Relation historique de la peste de Marseille en 1720/16-1

 : Observations en fin de livre.
Pierre Marteau (p. 280-292).
Bref du Pape à l’Évêque de Marseille


BREF DE N. S. PERE

LE PAPE

A M. L’EVEQUE DE MARSEILLE.


A Nôtre Vénérable Frere HENRY Evêque de Marſeille
CLEMENT P. P. XI.



NÔTRE Venerable Frere Salut & Benediction Apoſtolique. Nôtre affection particuliere & nôtre tendreſſe paternelle pour vôtre Ville, nous a fait reſſentir une vive & juſte douleur en aprenant par les nouvelles publiques qu’elle eſt affligée par la Peſte. Quoyque nous craignions que les péchés des hommes & les nôtres principalement n’ont pas peu contribué à cette calamité, puiſque le Seigneur a coûtume de ſe ſervir de ces ſortes de fleaux pour faire éclater d’une maniere indubitable ſa colere contre les peuples ; Cependant nôtre Cœur affligé n’a pas été peu conſolé dans la penſée que cette même Ville eſt gouvernée par un Evêque plein de probité, de vigilance, de pieté & de zéle qui ne manquera pas non-ſeulement de procurer exactement à ceux qui ſeront atteins de cette maladie, tous les ſecours ſpirituels & temporels qui pourront dépendre de luy ? Mais qui encore dans ces jours de colere faiſant la fonction de reconciliateur, fera tous ſes efforts pour détourner l’indignation divine par ſes pieuſes & ferventes Prieres. Cette idée avantageuſe que nous avions conçûë de vous a pleinement été confirmée, par tout ce que nous avons entendu dire, par les lettres de pluſieurs perſonnes, & même par celle que vous avez écrit le quatriéme du mois d’Aouſt, à Notre Cher Fils de Gay Chanoine Penitentier d’Avignon, que l’on nous a fait voir depuis peu de jours, c’eſt par toutes ces lettres que nous avons appris qu’à l’exemple du bon Paſteur vous êtes prêt de donner vôtre vie pour vos brebis confiées à vos ſoins, de viſiter même ſouvent ceux qui ſont frapés de peſte, de les conſoler avec une tendreſſe paternelle, de les exciter par des avis convenables à leur état d’avoir recours à la Divine bonté pour en obtenir le pardon de leurs pechez, de leur adminiſtrer vous même de vos propres mains les Sacremens de l’Egliſe, & qu’à l’égard de ceux qui ont moins à ſouffrir de la maladie que de la faim, vous recherchez tous les moïens de leur fournir les alimens neceſſaires pour la conſervation de leur vie, & enfin que vous rempliſſez parfaitement tous les devoirs d’un bon & très vigilant Evêque. Nous ſommes donc remplis de conſolation & pénétré de joye en vous voyant animé de cette parfaite Charité qui ne connoît point de peril, qui dans un temps auſſi neceſſaire fait que vous ne fuyés aucune peine, que vous n’évitez aucun des dangers inſeparables de la Contagion, & que vous n’étes point arrêté par la crainte d’une mort qui a paru à la pieté des premiers Fideles n’être guere moins glorieuſe que le martyre lorſque l’on s’y eſt volontairement expoſé par les motifs d’une veritable pieté & d’une foy accompagnée de force & de courage. C’eſt ce qui nous fait croire que Dieu a envoyé cette funeſte Contagion, & afin que les contumaces ſentant la peine du péché ſoient forcés à baiſſer enfin leurs têtes orgüeilleuſes & à rendre à ce St. Siège l’obéiſſance qu’ils luy doivent ; & afin que vous ayez vous-même un plus vaſte champ d’exercer votre ſinguliere vertu & d’augmenter vos merites. Mais comme la ſollicitude Pontificale exige de nous que nous ne nous contentions pas de vous donner les loüanges que vous méritez en rempliſſant ſi dignement le devoir Paſtoral ; Mais que ſans attendre que vous nous en priés nous donnions à vôtre zéle tous les ſecours. Spirituels & Temporels qui dependent de nous, ouvrant les Treſors de l’Egliſe, dont le Très-Haut a confié la diſpenſation à nôtre humilité. Nous avons accordé dans les preſentes neceſſités pluſieurs Indulgences au Clergé & au peuple commis à vos ſoins, comme vous le verrez plus amplement dans le Bref particulier qui vous ſera remis avec celuy-cy. Nous avons outre cela ordonné que l’on achetat de nos deniers & que l’on vous envoyât le plûtôt qu’il ſera poſſible environ deux mille Boiſſeaux ou Roubiés de Froment meſure Romaine, afin que vous puiſſiez comme vous le jugerez à propos le diſtribuer gratis aux Pauvres comme un témoignage de nôtre tendreſſe paternelle. Nous ne ceſſerons au reſte de conjurer avec humilité le Dieu tout-puiſſant de faire reſſentir au plutôt à vôtre Troupeau les effets de ſes Miſericordes, leſquelles en banniſſent puiſſamment toutes ſortes d’erreurs, & les delivrent de tout ce qui peut cauſer ſa perte. En vous ſouhaitant enfin de tout notre cœur nôtre Venerable Frere le ſecours continuel de la grace de Dieu nous vous donnons avec tendreſſe nôtre Benediction Apoſtolique. Donné à Rome à Sainte Marie Majeur ſous l’anneau du Pecheur le 14. jour de Septembre 1720, & de Nôtre Pontificat le vingtieme.

