Relation du voyage de sa majesté Charles X en Alsace/Bas-Rhin
DÉPARTEMENT DU BAS-RHIN.
Limites du département. — Côte de Saverne et séjour de Sa Majesté dans cette ville[1].
Après avoir quitté la place de Phalsbourg, remarquable par sa situation pittoresque, par la hardiesse de ses fortifications, dont une partie fait corps avec le rocher sur lequel elles sont élevées, et par le noble courage de sa population toute guerrière, on monte successivement et presque sans s’en apercevoir, en traversant le modeste village des Quatre-Vents, jusqu’au plateau des Vosges qui sépare la Lorraine de l’Alsace.
La partie occidentale de ces montagnes, qui sert de limite au département de la Meurthe, ne présente pas ces grands et riches tableaux, ce spectacle ravissant, qu’offre le versant oriental des Vosges, qui forme le plus brillant encadrement aux fertiles plaines de l’Alsace.
Vers la Lorraine, dont le sol est lui-même très-élevé de ce côté, les Vosges s’abaissent sans grâce et pour ainsi dire sans grandeur ; on dirait qu’elles ont réservé tous leurs charmes, qu’elles ont réuni toute la puissance de leur végétation pour parer la noble et belle Alsace, qui tout à coup, et comme par enchantement, vient présenter au voyageur étonné sa riche culture et ses admirables paysages.
Pour que rien n’y manquât, l’art est venu joindre ses efforts à ceux de la nature : il a courageusement lutté contre elle et il est parvenu à vaincre l’obstacle qu’elle semblait vouloir opposer aux communications si importantes entre l’antique France et ses provinces du Rhin.[2].
Avant d’arriver à la côte de Saverne proprement dite, on rencontre un monument simple et de bon goût : c’est une fontaine avec bassin circulaire, construite en grès vosgien et ornée d’une pyramide sur laquelle le mot Alsa est gravé en lettres d’or. Les habitans se rappellent avec attendrissement qu’ils en doivent la reconstruction à l’un des administrateurs de la province, qui y a laissé les plus impérissables souvenirs, à M. Lezay de Marnésia, qui aimait tant l’Alsace et dont le nom est devenu populaire dans le département du Bas-Rhin.[3].
Une percée faite vis-à-vis la fontaine, à travers la forêt, donne un avant-goût de l’Alsace au voyageur surpris de découvrir tout à coup un immense tableau, tel que l’imagination la plus brillante de l’artiste ne pourrait le produire. Il croit être trompé par un effet d’optique, et l’action du soleil sur les vapeurs du Rhin qui terminent l’horizon, contribue encore à lui faire penser qu’il est sous le charme d’une heureuse illusion.
Absorbé dans ses douces réflexions, il chemine lentement sur la partie de la route que l’on appelle la côte de Saverne, et il admire cette belle entreprise des temps modernes, digne d’être opposée aux ouvrages des Romains. Mais bientôt les sombres forêts qui l’environnaient s’éloignent de lui, et il voit enfin se dérouler à ses yeux ce magique tableau dont il n’avait eu précédemment qu’un aperçu vaporeux, qu’il croyait pour ainsi dire n’avoir vu qu’au travers d’un prisme trompeur.
À sa droite, il aperçoit le vieux château de Greiffenstein (la roche des griffons), l’immense forteresse du Haut-Barr, appelée dans les vieilles chroniques l’œil de l’Alsace et les deux antiques manoirs des nobles Géroldseck, anciens avoués de l’abbaye de Marmoutier.[4]
À sa gauche, au fond d’une vallée sur laquelle il plonge, il entrevoit quelques hameaux aux toits rougeâtres qui, relégués au milieu des bois, commencent à animer le paysage, tandis que les murailles blanchies de deux ou trois chapelles isolées, attirent au loin l’œil vers le haut d’un rocher, et apparaissent dans l’éloignement comme une fleur solitaire que sa blancheur décèlerait à travers le feuillage.
Près de là se présentent, dans toute leur splendeur encore, les vastes cloîtres du monastère de Saint-Jean ; plus loin, et bien au-delà du célèbre pélerinage de Monswiller, les tours ébranlées du Herrenstein se font remarquer au sommet d’une haute montagne qui couvre Neuwiller. Jadis noble demeure des grands d’un autre âge, le Herrenstein fut restauré de nos jours par un des personnages marquans de l’époque, par le duc de Feltre, dont la cendre repose aujourd’hui au pied du gothique castel !
