Traduction par H. Ternaux-Compans.
Arthus Bertrand (p. 195-199).

CHAPITRE XXVI.


Des différentes nations et de leurs langues.


Je parlerai aussi des nations de la Foride, que l’on trouve depuis l’ile de Malhado jusqu’à l’extrémité, et de leurs langages. Dans l’île de Malhado sont deux peuplades, l’une est celle des Caoques, et l’autre se nomme Han. Sur le continent, en face de l’île, vivent les Chorucos, qui tirent leur nom des forêts qu’ils habitent ; plus loin, sur la côte, sont d’autres naturels nommés Doguènes : en face de ceux-ci habitent les Mendicas, et plus avant sur la côte les Quévènes. Les Marianes demeurent dans l’intérieur de la terre ferme, et en face de ces derniers, en s’avançant le long de la côte, on arrive chez les Guaycônes. Les Yguazes habitent la terre ferme, en face des Guaycônes : plus loin sont les Atayos ; après les Acubadaos, qui sont très-nombreux, près des chemins qui conduisent plus avant. Les Quitoles occupent le rivage : et en face d’eux, sur le continent, sont les Avavares ; à ceux-ci se joignent les Maliaconès, les Cutalchiches, les Susolas et les Camos. Les Camoles demeurent au delà sur la côte, et plus loin encore est une autre peuplade, à laquelle nous donnions le nom de gens des Figues (Los de los Iligos).

Toutes ces nations ont des habitations, des villages et des langues différentes. Il y en a une dans laquelle regarde ici se dit : arre acà[1], un chien, xo. Dans toute cette contrée ils s’enivrent avec une fumée qu’ils achètent au prix de toutes leurs richesses. Ils boivent une liqueur qu’ils fabriquent avec les feuilles d’un arbre qui ressemble à l’yeuse. Ils les font bouillir dans des pots qu’ils remplissent d’eau. Lorsqu’elles ont jeté deux bouillons, ils transvasent l’eau et la laissent refroidir dans une calebasse coupée par le milieu ; mais, si elle est très-écumeuse, ils la boivent aussi chaude que possible. Depuis le moment qu’ils la retirent du vase, ils poussent des cris continuels, en disant : qui veut boire. Aussitôt que les femmes entendent ces cris, elles s’arrêtent sans oser dire une parole, quand même elles seraient chargées d’un fardeau pesant, et si par hasard quelques-unes d’elles fait un mouvement, ils l’outragent, lui donnent des coups de bâtons, et jettent avec chagrin la boisson qu’ils allaient boire. Ils rendent même ce qu’ils ont déjà bu, et cela avec beaucoup de facilité et sans la moindre douleur. Voici la raison qu’ils donnent de cet usage : ils prétendent que si, lorsqu’ils désirent boire cette eau, les femmes se dérangent de la place où elles sont, lorsqu’ils crient, cette boisson prend une mauvaise qualité et les fait bientôt mourir. Pendant tout le temps qu’on prépare cette boisson, il faut que le vase soit fermé ; si par hasard il est ouvert, et qu’une femme vienne à passer, ils l’abandonnent sans en boire. Cette liqueur est jaunâtre ; ils en boivent pendant trois jours sans manger ; la consommation d’un Indien est environ d’un arobe et demi par jour. Quand les femmes sont dans leurs jours critiques, elles ne vont chercher de la nourriture que pour elles seules, et personne autre n’y touche. Chez eux je fus témoin d’un fait diabolique : je vis un homme qui était marié avec un autre, je vis aussi d’autres hommes mariés de même à d’autres hommes efféminés ; ils étaient vêtus comme des femmes, et faisaient l’ouvrage des femmes ; ils tiraient de l’arc et portaient de très-grands fardeaux ; nous avons vu beaucoup de ces espèces d’hommes efféminés, ils sont plus membrus que les autres, plus grands, et portent des charges très-pesantes.

  1. C’est sans doute parce que ces mots ressemblent au cri des muletiers espagnols que l’auteur les cite.