Relation du voyage de sa majesté Charles X en Alsace/Dauphine

Madame la Dauphine à Strasbourg.

MADAME LA DAUPHINE
À STRASBOURG


Le surlendemain du départ du Roi, les habitans de Strasbourg furent agréablement surpris en apprenant que, trois jours après, ils auraient le bonheur de posséder dans leurs murs S. A. R. Mme la Dauphine.

Cette heureuse nouvelle leur fut annoncée par la proclamation suivante de M. le maire :

S. A. R. Mme la Dauphine arrive dans nos murs le 14 de ce mois. Elle y séjournera le 15, et en repartira le 16.

Cette Princesse veut qu’il ne lui soit fait aucune réception, et qu’aucune autorité ne vienne au-devant d’Elle.

S. A. R. arrivera le 14 vers cinq heures de l’après-midi, venant de Saverne.

Les édifices publics seront décorés et pavoisés : les habitans des rues situées sur le passage de S. A. R., aimeront aussi, je n’en doute pas, à orner de la même manière la façade de leurs maisons.

Les 14 et 15 au soir, les édifices publics seront illuminés : la bonne volonté des habitans s’associera encore dans cette occasion au zèle de leurs magistrats.

Le 16 au matin, S. A. R. se mettra en route pour Metz.

Les témoignages unanimes d’ivresse et de dévouement que mes concitoyens ont fait éclater, il y a peu de jours, en présence du Roi et de son auguste Fils, ne seront pas moins vifs à la vue de la Petite-fille de Marie-Thérèse : offrons-lui donc, au lieu des honneurs auxquels sa modestie veut se soustraire, l’hommage de notre amour, de notre vénération ; et que de toutes parts retentissent sur ses pas ces acclamations d’alégresse que sa présence excite dans tous les cœurs.

L’arrivée de l’auguste Fille de Louis XVI, de l’Épouse du digne et loyal Héritier de la couronne, devait produire le même enthousiasme que l’arrivée du Roi avait fait naître en Alsace ; il suffira donc de dire que le même empressement, les mêmes acclamations, les mêmes cris de joie qui avaient eu lieu huit jours avant, se renouvelèrent depuis Saverne jusqu’à Strasbourg.

S. A. R. fit son entrée dans cette ville le 14 Septembre à trois heures et demie de l’après-midi. Le temps était superbe ; et toutes les maisons étaient décorées et pavoisées comme au moment de l’arrivée du Roi ; mais la foule n’était pas aussi grande qu’elle l’aurait été, si S. A. R. n’était pas arrivée beaucoup plus tôt qu’Elle ne l’avait annoncé. Mad. la Dauphine se rendit immédiatement au château royal, où Elle trouva S. A. R. le margrave Léopold de Bade, et la princesse Sophie son épouse, qui étaient arrivés de Carlsrouhe pour la complimenter ; et Elle y reçut les autorités civiles et militaires, ainsi que Mgr l’évêque, qui eut l’honneur de lui adresser le discours suivant :

Madame,

J’ai l’honneur de présenter à Votre Altesse Royale mes grands-vicaires, MM. les chanoines de mon chapitre et les curés de Strasbourg, qui, nourris comme leur évêque dans l’amour du Roi et de son auguste famille, ont puisé dans les doctrines religieuses les vraies, les solides notions de la monarchie, dont la perpétuité, essentiellement liée avec le bonheur de la France, sera toujours l’objet de leurs vœux et de leurs prières.

Après les réceptions, Mad.e la Dauphine voulut bien se montrer sur le balcon du château, et voir défiler sur la terrasse les cultivateurs qui lui avaient servi d’escorte et qui accompagnaient de nombreux chariots élégamment ornés et occupés par de jeunes et jolies villageoises.

À six heures, S. A. R., qui avait invité le margrave Léopold et la princesse son épouse à dîner avec Elle, se mit à table, et daigna y admettre les principaux fonctionnaires civils et militaires, Mgr l’évêque et les colonels des régimens en garnison à Strasbourg.

Mad.e la Dauphine se rendit ensuite au spectacle. Une société brillante s’y trouvait réunie. Les plus vives acclamations accueillirent l’auguste Princesse, qui daigna rester jusqu’à la fin de la représentation, composée de la Visite à Bedlam et du Nouveau Seigneur de village. Entre les deux pièces on répéta la cantate de M. de Besancenet, chantée devant le Roi (page 79)[1], et à laquelle l’auteur avait ajouté le couplet suivant :

Mais déjà notre impatience
Voit encor renaître un beau jour.
Fille des Rois, par ta présence,
Tu nous rends nos transports d’amour.

