Relation historique de la peste de Marseille en 1720/20

 : Observations en fin de livre.
Pierre Marteau (p. 333-357).
Chapitre XX


CHAPITRE XX.


Continuation de la Maladie en Novembre. Chambre de Police. Le Peuple reprend ſes anciens deſordres, & les Medecins leurs premieres opinions.



LE calme qui avoit paru à la fin d’Octobre ne fut pas de durée. Tel eſt le genie de cette cruelle maladie, après qu’elle a pouſſé tout ſon feu, elle ſemble tout-à-coup s’amortir, mais elle ne finit pas de même. Trop heureux quand ce n’eſt pas pour recommencer avec plus de violence, ſes impreſſions ſont trop fortes pour qu’elles puiſſent s’effacer & ſe détruire ſur le champ. Ses progrets dans la declinaiſon ſont encore plus lents, que quand elle commença. En effet après la Touſſains on vit reparoître de nouveaux malades en differents Quartiers de la Ville, & ſur tout dans celuy de ſaint Ferreol, qui avoit été le dernier attaqué. Mais ſi les malades ſont nouveaux, la maladie eſt toûjours la même, même caractere, mêmes ſymptômes, même malignité, mais non pas ſi generale ; car dès le mois d’Octobre les éruptions étant un peu plus favorables, on voyoit guerir quelques malades ; dans tous les autres une prompte mort rendoit inutiles & les aſſiduités des Medecins auprès des malades, & les ſoins de ceux qui les ſervoient.

La diminution du mal devint pourtant ſenſible en ce temps-là, car il n’en tomboit pas plus de ſept ou huit par ſemaine, ſans y comprendre ceux que l’on portoit dans les Hôpitaux, qui dès lors furent réduits à deux ; celuy des convaleſcens dechargé par la mortalité de pluſieurs, & par la guériſon de quelques-uns fut vuide, & le reſte des malades tranſporté dans celuy du Mail. Dans l’Hôpital de la Charité, on avoit reçeu en Octobre 512. malades, & en Novembre on n’en reçû que 181. Dans le premier mois il en mourut 275., & dans le ſecond 172. Ce même mois on en ſortit 94. Convaleſcents. Il n’en ſortit aucun en Octobre, les malades de ce premier mois ne pouvant être guéris qu’en Novembre, attendu qu’il faut trente ou quarante jours de ſupuration aux plaïes, qui ſont la plus ſeure guériſon de la maladie. Dans l’Hôpital du jeu de Mail on reçeut en Octobre 350. malades de la Ville, & 7. de la Campagne, & en Novembre 225. & 49. du Terroir, en tout 274. Il y eut en Octobre 183. morts de la Ville, & 7. du Terroir, en tout 190, & en Novembre 86. de la Ville & 29. du Terroir, en tout 115. Les Convaleſcents paſſoient de l’Hôpital dans le Couvent des Auguſtins reformés. Ceux de l’Hôpital de la Charité devoient être logez dans la maiſon des Peres de l’Oratoire, qui s’offrirent eux mêmes avec leur maiſon, dès qu’ils apprirent qu’on en avoit formé le projet. Mr. Reboul negociant de cette Ville, qui pendant toute la Contagion a fait la fonction de Commiſſaire avec autant de zele que de courage, chargé de dreſſer ce nouvel Hôpital des Convaleſcents, s’y porta avec tant d’ardeur, que du jour au lendemain il y diſpoſa deux cents lits en état de recevoir les Malades, deſquels ces Peres en fournirent cinquante des leurs propres. On conſidera pourtant que cette Maiſon étoit trop engagée dans la Ville, on abandonna ce projet, & on mit les Convaleſcens dans le Couvent des Obſervantins, qui eſt plus prés de la charité. Les Forçats continuent d’enterrer les morts, de tranſporter les malades, de ſervir dans les Hôpitaux, & de nettoyer les Ruës ; on en reçût encore 142. en Octobre, leſquels joints à ceux qui étoient reſtés des premiers délivrez, continueront les mêmes exercices pendant tout le reſte du temps que durera la Contagion. Le nombre de ces Forçats delivrés pour le ſervice de la Ville dépuis le 20. Aouſt juſques au 3. Novembre va à 691. ; Elle doit à ces Malheureux une partie de ſa délivrance : quelques miſerables qu’ils ſoient, les ſervices qu’ils nous ont rendus n’en ſont pas moins importants, & nôtre reconnoiſſance n’en doit pas être moindre. Adorons icy la providence, qui a voulu nous faire trouver un nouveau ſujet d’humiliation dans la neceſſité, où nous avons été de nous ſervir ſi utilement de ce qu’il y a de plus vil & de plus mépriſable dans cette Ville, ou pour mieux dire, excitons nôtre reconnoiſſance envers le Prince, qui a eu la bonté de nous accorder un ſecours ſi neceſſaire, & envers ceux qui ont executé ſes ordres avec tant de ſageſſe & de zele.

