure qu’ils le reçoivent.

En effet, de la manière que de l’aveu mesme de M. Hecquet, le cœur pousse le sang, un homme d’un seul coup de bras pourra pousser & faire remonter un bâteau de S. Cloud à Paris : la chose est aisée à comprendre ; il n’y a qu’à supposer que le bâteau soit reçû par d’autres hommes qui soient le long de la rivière, & qui après que le premier l’a poussé, se l’envoyent de main en main jusqu’à Paris. Aprés cela M. Hecquet supputera à combien de milliards de livres devra monter la resistance que cet homme aura forcée pour pousser si loin le bâteau. Le cœur, dit-il, ne faisant que pousser le sang, comme il fait dans l’espace d’un jour, au-delà des arteres, fait la mesme chose que s’il surmontoit la resistance de sept milliards cinq cens soixante millions de livres[57] ; de mesme, dira-t-il, cet homme n’ayant fait que pousser le bâteau de S. Cloud à Paris dans un tel espace de temps, a fait la mesme chose que s’il avoit surmonté la resistance de tant de milliards de livres. Comme M. Hecquet est habile en calcul, il dira au juste à quoi cela pourra aller. On auroit droit, ce semble, de conclure de tout ceci, que ce Medecin, en reprochant au Journaliste d’avoir fait bien des bévûës, en a fait lui-mesme une fort grande ; mais on n’a garde de tirer une telle consequence contre un habile Geometre, qui s’écrieroit peut-estre, comme il vient de faire, La pitoyable Geometrie ! Qui trouveroit qu’on ne comprendroit ni la force, ni la valeur des termes, & qui ne manqueroit pas de repeter, que c’est ce qui fait peur pour le public, & pitié à tout le monde. Il ne faut pas se joüer à un Auteur comme celui-ci, qui n’a pas prodigué son temps à méditer sur de petits sujets, comme il reproche au Journaliste de l’avoir fait[58] ; mais qui a eu soin de se rendre l’esprit juste en ne contemplant que des objets dignes de lui.

Il faut avoir autant d’idée qu’on en a de la justesse d’esprit de cet Auteur, pour n’oser regarder comme une autre bévûë, ce qu’il dit sur la mesme matiere, dans sa These sur la boisson[59]. Car enfin, qui ne s’imagineroit qu’un homme, qui d’un costé soûtient que le cœur surmonte une resistance énorme pour pousser le sang dans les différens vaisseaux du corps, ne se contredit pas de l’autre, quand il soutient que le sang qui sort du cœur doit retourner au cœur par la seule force du contrepoids, sans qu’il soit besoin d’autres secours ; c’est pourtant ce qu’avance l’Auteur dans sa These sur la boisson. « Suivant la maxime de l’Hydrostatique, dit-il, les liqueurs doivent remonter dans les syphons recourbez, au mesme point de hauteur dont elles sont descenduës ; c’est-à-dire, qu’il faut qu’il remonte par la branche opposée d’un syphon recourbé autant de liqueur qu’il en estoit descendu par l’autre branche. Regardant donc, suivant cette regle, la grande artere & la veine cave comme un seul vaisseau qui décrit un syphon recourbé, le sang consideré seulement en tant que liquide, devra sans d’autre secours & par la seule force de l’équilibre, remonter à la hauteur du cœur, c’est-à-dire, au cœur mesme, d’où il s’est élancé dans la grande artere. »

Voilà, comme on voit, une grande partie de la circulation de faite, sans qu’il en coûte beaucoup au cœur. Si donc on ne sçavoit quelle est la justesse geometrique de M. Hecquet, on croiroit aisément que ce qu’il dit là de la facilité avec laquelle le sang revient de lui-mesme au cœur, seroit un peu contraire à ce qu’il dit ailleurs de la force immense que le cœur doit avoir pour faire circuler le sang dans des vaisseaux recourbez, & le faire revenir jusqu’à lui. On s’y tromperoit sans doute, & il faut convenir que ce n’est pas en méditant sur les Vers qu’on parvient à raisonner aussi bien que M. Hecquet : mais ce qui fait bien voir encore la grande penetration de cet Auteur, c’est l’exemple qu’il apporte pour fortifier la comparaison qu’il a faite du cœur avec une pompe & avec la Machine de Marly. « Les muscle des machoires, dit-il, supporteroient l’effort d’un poids de seize mille & vingt livres ; ils ne sont cependant destinez qu’à relever & serrer la machoire : car on ne voit gueres quelle liaison il y a entre cet exemple & la comparaison, ni entre ce mesme exemple, & ce qu’il a dit du cœur ; sçavoir, que la force du cœur est bornée par la nature à ne pouvoir pousser que la valeur de vingt livres, & que le cœur, par lui seul, peut suffire au poids de trois mille livres & plus. Cependant il faut bien que l’Auteur ait trouvé là quelque liaison. Peut-estre, dira-t-on, qu’il ne rapporte l’exemple des machoires que pour faire voir que la force du cœur n’est point si limitée, que le cœur n’en ait encore au-delà de ce qu’il lui en faut dans la santé : mais comme ce n’est pas dequoi il s’agit, il n’y a pas d’apparence que M. Hecquet aussi judicieux qu’il est, puisse avoir cette vûë : d’ailleurs, qui doute que le cœur n’ait beaucoup plus de force qu’il ne lui en faut pour faire circuler le sang, pendant la santé. On sçait que ce surplus de force a son usage dans bien des maladies, où le sang fait des embarras, & où il resiste davantage aux mouvemens du cœur.


III.

On peut faire ici une petite reflexion sur ce que l’Auteur vient de dire de la circulation du sang, par le seul poids du sang. C’est que sa remarque ne sçauroit estre veritable quand on est couché, puisqu’alors la regle des syphons n’a plus de lieu. On auroit souhaité qu’il eust bien voulu éclaircir ce fait, & qu’il se fust donné la peine d’expliquer le sentiment de Monsieur Baglivi[60], & de plusieurs autres Sçavans, qui ne font pas difficulté de dire, que pour peu qu’on soit versé dans les Mechaniques, on doit sçavoir que le sang auroit eu plus de peine à circuler, si le corps avoit toujours esté debout, & qui prétendent que la situation horizontale que fait prendre le sommeil, n’est si necessaire de temps en temps, que parce qu’elle remet les fluides dans leur mouvement & rétablit leur équilibre. Ne pourroit-on point confirmer la reflexion de M. Baglivi, en disant, que c’est peut-estre pour cette raison, que les oiseaux ayant naturellement le corps dans cette situation, ne sont presque pas obligez de changer de posture pour dormir ?


IV.

M. Hecquet ayant avancé dans sa These sur la saignée, qu’il est peu necessaire d’évacuer les superfluitez du bas-ventre ; le Journaliste remarque, que cependant Hippocrate conseille de purger au commencement des maladies dans la fougue des humeurs : & il ajoûte, qu’on a cru jusqu’ici que c’estoit pour dérober au sang une matiere qui pourroit s’y mêler ; mais qu’il faut sans doute, ou qu’Hippocrate se soit trompé, ou qu’il ait eu d’autres vûës, s’il est vrai, comme le prétend M. Hecquet, que les faits renfermez dans le bas-ventre ne puissent passer dans le sang. M. Hecquet tourne joliment ces dernieres paroles ; Voilà, dit-il, la source de toutes les méprises du journaliste touchant la purgation ; il croit qu’un purgatif n’est destiné qu’à vuider les ordures contenuës dans les intestins. On dit que cela est tourné joliment, parce qu’en effet, en lisant les paroles du Journaliste, on ne juge autre chose, sinon, que le Journaliste croit que dans l’orgasme les mauvais sucs du sang, tels que ceux, par exemple, que fournit la bile vicieuse, estant selon le langage de Fernel, portez & reportez par une espece de flux & de reflux, tantost du sang dans les visceres, & tantost des visceres dans le sang ; le point capital dans un cas si dangereux & si favorable tout ensemble, c’est de purger, pour tirer ces mauvais sucs du milieu mesme de la masse du sang, & les entraîner de telle sorte par le conduit intestinal, qui est le principal viscere du bas-ventre, qu’ils ne puissent repasser des intestins dans le sang, mais soient absolument chassez du corps : au lieu que de la maniere dont parle M. Hecquet, il semble que le Journaliste croye que le purgatif soit destiné à évacuer ce qu’on entend ordinairement par les ordures du bas-ventre, c’est-à-dire, à chasser ce marc grossier que les alimens laissent après eux dans les intestins. Ainsi M. Hecquet n’a pas seulement du fond, il a encore du tour, c’est tout ce qu’il faut pour un parfait Ecrivain : mais il dira peut-estre, que quand mesme le Journaliste conviendroit que la purgation ne seroit pas destinée à vuider le marc des alimens, il ne devroit pas conclure pour cela que l’usage du purgatif fust d’aller chercher, pour ainsi dire, les impuretez du sang, & de les entraîner ensuite par le bas-ventre, d’autant plus que les purgatifs ne peuvent s’insinuer dans le sang, & que de plus leur qualité propre est de faire dans les intestins des secousses[61], qui se communiquant à toutes les parties solides, servent à rétablir le ressort de toutes ces parties, & à donner par ce moyen de nouvelles déterminations aux humeurs, sans qu’il soit necessaire d’aucune évacuation. On ne dira rien sur ce second article, dont on doit parler plus bas ; mais pour le premier, on demandera seulement pourquoi le lait d’une nourrice, comme on l’a remarqué plus haut, devient purgatif lorsque la nourrice a pris quelque médicament purgatif ; c’est une perte pour les Lecteurs, que M. Hecquet n’ait pas expliqué cette difficulté, car il est heureux en explications quand il fait tant que d’en donner ; & pour s’en convaincre, il n’y a qu’à voir de quelle maniere il s’explique sur ce qu’il a dit que l’esprit de vin ne pouvoit passer à travers les intestins, & que les matieres contenuës dans les intestins estant plus épaisses, ne pouvoient donc y passer non plus. On a remarqué plus haut que le Journaliste lui a objecté là-dessus, que le chyle qui est bien plus épais que l’esprit de vin, ne laisse pas de passer à travers les intestins par les vaisseaux lactez, & de s’insinuer dans le sang ; mais cette objection n’embarasse point M. Hecquet. « Voici, dit-il, la force de mon argument[62] ; car le Journaliste certainement ne l’a point sentie. Des glaires & des colles ne pourroient passer dans le sang que parce qu’elles auroient de plus subtil, s’il estoit possible d’en concevoir dans ces matieres bourbeuses & croupissantes ; mais l’air, la plus penetrante chose qu’on connoisse, & l’esprit de vin, la liqueur presque la plus fine, ne peuvent passer dans le sang, donc les glaires & les colles tels volatils qu’on leur accorde, ne pourront passer des intestins dans le sang. Il est donc un autre Art, une autre Mechanique, un mode de substance, une proportion enfin qui favorise cette sorte de filtration, qualitez differentes de l’épaisseur, qui certainement ne se rencontrent pas dans des glaires, & qui ne se laissent gueres comprendre aux esprits accoûtumez à l’idée de colles & de cruditez. »

Voilà toute l’explication que donne M. Hecquet, pour faire comprendre que lorsqu’il dit, qu’une matière ne sçauroit passer à travers les intestins, si elle n’est plus subtile que l’air & que l’esprit de vin ; ce n’est pas une objection à lui faire que d’opposer le chyle, qui estant plus épais que l’esprit de vin, ne laisse pas d’y passer. En effet, y a-t-il rien de plus clair que tout ce que vient de dire M. Hecquet ? Et comment après cela ne pas lui accorder, qu’encore qu’il prétende que rien de tout ce qui n’est pas plus subtil que l’esprit de vin, ne puisse passer à travers les intestins, il ne s’ensuit pas que le chyle quoique plus grossier n’y puisse passer ? C’est à M. Hecquet qu’il appartient d’éclaircir des difficultez, & de montrer la force d’un raisonnement, quand on ne l’a pas sentie. Au regard des matières épaisses du bas-ventre, on lui a dit dans le Journal, que ces matieres ne passoient pas dans le sang épaisses comme elles étoient, mais qu’il s’en détachoit des parties subtiles qui s’insinuoient dans les vaisseaux lactez, & de là dans la masse du sang ; ces paroles l’ont engagé à un autre éclaircissement que ce seroit dommage de dérober ici aux Lecteurs.

« Ces sucs croupissans, dit-il[63], ont été déposez dans les intestins par le sang, & alors ce seront des matieres usées, vuides d’eprits, des testes mortes, enfin dépoüilléesde tout volatil, ou ce seront des restes d’aliments indigestes, d’un chyle aigri & gâté ; & en ce cas, ce seront des cruditez aussi peu capables d’insinuer du volatil ou des parties subtiles dans le sang. Car qui ne sçait que tout ce qui est crud ne fournit point de volatil dans la distillation ? Et quand « sa distillation, au moyen du feu en extorqueroit quelque atome, le Journaliste connoîtroit-il dans le bas-ventre quelque fourneau capable de lui rendre ce service, à moins qu’il ne compte sur ce feu de fumier que les Chymistes avoient jusqu’à present omis d’établir dans les intestins[64] ? »

Il n’y a pas un mot en tout cela qui ne porte coup. Cet atome qui ne fut jamais, ces matières usées & vuides d’esprits, ces testes mortes dépoüillées de tout volatil, ces restes d’alimens incapables d’insinuer des parties subtiles dans le sang, ces matieres cruës qui ne sçauroient fournir aucun volatil dans la distillation, ni par consequent dans le bas-ventre, où il faudroit donc qu’il y eust quelque fourneau qui pust rendre ce service ; tout cela sont des reflexions également vrayes & judicieuses. Les Chymistes ne sçauroient estre trop exhortez à relire souvent un si bel endroit.


V.

