Traduction par H. Ternaux-Compans.
Arthus Bertrand (p. 89-91).

CHAPITRE XI.


De ce qui arriva à Lope d’Oviédo avec des Indiens.


Aussitôt que notre monde eut mangé, j’envoyai auprès de Lope d’Oviédo, qui avait des hommes en plus grand nombre que nous et plus forts, pour lui dire de gagner des arbres qui étaient près de là et d’y faire monter pour observer le pays, ce qu’il fit. Il reconnut que nous étions dans une île : le sol paraissait creusé comme dans les endroits où paissent les troupeaux, ce qui lui fit croire que nous nous trouvions dans un pays habité par des chrétiens, et il me l’envoya dire. Je lui recommandai d’observer avec plus d’attention, et de remarquer s’il n’y avait pas de chemin tracé, sans néanmoins trop s’éloigner dans la crainte de dangers. Il trouva un sentier qu’il suivit pendant une demi-lieue, et il arriva à des cabanes d’indiens dont les maîtres étaient aux champs. Il y prit un grand pot, un petit chien et un peu de poisson, et il retourna sur ses pas. Voyant qu’il tardait à venir, j’envoyai deux chrétiens pour le chercher, et voir ce qui lui était arrivé : ils le rencontrèrent à peu de distance. Ils remarquèrent trois Indiens qui le suivaient en l’appelant, lui-même leur faisait des signes pour les engager à s’approcher. Quand il fut arrivé où nous étions, les Indiens s’assirent à quelques distances de nous, sur le bord du rivage. Une demi-heure après, cent autres Indiens armés d’arcs et de flèches, et que la peur nous faisait paraître des géants, car ils pouvaient bien ne pas être d’une taille extraordinaire[1], s’arrêtèrent près de nous dans l’endroit où étaient les trois premiers Indiens. Il n’y avait pas à penser à se défendre ; car à peine six des nôtres pouvaient-ils se tenir sur pied. Le contrôleur et moi nous allâmes près d’eux, nous les appelâmes, et ils s’approchèrent ; nous fîmes tous nos efforts pour les rassurer et pour nous rassurer nous-mêmes. Nous leur donnâmes des chapelets, des grelots, et chacun me remit une flèche, ce qui est un gage d’amitié. Ils nous dirent que le lendemain matin ils viendraient nous apporter des vivres, s’excusant de ce qu’ils n’en avaient pas alors.

  1. Ceux qui nous ont donné des relations de la Patagonie, pourraient peut-être en dire autant.