Directement devant soi, le voyageur, ébloui par l’immense variété de tout ce qui l’entoure, croit n’avoir plus qu’un pas à faire pour arriver dans Saverne, l’antique Tres Tabernæ des Romains ; mais c’est une nouvelle illusion qui vient l’abuser… Il en est loin encore, et avant d’y parvenir, il lui reste bien d’'autres enchantemens à éprouver.
Il éloigne à regret ses regards des montagnes qui l’environnent, et qui forment le premier plan de ce vaste tableau ; mais bientôt il les laisse flotter avec un nouveau plaisir sur les vastes et fertiles plaines de l’Alsace, entrecoupées de bois, de vignes et de prairies, et parsemées de villes et de grands villages, qui forment le second plan, au travers duquel le Rhin serpente et peut se voir à droite et à gauche, pendant l’espace d’environ quarante lieues, en présentant à l’œil étonné l’effet d’un ruban d’argent négligemment jeté sur un tapis de verdure.
Enfin, au centre du tableau, et tranchant distinctement sur le rideau bleuâtre que présente la vaporeuse chaîne des Montagnes-Noires qui bornent l’horizon, l’antique et noble flèche de la tour de Strasbourg se découvre pour la première fois à l’œil nu, pour peu que le temps soit serein, et bien qu’elle soit encore à dix lieues de distance.[5]
Tel est le spectacle enchanteur que présente journellement la côte de Saverne. Il est facile de s’imaginer dès-lors combien cet admirable tableau s’est embelli au moment où une nombreuse population se pressait sur tous les points de cette sinueuse route ; où des milliers de cavaliers et de piétons, dans le costume si pittoresque du pays, portant presque tous de petits drapeaux blancs et des écharpes de même couleur, se pressaient, allaient et venaient incessamment avec cet air de bonheur qui précède toujours une grande fête de famille ; au moment où un grand nombre de chariots élégamment ornés, traînés par quatre ou six chevaux, et remplis des plus jolies filles de la contrée, formaient des espèces de camps nomades à chacun des angles si rapprochés d’une longue route tracée en lacets, et qui présente une immense quantité d’amphithéâtres ; il est facile de s’imaginer le mouvement et la vie qui résultaient de cette accumulation inaccoutumée sur un seul point si favorable au déploiement des masses, ainsi que des cris d’enthousiasme qui éclatèrent au moment où les habitans de l’arrondissement de Saverne firent entendre au Roi les premières acclamations de l’Alsace ! Le père de la patrie en fut profondément ému. Le souvenir de cette ovation nationale se perpétuera dans son noble cœur, et les Alsaciens, qui avaient été calomniés auprès de lui, se sont à jamais et noblement réhabilités dans son esprit dès le premier instant qu’ils ont été personnellement connus du monarque.
Partout en Alsace le Roi va retrouver l’enthousiasme de la côte de Saverne, et six jours entiers qu’il passera dans cette belle province, un voyage de cinquante lieues dans les deux départemens qu’elle compose, ne feront qu’augmenter l’estime du Souverain pour ses Alsaciens et l’amour des Alsaciens pour leur Roi.
Dès le milieu du mois de Juillet, le bruit d’un voyage de Sa Majesté en Alsace s’était répandu à Strasbourg, et y avait fait naître l’alégresse la plus vive.
Cependant le silence de l’Administration fit croire assez long-temps que nous ne jouirions pas encore cette année du bonheur qui nous avait été annoncé, et ce n’est que vers le 15 Août que l’on apprit officiellement que le Roi arriverait à Strasbourg le 7 Septembre. Dès-lors l’Administration et les citoyens se préparèrent à recevoir dignement le Monarque.
Le 23 Août, M. le conseiller d’État Esmangart, préfet du département du Bas-Rhin, adressa à MM. les maires de son ressort, une circulaire dont nous citerons les passages suivans :
Vous avez déjà connaissance de la prochaine arrivée du Roi dans le département du Bas-Rhin.
Sa Majesté, pour satisfaire au désir de son cœur, compte pour rien les fatigues d’un long voyage : Elle veut voir ses fidèles Alsaciens.
Si le Roi a reconnu par l’élan du peuple dans les autres provinces tout ce qu’il lui porte d’attachement, les Alsaciens ne le céderont à aucun autre, et Sa Majesté verra par la joie et l’enthousiasme que causera sa présence, qu’il n’a pas de province plus fidèlement dévouée : je connais le cœur des Alsaciens ; j’ai donné cette assurance à Sa Majesté, je l’ai donnée de conviction ; Elle ne sera pas trompée.