On a vû dans la These sur la saignée, que, selon M. Hecquet, la saignée est le seul remede qui puisse suppléer au défaut de la transpiration. Le Journaliste, dans l’Extrait de la These, a dit là-dessus, qu’on pourroit croire aussi que les diuretiques seroient quelquefois capables de suppléer à ce défaut, une bonne partie de l’humeur qui ne transpire pas, s’évacuant souvent par les urines, ainsi qu’on le voit en Hiver, où elles sont plus abondantes, quoiqu’alors on boive moins. M. Hecquet répond à cette difficulté d’une maniere qui ne laisse nulle réplique. « Les diuretiques les plus forts sont si lents, dit-il[65], qu’il leur faut souvent des jours entiers pour agir. A peine font-ils sortir quelque verre d’urine ; souvent mesme ils la suppriment entierement. Ainsi, continuë-t-il, l’urine n’évacuera qu’en partie & tres-imparfaitement la matiere de la transpiration, & elle ôtera d’ailleurs au sang la serosité qui lui sert de vehicule, & le mettant à sec en rallentira le cours. »

Qu’on ne demande point comment M. Hecquet peut accorder ces deux choses ; l’une, que l’évacuation par les urines ôtera toute la serosité du sang & le mettra à sec ; & l’autre, que cette évacuation, lors mesme qu’elle est procurée par les diuretiques les plus efficaces, se fait trop lentement, & chasse à peine quelque verre d’urine ; c’est un mystère qui passe les lumieres communes. M. Hecquet, pour convaincre encore mieux ses Lecteurs de l’insuffisance des diuretiques, pour suppléer au défaut de la transpiration, ajoûte[66], « que souvent la cause des maladies est un volatile vicieux, une bile exaltée qui sublime le sang vers les parties superieures, & par là s’oppose à ses secretions dans les reins ; que c’est aussi quelquefois un acide qui l’épaissit, & le coagule : que dans ces deux cas le diuretique ne fera rien, & qu’on évacuera la serosité, laissant la cause de la maladie confuse dans le sang. »

On ne doit point s’étonner de voir dire ici à M. Hecquet, que la cause des maladies soit quelquefois un acide qui épaissit le sang & le coagule, après lui avoir vû dire le contraire dans la These sur la saignée ; car il faut bien observer en quelles occasions M. Hecquet dit les choses. Si dans sa These sur la saignée il nie que le défaut de transpiration, d’où procèdent, selon lui, toutes les maladies, vienne quelquefois d’acides qui coagulent le sang, c’est pour détruire l’objection qu’il s’y propose : que la saignée n’estant point un remede propre contre les acides, ne sçauroit par consequent estre un remede si souverain contre la transpiration diminuée, dont la cause, lui objecte-t-on, est autre qu’un acide qui épaissit le sang. Et si à présent il embrasse le parti contraire, en soûtenant que les maladies viennent quelquefois d’un acide qui coagule le sang, c’est qu’il veut montrer que les diuretiques ne conviennent point dans la transpiration diminuée, ce qu’il espere prouver facilement en representant que les diuretiques évacuant la serosité, ne peuvent qu’augmenter la coagulation, & par consequent estre plûtôt un obstacle, qu’un moyen à la transpiration qu’on veut rétablir. Le Journaliste avance encore, qu’il semble que les sudorifiques pourroient estre d’un grand secours dans les maladies qui viennent d’un défaut de transpiration ; mais M. Hecquet répond à cela en deux mots : « Le Journaliste, dit-il[67], auroit pû trouver dans Sanctorius dequoi redresser ses idées, & y apprendre, que la sueur est contraire à la transpiration, & que par consequent, c’est s’y prendre mal que de faire suer un malade qui ne transpire pas. » C’est bien dommage que M. Hecquet fasse une réponse si courte, & qu’il n’ait pas au moins rapporté les paroles de l’Auteur qu’il cite ; il auroit rendu en cela un service considerable à ses Lecteurs, qui pourroient bien avoir quelque peine à trouver dans Sanctorius[68], ce qu’on suppose que le Journaliste y auroit pû trouver si facilement ; car tout le monde ne possède pas Sandorius comme le possede M. Hecquet : mais puisque la sueur est contraire à la transpiration, & que c’est s’y mal prendre, que de faire suer un malade qui ne transpire pas ; d’où vient que dans la These sur la saignée, on lit les paroles suivantes[69] ? « Les parties solides ayant repris leur souplesse, & les fluides leur liberté, le commerce des liqueurs se trouve rétabli, & le sang remis en route, recommence à se dépurer & à faire ses secretions, & la transpiration en particulier redevient libre, aisée & copieuse. C’est par ces moyens qu’une sueur naturelle & abondante survient souvent après la saignée, & qu’un Medecin a la satisfaction de voir alors sous ses yeux, & en peu d’heures, échapper de la mort, des malades desesperez. » Car enfin, il n’est pas parlé là, de la sueur comme d’une chose contraire à la transpiration : il est vrai, mais il est tout visible que M. Hecquet a dit ceci sans y penser. Or on ne doit imputer à un Auteur que ce qu’il écrit avec reflexion. Il ajoûte, que si dans la These sur la saignée il a dit, que les sudorifiques estoient peu propres à devenir les substituts de la transpiration, il ne l’a point dit sans preuves, & là-dessus il se plaint qu’on n’ait pas rapporté ses preuves ; la plainte est raisonnable, d’autant plus que ce sont des preuves solides, qui ne peuvent faire qu’honneur à celui qui les a trouvées, ainsi qu’on le verra dans un moment. Il seroit à souhaiter que la methode de M. Hecquet fust connuë sur la Mediterranée, où la pluspart des Navigeurs que la chaleur de l’Esté oblige la nuit à prendre le frais sur le tillac, se trouvent attaquez de fiévres considerables, ausquelles on n’oppose que des sudorifiques ; car ces maladies viennent, comme on voit, de ce que la matiere de l’insensible transpiration a esté retenuë par le froid exterieur. Ainsi quelle imprudence de vouloir guerir ces fiévres par les sudorifiques, puisque c’est s’y mal prendre que de faire suer un malade qui ne transpire pas. C’est cependant ce qui se pratique dans ces climats meridionaux, & ce que M. Bates Chirurgien Anglois qui a acquis sur mer une grande connoissance de ces fiévres, prétend qui se pratique avec succés. Je n’ay nullement envie, dit-il[70], de me prévaloir de ma qualité de Chirurgien pour m’ingerer mal à propos dans les affaires de la Medecine. Si j’écris, ce n’est point pour dogmatiser, je ne me pique ni d’érudition, ni de systeme, ma seule vûë est de communiquer à ceux de ma Profession, qui sont obligez de faire sur les Vaisseaux la fonction de Medecins, ce que l’experience de cinq Campagnes m’a pû apprendre sur la nature & sur les remedes de ces fiévres.

A la faveur de cet avertissement M. Bates décrit les fiévres dont il s’agit, & la maniere dont elles se guerissent. Ces fiévres, dit-il, n’attaquent gueres que ceux qui, après la chaleur du jour, vont prendre le frais sur le tillac. Elles commencent toûjours par un frisson & un tremblement violent, par des lassitudes & des douleurs universelles, se finissent quelquefois par une sueur abondante qui emporte tout d’un coup le mal. Mais pour l’ordinaire on n’en est pas quitte à si bon marché. Le frisson est le plus souvent suivi d’une chaleur considerable, de grands maux de teste, de vomissemens, & de nouvelles douleurs. M. Bates est persuadé qu’il ne faut chercher la cause de ces maladies, que dans la matière transpirable retenuë par le froid exterieur, laquelle accompagnée des corpuscules de l’air froid introduits au dedans par les routes de la transpiration mesme, excite d’abord les frissons & les tremblemens, & ensuite si la nature est assez forte, s’échappe par les sueurs, sinon, allume la fiévre, & produit les autres accidens qu’on vient de marquer. L’Auteur, pour justifier son sentiment, dit, qu’en examinant avec le Microscope la peau de ces sortes de malades dans le temps de leur accés, elle ne laisse voir aucune trace de la liqueur dont la peau est toûjours humectée dans l’estat naturel, quelque seche qu’elle paroisse d’ailleurs. Cela posé, il veut que cette idée de transpiration interrompuë, fonde tout le traitement de la maladie, lequel ne doit tendre, dit-il, qu’à donner une libre issuë à la matiere transpirable. Ce dessein s’execute selon lui, en deux manieres, par rapport aux divers temps de la maladie : Si l’on est appellé dans le commencement, lorsqu’il ne s’agit que de frissons, on fait prendre au malade un bol sudorifique composé de quatre scrupules de theriaque, de seize grains de diaphoretique mineral, & de sept à huit grains de sel volatil armoniac. Peu d’heures aprés on lui donne une potion cordiale, & on lui fait boire quelques verres d’une simple décoction de gruau bien chaude. On entretient ainsi la sueur pendant trois ou quatre heures, & mesme au-delà, jusqu’à ce que les douleurs & les lassitudes soient entierement dissipées, ce qui marque une parfaite guerison. Pour achever la cure, on a recours à un cordial stomachique & à une poudre purgative, dont l’usage se continuë pendant deux ou trois jours. Le cordial stomachique est composé de quatre onces d’eau admirable, de trois onces d’esprit de menthe, d’autant d’eau de canelle orgée, & d’eau de lait, d’une once & demie de syrop d’œillets, & de huit goûtes d’huile de girofle. La poudre purgative se fait avec deux onces de fleurs de camomille, une demi-once de jalap, autant de diaphoretique mineral, une once & demie de cresme de tartre, & huit goûtes d’huile de girofle. On en donne au malade ce qu’il en faut pour le purger doucement.

Mais si l’on est appellé lorsqu’il est actuellement dans la chaleur de la fiévre, on s’y prend d’une autre maniere. On le prépare d’abord par une saignée de quatre, ou cinq, & mesme de six palettes, si la plenitude est assez grande pour demander cette évacuation : puis on donne le tartre émetique, bien moins, dit M. Bates, pour exciter le vomissement, que pour procurer une sueur, abondante & salutaire, qui ne manque presque jamais d’arriver. On a soin pendant la sueur de pourvoir aux forces du malade par le cordial stomachique, puis selon l’indication on met en œuvre, comme dans le premier cas, la poudre purgative. Si le vomitif n’excite qu’une sueur mediocre, on place un cordial sudorifique qui acheve l’ouvrage commencé. M. Bates assure que de plus de cent malades qu’il traita suivant cette methode, & dont il fut chargé en 1766. depuis le premier de May que la Flotte partit de Lisbonne, jusqu’au dernier de Juillet qu’elle aborda en Italie, il ne lui en mourut qu’un seul, encore, dit-il, cette mort fut-elle le fruit de l’indocilité du malade.

Que de reflexions il y auroit à faire sur une conduite si peu sage ; ne pas sçavoir que la sueur est contraire à la transpiration, & que par consequent c’est s’y mal prendre que de faire suer un malade qui ne transpire pas : quelle ignorance ! Qu’on n’oppose point l’exemple de cent malades gueris, excepté un seul, dit-on, qui meurt par sa faute. De telles guerisons ne peuvent estre que l’effet d’un hazard aveugle, plûtôt que d’une conduite éclairée. D’ailleurs, en bonne Medecine, est-ce par le nombre des guerisons qu’on doit juger de l’excellence d’un remede, ou d’une méthode ? Ne seroit-ce pas se conduire comme le peuple, qui n’ayant point de lumiere, ne juge que par le succés ? Un Medecin comme M. Hecquet, raisonne sur des principes, il a des régles fondamentales par lesquelles il connoît indépendamment des effets, les veritables qualitez des remedes : or, selon ces regles, un sudorifique ne peut qu’agiter le sang & le troubler[71], qu’enflammer les esprits, que serrer la tissure des nerfs, que porter un sang tout bouffant & fermenté vers la peau qui se trouve froncée & convulsive, que boucher les passages qu’on veut ouvrir, que deranger l’ordre des secretions, leur suite, leur retour, & à la place de cette union parfaite & de cette cadence qui charme dans l’estat de santé, faire succeder le desordre, le tumulte, la sedition. Comment tout cela ? l’Auteur l’explique. Doit-on, dit-il[72], attendre autre chose de remedes salins, urineux, volatils, & qui participent pour la pluspart, du souphre ou du mercure, tels que sont ordinairement les drogues qu’on appelle sudorifiques ? Que répondre à une si forte raison ? & n’y auroit-il pas de la témérité après cela, d’en vouloir appeller à l’experience ? En un mot, il ne faut jamais faire suer les malades, c’est la décision de M. Hecquet, qui remarque néanmoins page 155. de sa Réponse : Que les fievres se terminent souvent par des sueurs qui en font les crises ; Qu’un Medecin doit suivre dans l’évacuation des humeurs les penchans de la nature, & les issuës qu’elle lui montre.

On ne finiroit pas, si on vouloit s’arrester à tout ce qu’il y a de sensé dans la Réponse de M. Hecquet ; on va se borner à deux articles, dont l’un est de la purgation au commencement des maladies aiguës ; & l’autre, de la purgation sur la fin de l’accés dans les fiévres, avant que d’en venir au Quinquina. Ces deux articles ne doivent point estre indifférens aux Lecteurs, c’est pourquoi on tâchera de les rendre le plus intelligibles qu’il se pourra. Pour bien faire entendre ce que M. Hecquet dit sur le premier article, il faut auparavant mettre les Lecteurs au fait, & cela de maniere que ceux mesme qui ne sont pas Medecins puissent voir dequoi il s’agit. On va donc expliquer avec le plus de clarté qu’il sera possible, quel est le sentiment des grands Medecins sur l’occasion de purger au commencement des maladies, après quoi on rapportera la décision de M. Hecquet.


VI.

De l’occasion de purger au commencement des maladies.

Les Praticiens enseignent, qu’il ne faut point purger les humeurs cruës ; & qu’encore qu’il y ait moins de danger à le faire au commencement des maladies, parce qu’alors, comme le remarque Hippocrate[73], les accidens ne sont pas encore dans toute leur force ; il faut neanmoins éviter d’en venir là, à moins que ces humeurs ne soient en fougue, ou, pour parler selon les termes de l’Art, en orgasme, c’est-à-dire, à moins qu’elles ne soient dans une agitation violente de flux & de reflux, qui fasse juger qu’elles ne se sont encore fixées nulle part, & qu’elles menacent en mesme temps d’attaquer les principales parties du corps. Alors tandis que les parties sont encore assez souples pour obéïr au purgatif, & que les humeurs par leur instabilité sont en estat d’estre entraînées ; on ne sçauroit, selon eux, trop se hâter de purger, & cela, disent-ils, pour délivrer la masse du sang d’une partie des sucs impurs qui s’y sont formez, & qui passant & repassant tantost de la masse du sang dans les visceres, & tantost des visceres dans la masse, ne manqueroient pas de se fixer enfin sur quelques parties nobles & d’y causer des desordres considerables. Car ces Medecins prétendent, ainsi qu’on l’a remarque plus haut, que le purgatif s’insinuë dans le sang, qu’il en sépare les impuretez, comme certaines drogues jettées dans le vin trouble, en séparent la lie ; & qu’après les avoir entraînées dans les intestins, il les chasse dehors avec celles que la nature ou la maladie peut y avoir précipitées auparavant, & qui sans le secours du purgatif pourroient rentrer dans le sang d’où elles sont sorties. Pour autoriser leur methode, ils citent quelques Aphorismes d’Hippocrate, où il semble effectivement que ce grand homme prétende, que lorsqu’il y a orgasme au commencement d’une maladie, il faut, nonobstant la crudité des humeurs, recourir sans délay à la purgation. Ces Aphorismes sont :

« Il faut purger les humeurs cuites[74], & il ne faut pas purger les humeurs cruës, pas mesme dans le commencement, à moins qu’elles ne soient en orgasme, ce qui n’arrive pas souvent. »

« Dans les maladies aiguës, lorsque la matière est en orgasme, il faut purger dès le mesme jour, car il est dangereux de différer[75]. »

« Si dans le commencement d’une maladie vous voyez qu’il faille remuer quelque humeur, faites-le ; mais dans le fort du mal, il vaut mieux demeurer en repos[76]. »