Présent des Dieux, chère et noble famille,
Nos bras, nos cœurs, nos remparts sont à toi ;
Ah ! des Bourbons Strasbourg a vu la Fille !
  Strasbourg a vu son Roi !

Les acclamations furent si vives lorsque l’acteur chanta ce dernier couplet, que S. A. R. se leva spontanément et salua l’assemblée avec une grâce infinie. L’enthousiasme fut alors porté à son comble.

À la sortie du théâtre, Mad.e la Dauphine fut accueillie par les mêmes acclamations. Une illumination générale et brillante remplaçait la clarté du jour et permit à S. A. R. de voir une immense population qui se portait avec empressement sur son passage, et qui faisait retentir l’air de ses accens d’amour.

Le lendemain 15, à neuf heures du matin, Madame se rendit à la cathédrale, où l’on exécuta une messe en musique. Après l’office, S. A. R. examina l’intérieur de cette antique et vaste basilique, et malgré le mauvais temps, Elle monta sur la plate-forme.

Au sortir de l’église, S. A. R. rendit une visite à la margrave Léopold, qui était descendue à l’hôtel de l’Esprit ; et ensuite, accompagnée de cette princesse pour laquelle Elle n’a pas cessé un seul instant d’avoir les égards les plus délicats et les plus touchans, Elle alla voir le mausolée du maréchal de Saxe, au temple Saint-Thomas.

Mad.e la Dauphine se rendit ensuite à l’hospice civil, où Elle fut reçue à la porte d’entrée par M. le préfet.

M. le maire lui présenta la commission administrative des hospices, les employés en chef, ainsi que les médecins et les chirurgiens de l’hôpital civil et de l’hospice des orphelins.

L’entrée de S. A. R. se fit au son des cloches de l’hospice, et aux cris de Vive Madame la Dauphine ! vivent les Bourbons ! répétés de toutes parts par la population de cet établissement et par les nombreux assistans.

Deux haies de pauvres et d’orphelins, proprement vêtus, étaient placées depuis la porte d’entrée principale jusqu’au troisième portail, donnant entrée à la chapelle. S. A. R. traversa la cour à pied et salua avec bonté cette foule de pauvres qui ne cessaient de lui témoigner leur vive reconnaissance par des cris de joie.

Après avoir fait sa prière, S. A. R. se rendit, ainsi que l’avait fait Sa Majesté, dans les salles de l’hospice, qu’Elle parcourut toutes en adressant aux malades les paroles les plus consolantes. L’un d’eux, auprès duquel Mad.e la Dauphine s’était arrêtée, dit à la Princesse, que son esprit était bien plus affecté que son corps ; que le chagrin le minait, parce qu’il devait un loyer qu’il ne pouvait payer. Mad.e la Dauphine s’informa du montant de la dette, et fit remettre immédiatement au malade la somme nécessaire pour l’acquitter.

S. A. R. visita ensuite la pharmacie, la lingerie, la dépense et la cuisine ; Elle goûta le pain et le bouillon, et témoigna sa satisfaction à MM. les administrateurs et au directeur de l’hospice.

M. le maire donna à S. A. R. des renseignemens généraux sur la création de nos établissemens de charité ; et M. l’administrateur Stribeck eut également l’honneur de l’entretenir sur les ressources et les intérêts des diverses maisons qui en dépendent.

Mad.e la Dauphine adressa ensuite plusieurs questions remplies de bonté à MM. les administrateurs, à MM. les médecins et au directeur de l’hospice civil, sur les différentes parties du service intérieur.

S. A. R. visita le réfectoire des sœurs de charité, où ces dames s’étaient réunies ; Elle daigna leur adresser des éloges sur la bonne tenue des malades et des pauvres, et les exhorta à continuer ainsi.

À la sollicitation de M. le maire, Mad.e la Dauphine voulut bien signer le procès-verbal de sa visite, qui fut ensuite signé par le margrave de Bade et par son épouse.

S. A. R. reçut dans la dernière salle des malades les dames de la société maternelle, présidées par Mesd.es Esmangart et de Kentzinger, et Elle convoqua ces dames au château pour six heures du soir, afin de s’entretenir avec elles sur les moyens de soulager les pauvres de la ville.

S. A. R. quitta l’établissement après y avoir passé plus d’une heure ; Elle parut à peine dans la cour pour monter en voiture, que des cris de joie éclatèrent de toutes parts.

Avant de quitter, Mad.e la Dauphine témoigna encore une fois, à M. le maire et à MM. les administrateurs, toute la satisfaction qu’Elle avait éprouvée en visitant un établissement aussi bien tenu.