Pendant le séjour de Sa Majesté à Strasbourg, Elle y sera fêtée par les habitans qui auront le bonheur de jouir de sa présence et de la posséder dans leurs murs. Tout le département, dans chaque localité, prendra part à cette fête de famille en faisant simultanément des réjouissances. La joie publique ne peut manquer de se manifester sur tous les points à la fois ; et les Alsaciens, unis de cœur, le seront encore par la pensée, qui, dans le même moment, se rapportera toute entière au Roi.
J’ai pensé, Monsieur le Maire, qu’il serait convenable, pour réaliser cette idée, que le 6, jour de son arrivée à Saverne, Sa Majesté fût saluée à la même heure dans toutes les communes et sur tous les points du département. Pour exécuter ce projet, chaque commune pourra préparer un feu de joie dans un lieu écarté des habitations, toujours sous le vent de ces habitations, et à une assez grande distance, pour qu’il n’y ait aucun danger. Les feux seront allumés dans toutes les communes à la même heure, au moment où Sa Majesté sortira de table à Saverne ; le signal sera donné par des fusées qui partiront des trois points les plus élevés des montagnes et seront vues de partout. À ce signal, on allumera les feux de joie et l’on fera partir dans chaque commune des fusées qui, en s’élançant toutes à la fois et au même instant dans les airs, seront le salut des Alsaciens à leur Roi.
Au moment aussi où les feux s’allumeront, l’on devra faire sonner les cloches dans toutes les communes et faire ainsi retentir au loin le signal de l’alégresse qui anime toute la population.
Ce jour-là également des danses doivent avoir lieu dans toutes les communes ; MM. les Maires régleront l’ordre de ces fêtes.
Comme la manière de fêter le Roi la plus chère à son cœur est de donner aux pauvres, l’on devra de plus, dans chaque commune, faire des distributions de secours, soit par le soin des Administrations de bienfaisance là où elles sont établies, soit par le soin de MM. les curés et pasteurs.
Je m’en rapporte au surplus, dans cette mémorable circonstance, à votre zèle. Faites les choses de manière que le souvenir de la visite du Roi à ses braves Alsaciens, et de sa sollicitude pour eux, reste à jamais gravé dans le cœur de leurs enfans.
Dès-lors, tout fut en mouvement en Alsace ; les arcs de triomphe, les obélisques, les travaux de tout genre s’exécutèrent partout avec un zèle, avec une activité dignes des plus grands éloges. Notre belle province ressemblait à un vaste atelier : c’était la famille entière qu’animait l’arrivée prochaine d’un père chéri.
Nous rendrons successivement compte de ces différens travaux éphémères il est vrai, quant à leur partie matérielle, mais durables dans le souvenir, en ce qu’ils ont efficacement concouru à la manifestation des sentimens des Alsaciens. Plusieurs d’entre ces travaux étaient remarquables d’ailleurs par le talent des artistes qui les ont conçus ou exécutés, et nous les perpétuerons par les lithographies qui embelliront notre ouvrage.
Le 4 Septembre, M. Esmangart adressa la proclamation suivante aux habitans du Bas-Rhin. La noble confiance dont elle est empreinte est également honorable pour le magistrat et pour ses administrés.
Ces mots, publiés depuis peu de semaines, ont électrisé tous les cœurs.
Connaissant les dispositions des habitans du Bas-Rhin et leur dévouement au Roi, j’étais sûr que ces mots, répétés de commune en commune, suffiraient seuls pour provoquer l’enthousiasme.
Je me suis abstenu de rien prescrire, j’ai voulu laisser à chacun le soin de fêter le Roi d’après son cœur. Mon attente n’a pas été trompée : de toutes parts je reçois l’assurance des préparatifs pour célébrer le jour à jamais mémorable, où le Roi, dans sa sollicitude paternelle, vient visiter ses fidèles Alsaciens.
Je n’ai pas cru devoir m’occuper de la formation d’une garde d’honneur : en Alsace, la garde du Roi, c’est la population toute entière ; chacun est jaloux de veiller sur ce dépôt précieux, chacun est appelé à sa garde.
Les deux mille cultivateurs qui se présentent pour former la garde d’honneur à cheval, doivent observer le plus grand ordre dans leur marche. MM. les sous-préfets ont donné à MM. les maires les instructions nécessaires ; il importe de s’y conformer.
Je ne veux pas m’occuper de ce qui tient au maintien du bon ordre ; ma confiance est entière dans les habitans. Dans une circonstance aussi solennelle, chacun est chargé d’y veiller.
Quand des intérêts aussi chers, aussi précieux, sont laissés aux Alsaciens, la police doit être faite par eux-mêmes ; je l’abandonne avec confiance à leur dévouement, à leur fidélité, à leur amour pour le Roi.