Voilà les maximes d’Hippocrate, sur lesquelles ils se fondent. Cela posé ils avancent que la méthode d’Hippocrate estoit de purger dès les commencements dans la pluspart des maladies aiguës, ce qu’ils prétendent prouver par plusieurs endroits de ses Livres, ainsi que nous le verrons plus bas, d’où ils concluent que selon Hippocrate, il y a orgasme au commencement de la pluspart des maladies aiguës. Il est vrai que le premier Aphorisme qu’on vient de citer, porte que l’orgasme n’arrive pas souvent ; mais ils disent qu’Hippocrate ne parle ainsi, que parce qu’en effet cet orgasme n’arrive ordinairement qu’une fois dans une mesme maladie, ce qui s’accorde avec l’avertissement qu’il donne dans l’Aphorisme 10e de la 4e section : Que quand l’orgasme se présente, il faut purger sans délay, & qu’il y a du danger à attendre. Cette explication semble recevoir un nouveau jour par l’Aphorisme 24 de la premiere section, dans lequel il est dit, que lorsque la maladie est fort aiguë, il ne faut pas purger souvent, pas mesme quand elle commence ; & que quand on purge dans ces sortes de maladies, il faut extremement prendre garde, si c’est bien le cas où il est à propos de le faire. Car s’il en faut croire ces Praticiens, c’est comme si Hippocrate disoit, qu’une maladie aiguë, allant extrêmement vîte, ne permet gueres de réitérer la purgation, & que mesme le moment favorable de purger qui a coûtume de se présenter dans le commencement, est une occasion rapide, dont le retour est si peu à esperer, qu’on n’a gueres plus la liberté de réïterer la purgation dans ce commencement, que dans les autres temps de la maladie ; qu’ainsi on ne sçauroit apporter trop d’attention pour ne pas laisser échapper un moment si précieux. C’est ce qui fait que la pluspart des Auteurs, comme on le verra dans la suite, recommandent tant de haster la purgation dans les maladies aiguës, & que Riviere avertit de prendre bien garde d’estre trop lent & trop timide dans une conjoncture où le temps presse si fort, qu’on n’a presque pas celui de déliberer. Neque enim in purgando cunctabundus nimis aut timidus esse debet Medicus, cùm morbus valdè urgeat, & brevi sua percurrat tempora[77]. Le mot Grec ὀλιγάκις, dont se sert ici Hippocrate pour exprimer ce que les Interpretes ont rendu par rarò, rarement, estant bien examiné, pourroit peut-estre favoriser cette explication. Mais ce qui l’appuye davantage, au sens de ces Praticiens, c’est qu’elle semble se tirer naturellement, des termes mesmes de l’Aphorisme : Car Hippocrate commence d’abord par dire : Dans les maladies aiguës il ne faut pas purger souvent, & puis il ajoûte, ni mesme dans leurs commencemens. Or Hippocrate, disent-ils, n’ayant pas dessein, sans doute, de faire entendre dans le premier membre de l’Aphorisme, qu’il soit rare de trouver des maladies aiguës où il faille purger, puisqu’il n’y en a point où il ne purgeast lui-mesme, soit dans un temps, soit dans un autre ; de mesme ne prétend-il pas non plus avancer dans le second, qu’il soit rare d’en trouver au commencement desquelles il faille en venir à ce remede.

De tout cela ils inferent, que lorsqu’Hippocrate avertit, que dans le commencement des maladies aiguës l’orgasme n’arrive pas souvent, il ne veut donc dire autre chose, sinon, que cet orgasme n’arrive pas plusieurs fois dans le commencement de la mesme maladie, ce qui se rapporte au Grec τὰ δὲ πλεῖστα οὐκ ὀργᾷ, non autem frequenter turgent, ou comme on le lit dans le Livre des Humeurs, d’où cet Aphorisme est tiré, τὰ δὲ πολλὰ οὐκ ὀργᾷ, non pluries turgent. Mais le point essentiel de tout ce raisonnement, c’est qu’ils prétendent, comme on vient de le remarquer, qu’Hippocrate avoit coûtume de purger dès le commencement dans la pluspart des maladies aiguës, ce qu’il n’auroit point fait, disent-ils, si dans la pluspart de ces maladies il n’avoit cru voir de l’orgasme au commencement, puisque sa pratique ne sçauroit estre contraire à ses maximes. Ainsi le nœud de la question se réduit donc à sçavoir, si effectivement la méthode d’Hippocrate estoit de purger au commencement, dans la pluspart des maladies aiguës ; & c’est dequoi ils croyent trouver plusieurs preuves dans les Livres d’Hippocrate.

Ils citent, entre autres, l’article sixiéme du 3e Livre des Maladies[78], où Hippocrate avertit de purger dans la fiévre ardente dès les premiers jours : Ils citent l’article quarante-deuxiéme du Livre de la Diette dans les maladies aiguës, où il ordonne de le faire dès le quatriéme jour : Ils citent l’article cinquantiéme du mesme Livre, où il veut que dans les fiévres de délire, si on trouve à propos de purger, on le fasse avant le cinquiéme jour : Ils citent l’article cinquante-deuxiéme du mesme Livre encore, où il veut que dans les pleuresies, dont la douleur se fait sentir au-dessous du thorax, on purge dès le quatriéme jour : Ils cirent l’article dix-septiéme du 3e Livre des Maladies, où enseignant de quelle maniere on doit traiter la peripneumonie, il dit qu’il faut purger dans les quatre ou les cinq premiers jours : Ils citent l’article 13e du Livre des Affections, où parlant du Traitement des fiévres bilieuses, dans lesquelles le ventre ne se dégage ni par haut, ni par bas, & où les malades sentent de la douleur par tout le corps, il prescrit la purgation pour le troisiéme ou le 4e jour : Ils citent l’art. deuxiéme du mesme Livre, où il dit, qu’il faut estre fort attentif à ce qui se passe dans le commencement des maladies : qu’il faut bien examiner dequoi les malades ont besoin alors, s’il faut les purger ou leur faire quelque autre remede, parce que si on laisse passer ce commencement, & qu’après avoir apprehendé de donner dans ce temps-là au malade quelque chose de trop fort, on veüille y venir sur le déclin de la maladie, lorsque le corps affoibli n’est plus en estat de le souffrir, on est en danger de faire une grande faute : Ils citent l’article vingt-deuxiéme du 3e Livre des Maladies, où il veut qu’on purge les pleuretiques bilieux avant qu’ils commencent à cracher une salive épaisse & bilieuse : Et pour faire voir jusqu’où il poussoit la necessité de purger au commencement des maladies, ils citent l’article trente-neuviéme du Livre des Fractures, où parlant des fractures de l’os de la cuisse, il dit, que, quand l’os a esté remis, il faut purger dès le mesme jour avec l’ellebore : Ils citent enfin un grand nombre d’autres exemples qu’il seroit trop long de rapporter, & d’où ils concluent que la methode d’Hippocrate estant donc de purger au commencement dans la pluspart des maladies aiguës, il faut necessairement que par l’orgasme dont il parle, il entende une occasion qui ait coûtume de se présenter dès ces commencemens, & qui ne puisse être appellée rare, que parce ce qu’il n’est pas ordinaire qu’elle arrive plus d’une fois dans la mesme maladie : consequence qui a paru si naturelle aux sectateurs d’Hippocrate, que l’orgasme frequent dans les maladies aiguës a mesme passé parmi eux en maxime. Et sans entrer ici dans un détail ennuyeux de citations, on sçait de quelle maniere le docte Fernel s’explique là-dessus. Et certè, dit-il[79], cruda ea materia quum in plerisque morbis turgere soleat, & quasi oberrans fluctuet, & fluat refluatque in venis atque visceribus, non admodùm ægrè videtur medicamento cessura.

On trouve dans cette explication un autre avantage, c’est qu’elle justifie le soin qu’Hippocrate a pris de nous donner sur l’orgasme, l’avis qu’il nous donne. Car si c’eust esté un cas si rare, disent-ils, de trouver des maladies aiguës avec orgasme au commencement, estoit-ce la peine de nous tant recommander d’observer cet orgasme ? Pourquoi Hippocrate eust-il voulu qu’on s’embarassast si fort d’une chose qu’on auroit presque toûjours dû compter de ne pas voir, & qu’il auroit mesme mieux vallu, à cause de son extrême rareté, negliger tout-à-fait ; puisque le peu d’experience dont il eust fallu se contenter sur un cas si peu ordinaire, eust fait courir un risque évident de se méprendre, & de tuer par consequent plus d’un malade, en purgeant quelquefois sans qu’il y eust orgasme : au lieu qu’en renonçant absolument à toute esperance d’orgasme, on n’auroit couru d’autre danger que de traiter peut-estre, suivant la methode generale, deux ou trois malades au plus, à qui le privilege de l’orgasme auroit pu faire trouver dans la purgation un secours plus seur ? Enfin, disent les bons Praticiens, si la rareté de l’orgasme estoit autre que celle qu’on vient de remarquer, d’où Hippocrate auroit-il appris qu’il fust si important de ne pas laisser échapper cet orgasme, & qu’il fallust estre si prompt à en profiter ? Les avis qu’il donne là-dessus ne paroissent-ils pas venir au contraire, d’une connoissance acquise par des observations réïtérées, & par une frequente experience ?

Voilà le sentiment des Praticiens les plus celebres ; il s’agit de sçavoir si leur methode est bonne, & si elle s’accorde avec celle d’Hippocrate. M. Hecquet va decider.

« Le temps de la fougue des humeurs, dit-il[80], ne paroît gueres celui de vuider par la purgation celle qui cause une maladie ; alors tout est encore pesle mesle dans le sang ; les secretions donc ou suspenduës, ou confuses & dérangées, laisseront échapper l’utile avec ce qu’il y a de vicieux ; de la mesme maniere qu’un vin meslé avec sa lie fort trouble, quand on n’a pas donné le temps à la lie d’aller au fond, & de se précipiter. Il y auroit donc bien de l’apparence, ajoûte-t-il, qu’Hippocrate n’auroit point entendu la fougue des humeurs par le mot d’orgasme, qui est le temps où il conseille de haster la purgation. En effet il entend par orgasme, une occasion qui arrive rarement, plurima, dit-il, non turgent. Mais puisque les humeurs sont souvent en fougue au commencement des maladies, ce n’est pas de celles où l’humeur est en fougue qu’il a voulu parler ; on auroit au contraire dequoi prouver au Journaliste que le mot d’orgasme dans cet endroit, se prend pour le temps, la disposition & l’estat d’une humeur digerée, meure, & qui ne demande qu’à sortir, & que c’est à cette sorte d’humeur qu’Hippocrate ordonne la purgation tout d’abord. Le mesme Hippocrate auroit instruit de ceci le Journaliste, s’il s’estoit plus appliqué à étudier ses sentimens dans ses écrits, qu’à les accommoder à ses préjugez. Il auroit donc trouvé que ce Prince de la Medecine parlant d’un ulcere, où le pus qui est une humeur digerée & cuite, gagne & surabonde, dit que cet ulcere est comme en orgasme, pus turgere videtur. Dans un autre endroit où il parle du lait des mammelles, autre suc encore digeré, qui abonde & cherche à sortir, il dit, que les mammelles souffrent une sorte d’orgasme, papillæ turgescunt. Enfin, Galien lui-mesme dit des abscés qui sont meurs, & prests de s’ouvrir, qu’il sont comme en orgasme. Tubercula quæ in acutum fastigiantur quasi turgent ; c’est donc, poursuit M. Hecquet, quand l’humeur se trouve digerée & preste à la purgation dès les premiers jours, qu’Hippocrate conseille de haster la purgation : or parce que cette coction se trouve rarement dans les commencemens des maladies, ce sage observateur avertit, que cette sorte d’orgasme est fort rare. »

Après ces paroles, M. Hecquet s’écrie : « Malheureux donc les malades en qui le Journaliste aura pris la fougue des humeurs pour l’orgasme, la maxime d’Hippocrate mal interpretée aura pû leur coûter cher : car si la fougue des humeurs l’a déterminé à purger souvent dans les commencemens des maladies, les pauvres gens auront eu souvent à souffrir de ses méprises. »

Il y a bien du profit à faire dans la leçon que M. Hecquet donne ici aux Medecins. Premierement on y apprend, que la fougue des humeurs ne sçauroit estre une occasion favorable à la purgation, parce qu’alors tout est pesle-mesle dans le sang ; & que comme un vin meslé avec sa lie fort trouble, quand on n’a pas donné le temps à la lie de se précipiter ; de mesme si l’on purge avant que le sang soit purifié, la masse du sang laissera échapper l’utile avec le vicieux. Quelques Medecins peu dociles diront peut-estre, que si ce raisonnement est bon, il s’ensuit qu’il ne faudra point saigner non plus, quand les humeurs se trouveront pesle-mesle dans le sang ; parce qu’enfin, (pour ne point perdre de vûë la comparaison du tonneau,) ce sera s’exposer au mesme inconvénient de tirer l’utile avec le vicieux, & qu’ainsi, au lieu de saigner, comme on fait au commencement des maladies, lorsque le sang est encore trouble, il vaut mieux attendre qu’il soit bien purifié ; ce qui sera d’autant plus sage, qu’assûrément on ne sera point alors en risque, de tirer ensemble l’utile & le vicieux.

D’autres ajoûteront, que lorsque tout est pesle-mesle dans le sang, l’occasion de purger est bien plus favorable, pourvu qu’il y ait orgasme, que lorsque le sang est une fois purifié ; puisqu’en ce dernier cas, il n’est pas à propos de remuer les humeurs en quelque maniere que ce soit, ainsi que le remarque Hippocrate[81]. En effet, continueront-ils, lorsque les impuretez sont encore meslées dans le sang, les particules purgatives qui entrent dans le sang, venant à rencontrer ces impuretez, les précipitent de la mesme maniere, comme on l’a déja observé plusieurs fois, que certaines drogues mises dans le vin trouble, en précipitent la lie. Ensorte que de prétendre qu’il ne faille point purger lorsque tout-est encore pesle-mesle dans le sang, c’est prétendre que lorsque le vin est meslé avec la lie, ce n’est point le temps d’y jetter la colle de poisson. Ils diront peut-estre encore, que si, selon M. Hecquet, il n’est à propos d’évacuer par la purgation, que lorsque le sang s’est purifié, & qu’il a par consequent déposé dans le bas-ventre ses impuretez ; il s’ensuit donc, que l’unique but qu’on doive se proposer dans l’évacuation que procurent les purgatifs, soit d’évacuer les ordures du bas-ventre, ce qui n’est pas moins contraire à la bonne Medecine qu’aux principes mesmes de M. Hecquet, qui avoüe en termes formels, que la purgation n’est point faite pour évacuer les ordures du bas-ventre, & qui, non content de cet aveu, ajoute : 1o. Que ces ordures sont de prétenduës, ordures dont on ne doit rien craindre : 2o. Qu’il n’y a nul risque à les laisser séjourner dans le bas-ventre : 3o. Que la nature ne les auroit pas fait passer par un si long canal[82], si elle avoit apprehendé quelque chose de leur séjour : 4o. Que le mal qu’on pourroit craindre de ces sortes de matieres, seroit qu’elles ne vinssent à s’insinuer dans le sang ; mais que la chose est impossible, vû qu’elles ne sont pas assez impures pour souiller le sang, & que d’ailleurs elles ne sçauroient passer à travers les intestins, que l’air & que l’esprit de vin, qui sont bien plus subtils ne peuvent penetrer : 6o. Qu’enfin, ces matières croupissantes ne sçauroient estre, ou que des fixes déposez par le sang dans le bas-ventre, ou que des restes d’alimens indigestes & de chyle aigri & gasté[83] : Que si ce sont des sucs que le sang ait déposez, ces sucs sont des matieres usées, vuides d’esprits des testes mortes ; enfin, dépoüillées de tout volatil, & par consequent incapables de penetrer les intestins pour s’insinuer dans le sang : Que si ce sont des restes d’alimens indigestes, des restes de chyle aigri, ce sont des cruditez aussi incapables que les autres sucs, de s’insinuer dans le sang : Qu’ainsi les fixes contenus dans le bas-ventre, ne pouvant communiquer au sang le moindre atome, il est ridicule de purger pour prévenir l’effet d’un atome qui ne fut jamais. Mais qui ne voit que si toutes ces objections, qui semblent naître des propositions de M. Hecquet, étoient justes, il faudroit que cet Auteur eut donné dans des absurditez visibles, & c’est de quoi il ne faut pas le croire capable.