Deux choſes augmenterent le nombre de ces nouveaux malades. Le mal étant alors dans ſa rigueur à la Campagne, pluſieurs de ceux qui avoient leurs Païſans malades, ou leur familles attaquées fuïoient de leurs baſtides & venoient ſe refugier dans la Ville, ou les impreſſions malignes qu’ils y apportoient ſe developant, leur faiſoient trouver dans le lieu même de leur azile le mal qu’ils vouloient éviter. Mr. le Commandant dont l’attention ne ſouffroit rien de tout ce qui pouvoit entretenir les malheurs publics donna d’abord de nouveaux ordres pour prévenir les ſurpriſes à la faveur de quoy ces gens là entroient dans la Ville ; l’entrée en fut interditte à toute ſorte de perſonne, & on ne l’accordoit qu’à ceux qui produiſent des certificats de ſanté de leur Commiſſaire, par leſquels il conſta que depuis quarante jours, ils n’avoient point eu de malades dans leurs Baſtides, & ceux qui venoient journellement dans la Ville, comme les Païſans, qui aportoient des denrées, étoient obligez de faire renouveller leur Certificats de huit en huit jours. De pareils ordres firent bientôt ceſſer cette fatale communication de la Ville avec la Campagne, & la maladie reprit le cours ordinaire de la declinaiſon.

L’avidité de recueillir un nouvel heritage fut encore à pluſieurs la funeſte cauſe de leur malheur. Après une ſi grande mortalité ils ſe trouvoient apellez à la ſucceſſion d’une famille entiere, à laquelle ils ne tenoient que par quelque degré de parenté fort éloigné. Impatiens de ſavoir en quoi conſiſtoient ces nouvelles richeſſes, qu’ils ne s’étoient pas promiſes, ils entroient dans ces maiſons infectées, ils foüilloient dans les hardes des morts, & ſouvent ils y trouvoient ce qu’ils ne cherchoient pas. Une impreſſion mortelle étoit quelque-fois le prix de leur avidité, & faiſoit paſſer ce nouvel heritage à d’autres Parents encore plus reculés, qui profitant de leur exemple & de leur malheur, ſavoient s’en garantir par de plus ſages précautions. Ce n’étoient pas toûjours les Heritiers legitimes, qui emportoient ces hardes infectées, c’étoient ſouvent des gens qui trouvoient dans ce qu’ils voloient, la juſte peine de leur crime. Envain dépuis les commencemens du mal Mr. le Gouverneur avoit deffendu ces tranſports de hardes & de meubles d’une maiſon à l’autre, une aveugle avarice faiſoit mépriſer ces ſages ordonnances, & les perils de la Contagion. Mr. le Commandant les renouvella dans la ſuite, & les fit executer en des temps plus tranquilles avec plus de ſeverité.

