Traduction par H. Ternaux-Compans.
Arthus Bertrand (p. 259-261).

CHAPITRE XXXIII.


Nous voyons des traces de chrétiens.


Aussitôt que nous eûmes aperçu des indices certains de la présence des chrétiens, et que nous sûmes qu’ils étaient si près de nous, nous rendîmes au Seigneur des grâces infinies, pour avoir daigné nous retirer d’une captivité si cruelle et si misérable. Chacun, en réfléchissant au temps que nous étions restés dans ce pays, ainsi qu’aux dangers et aux maux que nous avons éprouvés, peut se faire une idée de la joie que nous en ressentîmes. Le soir je priai un de mes compagnons d’aller à la recherche des chrétiens qui s’éloignaient du pays que nous quittions. Chacun d’eux refusa de le faire, disant que c’était trop fatigant et trop dangereux ; ils pouvaient cependant s’acquitter mieux que moi de cette commission, puisqu’ils étaient plus vigoureux et plus jeunes. Voyant leur mauvaise volonté, le lendemain matin je pris avec moi le nègre et onze Indiens, je suivis les traces des chrétiens, et je traversai trois villages où ils avaient dormi. Je fis dix lieues ce jour-là. Le lendemain je rencontrai quatre chrétiens à cheval qui furent tout stupéfaits de me voir vêtu d’une manière si étrange et au milieu de ces Indiens. Ils me regardèrent pendant longtemps avec tant d’étonnement qu’ils ne proféraient aucune parole. Je leur dis de me conduire à leur chef, et nous nous rendîmes à une demi-lieue de là, où était Diégo de Alcaraz, leur capitaine. Dès que je lui eus parlé, il me dit qu’il ne savait que faire, que depuis longtemps il n’avait pu prendre des Indiens, qu’il ne savait où aller parce que ses gens commençaient à souffrir de la famine. Je lui dis que Dorantès et Castillo étaient à dix lieues de là, avec beaucoup de monde que nous amenions avec nous. Aussitôt il leur expédia trois cavaliers et cinquante Indiens : le nègre servit de guide. Je lui demandai de certifier l’année, le mois et le jour où il m’avait trouvé, et dans quel état ; ce qu’il fit. Depuis cette rivière jusqu’à la ville des chrétiens nommée Sant-Miguel, chef-lieu du gouvernement de la province de la Nouvelle-Galice, on compte trente lieues.