Le second enseignement qu’on retire de la leçon de cet Auteur, & qui est une suite du premier, c’est qu’Hippocrate « n’a point entendu la fougue des humeurs par le mot d’orgasme, puisque par orgasme il entend une occasion qui arrive rarement plurima, dit-il, non turgent, & que cependant les humeurs sont souvent en fougue au commencement des maladies. »

On n’a garde d’opposer ici à M. Hecquet l’explication qu’on a rapportée plus haut de la rareté de l’orgasme, on se contente là-dessus d’avoir la décision de cet Auteur. Hippocrate n’a donc point entendu la fougue des humeurs par ce mot d’orgasme ; cette leçon est d’une grande importance pour la Medecine Pratique, & un grand nombre de Medecins celebres auroient besoin de venir s’asseoir ici à l’Ecole de M. Hecquet.

Il faudroit y appeller le sçavant Scholiaste d’Holier, lequel met si peu de difference entre une humeur en orgasme, & une humeur en fougue, qu’il employe ces deux expressions comme parfaitement synonymes. Nisi materia turgeat, dit-il[84], eaque effera sit. Jusques-là, que pour faire entendre ces mots du premier Aphorisme de la 4e section, Si l’humeur est en orgasme, ἢν ὀργᾷ, il les explique par ceux-ci : si l’humeur est en fougue et sans aucune coction, si is humor sit efferus, omnisque pepasmi expers.

Il faudroit y appeller le fameux Perdulcis, qui dit indifferement, une humeur en fougue & une humeur en orgasme[85]. Concitari verò, & ὀργᾷν, id est, turgere humores dicuntur, qui morbi initio quoquoversum feruntur, &c.

Il faudrait y appeller le docte Foësius, qui remarque après Galien & tous les Commentateurs d’Hippocrate, qu’estre en orgasme se dit proprement de la fougue où sont les animaux, lorsqu’ils courent à l’accouplement, & figurément des humeurs du corps lorsqu’elles sont agitées d’un mouvement fougueux, & lequel ajoute, que si on dérive le mot Grec ὀργασμὸς de ὀργᾷν, qui est celui dont se sert ici Hippocrate, & non de ὀργάζομαι qui a une autre signification, alors ὀργασμὸς est la mesme chose qu’irritatio, commotio, irrumpendi impetus[86].

Il faudroit y appeller Galien lui-mesme, qui, non content de la remarque que Foësius a empruntée de lui sur la métaphore de ce mot, explique le mot Grec ὀργᾷν, estre en orgasme, par le mot Grec ὀρμᾶν, estre emporte d’un mouvement d’impetuosité, & qui prétend qu’une humeur en orgasme, & une humeur, qui par un mouvement de fougue cherche à sortir, sont la mesme chose.

L’Ecole de M. Hecquet se rempliroit bien-tost de ce qu’il y a de plus illustre dans la Medecine, si on vouloit y appeller tous ceux qui expliquent le mot Grec ὀργᾷν, par estre dans un mouvement impetueux, dans un mouvement de fougue ; il seroit d’autant plus à souhaiter qu’ils vinssent s’y instruire, que l’erreur où ils sont sur ce sujet, peut estre tres pernicieuse aux malades, comme le remarque si bien M. Hecquet, quand il dit : malheureux les malades en qui le Journaliste aura pris la fougue des humeurs pour l’orgasme. La maxime d’Hippocrate mal interprétée aura pû leur coûter cher : car si la fougue des humeurs l’a déterminé à purger souvent dans le commencement des maladies, les pauvres gens auront eu aussi souvent à souffrir de ses méprises.

Il faut avoüer cependant, qu’à consulter l’usage du mot Grec dont il s’agit, ce terme emporte toûjours avec soi l’idée d’un mouvement violent. Hippocrate dans le Livre de la nature du Fœtus, pour nous representer avec exageration, l’estat des mammelles, lorsque dans le progrès d’une grossesse, le lait qui les remplit ne leur permet plus de se contenir, mais les oblige à s’élever en haut avec une espece d’effort, & contraint le mammelon à s’avancer, comme s’il s’élançoit, dit, que ces mammelles s’élevent, & que le mammelon est en orgasme. οἱ γὰρ μαζοὶ αἴρονται, καὶ αἱ θηλαὶ ὀργῶσι. Dans le second Livre des Prédictions, il appelle des veines remplies d’un sang fougueux qui y cause des irritations, & qu’elles ont peine à contenir, des veines en orgasme[87]. Un peu plus bas, en parlant de certaines playes, où le sang est dans une si grande fougue, qu’il cause des délires qu’on ne peut appaiser par le traitement de la playe ; il dit que ces playes contiennent un sang en orgasme[88].

Dans le Livre premier des maladies des femmes, voulant nous faire entendre qu’une femme sterile, après avoir fait les remedes necessaires à sa guerison, doit attendre pour éprouver sa fécondité, qu’elle se sente excitée à cette épreuve, par des transports secrets ; il ne se sert point d’un autre terme pour marquer cet estat, que du mot Grec ὀργᾷν, estre en orgasme. On peut voir à la marge le passage, que Foësius rend ainsi[89], Tum rursus virum adeat, cùm non ampliùs multi, sed pauci & benè colorati menses feruntur, & impetu quodam in venerum excitatur.

Dans le Livre des Fractures, parlant de certains ulceres dont le pus s’échappe avec tant de fougue, qu’il se presente presque tout-à-la-fois, il dit, pour exagerer la chose, que ce pus semble estre en orgasme, & encore met-il le mot, il semble, φαίνεται, comme s’il trouvoit la metaphore trop forte[90].

Galien, tout de mesme, dit des abscés qui renferment une humeur chaude, dont le mouvement violent les fait monter en pointe, que ces abscés sont presque en orgasme, se servant du correctif οἷον, presque, pour adoucir la force du terme οἷον ὀργῶντα[91]. Nous avons mis au bas de la page le passage que Foësius traduit ainsi. Jam verò de tuberculis audivistis, quod quæ in acutum fastigiantur & quasi turgent, à calidis humoribus ortum habent, contraria verò à frigidis. Ea autem turgere ex pruritu & dolore dignoscere licet.

Mais à quoi servent toutes ces autoritez, puisqu’elles ne vont qu’à faire voir le sens du texte Grec, & qu’on sçait bien que ce n’est pas dans le texte Grec que M. Hecquet veut qu’on examine le langage d’Hippocrate & de Galien. Il est bien plus seur, selon lui, de chercher dans la traduction Latine de leurs paroles ; or turgere, qui est le mot Latin cité par M. Hecquet, ne renferme aucune idée de mouvement violent & fougueux, & par consequent être en orgasme, qui répond à ce mot, ne sçauroit avoir le sens que prétend le Journaliste ; on ne manquera pas de repliquer à M. Hecquet, que turgere chez les Latins renferme si fort l’idée d’un mouvement violent, que mesme pour exprimer les emportemens d’une personne en colere, ils se servent quelquefois de ce mot par exageration : témoin dans Plaute ce que dit le Valet Olimpio, en se plaignant de sa Maistresse qui s’emporte.

Nunc in Fermento tota est, ita turget mihi[92].

Et le vieillard Simon, en parlant de sa femme qui peste contre lui au logis,

Tota mihi turget uxor, nunc scio, domi[93].

Cette replique, quelque specieuse qu’elle soit, n’empêche pas qu’on ne prévoye ici la réponse de M. Hecquet. C’est que turgere a peut-estre un autre sens parmi les Medecins. Mais l’exemple de ceux qu’on a citez, & celui de tous les autres, qui expliquant l’Aphorisme d’Hippocrate, donnent pour synonyme de turgere, impetu concitari, efferus esse, &c. ne prouve-t-il pas le contraire ? Nullement ; car il est facile de voir que lorsque M. Hecquet prétend que turgere a un autre sens chez les Auteurs de Medecine, il n’entend parler, sans doute, que de certains Auteurs excellens, dont il doit la découverte à ses recherches, & non de ces Auteurs communs qui sont à la connoissance de tout le monde, & qu’un Medecin qui veut se distinguer du vulgaire, dédaigne de lire. Etre en orgasme ne renferme donc, selon M. Hecquet, aucune idée de mouvement violent ; & quand Hippocrate dit, qu’au commencement d’une maladie il ne faut point purger les humeurs à moins qu’elles ne soient en orgasme, il ne veut dire autre chose, sinon, qu’il ne les faut point purger, à moins qu’elles ne soient tranquilles.

En effet, le troisieme enseignement que donne nôtre Auteur, c’est que le mot d’orgasme, se prend en cet endroit, pour la coction de l’humeur, & que c’est la raison pourquoi Hippocrate dit, que l’orgasme est rare au commencement des maladies, parce que la coction des humeurs est rare alors. Il seroit encore necessaire ici, d’envoyer à l’Ecole de M. Hecquet une infinité de Medecins, tant anciens que modernes, qui sont dans le sentiment que cet Auteur condamne, & qui croyent que l’orgasme, dont parle Hippocrate, ne s’entend que des humeurs crûës : qu’il y a peu de maladies aiguës, au commencement desquelles cet orgasme ne paroisse, & qu’ainsi il y a peu de ces maladies, au commencement desquelles il ne faille purger, nonobstant la crudité des humeurs.

Il faudroit envoyer à M. Hecquet le sçavant M. Tournefort, qui dans une Lettre écrite sur ce sujet, dit, qu’Hippocrate assûre qu’il ne faut évacuer qu’après la coction des humeurs, si ce n’est dans les maladies où la matiere qui les cause, est en orgasme ; (par où on voit que M. Tournefort[94] n’a pas sçu, que par une humeur en orgasme, il faille entendre ici une humeur cuite :) & qui ajoûte, que l’orgasme est frequent dans les pays où les maladies aiguës sont frequentes, & qu’il souhaite que le Livre de l’Auteur à qui il écrit, desabuse là-dessus ceux qu’une prévention mal entenduë pour les anciens, & une fausse apparence de prudence, ont jettez dans une pratique opposée.

Il faudroit envoyer à M. Hecquet, le sçayant M. Bohne Professeur de Leipsic, qui, dans son Traité de Officio Medici duplici, dit, que l’occasion de purger au commencement des maladies, se présente souvent, & qu’il faut saisir cette occasion pour enlever au sang les humeurs vicieuses.

Il faudroit envoyer à M. Hecquet le docte Harris[95] Medecin d’Angleterre, qui dans son Traité de Morbis acutis infantum, dit, que le commencement des fiévres, soit essentielles, soit symptomatiques, est un temps précieux pour la purgation : Que si on neglige ce temps, pour attendre la coction des humeurs, il s’échappe sans retour : Que cependant ce n’est presque que dans cette occasion, que la purgation peut estre profitable : Que c’est alors qu’il faut jetter les fondemens de la guerison : Qu’enfin, quoiqu’en disent quelques esprits prévenus, le purgatif, bien loin de faire du desordre, estant donné alors dans la crudité mesme des humeurs, ne peut au contraire contribuer qu’à les cuire.

Il faudroit envoyer à M. Hecquet le fameux Holier[96], qui dit, que si les humeurs sont en orgasme, il faut les purger dès le commencement de la maladie, sans attendre qu’elles soient cuites, & cela pour profiter de l’instabilité où elles sont pendant l’orgasme, & les empêcher de se fixer sur quelque partie noble. Il est mesme si éloigné de croire que par l’orgasme il faille entendre la coction de l’humeur, qu’il dit que les humeurs ne sont en orgasme que dans les maladies aiguës, turgent autem solùm in peracutis.

Il faudroit envoyer à M. Hecquet le sçavant Liebaud Medecin de Paris, qui dans ses Scholies sur Holier, dit, qu’il ne faut point purger quand il y a crudité d’humeurs, à moins que la matiere ne soit en orgasme & en fougue, effera, en sorte qu’elle ne puisse demeurer en place : car alors, dit-il, il faut la purger dès le mesme jour, pour prévenir de plus grands symptomes. Quo tempore natura morbificis causis opprimitur, est que humorum cruditas, nihil quidquam salutariter vacuari potest, nisi materia turgeat, eaque effera sit, nec ullo consistere loco possit, tunc enim eo ipso die quo turget, movenda est graviorum symptomatum metu.

Il faudroit envoyer à M. Hecquet le celebre Paul de Sorbait[97], qui aprés avoir dit, que souvent il faut purger dès le commencement des maladies, & qu’il y a des occasions, où il faut mesme le faire avant que de saigner, demande ensuite, ce qu’il faut penser de certains Medecins, qui, sans sçavoir ce que c’est que l’occasion de purger, different quelquefois une purgation que le seul délay peut rendre superfluë ou dangereuse ; à quoi il répond, que ce sont des Medecins qui marchent à pas de tortuë. Testudineos cunctatores, & des aveugles qui ne veulent attendre, que parce qu’ils ne voyent pas le besoin qu’il y a de se presser.

Il faudroit envoyer à M. Hecquet le fameux Fernel, qui, dans son Traité de la Purgation, soûtient qu’il est à propos de purger dès le commencement, si l’humeur est en fougue, & que par consequent elle ne soit pas fortement adhérente. Il ne faut point risquer, ajoute-t-il, d’attendre une coction qui pourroit bien ne point arriver[98]. Et quelques lignes après[99] : Il est non seulement utile, mais mesme necessaire dans une maladie menaçante, dont les symptomes violens font craindre un événement funeste, de purger dès les premiers commencemens, & il n’y a point de Medecin prudent, continue-t-il, qui doive alors attendre une coction qui frustreroit peut-estre son attente. Le mal estant violent, on doit craindre qu’avant qu’il soit parvenu à son estat, il ne tuë le malade. Ainsi le plus seur alors, est de purger une partie de l’humeur cruë, sans attendre la coction. En effet, ajoûte-t-il[100], l’humeur cruë ayant coutume dans la pluspart des maladies aiguës, d’estre en orgasme, & de se mouvoir d’un endroit à un autre, par une espece de flux & de reflux, il est difficile qu’alors elle n’obéïsse facilement au purgatif. De plus, remarque-t-il[101], l’experience a appris, que l’évacuation de l’humeur cruë, soit qu’elle se fasse naturellement, ou par le secours de l’Art, haste souvent la coction des humeurs qui restent, rend les urines meilleures, & fait d’une maladie perilleuse une maladie salutaire. Plus la maladie est aiguë, reprend-il encore, & plus il est necessaire de purger promptement & fortement, pour empêcher l’humeur en fougue de se jetter sur quelque partie noble, & de causer une prompte mort. Ainsi, continuë-t-il[102], quoique la coction des humeurs soit la circonstance la plus favorable pour la purgation, il ne s’ensuit pas que dans une maladie pressante il ne soit necessaire de purger indépendamment de cette coction, ni mesme que dans une maladie douce & mediocre, la mesme conduire ne soit quesquefois utile.