Un autre abus bien ſingulier contribua encore à groſſir le nombre de nos malades. Le croira-t’on ? Qu’à peine la Contagion ſe fut un peu adoucie, le Peuple impatient d’en réparer les déſordres, ne penſa plus qu’à répeupler la Ville par de nouveaux Mariages ; ſemblable à ceux qui arrivés au Port, oublient le danger de la Tempête dont ils viennent d’échaper, chacun cherche à s’étourdir & à noyer dans de nouveaux plaiſirs le ſouvenir de ſes malheurs paſſés. Nos Temples fermés dépuis ſi longtems ne furent ouverts alors que pour l’adminiſtration de ce Sacrement. Une nouvelle fureur ſaiſit les perſonnes de l’un & de l’autre ſexe, & les portoit à conclure dans 24. heures l’affaire du monde la plus importante, & à la conſommer preſque ſur le champ. On voïoit des Veufves encore trempées des larmes, que la Bienſeance venoit de leur arracher ſur la mort de leur Mari, s’en conſoler avec un Nouveau, qui leur étoit enlevé peu de jours après, & pour lequel elles n’avoient pas plus d’égard que pour le premier. Ces Mariages publiés à la porte de nos Egliſes, ſembloient inſpirer la même fureur à tous les autres. Cette paſſion ſe perpetua, & alla toûjours croiſſant dans les autres mois, enſorte que nous pouvons aſſurer que ſi le terme ordinaire des accouchemens avoit pû être abregé, nous aurions bientôt vû la Ville auſſi peuplée qu’auparavant. Laiſſons decider aux Medecins ſi cette folle paſſion eſt une ſuite de la maladie, tandis que nous chercherons des raiſons plus ſenſibles de ces nouveaux Mariages.

Un nombre infini d’Artiſans & de Gens de toute ſorte d’état étoient reſtés ſans Femme, ſans Famille, ſans Parens, ſans Voiſins. Ils ne ſavoient que devenir : occupez à leur travail ordinaire, ils n’ont pas le temps de ſe préparer les moïens de le ſoûtenir, & de ſe procurer leurs beſoins. Cette raiſon jointe à bien d’autres les met dans la neceſſité de ſe marier. Pluſieurs à qui la miſere & la pauvreté ne permettoient pas auparavant de ſonger au Mariage, devenus riches tout-à-coup ou par des gains immenſes qu’ils avoient faits en ſervant les malades, en portant les morts des maiſons à la Rûë, & dans les Places publiques, & ſouvent par des voïes plus courtes & plus aiſées, ou enfin par la mort d’une ou de pluſieurs familles, auxquelles ils ne tenoient que par quelque degré de parenté fort éloigné, ſe virent d’abord en état d’être recherchés. Quantité de filles de tout âge, autant embarraſſées de leur état que d’un bien conſiderable dont elles viennent d’hériter par la mort de tous leurs Parents, ne croïent pas avoir de meilleure reſſource que celle d’un Mari, qui les débaraſſe bien-tôt de l’un & de l’autre, & ſurtout celles que quelque difformité naturelle rendoit le rebut de leur famille, & qui avant leur mort ne devoient ſe promettre que le Couvent pour partage. Car c’étoit ſouvent ces ſortes de filles qui avoient ſurvêcû à toute la famille. Des jeunes Gens, que la crainte d’un Pere avoit empêché juſqu’alors de contracter un Mariage peu ſortable, affranchis de cette dependance, & devenus leurs maîtres, ſe hâtoient de ſatisfaire une aveugle paſſion qui les poſſedoit dépuis long-temps, & de diſſiper un bien, dont ils ne s’attendoient pas de joüir ſi-tôt. Tels furent les motifs de la pluſpart de ces mariages, qui firent bien-tôt diſparoître du milieu du peuple la triſteſſe & la conſternation, que la terreur du mal y avoit répanduës. C’eſt alors que toutes ces maiſons où peu de jours auparavant l’on n’entendoit que pleurs & que gemiſſemens, ne reſſentirent plus deſormais que des cris de joye, & que l’on y vît ſucceder à la plus triſte deſolation les jeux, les plaiſirs, les feſtins, le diray-je ? les Bals & les Danſes. Etrange aveuglement qui en nous rendant inſenſibles à tant de malheurs, peut nous en attirer encore de plus grands pour l’avenir !