JEAN CHRISTOPHLE
Archevêque d’Amaſie,


Autre Bref à Nôtre Venerable Frere l’Evêque de Marſeille CLEMENT Pape. XI.



NOtre Venerable Frere Salut & Benediction Apoſtolique. Ayant apris avec une très ſenſible douleur que la peſte eſt dans vôtre Ville de Marſeille & peut-être dans d’autres lieux de vôtre Dioceſe, & comme il eſt à craindre ce qu’à Dieu ne plaiſe, que la Contagion ne paſſe encore dans d’autres endroits du même Diocéſe, Nous voulant contribuer à la conſolation ſpirituelle & au ſalut de ceux qui ſont frapez de Peſte ou qui le ſeront dans la ſuite, (ce que nous ſoûhaittons ne pas arriver) ainſi qu’à la conſolation & au ſalut de ceux qui ſerviront ces ſortes de malades, nous confiant en la Miſericorde du Dieu tout-puiſſant & à l’Autorité de ſes bien-heureux Apôtres Pierre & Paul, Nous accordons Indulgence pleniere de tous leurs pechez à tous les Fideles de l’un & de l’autre ſexe de la Ville & du Diocéſe de Marſeille qui ſeront infectez de peſte, (ce que nous prions la bonté Divine de ne pas permettre,) Nous accordons une ſemblable Indulgence aux Prêtres qui adminiſtreront les Sacrements aux Peſtiferez ou à ceux qui ſont ſoupçonnez de l’être, aux Medecins, Chirurgiens qui travailleront à leur guériſon, à tous ceux qui donneront du ſecours à ces malades dans leurs neceſſitez, aux ſages femmes qui aſſiſteront dans leur accouchement les femmes atteintes de Peſte ou ſoupçonnées de l’être, aux nourrices qui allaiteront leurs Enfans, à ceux qui conduiront des perſonnes qui ont la peſte ou qui en ſont ſoupçonnées aux Hôpitaux, aux petites Habitations ou autres lieux deſtinez ou qui le ſeront pour en avoir ſoin, à ceux auſſi qui porteront à la ſepulture les Corps de ces ſortes de perſonnes ou qui les enſeveliront, & enfin à tous les Fideles de l’un & de l’autre ſexe qui donneront aux peſtiferez ou à ceux qui ſont ſoupçonnez de l’être à manger ou à boire, ou leur rendront quelqu’autre ſervice neceſſaire ; à ceux qui les viſiteront & conſoleront, ou qui auront ſoin d’eux de quelle maniere que ce puiſſe être pour le Spirituel ou Temporel, ou qui exerceront envers eux quelqu’œuvre de miſericorde une fois la ſemaine, ſi étant veritablement Penitens & Confeſſez & ayant reçû la Sainte Communion, ils recitent le Chapelet ou la troiſiéme partie du Roſaire de la bienheureuſe Vierge Marie, ou les ſept Pſeaumes Penitentiaux. Nous accordons auſſi dans le Seigneur Indulgence pleniere & remiſſion de leurs pechez à l’Article de leur mort à ceux qui frapez de peſte veritablement Penitens après s’être Confeſſez & avoir reçû la Ste. Communion, ou s’ils ne le peuvent faire étant au moins contrits invoqueront de bouche ou s’ils ne le peuvent au moins interieurement le Sacré nom Jeſus. Voulant encore tirer des Treſors de l’Egliſe & donner aux morts les ſecours convenables ; Nous accordons que toutes les fois que quelque Prêtre que ce ſoit, Séculier ou Régulier, dira à un des Autels que vous aurez déſigné dans la Ville ou dans le Dioceſe de Marſeille, la Meſſe pendant le tems de la contagion, pour le repos de l’ame de quelque Fidéle que ce ſoit, décedé de peſte, & détenu en Purgatoire, il gagne Indulgence par voie de ſuffrage, en ſorte que par les merites de Jeſus-Chriſt, de la Bienheureuſe Vierge Marie, & des Saints, il ſoit délivré des peines du Purgatoire. Dérogeant en tant que de beſoin à nôtre Conſtitution de non concedendis indulgentiis ad inſtar, & à toute autre Conſtitution & Ordonnance Apoſtolique qui y ſoit contraire. Les préſentes valables ſeulement pour ſix mois, à compter du jour de leur publication, & ſeulement pendant que la contagion durera. Donné à Rome à Ste. Marie Majeur, ſous l’Anneau du Pécheur, le 15. jour de Septembre 1720. de nôtre Pontificat le 20.