Il faudroit envoyer à M. Hecquet le grand Interprete d’Hippocrate, Prosper Martiani, qui, en expliquant l’Aphorisme dont il s’agit, dit, que lorsqu’il y a orgasme, la crudité des humeurs n’est pas une raison qui doive empescher de purger, at verò cùm viget turgentia, cruditas purgationem non prohibet. Et un peu plus bas : Que l’orgasme donne à la purgation une facilité qui la rend de saison, nonobstant les signes de crudité. Stante hac enim purgationis facilitate, etiamsi cruditatis adsint indicia, purgatio tamen non prohibmtur.

Il faudroit envoyer à M. Hecquet le celebre Perdulcis, qui dit dans sa Terapeutique[103], 1o. Que les humeurs sont en orgasme, lorsque au commencement d’une maladie elles sont emportées de tous côtez, & que cette fougue ne permet pas au malade de se tenir en repos. 2o. Qu’il faut purger ces humeurs aussi-tost, pour deux raisons : La premiere, parce que le mouvement où elles sont, facilite l’action du purgatif ; & la seconde, parce que si l’on ne se presse alors, elles ne manquent pas de se fixer sur quelque partie considerable. Et un peu plus bas, il ajoûte[104], que dans une maladie dangereuse & violente il ne faut pas apprehender de purger l’humeur cruë : Qu’il y a du danger d’attendre alors une coction, qui quelquefois ne doit point arriver.

Enfin, pour finir un détail qu’il seroit ennuyeux d’étendre davantage, il faudroit envoyer à M. Hecquet la Faculté mesme de Medecine de Paris, laquelle sur le rapport qu’on lui fait, que la doctrine d’un Livre qu’on a examiné par son ordre, est opposée à la temerité de ceux qui purgent indifferemment en toute rencontre, & à la timidité des autres qui n’osent purger avant la coction des humeurs, tres-peu instruits, ajoûte-t-on, de la conduite d’Hippocrate[105], qui usoit tres-souvent de purgatifs dans la crudité mesme la plus outrée, prononce, que sur ce rapport & sur celui des autres qui ont esté commis à l’examen du mesme Livre, elle approuve l’Ouvrage comme tres-utile à ceux qui veulent s’instruire dans la Pratique de la Medecine[106].

Après de tels exemples, qui ne s’étonnera que tant de Medecins éclairez ayent si mal pris le sens d’Hippocrate, & n’ayent pas vû, comme l’a vû nôtre Auteur, ce que signifie l’Aphorisme dont il s’agit. Car enfin, il semble qu’il ne faille que lire cet Aphorisme, pour connoître que le mot d’orgasme, & celui de coction sont synonymes, en sorte que quand Hippocrate dit, qu’il ne faut point purger l’humeur, à moins qu’elle ne soit en orgasme ; ces mots, à moins qu’elle ne soit en orgasme, ne veulent dire autre chose, sinon, à moins qu’elle ne soit cuite. Et pour le sentir, il n’y a qu’à lire l’Aphorisme, suivant le sens de M. Hecquet, c’est-à-dire, en cette maniere : Il faut purger les humeurs cuites, & il ne faut pas purger les humeurs cruës, pas mesme au commencement, à moins qu’elles ne soient cuites. On sent effectivement que cela fait un sens tres-clair, d’autant plus que sur lequel des deux qu’on fasse remonter ces mots, à moins qu’elles ne soient cuites, soit sur humeurs cuites, qui est au commencement de l’Aphorisme, soit sur humeurs cruës, qui vient après, le sens est toûjours également riche, ainsi qu’on le peut voir en lisant l’Aphorisme des deux manieres suivantes ; premierement de celle-ci : Il faut purger les humeurs cuites, & il ne faut pas purger les humeurs cruës, pas mesme dans les commencemens, à moins que les humeurs cuites ne soient cuites : Et puis de cet autre : Il faut purger les humeurs cuites, & il ne faut pas purger les humeurs cruës, pas mesme dans les commencemens, à moins que les humeurs cruës ne soient cuites.

On ne peut rien ajoûter à cela, & c’est faire raisonner Hippocrate d’une maniere digne du nom qu’on lui donne de Prince de la Medecine. Il ne reste plus autre chose à souhaiter, sinon, que M. Hecquet veüille bien donner un jour au Public, quelques Commentaires sur un Auteur qu’il entend si bien.

Dans le troisiéme article de la leçon qu’il donne, il fait voir par des passages mesme d’Hippocrate & de Galien, combien il a raison de soûtenir que le mot d’orgasme, ne se dit que d’une humeur cuite. Ce Prince de la Medecine, c’est d’Hippocrate que nous parlons, dit du pus de certains ulceres, que ce pus semble estre en orgasme. Dans un autre endroit, où il parle du lait des mammelles, il dit que les mammelles souffrent une sorte d’orgasme. Enfin, Galien lui-mesme dit, des abscés qui sont meurs & prests à s’ouvrir, qu’ils sont comme en orgasme. Après des témoignages si clairs, comment pourroit-on douter un moment du veritable sens du mot d’orgasme ? Qu’on ne replique point, que si dans ces exemples Hippocrate & Galien se servent du terme d’orgasme, c’est par exageration, ainsi qu’on l’a vû plus haut[107]. Qu’on n’oppose point que ὀργᾷν chez les Auteurs Grecs se dit souvent du suc de plantes considerées avant leur maturité, comme il seroit facile de le prouver par plusieurs exemples : Que turgere chez les Latins s’employe aussi tres-souvent au mesme sens, ainsi qu’on le voit dans Virgile.

Frumenta in viridi stipulâ lactentia turgent[108].

Jam læto turgent in palmite gemmæ[109].

Et dans Pline le Naturaliste[110] : Capræ concipiunt Novembri mense, ut Martìo pariant turgescentibus virgultis.. Qu’on n’ajoûte point, que Varon, pour exprimer le mauvais effet que l’eau cruë produit quelquefois dans le corps des poulets, lorsqu’elle ne s’y digere pas, ne se sert point d’un autre terme que de turgere : Ne tùm denique in eorum corpore turgescat aqua, prohibendum. Tout cela sont de foibles objections que nôtre Auteur se seroit bien faites à lui-mesme, & qu’il n’auroit pas manqué sans doute de prévenir, s’il les avoit jugées dignes de quelque attention. Mais quand les preuves qu’il vient d’apporter pour appuyer son explication, ne seroient pas tout-à-fait démonstratives, son explication seule paroist si raisonnable, ainsi qu’on l’a remarqué, qu’elle vaut bien les plus fortes preuves.

Il faut donc tenir pour constant, avec lui, que lorsqu’Hippocrate dit, qu’il faut purger au commencement des maladies, si l’humeur est en orgasme, on ne doit entendre autre chose par là, sinon, qu’il faut purger l’humeur, si l’humeur est dans la coction ; & que comme elle y est rarement au commencement des maladies aiguës, rarement arrive-t-il qu’il faille purger dans ces commencemens.

Les Lecteurs demanderont, si dans cette coction d’humeurs, si rare au commencement des maladies, il faut, selon M. Hecquet, se haster de purger, & si c’est là que doit avoir lieu le precepte d’Hippocrate[111], de purger dès le mesme jour, si l’humeur est en orgasme. On répond, que c’est fort son sentiment, & on a pour garant ce qu’il dit dans sa These sur la saignée : sçavoir, que l’heureux moment de l’orgasme, c’est-à-dire, comme il l’explique, de la coction de l’humeur au commencement d’une maladie, demande une purgation prompte & sans délay : Que c’est dans cette occasion que doit avoir lieu, le coup d’une main habile à purger d’abord une humeur preste à s’emporter & à se mutiner. Les Medecins ne manqueront pas d’opposer, que ce n’est point quand l’humeur est cuite qu’elle est capable de s’emporter & de se mutiner. Ils diront de plus, que l’Auteur en convient plus haut, lorsqu’il dit, que la fougue appartient aux humeurs cruës, & que c’est pour cela qu’au commencement des maladies elle est si frequente ; au lieu que l’orgasme qui est la coction mesme de l’humeur est alors tres-rare. Mais il est facile de voir que cette objection allant à faire entendre que cet Auteur se contredit, elle devient par cela mesme frivole & indigne de réponse, selon cette excellente maxime, que ce qui prouve trop, ne prouve rien.

Après avoir si doctement expliqué l’Aphorisme d’Hippocrate, il jette un petit trait de railerie sur le Journaliste, en disant[112], que si le Journaliste met au jour des Commentaires sur les Aphorismes d’Hippocrate, il n’y oubliera pas sans doute, de rendre raison pourquoi l’orgasme si rare en Grece, est si journalier en France ; & pourquoi il est ici permis au moindre Praticien de l’affronter, tandis qu’il estoit respectable à tous les Anciens. On attend, poursuit-il, de la charité du Journaliste, & de son zele pour le bien public, qu’il voudra bien-tost soulager nos impatiences.

Voilà un deffi que l’on fait ici au Journaliste : Mais le Journaliste ne s’aviseroit-il point de répondre, 1o. Que l’orgasme n’est point si rare en Grece, & que là comme ailleurs, il y a peu de maladies aiguës où il ne se presente. 2o. Qu’en cas qu’on prétendist qu’il y fust moins ordinaire qu’en France on ne pourroit le prétendre qu’en un sens qui ne seroit pas celui de l’Auteur ; c’est-à-dire, en supposant, soit avec vérité ou non, que les maladies aiguës y fussent moins frequentes. Car, s’il en faut croire quelques Medecins qui ont pratiqué dans le Levant, on ne voit pas dans ces pays-là tant de fiévres aiguës qu’on en voit chez nous & chez nos voisins, ce qui pourroit bien venir, selon la remarque de quelques Medecins, de ce que dans ces pays-là, la transpiration estant si grande, qu’Hippocrate mesme n’y a pas remarqué de petite verole, il y resteroit dans les corps moins de matiere capable de produire des maladies aiguës. Il n’y a pas d’apparence neanmoins que le Journaliste qui connoist à present les sentimens de M. Hecquet, ose les contredire, il doit redouter à l’avenir un tel adversaire.

Quoiqu’il en soit, il resulte de tout ceci, que lorsque Hippocrate dit, que l’orgasme arrive rarement au commencement des maladies, il ne le peut dire que pour l’une de ces trois raisons, ou parce que, selon lui, il y a en general tres-peu de maladies où l’orgasme survienne, ou parce que celles qui en sont capables, c’est-à-dire, les maladies aiguës, sont rares dans le pays où il a fait l’observation ; ou parce qu’enfin il n’est pas ordinaire que cet orgasme arrive plus d’une fois dans le commencement d’une maladie aiguë. C’est aux Lecteurs à juger, par tout ce que nous venons d’observer, laquelle de ces trois explications est la plus conforme au sens d’Hippocrate.

Ce n’est pas assez à l’Auteur d’avoir prouvé, comme il vient de faire[113], qu’il soit si rare qu’on doive purger au commencement des maladies. Il fait voir encore quelles raisons on doit se proposer, quand on purge alors. Ce sont des raisons bien differentes de celles que le Journaliste s’est imaginées. Les voici dans leurs propres termes. D’où est venu au Journaliste une si belle observation : que lorsqu’on purge au commencement d’une maladie, ce soit pour dérober au sang une matiere qui pourroit s’y mêler ? Car la précaution est sage, c’est le fruit sans doute de l’estude & de la méditation qu’il a faite sur l’utilité de purger les ordures. Mais son Celse lui auroit insinué une raison bien differente, & qui n’oste rien à l’efficacité de la purgation : il dit, qu’une grande ressource pour un Medecin dans les grandes maladies, c’est d’en rompre le coup, morbi impetum frangere. C’est par une vûë semblable à celle-là, que les grands Maistres en Medecine purgent brusquement dans certaines maladies naissantes ; car ce n’est que pour détourner l’engagement que le sang va prendre, pour faire de nouvelles déterminations, pour rappeller les oscillations, en un mot pour porter les humeurs ailleurs ; c’est pourquoi le mérite de l’Emetique, & son droit de préference en ce cas, lui vient de ce qu’agissant principalement par une forte irritation dans le bas-ventre, c’est comme une fausse attaque qu’on fait dans le centre du corps pour affoiblir celle que la maladie forme ailleurs. Ainsi, c’est à tort que le Journaliste a cru jusqu’ici que l’on ne purgeoit au commencement d’une maladie, que pour dérober une matiere qui auroit pû se remesler au sang. Ce qui est d’autant moins à craindre, qu’au commencement d’une maladie tout y est meslé encore. Ce qu’on vient d’avancer, ajoûte M. Hequet, se confirme par la pratique des anciens Praticiens ; car dans l’antiquité les purgatifs ne s’employoient pas toûjours pour vuider les humeurs, mais souvent pour les corriger & en changer les qualitez. C’estoient donc aussi dans leurs mains de puissans alteratifs qu’ils mesloient dans leurs plus celebres compositions, On en trouve plus d’un exemple, dans les anciens Dispensaires : mais le Mithridate & la Theriaque en sont encore des restes ; car l’agaric se trouve meslé dans l’un & dans l’autre. Le Journaliste dira-t-il, que c’est pour les rendre purgatifs ?

On peut ajoûter ici, ce qu’on dit dans la These sur la saignée. Le principal avantage de la purgation, dit l’Auteur, sera tantost de corriger le sang, souvent rectifier ses mouvemens, en les rappellant au naturel ; quelquefois de remettre en branle ce mouvement, quand il se rallentit ; & presque toûjours pour en rétablir l’ordre & l’uniformité. Or la pluspart de ces avantages dépendent moins des fluides des liqueurs évacuées, que de l’impression que les purgatifs font sur les parties solides & nerveuses ; car comme celles-ci ont le plus de part, dans l’estat de santé, à l’équilibre des liqueurs qu’elles contiennent, ces mesmes solides excitez à propos dans l’estat de la maladie, peuvent mesme, sans rien évacuer des liqueur contenuës, rétablir cet équilibre.