Tous ces Mariages cependant conclus ſi à la hâte & conſommés de même firent de nouveaux malades. Car tantôt c’étoit un jeune-homme nouvellement débarqué, que des entremeteuſes charitables ſaiſiſſoient, pour ainſi-dire, au collet, & en arrachant le conſentement au contract. Celuy-là ſurpris autant par l’infection de l’air que par l’agitation de ce nouvel exercice, ne tardoit guere de contracter auſſi la maladie. Tantôt c’étoit une femme ou un homme qui ſe marioient avec des plaïes encore fumantes de peſte, qu’ils ne manquoient pas de ſe communiquer mutuellement. Enfin tantôt c’étoient des gens, dont le mal ne s’étoient purgé par aucune ſuppuration exterieure, en ceux-là, le venin peſtilentiel n’étant ny détruit ny évacué, mais ſeulement aſſoupi, reprenoit bien-tôt ſon action par celle du mariage. Pour prévenir tous ces abus qui ne pouvoient que perpetuer le mal ; il fut convenu entre Mr. l’Evêque & Mr. le Commandant qu’on ne donneroit des lettres de mariage qu’à ceux qui rapporteroient des certificats de ſanté des Medecins, que le calme de la maladie rendoit preſque tous oiſifs. En effet ils furent plus occupés deſormais de ces viſites deſagréables des perſonnes qui devoient ſe marier, que de celles des malades, leſquels reſtoient en fort petit nombre vers la fin de Novembre.

Si le peuple n’avoit paru oublier ſes malheurs que par la joye des nouveaux mariages, on ne devoit pas craindre qu’une ceremonie honorée par le premier miracle du Sauveur, authoriſée par les loix, neceſſaire à la ſocieté irritât de nouveau le Seigneur contre nous, pourveu que tout s’y paſsât ſelon les regles de la bienſeance chrêtienne : mais ce qui pouvoit nous attirer encore ſa colere, ce ſont les vols, les brigandages, & une infinité d’autres crimes, dont nous n’oſerions retracer icy les horreurs, & deſquels les mal-faiſeurs ſe promettoient l’impunité de la part des hommes par les troubles de la Contagion, & du côté du Ciel par la grace qu’il venoit de leur faire en les garantiſſant, ou en les ſauvant d’un mal, dont ils voyoient périr tant d’autres. Le bras du Seigneur étoit encore levé ſur nous, que l’on voyoit parmy le peuple un débordement general, une licence effrenée, une diſſolution affreuſe. Les uns s’emparent des maiſons deſertes par la mortalité, les autres forcent celles qui ſont fermées, ou qui ne ſont gardées que par des gens hors d’état de faire quelque réſiſtance. On entroit dans celles où il ne reſtoit que quelque malade languiſſant, on enfonçoit les Garderobes, & on enlevoit ce qu’il y avoit de plus précieux, ſouvent on pouſſoit la ſcelerateſſe juſques à ſe délivrer de la vûë d’un témoin importun, qui n’avoit plus que quelques momens de vie, & ces énormes crimes beaucoup plus fréquens dans le fort du mal, que dans les derniers périodes, étoient ſouvent commis par ceux qui ſervoient les malades, par les Corbeaux qui alloient enlever les morts, par ceux qui ſervoient dans les Hôpitaux, leſquels par les déclarations qu’ils arrachoient des malades, étoient informés de l’état de ces maiſons abandonnées, & dont les malades leur remettoient ſouvent les clefs. Nous en avons déja touché quelque choſe ailleurs : cette licence étoit encore plus grande à la Campagne où l’éloignement des Baſtides, & la liberté de vaguer dans la nuit favoriſoient ces criminelles expeditions. On doit penſer que dans la ſuite ces hardes volées dans des maiſons infectes dûrent nous donner de nouveaux malades, & pouvoient même entretenir le mal.

