Traduction par H. Ternaux-Compans.
Arthus Bertrand (p. 241-247).

CHAPITRE XXXI.


Nous voyageons dans la direction du maïs.


Après deux journées de halte, nous nous déterminâmes à chercher le pays du maïs. Nous ne voulûmes pas prendre la route où les Indiens tuent leurs vaches, parce que c’était vers le nord, et cela nous aurait fait faire un grand détour. Nous étions persuadés qu’en marchant continuellement vers le couchant, nous parviendrions où nous voulions aller. Nous traversâmes toute la contrée jusqu’à la mer du Sud. La crainte de la famine ne nous détourna pas de ce dessein ; en effet, nous souffrîmes beaucoup de la faim pendant les dix-sept jours dont on nous avait parlé. Tout le long de la rivière, les habitants nous donnèrent beaucoup de manteaux en cuir de vache. Nous ne mangeâmes pas des fruits dont il a été question : nous ne vivions que d’une poignée de graisse de cerf que nous avions gardée pour le moment des privations. Enfin nous traversâmes la rivière, et nous marchâmes encore pendant dix-sept jours. Au coucher du soleil, nous arrivâmes dans de grandes vallées, au milieu de montagnes très-élevées. Nous parvînmes chez une peuplade qui, pendant le tiers de l’année, ne vit que de poudre de paille, et comme c’était dans cette saison-là que nous y passâmes, nous fûmes obligés de nous en nourrir comme eux. Nous trouvâmes ensuite des maisons fixes, où il y avait beaucoup de maïs en réserve. On nous fit présent d’une grande quantité de farine, de calebasses, de haricots et de beaucoup d’étoffes en coton. Nous donnâmes tous ces objets à ceux qui nous accompagnaient ; et ils en furent on ne peut plus satisfaits. Nous remerciâmes vivement le Seigneur de nous avoir conduits dans un pays si riche en vivres. Plusieurs de ces maisons étaient construites en terre ; d’autres en nattes de roseau. De là nous fîmes cent lieues dans l’intérieur : nous trouvions toujours des maisons fixes, du maïs et des haricots. Les naturels nous donnèrent beaucoup de cerfs, d’étoffes de coton meilleures que celles de la Nouvelle-Espagne, des coquillages, des coraux qui viennent de la mer du Sud, un grand nombre de turquoises que les Indiens se procurent dans le Nord ; enfin ils nous apportaient tout ce qu’ils possédaient. Ils me firent présent de cinq émeraudes dont ils avaient fait des flèches qui leur servent dans leurs danses et dans leurs divertissements. Comme elles me parurent très-belles, je leur demandai où ils se les étaient procurées, ils me dirent qu’ils les avaient eues dans des montagnes fort élevées qui sont vers le Nord : qu’ils les achetaient pour des panaches et des plumes de perroquets. Suivant eux, ces montagnes étaient fort peuplées, et il y avait des maisons fort grandes. Nous remarquâmes que dans ce pays les femmes étaient traitées avec plus d’égards que dans tout autre endroit des Indes que nous avions vu. Elles portent des chemises de coton qui leur descendent jusqu’aux genoux, avec des demi-manches qui pendent à terre, et qui sont faites en peau de cerfs sans poil. Elles les lavent avec des racines dont l’odeur est très-forte, par ce moyen elles les conservent très-propres. Ces chemises sont fendues par devant ; elles s’attachent avec des courroies. Ces Indiens portent des souliers. Tous venaient vers nous pour que nous les touchassions et que nous fissions sur eux le signe de la croix, et ils étaient si importuns, que nous avions bien du mal à endurer leurs obsessions. Qu’ils fussent malades ou bien portants, nous étions toujours obligés de les bénir. Il arrivait souvent que les femmes qui nous suivaient, mettaient au monde des enfants. Aussitôt ils prenaient le nouveau né, et nous l’apportaient pour le faire toucher et nous faire faire sur lui le signe de la croix. Ils nous accompagnaient toujours jusqu’à ce qu’ils nous eussent confiés à d’autres naturels. Toutes ces peuplades étaient fermement persuadées que nous venions du ciel. Lorsque nous étions en marche, nous restions toute la journée sans prendre de nourriture, et le soir nous mangions si peu qu’ils en étaient étonnés. Jamais ils ne s’aperçurent que nous étions fatigués, et en vérité nous étions si accoutumés au mal, qu’à peine y étions-nous sensibles. Nous les traitions avec beaucoup de réserve et d’autorité ; pour cela nous ne leur parlions que rarement. Le nègre était toujours chargé de s’entendre avec eux ; c’était lui qui prenait des informations sur la route que nous voulions suivre, sur les peuplades et sur tout ce que nous voulions savoir. Nous traversâmes beaucoup de nations différentes, et Dieu ne cessa de nous protéger ; car toujours nous les entendions et nous nous faisions comprendre. Nous nous exprimions par signes, ces gens nous répondaient de même, et avec autant de facilité que s’ils avaient parlé notre langue et nous la leur. Nous en connaissions six, mais nous ne pouvions pas nous en servir dans tous les endroits ; puisque nous en trouvâmes plus de mille différentes dans toute cette contrée.

Ceux qui étaient en guerre faisaient à l’instant la paix pour venir nous recevoir et nous porter tout ce qu’ils possédaient, si bien que nous les laissâmes tous en paix. Nous leur fîmes entendre par signes qu’il y avait dans le ciel un être que nous appellions Dieu, qu’il avait créé le ciel et la terre, que nous l’adorions et le regardions comme notre maître, que toutes les bonnes choses venaient de lui, que nous lui obéissions, et que, s’ils faisaient de même, ils s’en trouveraient fort bien. Nous découvrîmes de si bonnes dispositions chez ces gens-là, que si nous avions pu nous faire comprendre parfaitement, nous les aurions convertis. Nous nous expliquâmes le mieux possible, et par la suite, au lever et au coucher du soleil, ils poussaient de grands cris, élevaient les mains au ciel, et touchaient tout le corps. Ce sont des gens bien faits, très-intelligents et propres à tout.