Avant que d’aller plus loin, on observera par occasion, que cet Auteur employe ici le mesme tour ingénieux qu’on a remarqué plus haut[114]. Il profite de l’équivoque des termes, purger au commencement d’une maladie pour dérober au sang une matiere qui pourroit s’y mesler, & il prétend faire entendre que, selon le Journaliste, la purgation ne tire que du bas-ventre. Il se garde bien de présenter ces termes d’une maniere qui puisse laisser appercevoir que le Journaliste n’entend autre chose par là, sinon, qu’on purge au commencement des maladies pour enlever de telle maniere au sang, l’humeur impure qui y est, qu’elle ne puisse plus s’y remesler, comme il arriveroit infailliblement, si au lieu de purger, on se contentoit de quelque remede foible, qui laissast, pour ainsi dire, les humeurs à moitié chemin, & n’eust pas la force de les entraîner au-delà des intestins. Mais il faut pardonner ce petit trait d’adresse à M. Hecquet, qui prétend, comme on sçait, que l’adresse est essentielle au Medecin[115]. Pour venir maintenant aux raisons qu’il veut qu’on se propose, quand on purge ; on voit par ses propres paroles que, selon lui, le veritable usage du purgatif n’est point de purger les humeurs, mais seulement d’ébranler les parties ; ensorte que quand Hippocrate dit, qu’il faut purger dans l’orgasme, on doit entendre par là qu’il faut purger sans purger, c’est-à-dire, donner des purgatifs de maniere qu’ils ébranlent seulement les parties sans rien évacuer. Il est vrai qu’Hippocrate semble prétendre le contraire, lorsqu’il se sert d’abord du mot φαρμακεύειν, évacuer par les medicamens, & puis de celui de κινέειν, ébranler, & qu’il dit même qu’il faut plutôt juger de la purgation par la quantité de l’humeur qu’elle chasse, que par la qualité. Mais voilà en quoi des Interpretes, comme celui-ci, sont necessaires ; ils font entendre le veritable sens des Auteurs, quand il est difficile à penetrer. Il reste à lever une petite difficulté ; on a vû plus haut, qu’il sembloit que, selon nôtre Auteur, il ne falloit jamais purger ; on vient de voir que, selon lui, il est rare qu’il faille recourir aux purgatifs dans le commencement des maladies ; & maintenant, à l’entendre, on diroit qu’on doive toûjours donner les purgatifs, quand les maladies commencent ; puisqu’enfin il n’y a rien de plus à propos à faire dans une maladie naissante, que de détourner l’engagement que le sang va prendre, que de faire de nouvelles déterminations, que de rappeller les oscillations, que de porter, les humeurs ailleurs, que d’affoiblir par une fausse attaque celle que la maladie forme ailleurs. Car ce sont là les effets que les purgatifs donnez dans le commencement d’une maladie, ont coûtume d’operer, selon lui. Mais ce ne seroit pas le connoître comme il faut, que de l’accuser de se contrarier. Ce qu’il vient de dire n’est point une contradiction, ce n’est qu’une Enigme, & une Enigme dont les Lecteurs ne doivent se prendre qu’à leur peu de penetration. Il ne faut pas en lisant ce qu’écrit M. Hecquet, s’arrêter à l’écorce des paroles ; & si l’on trouve quelque obscurité dans les propositions qu’il avance, on doit se souvenir alors de l’avis que donne Quintilien à ceux qui lisent les grands Auteurs[116]. Modestè & circumspecto judicio de tantis viris pronuntiandum est, ne quod plerisque accidit, damnent quæ non intelligunt. Il faut juger des grands hommes avec beaucoup de retenuë, de peur de faire comme bien des gens, qui condamnent ce qu’ils n’entendent pas. De plus, que sçait-on si ce Medecin n’affecte point un air de contradiction, pour tendre des pieges à quelques Lecteurs qui ne s’y attendent pas ? On ne sçauroit trop s’en défier après sa These sur la saignée[117]. Mais laissons cette discussion, pour refléchir un moment sur les excellentes paroles qu’on vient de lire : L’agaric se trouvé meslé dans le Mithridat, & dans la Theriaque ; le Journaliste dira-t-il, que c’est pour les rendre purgatifs ?

Quelques Medecins pourront representer à l’Auteur, qu’à consulter la Doctrine qui est commune aux anciens & aux modernes sur la nature des purgatifs, rien n’empêche de penser que les anciens en meslant l’agaric dans la Theriaque & dans le Mithridat, n’ayent pû se proposer de donner à l’un & à l’autre quelque vertu purgative. En effet, diront-ils, la principale action du purgatif, selon les anciens, & selon les modernes, c’est de séparer de la masse du sang certaines parties impures qu’il y rencontre, & de les entraîner ensuite avec lui dans les premières voyes ; en sorte qu’un medicament n’est point sans une qualité purgative, lorsqu’il sépare & qu’il précipite une partie de ces impuretez, soit qu’elles sortent ensuite par une évacuation prompte & sensible, soit qu’imperceptiblement & à la longue elles s’échappent par les évacuations journalières. Or rien n’empêchant de penser que l’agaric meslé dans la Theriaque, ne puisse la rendre capable de produire quelque précipitation dans le sang ; rien non plus, diront-ils, n’empesche de penser que les anciens qui l’y ont meslé, n’ayent pû avoir en vûë de donner à la Theriaque une vertu purgative. Ils ajoûteront, qu’il ne faut pas raisonner ici comme le peuple, qui s’imagine qu’une drogue n’est purgative que lorsqu’elle procure par les selles une évacuation prompte & sensible ; car il suffit, diront-ils, qu’elle soit capable de précipiter, pour qu’on y doive reconnoître une vertu purgative. Quodcumque medicamenti genus præcipitandi vim aliquam habet, certè non aliundè mutuatur quàm à vi quadam catharticâ in eo delitescente[118]. Il est vrai cependant, qu’on ne peut pas mettre la Theriaque au rang des purgatifs ; mais c’est uniquement, remarqueront-ils, parce que la vertu purgative qu’elle peut renfermer, à raison de l’agaric qui y entre en petite quantité, n’y domine pas assez, pour qu’on puisse appeller la Theriaque un purgatif. A raisonner donc suivant les principes de ces Medecins, il se pourroit bien faire que lorsque l’Auteur demande au Journaliste, si c’est pour rendre le Mithridat purgatif que les Anciens y ont meslé l’agaric ; il se pourroit bien faire, dis-je, que le Journaliste répondist un oüi, au lieu d’un non. Mais qui ne voit combien la réponse seroit temeraire ?

L’instruction qu’on doit tirer de tout ceci pour la Pratique de la Medecine, c’est que, selon M. Hecquet, le commencement des maladies aiguës n’est point le temps propre pour évacuer les humeurs par la purgation ; & qu’un bon Praticien, au lieu de tenter alors de les purger, attend le déclin de la maladie, qui est le temps de la coction. On dira peut-être qu’Hippocrate, qui estoit neanmoins bon Praticien, préferoit pour la purgation le commencement des maladies aiguës à leur déclin, ainsi qu’on l’a montré plus haut. Mais cela ne servira qu’à prouver combien on est redevable à nôtre Auteur, d’avoir bien voulu au milieu de tant de difficultez, montrer aux Medecins le chemin seur qu’ils doivent suivre.


VII.

L’autre article dont il reste à parler, regarde la purgation après l’accès des fiévres, & n’est pas d’une moindre consequence. Afin de l’entendre, il faut sçavoir quelle est la méthode des Praticiens dans la cure des fiévres intermittentes. On va l’exposer en peu de mots, & puis on rapportera le sentiment de M. Hecquet. On commencera par la fiévre tierce. Lorsque la fiévre tierce ne paroist pas difficile à guerir, soit à cause de la saison, ou de la courte durée des attaques, les Praticiens se contentent de faire observer au malade un régime exact, & de lui prescrire quelque leger purgatif sur la fin de son accès, afin d’enlever une partie des impuretez qui sont dans le sang, & d’empêcher en mesme temps que la matiere qui a esté séparée dans les glandes des intestins, ne retourne dans la masse des humeurs. Mais si la fiévre paroist opiniastre, ils recourent à des purgatifs plus forts. Sydenham ordonne les purgatifs dans des jours d’intermission ; il est en cela desapprouvé de la pluspart des Medecins, qui prétendent, qu’en differant ainsi la purgation, on laisse le temps à une bonne partie des levains de repasser dans la masse du sang, ensorte qu’il est plus à propos, selon eux, de purger à la fin de l’accès. Si sur la fin de cet accès la sueur est abondante, ils attendent que la sueur soit finie, & prescrivent ensuite le purgatif, qui réüssit alors heureusement, comme on le voit tous les jours en plusieurs occasions, & comme on l’a vû, entr’autres, dans le traitement des fiévres qui regnerent l’Automne 1708, à la campagne & à Paris. Après les purgatifs, ils donnent quelquefois dans les jours d’intermission, l’écorce de Quinquina, & cela parce qu’ils sçavent par experience, quoiqu’en disent quelques nouveaux, & particulièrement Morton, qu’on ne doit point présenter le Quinquina sans avoir vuidé les premieres voyes. On remarque mesme, que la pluspart des specifiques qu’on donne dans la fiévre tierce, sans avoir évacué auparavant, ne servent souvent qu’à la rendre double tierce ou continuë.

Au sujet des fiévres doubles tierces, lorsque les accès se touchent, ou rentrent les uns dans les autres, ils purgent doucement par haut & par bas un peu avant la fin de l’accès, afin d’évacuer une bonne partie de la matiere qui doit faire l’attaque prochaine, & d’enlever aussi l’humeur qui sur la fin de l’accès doit couler dans le canal des intestins ; mais pour ne point empêcher la sueur, ils mettent toujours dans le purgatif quelque sudorifique.

Pour ce qui est de la fiévre quotidienne, ils commencent par le vomitif à l’entrée du paroxysme, puis à la fin de l’accès suivant, ils donnent le purgatif. La maniere de traiter la fiévre quarte reguliere est la mesme à peu près. On donne un lavement quatre heures avant l’accès : immediatement après que le lavement est rendu, on fait vomir le malade, & avant l’accès suivant, ou dans le froid mesme, on employe les diaphoretiques, ce qui diminue considerablement les symptomes, puis sur la fin de l’autre accès, on purge par bas. On ne le fait point dans le premier accès, ni mesme quelquefois dans le second, parce qu’il faut commencer par le vomitif, ce qui se fait un peu avant le commencement de l’accès, ou dans le temps du frisson, s’il n’y a point de contr’indication : on garde cette conduite, afin que le chyle crud, & la matiere fiévreuse puissent estre chassez. Ensuite, après avoir rendu les humeurs coulantes, comme l’ordonne Hippocrate[119], on purge par bas sur la fin de l’accès suivant, & puis on vient, s’il le faut, à l’usage du Quinquina.

La methode des Praticiens est de donner ici le Quinquina, la Gentiane, la petite Centaurée, avec les mesmes précautions que dans les autres fiévres, c’est-à-dire, après quelques purgatifs, & quand la matiere a esté un peu dissipée par quelques accès ; parce que sans ces précautions la fiévre quarte se convertit d’ordinaire en double ou triple quarte. Il faut donc, pour donner ici les specifiques à propos, avoir bien évacué auparavant par les premieres voyes, sans quoi la matiere heterogene s’accroît de plus en plus, & rend les accès plus longs ou plus frequents. Un sçavant Medecin recommande fort de ne donner le Quinquina qu’après avoir purgé[120]. M. Baglivi, dont l’autorité doit estre de quelque poids sur M. Hecquet, est de mesme sentiment. Si l’impatience prend, dit-il, & que sans se donner le temps de purger un malade autant de fois qu’il le faut, on veüille d’abord recourir au Quinquina, on fera d’une fiévre legere une fiévre considerable, qui degenerera quelquefois en fievre hectique. Quòd si imperitiâ tuâ, ægroti, adstantium, ad usum damnabilem Chinæchinæ, vel testaceorum deveneris, non benè priùs repurgato messenterio, ex febri levi efficies gravem continuam, longam, ad hecticam tendentem, & difficilè curabilem. M. Baglivi[121] estime si fort la purgation dans les fiévres, lorsque les premieres voyes sont embarrassées, qu’il ne croit pas que les fiévres mesenteriques se puissent guerir que par les purgatifs réïterez ; il dit mesme, que pour lui, quand il traite de ces sortes de fiévres, il ne fait pas difficulté de purger dans les jours critiques, purgationem instituo etiam ipso die critico[122]. Un celebre Medecin d’Angleterre rapporte que la fiévre epidemique qui régna en 1705. dans toute l’Angleterre, fut plus fûrement & plus promptement guerie par les simples purgatifs souvent réïterez, que par le seul Quinquina ; & il exalte sur ce sujet le merite de M. Sydenham, à qui les Medecins d’Angleterre ont l’obligation d’estre devenus moins timides sur l’article de la purgation dans les fiévres[123]. Un autre Auteur non moins renommé, cite un grand nombre d’exemples, pour faire voir que le Quinquina ne réüssit jamais mieux que lorsqu’on a soin de purger le malade ; il assûre mesmee avoir toujours remarqué, que ceux à qui on le donne sans cette précaution, ou ne guerissent point, ou retombent peu après[124].

La methode de traiter ainsi les fiévres quartes par les évacuans, est conforme à celle d’Hippocrate. Ce grand Praticien commençoit d’abord la cure de ces maladies par le vomitif qu’il donnoit dès la naissance du paroxysme, puis il purgeoit par bas, comme on le peut voir dans son Livre des affections. Il fondoit cette conduite sur une maxime qu’on verra établie en plusieurs endroits de ses Livres, qui est que dans le commencement de l’accès l’humeur se porte en haut, & que sur la fin elle prend plutôt son cours vers le bas[125]. Ces observations une fois faites, il ne reste plus qu’à rapporter le sentiment de M. Hecquet.

« On a coûtume, dit le Journaliste, de purger sur la fin des accès, afin d’empêcher que la matiere qui vient d’estre séparée du sang, & portée dans les glandes des intestins, ne retourne dans la masse des humeurs. Seroit-ce bien là un échantillon de la Pratique du Journaliste[126] ? Les fiévres ont donc bon temps avec lui. Sa pensée auroit quelque vrai-semblance, si les accès des fiévres se terminoient par des cours de ventre ; mais ce sont des sueurs qui en font les crises, c’est donc à la peau, & non dans les intestins que l’humeur va se séparer. Que fera donc la purgation autre chose, que de détourner la nature, si on s’accoûtume à purger ? Hippocrate cependant, des maximes duquel le Journaliste s’honore avec tant de confiance, auroit dû lui apprendre, qu’un Medecin doit suivre, dans l’évacuation des humeurs, les penchans qu’elle lui montre, & les issuës qu’elle lui ouvre. Mais d’ailleurs, donneroit-on avec tant de succès le Quinquina, si-tôt après, les accés, si c’estoit le temps où l’humeur se trouveroit plus ramassée, en plus grande abondance, & plus capable de resister à l’action du remede. Ce seroit certainement ou trop présumer du pouvoir de ce remede, ou trop risquer son honneur & sa reputation en l’exposant souvent à échouer : mais le contraire arrive ; car le Quinquina guerit alors sûrement & sans rien évacuer par les selles. Le Journaliste est donc dans l’erreur, & fera bien de changer de maxime, se souvenant que jamais on ne guerit moins de fiévres, que lorsqu’on les attaque à force de purgations & de ptisannes laxatives. La meilleure maniere de donner le Quinquina l’instruira encore là-dessus ; car il réüssit mieux ordinairement sans avoir fait préceder les purgatifs : mais c’est trop en dire à un Inspecteur general des Livres de Medecine ; il les connoist, sans doute, mieux que personne, & il se met au-dessus de leurs maximes. C’est parce que son grand usage & sa longue experience lui ont appris le contraire. »

Ce sont là les propres paroles de M. Hecquet ; il n’y a qu’à les comparer avec ce qu’on vient de remarquer de la methode des Praticiens, & on verra que cette methode n’estant nullement la sienne, la Pratique de la Medecine a grand besoin d’estre reformée. Quoyqu’il en soit, c’est dommage que ce Médecin ne soit pas plus employé, les fiévres ne tiendroient pas long-temps contre lui.