Mad.e la Dauphine se rendit ensuite successivement au Temple-neuf, à la bibliothèque de la ville, à l’arsenal, à la fonderie et à l’académie ; S. A. R. examina avec une attention toute particulière le riche musée d’histoire naturelle qui s’y trouve.

Dès le moment de son arrivée à Strasbourg, Mad.e la Dauphine avait manifesté le désir d’assister aux mêmes manœuvres que les pontonniers avaient exécutées devant le Roi, et dont Sa Majesté lui avait parlé avec les plus grands éloges. Tout avait été préparé en conséquence, et dès onze heures du matin les troupes étaient à leurs postes ; mais le temps devint si mauvais, que S. A. R. fit donner contre-ordre.

À sept heures du soir, Mad.e la Dauphine se rendit au dîner qu’Elle avait daigné accepter de M. Esmangart. S. A. R. le margrave Léopold de Bade et son épouse ; les principales autorités civiles et militaires de Strasbourg ; M. Jordan, préfet du Haut-Rhin ; M. le baron de Müller, maire de Colmar[2], et leurs épouses, ainsi que plusieurs députés du département, y avaient été invités.

Immédiatement après le dîner, Mad.e la Dauphine voulut bien honorer de sa présence le bal qui lui avait été offert par la ville à la salle de spectacle. Le local était décoré comme il l’avait été pour le bal offert au Roi, et les mêmes dispositions avaient été suivies ; l’effet fut donc le même, et il frappa S. A. R. comme il avait frappé le Roi.

Aussitôt arrivée, S. A. R. fit le tour de la salle et adressa à chaque dame les paroles les plus bienveillantes ; revenue près de la loge royale, Elle ne voulut pas y prendre place, fit descendre deux fauteuils, l’un pour elle, l’autre pour la margrave de Bade, et se plaça au milieu des dames. Les danses commencèrent aussitôt ; Mad.e la margrave et son époux dansèrent plusieurs quadrilles et plusieurs valses.

Mad.e la Dauphine et sa suite se retirèrent à dix heures. Le bal continua, et fut prolongé fort avant dans la nuit.

Le lendemain, S. A. R. entendit la messe, et à six heures du matin Elle se remit en route pour Metz. Une garde d’honneur, formée spontanément et composée d’honorables citoyens, l’accompagna jusqu’à Ittenheim. Les habitans de la campagne vinrent ensuite remplacer cette escorte.

Avant son départ, Mad.e la Dauphine avait fait remettre à M. le maire 1 000 francs pour les pauvres ; 1 000 francs à la société de charité maternelle, et 500 francs à des dames faisant partie d’une société de bienfaisance.

C’est ainsi que les Princes de l’auguste famille des Bourbons savent toujours graver le souvenir de leur présence dans le cœur des peuples. Au milieu des fêtes et des hommages, ils exercent la bienfaisance ; ils l’exerçaient de même au temps de leur adversité ! Leur cœur est constamment ouvert à toutes les infortunes : aussi les bénédictions du pauvre les accompagnent-elles sur le trône, comme elles les accompagnaient dans un funeste et douloureux exil.

Maintenant, inébranlables ; forts de leur expérience, de l’amour de leurs peuples, de l’appui des lois (le plus ferme soutien des trônes), ils s’élancent avec une nouvelle vigueur vers la postérité. Après de longs siècles, la noble France célébrera encore la bienfaisance, les vertus et la gloire de leurs descendans ; après de longs siècles, elle bénira encore cette illustre dynastie, et, comme elle le fait aujourd’hui, elle élèvera encore jusqu’au ciel ce cri national, ce vœu sacré : vive le Roi ! vivent les Bourbons !

FIN.
  1. Notre intention était de donner à la suite de la Relation le recueil des pièces de poésie françaises et allemandes que le voyage du Roi et celui de Mme la Dauphine en Alsace ont inspirées ; mais l’extension donnée à l’ouvrage nous empêche de réaliser cette idée. Nous nous bornerons à indiquer les titres des morceaux de poésie qui ont été imprimés : Souvenirs du voyage de Madame la Dauphine, par M. René Trédos ; Auf den Einzug Karls des Zehnten in Straßburgs Mauern, par M. Dietz ; Seiner Majestæt Karl dem Zehnten, Kœnig von Frankreich und Navarra, bei seinem Einzug in Straßburg, par M. E. Stœber.
  2. M. le baron de Müller était venu de Colmar pour présenter à S. A. R. des exemplaires de la médaille frappée à l’occasion du séjour du Roi et du Dauphin à Colmar. S. A. R. daigna accueillir cet hommage avec une bonté toute particulière.