Des deſordres auſſi criants ne pouvoient pas durer ſous un Commandant, dont la droiture & la fermeté tenoit toute la Ville en haleine. Comme c’eſt à la faveur des ténebres que les ſcelerats s’enhardiſſent à commettre leurs crimes, il fit une Ordonnance qui défendoit aux gens inconnus d’aller par la Ville dès que la nuit commenceroit, & aux Perſonnes connuës après la retraite ſonnée à 9. heures, & juſques à cette heure de ne ſortir qu’à la lueur d’un flambeau. Il fit fermer les lieux publics, les Cabarets, & ces maiſons de débauche ſi pernicieuſes à l’innocence ; les Patroüilles & les Rondes ſe faiſoient regulierement, on fit des recherches exactes & ſeveres dans la Ville & à la Campagne. Les Priſons furent bien-tôt remplies de ces Malfaiteurs, on decouvrit bien-tôt toutes ces hardes volées & recelées tant à la Ville qu’à la Campagne, on denicha toutes ces femmes qui n’ont d’autre occupation que celle de corrompre la jeuneſſe, & on ſoûtient ce bon ordre par de fréquentes éxecutions qui reprimerent la licence, & firent bientôt ceſſer ces crimes publics ſi capables d’allumer toûjours davantage le courroux du Ciel.

Ces Criminels étoient jugez par la Chambre de Police. Ce Tribunal où préſidoit Mr. le Commandant devenu comme Souverain, & jugeant prévotablement & en dernier reſſort pendant la Contagion, étoit compoſé des quatres Echevins, de trois Procureurs & de quelques Praticiens, & Mr. Pichaty Avôcat de la Communauté y faiſoit la fonction de Procureur du Roy. Cette chambre fut établie ſur des Lettres patentes obtenuës par les Echevins dans les peſtes précedentes, de nos Roys Prédeceſſeurs, de celuy, qui eſt aujourd’huy le tendre objet de nos vœux & de nos plus douces eſperances. Il ne paroît pourtant pas qu’il ait eu la même intention, puiſque par ſa déclaration du 27. Octobre dernier concernant les procès criminels qu’il s’agira d’inſtruire dans les Villes & Lieux infectés du mal contagieux, il ordonne 1°. que dans les cas ordinaires, qui ſe jugent à la charge de l’apel, les procès criminels qu’il s’agira d’inſtruire dans les Villes & Lieux infectez du mal contagieux, ou qui en ſont ou ſeront ſuſpects ſeront inſtruits & jugés par les Juges ordinaires, s’il y en a de reſidents auxdits Lieux, ou en leur abſence par les Conſuls avec des Avocats ou gradués au nombre de trois au moins 2°. Les Sentences par eux renduës qui ne contiendront point de condamnation à des peines corporelles, ou infamantes, & qui n’impoſeront que des peines pecuniaires juſqu’à cent livres & au deſſous, ſeront executées par proviſion nonobſtant opoſitions, ou apellations quelconques & ſans y préjudicier. 3°. Et à l’égard des Sentences, qui porteront peines de mort. Torture, Galeres, ou autres peines corporelles ou infamantes, même des peines pecuniaires excedentes la Somme de cent livres, il ſera ſurcis à l’execution deſdites Sentences, juſqu’à ce qu’autrement en ait été ordonné par nôtredit Parlement de Provence, à l’effet de quoy les procès ſur leſquels leſdites Sentences auront été renduës ſeront emploïées au Greffe de nôtreditte Cour après avoir été trempés dans le vinaigre, &c. 4°. Leſdits procès ſeront diſtribués aux Conſeillers de nôtreditte Cour, pour en être par eux le raport fait dans les Chambres où leſdits procès devront être jugés, après lequel raport il ſera ordonné que leſdits Accuſés ſeront de nouveau oüis, & interrogés par-devant les Juges, dont eſt apel, ſur les faits reſultants du procès, dont l’extrait ſera joint à l’expedition de l’Arrêt, qui ordonnera ce dernier interrogatoire, & qui ſera envoïé auxdits Juges, ſur le veu duquel interrogatoire, il ſera procédé au jugement du procès, ainſi que nôtreditte Cour l’auroit pû faire, ſi l’accuſé avoit pû être entendu ſur la ſelette, ou derriere le Bureau ſuivant l’uſage ordinaire, &c.