Au reste, il nous apprend deux choses curieuses ; l’une, que le Quinquina réüssit mieux quand on n’a point purgé le malade ; & l’autre, que le Quinquina n’évacuë jamais rien par les selles. Deux observations capables de déconcerter bien des Praticiens. On ne sçauroit rapporter tous les autres articles de la Réponse, on suppléera à ce défaut, en avertissant que l’Auteur promet de marquer aux yeux de tout de monde les bévûës du Journaliste[127], de montrer ses méprises, & de relever ses infidelitez ; on a vû de quelle maniere il s’est acquitté jusqu’ici de cette promesse ; ceux qui voudront sçavoir comment il s’en acquitte sur le reste, peuvent consulter le Livre mesme, & voir, entr’autres choses, comment il se tire d’affaire au sujet de la force du cœur, qu’il a dit qu’on ne pouvoit augmenter, & comment il prétend confondre le Journaliste, en tâchant de lui montrer qu’il n’y a nulle difference entre donner de la force au cœur, & augmenter par des remedes agaçans le mouvement de ce muscle, c’est-à-dire, pour le faire mieux entendre, entre augmenter la force d’un cheval qui n’en peut plus, & lui donner des coups d’éperon.


VIII.

Il seroit temps de passer à la These sur la boisson : mais comme la Réponse de l’Auteur est égayée par des plaisanteries ingenieuses, peut-estre ne sera-t-il pas mal-à propos d’en rapporter quelques-unes, quand ce ne seroit que pour délasser les Lecteurs. De plus, la plaisanterie est une matiere sur laquelle on ne sçauroit avoir trop de bons modeles. Ciceron n’a pas cru que ce sujet fust indigne de ses reflexions ; il prescrit, comme on sçait, diverses regles là-dessus dans ses Livres de Rhetorique, & accompagne de plusieurs sortes d’exemples les preceptes qu’il donne. Voici donc quelques-unes des plus jolies plaisanteries de nôtre Auteur, l’exposé de sa Réponse n’en sera que plus complet. D’ailleurs, il se plaint que les plaisanteries qu’on a faites de sa These, sont de mauvaises plaisanteries ; il est juste de produire à la place, celles qu’il fait de ceux qui ont raillé si mal à sa fantaisie.

Premier exemple. « Le journaliste ne paroist pas familier avec Sanctorius, sa Medecine aussi bien est-elle trop embarrassante. Que de minuties en effet, que de soins à se peser ou peser les autres pour s’assûrer des causes des maladies ! Un homme occupé par d’illustres emplois auroit trop à faire. Les Vers morbifiques, & les contre-vers alteratifs & évacuans sont plus commodes ; avec un peu d’adresse à trouver ou à mettre des Vers par tout, on se fait une Medecine abrégée[128]. »

Ce qui a donné lieu à cette plaisanterie, c’est que le Journaliste dans son Extrait ne convient pas que ce qui s’évacuë chaque jour par les selles, ne pese pas plus de quatre onces. M. Hecquet qui a pesé les choses avec soin, est surpris de l’ignorance du Journaliste, & jugeant bien que cette ignorance ne peut venir que de ce que le Journaliste n’a pas voulu s’éclaircir par ses yeux, il lui reproche de ne pas aimer à peser : le reproche est juste. A la vérité on pourroit dire que tout le monde ne mangeant pas également, & n’estant pas d’une mesme complexion, il est difficile que tout le monde puisse s’accorder à ne pas passer le poids de quatre onces dans ce qui s’évacuë chaque jour par les selles ; mais l’experience vaut mieux que tous les raisonnemens. L’Auteur de la Réponse ne parle point ici sur de vaines spéculations, il a pris la balance à la main, & s’est convaincu du fait par lui-mesme, il n’y a rien à dire. On demandera comment il a pû parvenir à s’éclaircir là-dessus, si au juste, vû qu’en matière d’induction, il ne suffit pas de quelques exemples. Mais il est à croire qu’il n’a omis sur ce point aucune recherche, & qu’il n’a pas manqué d’examiner avec attention, un nombre suffisant de personnes, non seulement de toutes sortes de conditions & de temperamens, mais encore de toutes sortes de pays & de climats. Quand on a du goût pour quelque chose, on ne neglige rien pour le satisfaire. L’Auteur dira, sans doute, qu’il ne fait que copier Sanctorius ; mais cette réponse ne peut venir que d’un fonds de modestie, Sanctorius n’estant jamais parvenu à découvrir cette conformité admirable qui se trouve dans le corps de tous les hommes, à ne pas exceder le poids de quatre onces dans ce qui s’évacuë chaque jour par les selles. C’est une découverte, dont la gloire est dûë toute entiere à nôtre Auteur.

Second Ex. Cette remarque de la These, où il est dit[129] : « Qu’on peut oster presque tout le sang d’un animal sain sans lui oster la vie, paroist fort choquer la Philosophie du Journaliste ; mais la Physique expérimentale & l’Histoire naturelle auroient bien dû l’instruire de tous ces faits. Que d’animaux, par exemple, qui vivent avec peu ou point de sang : aussi doit-on s’attendre que le Journaliste les dégradera de la qualité d’animaux, & qu’il les ostera du rang des vivans ; car comme c’est le sang qui fait vivre, & qui distingue les animaux, dès qu’on n’apperçoit point de sang, il n’y a plus d’animal. Il ne faut pas dire au Journaliste, que ces sortes d’animaux vivent par le moyen d’un suc blanc à la verité, mais analogue à la partie blanche du sang des autres animaux ; car le Journaliste croiroit qu’on l’obligeroit à reconnoistre du sang blanc ; or il n’en connoist que de rouge. »

Pour entendre cette fine raillerie, il faut sçavoir ce que le Journaliste, dans son Livre de la Generation des Vers, a dit de la nature du sang, par rapport à la couleur rouge, car il n’en a parlé que là. Les anciens Philosophes, dit-il, ont cru que la pluspart des insectes[130] n’avoient point de sang, parce qu’on ne trouve dans le corps de plusieurs aucune liqueur rouge. Mais ils se sont encore fort trompez là-dessus : l’humeur que nous appellons sang, n’estant point telle par sa couleur, mais par son usage. Ce qui fait dire à Pline[131], que quelle que soit l’humeur vitale qui anime l’insecte, cette humeur est le sang de l’insecte. Sic & insectis quisquis est vitalis humor, hic erit & sanguis. Or comme il n’y a point d’insecte qui n’ait en soi une humeur principale qui l’anime, il n’y a point aussi d’insecte qui n’ait du sang. Voilà les paroles du Journaliste, à qui son adversaire reproche de ne reconnoistre que du sang rouge. Bien des gens se meslent de railler ; mais il en est peu, comme on voit, qui le fassent avec autant de jugement que M. Hecquet.

3e Ex[132]. « On se flatte que le Journaliste pourra un jour rendre justice au Systeme de la transpiration, & qu’avec des idées plus nobles & plus dignes de la majesté de la nature, il sortira de la crasse de la Medecine, & qu’il en secouera la vermine. »

De toutes les railleries de nôtre Auteur, il n’y en a gueres que le Journaliste merite mieux que celle-ci. Il a composé un Livre de la Generation des Vers, dans lequel il enseigne divers moyens pour chasser du corps la vermine ; n’est-ce pas là en effet, aimer la crasse & la vermine ? S’il avoit au moins tâché, comme son adversaire, de faire voir qu’il ne faut point chasser cette crasse, & que les ordures du bas-ventre ne sont que de prétenduës ordures, qu’il faut laisser, le reproche qu’on lui fait ici d’aimer la crasse, & de ne point vouloir secouer la vermine, pourroit alors passer pour injuste ; ou si encore, afin de s’asseurer des causes des maladies, il s’estoit appliqué, comme l’Auteur de la Réponse, à peser chaque jour ce qui s’évacuë par les selles, on auroit également tort de l’accuser d’aimer la crasse de la Medecine.

Le Journaliste ayant dit, qu’il eust esté à souhaiter que dans la Dissertation sur la saignée on eust éclairci certaines difficultez ; l’Auteur lui répond par la plaisanterie suivante.

4e Ex[133]. « Le Journaliste oublie qu’il fait l’Extrait d’une These, où il n’est pas possible de tout renfermer, s’il a eu l’art d’en faire en soixante lignes, de gros caracteres, qui puissent décider des questions graves en Medecine, comme celle qui a pour titre : An parotis unica lethargi vindex ? On l’en a admiré : car c’est parler Sentence, & tout dire en peu de mots. Il voudroit qu’on fist aussi bien que lui ; mais qui peut y atteindre ? »

La raillerie est heureuse, c’est dommage seulement qu’elle mette sur le compte du Journaliste une These, dont le Journaliste n’est nullement l’Auteur, & qui a esté composée par un ami mesme de M. Hecquet, c’est-à-dire, par l’Auteur de la These, an mundus senescat, laquelle n’est pas moins curieuse, soit pour le petit nombre des lignes, soit pour la grosseur du caractere.

5e Ex. « A l’aide de la purgation & de quelques specifiques, le Journaliste a trouvé l’art de guerir les maux les plus opiniâtres sans saigner ; c’est un secret qui lui est venu depuis qu’il a découvert au centre du corps, au milieu du bas-ventre, la cause banale de toutes les maladies : que cette cause n’est autre chose qu’un amas de sucs croupissans & inutiles, à chacun desquels il sçait approprier la purgation. On sçait encore, & le Public en est averti, que quand bien mesme ces sucs se gasteroient, & que devenus vermineux, ils passeroient en pourriture & en vers : on sçait, dis-je, que le Journaliste promet des spécifiques éprouvez pour en exterminer l’engeance, & un volatil merveilleux pour fortifier les entrailles contre cette vermine, & pour en prévenir jusqu’aux germes, & en éteindre la race. La saignée en feroit-elle autant ? »

Au mot de vermineux, qu’on vient de lire, l’Auteur a eu soin de mettre une petite estoile qui renvoye au bas de la page, où il y a une note qui porte, que le Journaliste attribue la cause de presque toutes les maladies aux Vers, & prétend avoir des specifiques pour les tuer & les détruire. Ceux qui ont lû le Livre de la Generation des Vers dans le corps humain, trouveront la raillerie dont il s’agit, d’autant plus judicieuse, qu’elle preste au Journaliste sur la saignée & sur la cause des maladies, un sentiment qu’il combat lui-mesme en plusieurs endroits de son Livre ; & ils avoüeront qu’elle fait voir dans l’adversaire du Journaliste autant de solidité d’esprit, que la plaisanterie qu’il a faite sur la couleur du sang. Il ne faut qu’un peu d’imagination pour la raillerie, quand on nous en fournit le sujet ; mais quand il s’agit de fabriquer soi-mesme la matiere d’une plaisanterie, il faut de l’invention, & c’est dequoi tout le monde n’est pas capable.

Le Journaliste a dit[134], que quand les pleuresies viennent de Vers, il y a du danger à faire de frequentes saignées ; mais que quand elles n’en viennent pas, il n’y a rien à craindre de saigner souvent ; Monsieur Hecquet dit là-dessus, que cet Auteur a trouvé l’art de guérir les maux les plus opiniâtres, sans saigner. Le Journaliste, en parlant de ces violens maux de teste, que quelques Medecins ont attribuez aux Vers, dit, que ces maux viennent souvent d’autres causes que de celles-là. Il rapporte sur ce sujet un exemple, pour faire voir que les signes mesmes par lesquels on peut juger que ces maux viennent de Vers, sont tres-incertains ; & ensuite il avertit, que ce qu’il dit là des Vers de la teste, il le dit de tous les autres Vers du corps, en quelque partie qu’ils s’engendrent, & il donne à entendre, que tout ce qu’on peut faire, quand ces signes se rencontrent, c’est de juger, non qu’il y ait des Vers, mais qu’il y a lieu de les soupçonner. M. Hecquet, par une allusion juste à ces paroles, dit, que le Journaliste attribue aux Vers la cause de presque toutes les maladies, peut-on trouver un genie plus inventif ? Quant au reproche d’avoir des specifiques éprouvez contre les Vers. Le Censeur a raison, rien en effet peut-il estre plus honteux à un Medecin, que d’avoir des remedes assûrez contre quelque maladie ?

6e Ex. « L’Auteur de la These, pour expliquer les filtrations, n’a recours, dit le Journaliste, ni aux levains, ni aux configurations differentes des pores ; c’est apparemment un regret ou une plainte que le Journaliste fait contre l’Auteur de la These, qui ose faire main-basse sur les levains[135]. Quelle perte en effet pour la Medecine, dont on enleve ainsi les Idoles ? Quelle desolation pour ces Philosophes Mitrons, & pour ces Medecins boüillans de levains… Certes, après cela, les basses entrailles farcies de cruditez vont fourmiller de Vers. Le Journaliste accoûtumé qu’il est aux dégâts qu’ils causent, peut-il ne se rendre pas sensible à cette desolation ? Heureux donc le genre humain, de ce qu’en cas d’un semblable malheur, il trouvera une ressource assûrée & un specifique infaillible contre ces insectes entre les mains du Journaliste. »

Cette raillerie est d’une grande finesse, soit pour le tour, soit pour les termes. Ces Philosophes Mitrons, & ces Medecins boüillans de levains, y font sur tout un bel effet.