F. CAROL. OLIVIERI.



HEnry François Xavier de Belſunce de Caſtelmoron, par la Providence Divine, & la grace du St. Siége Apoſtolique, Evêque de Marſeille, Abbé de Nôtre-Dame des Chambons, Conſeiller du Roy en tous ſes Conſeils : Au Clergé Séculier & Regulier de cette Ville, Salut & Benediction en Nôtre-Seigneur Jeſus-Chriſt.

Les Prêtres tant Seculiers que Reguliers pourront gagner l’Indulgence accordée pour les Morts par Nôtre St. Pere le Pape, en diſant la Meſſe dans nôtre Cathedrale à l’Autel du St. Sacrement, & dans toutes les Egliſes des Parroiſſes & des Communautés de cette Ville, au Maître Autel. Dans les Egliſes des Parroiſſes des Succurſales ou des quartiers du reſte de nôtre Dioceſe également au Maître Autel. Dans la Ville de la Ciotat au Maître Autel de la Parroiſſe, & à celui des Peres Capucins & Minimes, & dans celle d’Aubagne à celui de la Parroiſſe & des Obſervantins ſeulement. Nous conjurons tous les Prêtres de nôtre Dioceſe Seculiers & Reguliers, de profiter de cette occaſion, pour procurer la délivrance de tant de milliers de perſonnes qui ſont mortes pendant cette contagion, & pour leſquelles on ne ſonge pas encore à faire faire aucune priere. Nous leur recommandons expreſſement de demander à Dieu dans leurs prieres la conſervation du Saint & Charitable Pontife, dont nous recevons dans ce jour de larmes & de déſolation des marques de bonté ſi conſolantes, ſi précieuſes pour nous, ſi avantageuſes & ſi honnorables pour Marſeille. NOUS Ordonnons enfin à tous les Prêtres de nôtre Dioceſe Seculiers ou Reguliers, de dire chaque ſemaine une fois lorſqu’il y aura un jour libre la Méfié pro vitanda mortalitate, qu’ils trouveront dans le Miſſel. Donné à Marſeille le 9. Octobre 1720.

Henry Evêque de Marſeille.

La contagion cependant continuë ſes ravages pendant tout Septembre, & ſi ſur la fin de ce mois elle ſemble s’adoucir, c’eſt que bientôt elle ne trouve plus rien à dévorer. Les familles ſont déja fort éclaircies, la plûpart des maiſons déſertes, & le peuple effrayé de tant de malheurs, ſe reſſerre plus que jamais. On commence pourtant à voir quelques perſonnes dans les ruës, mais ce ſont des malades échapés à la fureur du mal, & qui ſont obligés de ſortir, pour aller prendre leurs neceſſités : ils vont tous boitants, s’apuyant ſur un bâton avec des viſages pâles & défaits, marchant d’un pas lent, & contraints de s’arrêter de tems en tems pour reprendre des forces. C’eſt ici un changement de décoration dans toute la Ville, non moins pitoyable que la premiere. L’un ſe plaint d’être reſté ſeul de toute ſa famille, l’autre d’avoir perdu ſon pere & ſa mere, ceux-ci de n’avoir pû conſerver aucun de leurs enfants ; chacun tâche d’exciter la pitié des autres par le récit de ſes pertes & de ſes diſgraces, & tous s’en conſolent par le plaiſir qu’ils ont d’être échapés. Une heureuſe prévention ſe répandit alors que cette maladie n’étoit pas ſujette aux rechûtes, & que ceux qui en avoient été guéris, ne pourroient plus la reprendre : nous dirons dans la ſuite ce qu’il en eſt. Cette opinion publique procura de nouveaux ſecours à nos malades ; car ceux qui étoient rechapés, ſe livrerent librement à ſervir les autres malades. Il eſt vrai qu’ils les faiſoient rançonner ; mais que ne donneroit-on pas quand on eſt dans cet état ? Tous ces nouveaux ſecours releverent les courages abatus, ranimerent la confiance, & les malades commencerent d’être ſecourus. Ainſi finit avec le mois de Septembre le ſecond periode de cette peſte ſi terrible, par les plus cruelles déſolations dans les familles, & par la plus affreuſe mortalité dans toute la Ville.