Cette Déclaration enregiſtrée au Parlement le 18. Novembre fut envoïée par les gens du Roy dans tout le reſſort. Mr. Peliſſier Avocat du Roy en ce Siege l’ayant reçûë, la fit publier & afficher, il la fit ſignifier aux Echevins qui ne crûrent pas qu’elle regardât les Villes où il y avoit des Commandants comme à Marſeille, d’autant mieux que tous les Officiers de juſtice ſe trouvoient abſens, ſur cette ſignification. Mr. de Langeron aïant fait mettre un Corps de garde au Palais, la chambre de Police continua d’adminiſtrer la juſtice pendant la contagion, & de juger les Criminels ; elle fit diverſes condamnations à Mort, aux Galeres, & à d’autres peines, dont l’execution ne contribua pas peu à réprimer ce débordement general de toute ſorte de crimes, & à contenir les malfaiteurs. Toutes les affaires civiles furent auſſi portées à ce Tribunal, devant lequel on voïoit plaider de jeunes Etudiants en droit, qui par ces fruits précoces ont fait voir ce que l’on doit attendre de leur maturité. Cette Chambre ſe trouva d’abord accablée d’une infinité d’affaires que les malheurs du temps faiſoient naître, & ſurtout par ces bizarres ſucceſſions, à quoy tant de morts ab inteſtat, & celle de tant de familles entieres donnoient lieu. On établit auſſi un Commiſſaire pour les inventaires qui ne manquoit pas de beſogne dans ce triſte tems, & un Thréſorier pour recevoir les depôts, c’eſt-à-dire, l’argent que l’on trouvoit dans les maiſons abandonnées & dans celles où il ne ſe preſentoit point d’héritier certain ; car on en trouvoit beaucoup d’argent chès les petites gens ; ce qui nous fait voir qu’ils avoient au moins de quoy ſe garantir de cette extrême miſere, à laquelle on voudroit attribuer aujourd’huy la maladie preſente.