7e Ex. « Il est mal aisé que la These sur la boisson ne trouve quelque adversaire en son chemin ; car enfin, dira-t-on, faut-il abandonner le monde à des maximes si contraires à sa conservation ? Le laissera-t-on persuader qu’on ne doit user que de boissons simples & fades, peut-estre d’eau seule ? Fut-il rien de plus capable d’exposer les hommes d’aujourd’hui, comme les Egyptiens autrefois, à se voir defolez par les grenoüilles, qui desormais viendroient pulluler dans nos corps. La matiere est trop curieuse, & l’occasion trop interessante, pour ne point exciter le zele & la plume de l’Auteur du Traité de la Generation des Vers. Le beau titre en effet à remplir, ou à executer, que celui de la generation des grenoüilles dans le corps humain ! Jamais il ne resistera à cette tentation : car lui peut-il venir une occasion plus naturelle d’augmenter son ouvrage de ce second volume ? Il seroit aussi utile au Public que le premier, & ne seroit pas moins recherché. Cependant, quoiqu’il en coûte à cette These sur la boisson, on en risque l’impression en François, persuadé que son Auteur gagnera toûjours beaucoup, s’il est assez heureux pour attirer au Public d’aussi belles choses sur les grenoüilles, qu’il lui en est venu d’utiles sur les Vers. »

Cette comparaison des Egyptiens desolez par les grenoüilles, ce beau titre à remplir ou à executer, de la generation des grenoüilles dans le corps humain : cette tentation à laquelle le Journaliste ne resistera jamais ; cette matière trop curieuse, & cette occasion trop interessante pour ne point exciter le zele & la plume de l’Auteur du Traité de la Generation des Vers : tout cela est d’un sel qui ne sçauroit que vivement piquer le Journaliste. Peut-estre neanmoins, trouvera-t-on que le sel n’est pas ce que M. Hecquet prodigue le plus : mais quand cela seroit ; que sçait-on, si cet Auteur ne demande point pour le discours, les mesmes conditions qu’il demande pour les viandes ? une viande, pour estre bonne, selon lui, doit estre fade & insipide[136].

On pourroit rapporter plusieurs autres beaux traits de l’esprit enjoüé de nôtre Auteur ; mais il est temps de venir à la Dissertation qu’il nous donne sur la boisson.



  1. Preface vers la fin.
  2. Memoires de Février 1708. art. 17.
  3. Préface.
  4. M. l’Abbé B.
  5. Réponse au Journal, p. 134.
  6. p. 142.
  7. Préface de la Réponse p. 15.
  8. Réponse au Journal, p. 145.
  9. Réponse au au Journal, p. 182.
  10. Horat. Epist. 19. lib. 1.
  11. Thes. sur la saignée art. 5. p. 75.
  12. p. 76.
  13. p. 77.
  14. p. 73.
  15. p. 74.
  16. p. 68.
  17. p. 73.
  18. Réponse au Journal, p. 147.
  19. Eclaircissement sur le Livre de la Generation des Vers.
  20. Thes. sur la saignée art. 1. p. 11.
  21. Art. 4. p. 64.
  22. Art. 4. p. 64.
  23. Art. 3. p. 42.
  24. Art. 4. p. 54.
  25. These sur la boisson, art. 5. p. 75.
  26. These sur la boisson, art. 3. p. 47.
  27. Art. 3. p. 46.
  28. Ibid.
  29. Art. 4. p. 69.
  30. These sur la saignée art. 4. p. 51.
  31. Ibid. p. 56.
  32. These sur la boisson, art. 5. p. 74.
  33. Art. 4. p. 68.
  34. These sur la saignée art. 2. p. 23.
  35. These sur la boisson, art. 3. p. 46.
  36. These sur la saignée art. 5. p. 66.
  37. These sur la boisson, art. 1. p. 15.
  38. Ibid.
  39. Art. 3. p. 37. & 38.
  40. Réponse au Journal, p. 216.
  41. Préface de la Réponse p. 11.
  42. Réponse au Journal, p. 286.
  43. Hipp. Epid. l. 6. sect. 4. Gal. lib. de Nat. fac. 2. & lib. 5. de Loc. affect.
  44. Non modò accusator, sed ne objurgator quidem ferendus est is, qui quod in altero vitium reprehendit, in eo ipse reprehenditur. Cicer. Orat. 8. in Verr. lib. 3.
  45. Thes. sur la saignée art. 5. p. 77. & Réponse au Journal, p. 185.
  46. Ὁκόσοισιν ἐν τοῖσι πυρετοῖσιν αἱμοῤῥαγέει πλῆθος ὁκοθενοῦν, ἐν τῇσιν ἀναλήψεσι τουτέοισιν αἱ κοιλίαι καθυγραίνονται.
  47. Vacuatio, immodico sanguine, per quam affluxit multum caloris & spiritûs, certum est prognosticon quòd ægrè admodùm reficietur æger & malè colorabitur, vel in totam vitam plerumque, ventriculus prætereà refrigerabitur, ita ut futurum sit ut lancinetur, infletur, neque concoquat, & ructus patiatur acidos ; quare cùm in convalescentibus partes inanitæ vehementer appetunt, copioso autem sanguine vacuato, ventriculus, hepar, & genus venosum refrigeratur, & nequeunt officium suum præstare, cruda & humida dejicientur, καθυγραίνονται enim usurpat Hippocrates, ubi alvus multa humida & liquida dejicit. Holler. in Aphor. 27. sect. 4.
  48. In quibus ergo febribus magna sanguinis copia efluxerit, sive ineunte morbo, sive in vigore ac crisi ejusdem, tandem exacto jam morbo alvus humescit, cùm nimirum corpus restaurari incipit : Quoniam post magnas sanguinis vacuationes languet nativus calor. In refectionibus verò, sive procedente tempore assumpto alimento, cruditates fiunt nequeunte calore cibos superare, neque coctos succos digerere in habitum corporis, ac proindè plurimùm crudum atque humidum per intestina delabitur, & ventres dorsum humescunt. Joann Liebautius in Aphor. 27. sect. 4.
  49. Thes. sur la saignée art. 5. p. 75. & 77.
  50. Thes. sur la saignée art. 2. p. 32.
  51. art. 3. p. 40.
  52. Réponse au Journal, p. 204.
  53. Il veut dire sans doute, le long d’un seul tuyau droit.
  54. Thes. sur la saignée art. 1. p. 4.
  55. Thes. sur la boisson, art. 1. p. 6.
  56. Preface p. 8.
  57. Thes. sur la saignée art. 2. p. 32.
  58. Réponse au Journal, p. 205.
  59. Thes. sur la boisson, p. 8.
  60. Qui Mechanices ignarus non est, certò scit fluida in situ horizontali commodiùs, celeriùs, & juxta inclinationem innatæ suæ gravitatis percurrere, quàm in elevato aut obliquo. Ideò decubitus horizontalis in lecto statutis diei horis necessarius fuit, ut fluida per aliquod tempus in sua libertate positâ, nec ab externo motu aut interno ab animi facultatibus impresso distracta, possint per partes progredi cum tanto gradu celeritatis, ac impetu, quantùm ab impulsu cordis receperunt, & quantùm sua cujusque gravitas, motusque internus fermentativus exposcit. Et in hoc statu tandiù manere debent, donec tàm fluidum generale, quàm particularia fluida, ad talem pervenere motus determinationem, quæ ad secretiones singulis in partibus peragendas necessaria est, sive quousque per somnum, situmque corporis horizontalem, debitâ humoribus restituâ compage ac tono, illorum centrum gravitatis, dictis de causis turbatum, ad naturale æquilibrium perducatur. Quo facto, positisque humoribus, in vitatis centro, animal expergiscitur, situmque horizontalem in rectum denuò commutat. Bagliv. Opera omn. Dissert. 4. de Experimentis, p. 444. Edit. Lugduni 1704.
  61. These sur la saignée.
  62. Réponse au Journal, p. 177.
  63. Réponse au Journal, p. 176.
  64. Ce feu de fumier n’a point esté omis jusqu’à présent par les Chymistes, l’Auteur du Traité des Alimens, & celui du Livre intitulé, Specimen Chymiæ naturalis, l’ont établi dans les intestins, comme un merveilleux secours pour la digestion.
  65. Réponse au Journal, p. 192.
  66. Réponse au Journal, p. 193.
  67. p. 197.
  68. Voyez Sanctorius, chap. 10. Aphor. 43. chap. 4. Aphor. 27.
  69. Art. 3. p. 47.
  70. Enchiridion-of Fevers, incident to seamen, &c. C’est-à-dire, Traité abregé des Fievres qui arrivent aux gens de mer, pendant l’Esté sur la mer Mediterranée, par Thomas Bates Chirurgien de Londres. A Londres 1708. vol. in 12.
  71. Thes. sur la saignée p. 57.
  72. These sur la saignée p. 56.
  73. Aphor. sect. 2. 30.
  74. Sect. 1. Aph. 22.
  75. Sect. 4. Aph. 10.
  76. Sect. 2. Aph. 29.
  77. Riveri Praxis Med. l. 1. c. 2.
  78. Edition de Van-der Linden.
  79. Fernel de Purgatione cap. 12.
  80. Réponse au Journal, p. 164.
  81. Sect. 1. Aph. 20.
  82. Thes. sur la saignée p. 12.
  83. Réponse au Journal, p. 176.
  84. Aphor. 22. sect. 1.
  85. Terapeut. l. 5. de Purgatione, cap. 8.
  86. Foësius, in libr. Hipp. περὶ χυμῶν, & dans son Oeconomia Hipp.
  87. Πολλαὶ μὲν γὰρ φλέϐες εἰσὶ, καὶ λεπταὶ καὶ παχεῖαι, αἴτινες αἱμοῤῥαγοῦσαι ἀποκτείνουσιν ἤν αὐτῷ τύχωσιν ὀργῶσαι.
  88. Ὄσα μὲν οὖν τῶν τρομάτων καιροῦ ἔτυχεν, ἢ σώματός τε καὶ γνώμης τοιαύτης, ἢ ὀργώντος οὕτω τοῦ αἵματος.
  89. Καὶ αὖθις ἴτω παρὰ τὸν ἄνδρα ὅταν τὰ ἐπιμήνια μηκέτι πολλὰ ᾖ, ἀλλ´ ὀλίγα καὶ εὔχροα, καὶ ὀργᾷ.
  90. Πῦον γὰρ συχνὸν ῥέει ἐκ τοῦ ἕλκεος, καὶ ὀργᾷν φαίνεται.
  91. Galen. Comment. 2. in l. 6. Epid. Foësius Œconom. Hippoc. Ἐμάθετο δ’ ἤδη, καὶ περὶ τῶν φυμάτων ἔμπροσθεν ὡς τὰ μὲν ἀποκορυφοῦντα εἰς ὀξὺ, καὶ οἷον ὀργῶντα θερμῶν χυμῶν ἐστιν ἔγγονα, τὰ δὲ ἐναντία ψυχροτέρων.
  92. Casin. Act. 2. Scen. 5. v. 17.
  93. Mostel. Act. 3. Scen. 2. v. 10.
  94. Voyez la Lettre de M. Tournefort, qui est à l’entrée du Livre intitulé, Pratique des maladies aiguës.
  95. In principiis febrium, seu essentialium, seu symptomaticarum, si præ coctionis lentâ expectatione, evacuationes necessarias in crastinum producamus, tempus illud opportunum sæpè irrevocabile, celeri pede præterlabitur, quo fundamentum omne curationis secuturæ illicò jaciendum est… Ad hæc affirmo non obstante hominum cæco præjudicio, evacuationes opportunè celebratas, urinam quæ cruda apparuit ad optatam coctionem, atque unà ægrotantem ad incolumitatis propiorem conspectum, citiùs ac certiùs ducere, quàm quodlibet aliud quantumcumque illud fuerit, quod nobis innotescit humani ingenii tentamen. Gualterus Harris de morb. acutis infantum.
  96. Verùm si noxii humores turgeant, in principio etiam morbi, illis nondùm coctis, medicamento purgante uti licibet, ne scilicet humores parum stabiles & ab unâ parte ad aliam sine ordine moti, in principem aliquam partem decumbant. Holler. in Aph. 22. sect. 1.
  97. Praxis Medic. Tract.
  98. Ejus verò concoctio haud quaquam est expectenda ut quæ propriè futura non est.
  99. Cæterum in ancipiti gravique morbo, cujus semper & symptomata sæva sunt, & minimè tutus exitus, statim per initia non utiliter solùm, sed & necessariò utendum medicamento. Neque prudentis sit Medici concoctionem expectare, quæ fortasse futura non est. Quum enim anceps is sit ac vehemens, semperque metus impendeat ne aut deterior evadat, aut laborantem ante statum jugulet, crudæ etiamnum materiæ nonnihil purgatione demendum ante concoctionem. Fernel. de Purg. cap. 12.
  100. Et certè cruda ea materia quum in plerisque morbis turgere soleat, & quasi oberrans fluctuet, & fluat reluatque in venis atque visceribus, non admodum ægrè videtur medicamento cessura. Id. ibid.
  101. Sic sæpè Artis usu animadversum est crudioris humoris purgatione, sive sponte, sive arte ea contigisset, accelerare concoctionem, moxque urinas puriores & cum sedimento fieri, & ancipitem periculosumque morbum, tutum salutaremque reddi. Fernel. ibid.
  102. Itaque licèt à perfecta concoctione felicior semper sit purgatio, ea tamen etiam ante concoctionem in ancipiti gravique morbo est necessaria. In salutari ac meti utilis. Fernel, ibid.
  103. Perdulcis Therap. l. 5. c. 8.
  104. In morbo gravi, periculoso vel ancipiti, crudæ materiæ nonnihil purgatione demendum initio ante concoctionem, quæ fortasse futura non est, aut posteà acceleratur portionis alicujus detractione, quod Hippocratis consilium est.
  105. Voyez la quatriéme Approbation du Livre intitulé, Pratique des Maladies aiguës.
  106. Le Livre intitulé, Pratique des Maladies aiguës. Voyez l’Approbation de la Faculté.
  107. Voyez ci-dessus, p. 165.
  108. Georg. 1. vers. 315.
  109. Eclog. 7. vers. 48.
  110. Plin. Hist. natur. lib. 8. cap. 50.
  111. Sect. 4. Aph. 10.
  112. p. 169.
  113. Réponse au Journal, p. 170.
  114. p. 58.
  115. Voyez ci-dessus, p. 9.
  116. Quintil. lib. 10. c. 1.
  117. Il dit dans sa Préface qu’il a fait imprimer sa These sur la saignée pour dresser un piege au Journaliste, & l’engager à la critiquer.
  118. Gualt. Harris de morbis acutis in infantum
  119. Aph. 9. sect. 2.
  120. Bernardi Valentini Remedia Exotic.
  121. Georg. Bagliv. de Febribus malignis & messenter. p. 53. Edit. Lugduni. Purgationes frequenter præscribo, & totam dirigo indicationem in educendo per purgationes messenterico apparatu.
  122. Idem ibid. p. 52.
  123. Gualterus Harris.
  124. Dekkers Exercitationes Practicæ circa medendi methodum.
  125. τὰς δὲ ἄνω ἐν τοῖσι παροξυσμοῖς, τότε γὰρ καὶ αὗται μετεωρίζονται. Hipp. Epidem. lib. 7.
  126. p. 155.
  127. Réponse au Journal, p. 146.
  128. p. 197.
  129. p. 199.
  130. De la Generation des Vers dans le corps de l’hommed, p. 2. de l’Edition de Paris, & p. 3. de l’Edit. de Hollande.
  131. Plin. Histor. natur. lib. 2. cap. 3.
  132. p. 215.
  133. p. 175.
  134. De la Generation des Vers dans le corps de l’homme, ch. 9. art. 2.
  135. p. 216.
  136. Il le declare en termes exprès dans sa These sur la boisson.