Si le Peuple oublia bien-tôt ſes malheurs paſſés, les Medecins de Montpellier perdirent auſſi bien tôt le ſouvenir du danger qu’ils avoient couru. Les premiers ſe replongerent dans leurs anciens deſordres, dès que la contagion calma, les ſeconds reprirent leur premiere erreur, dès que le danger parut diminué, ils étoient venus à Marſeille dans le mois d’Aouſt prévenus de cette opinion d’Ecole qu’il n’y a point de maladie contagieuſe, & que celle-cy n’étant qu’une fiévre maligne ordinaire n’avoit d’autre contagion, que celle de la terreur qu’elle inſpiroit. Fortifiez dans leur ſentiment par celuy d’un Savant Medecin, auquel ils ne tiennent pas moins par les ſentimens d’eſtime qui luy ſont dûs, que par les liaiſons du ſang & de l’amitié, ils furent pourtant ébranlés à la premiere vûë de nos malades. Ils commencerent à chanceler, & n’oſant pas déclarer dans leur raport à S. A. R. que c’étoit la peſte, ils attribuent pourtant la propagation du mal au peu de précaution (diſent-ils) qu’on a priſe juſqu’icy de ſeparer les infectez de ceux qui ne le ſont pas. Précaution inutile ſi la maladie n’étoit pas contagieuſe. Ils la croïoient donc alors cette contagion. Ce fut bien pis quand ils revinrent à Marſeille y traiter les malades, car dans ce premier voyage ils n’a voient fait que les viſiter ſans en traiter aucun ; frapés de l’état de tant de malades, des accidens de la maladie, de ſa reſiſtance à tous leurs remedes, du grand nombre de morts, de celle même de leurs domeſtiques, & des Chirurgiens ; qui étoient venus avec eux, ils avoüerent hautement la contagion, & firent même voir qu’ils la craignoient ; non qu’ils n’ayent toûjours bien païé de leurs perſonnes, car ils ont toûjours approché les malades avec beaucoup de fermeté & de courage, & nous leur devons la juſtice de le publier ; mais ils nous laiſſoient entrevoir qu’ils n’étoient pas tout-à-fait ſans crainte pour la contagion, tant par leurs diſcours que par certaines reſerves, & par des précautions qu’ils prenoient en particulier. Vers la fin du mois d’Octobre & en Novembre que le danger de la contagion fut preſque paſſé, ſe voïant heureuſement rechapés, ils commencerent à chanceler dans leurs ſentimens, & enhardis d’un jour à l’autre par la diminution du mal & par celle du péril, ils commencerent à nier hautement la contagion, & d’inſulter en quelque maniere à la timidité de ceux, qui la craignoient. Oubliant alors qu’ils avoient été eux-mêmes de ce nombre. On en verra bien-tôt les preuves quand nous raporterons les ouvrages qu’ils ont publié ſur la maladie.

Il n’en fut pas de même des Medecins de Marſeille, dont quelques-uns prévenus comme les autres de la même opinion contre les maladies contagieuſes, & également pleins d’eſtime pour ſon Autheur, s’étourdiſſoient ſur la vûë du péril à la faveur de ce préjugé, que la verité des faits contraires leur fit bien-tôt abandonner ; ceux qui étoient les plus affermis dans ce ſentiment furent les premiers frapés de mort, ou de maladie. Neantmoins en changeant d’opinion, ils ne changerent pas de conduite, & convaincus de la contagion, ils viſiterent les malades avec la même liberté & le même courage qu’ils avoient montré, avant qu’ils ſe fuſſent détrompés de leur erreur, qu’ils n’eurent pas honte d’avoüer, mais qu’ils ſe garderent bien de reprendre quand le danger fut paſſé : Rien ne leur paroiſſant plus injuſte & plus contraire au bien public que d’entretenir les peuples dans une fauſſe ſecurité contre une maladie, dont les ſuites ſont ſi funeſtes, ne pouſſons pas plus loin nos réflexions ſur une matiere qui va bien-tôt revenir.

Le Public attendoit cependant des uns & des autres qu’occupés d’une ſeule maladie, ils ſe réuniroient pour convenir entre eux de la maniere de la traiter. Qui le croira ? Que douze Medecins aïent été raſſemblés près de dix mois dans une Ville pour le traitement d’une ſeule maladie, ſans avoir jamais daigné ſe réünir & conferer enſemble pour trouver, ſi non la veritable cauſe du mal, au moins un remede efficace, ou pour fixer la veritable methode de le traiter. On les voïoit au contraire ſe partager en diverſes bandes & former pour ainſi-dire, differentes ſectes ; Le public fut d’autant plus ſcandaliſé de cette diviſion, qu’il avoit vû au commencement du mal les Medecins de la Ville s’aſſembler tous les ſoirs aux Capucins avec leurs Chirurgiens pour ſe communiquer leurs obſervations. Ils ont même tenté dans la ſuite de faire cette réunion avec les Etrangers, qui l’ont toûjours refuſée ; Ceux mêmes qui auroient dû la menager l’ont toûjours rejettée, gardant en cela une conduite bien contraire aux avis & aux ordres du celebre Medecin pour lequel ils ont marqué tant de deference, & qu’ils déclarent dans leur Livre avoit choiſi pour guide.