Enfin il arriva, ce 6 Septembre, ce jour si impatiemment attendu ; et qui devait réaliser nos vœux les plus chers.
Dès le matin la ville de Saverne était remplie de cavaliers, de chars et de voitures. Les courriers se succédaient avec rapidité. Les cultivateurs des cantons de l’arrondissement, ayant en tête leurs maires et officiers municipaux, décorés d’écharpes blanches, et escortant les jeunes filles de chaque village, groupées d’une manière pittoresque[6] sur de longs chariots ornés de fleurs, de guirlandes et de branchages, arrivèrent successivement, et après une joyeuse station se placèrent le long de la route que devait parcourir Sa Majesté.
Si l’on ne connaît pas la basse Alsace, ses sites enchanteurs et le costume particulier des habitans de ses belles campagnes, on ne peut se faire une idée d’une grande réunion de nos cultivateurs.
Un ample habit noir[7], doublé de même couleur et quelquefois de blanc, avec collet droit et montant, un gilet écarlate et une culotte de peau noire, des bottes molles[8] et un chapeau de feutre noir, la corne placée derrière et rabattu par-devant : tel est le costume de nos cultivateurs.
Quant à l’habillement des femmes, il n’est pas moins remarquable. Une jupe à petits plis tout autour, noire pour les femmes, de couleur ordinairement rouge pour les jeunes filles, avec une large bande verte dans le haut, et assez souvent une autre bande de même couleur, mais moins large, à l’extrémité inférieure[9] ; une espèce de petit dolman sans manches, une pièce d’estomac de drap de soie rehaussé d’or, une cravate noire dont les bouts, très-longs, pendent sur le dos, des manches de chemise très-amples et très-blanches, et qui descendent jusqu’au poignet ; un tablier noir pour les femmes, blanc pour les filles ; enfin, les cheveux artistement arrangés en deux longues tresses garnies de galons de laine noire, et qui descendent souvent jusqu’au-dessous des genoux. Dans plusieurs cantons les cheveux sont retenus sous un petit bonnet qui a deux côtés seulement, et qui a à peu près la forme d’un petit casque : il est noir pour les femmes, et de drap d’or ou d’argent pour les filles, avec des rubans rouges ou d’une autre couleur tranchante. Pour les travaux des champs et pour les voyages, les villageoises ont d’énormes chapeaux de paille tressée, qui les garantissent parfaitement des ardeurs du soleil ou de l’intempérie de la saison.
Les Alsaciennes ont généralement la taille avantageuse et prononcée, la jambe bien prise ; dans les jours de gala surtout, les villageoises sont bien chaussées, ce qui ajoute beaucoup de grâce à leur accoutrement, déjà très-attrayant par lui-même.
Vers trois heures de l’après-midi, l’affluence était immense ; tout le monde était à son poste. On eût dit une nombreuse armée rassemblée pour la défense du pays, si ce n’est que les transports de joie, les cris d’alégresse indiquaient un autre but à cette innombrable réunion.
Les autorités locales, les corps constitués, l’administration supérieure du département et l’état-major de la cinquième division, se rendirent à la limite du département, où se trouvait placé un détachement de gendarmerie sous les ordres de M. de Golbéry, chef d’escadron commandant la compagnie du Bas-Rhin.
Le bel escadron des cultivateurs de l’arrondissement, commandé par le brave colonel Scherb, qui se délasse des fatigues de la guerre par les travaux des champs, et qui avait revêtu le noble costume alsacien, avait pris également position près de la fontaine au haut de la côte ; les jolies villageoises étaient à leur poste dans les différens campemens établis sur la route ; les cultivateurs à pied, ainsi que les habitans des villes environnantes, formaient une chaîne non interrompue depuis Saverne jusqu’à la limite du département. Tout était dans le meilleur ordre, et y resta pendant trois heures de temps ; mais peu de minutes après six heures, le canon de Phalsbourg se fait entendre. Le Roi ! le Roi ! s’écrie-t-on de toute part… Les rangs se rompent… Au calme alsacien succède l’enthousiasme ; on quitte ses positions, et le plus pittoresque désordre vient succéder à l’ordre si long-temps observé. Le Roi ! ce mot devient magique… On ne voit, on n’écoute plus rien ; on se presse ; on se heurte ; chacun veut arriver le premier, veut, le premier, contempler ses nobles traits, lui faire oublier par ses acclamations la fatigue d’une route de près de quarante lieues faites en dix heures de temps, pour venir plus tôt voir ses enfans de l’Alsace.
On sait qu’en restant à son poste, on le verra quelques minutes plus tard, mais on connaît des sentiers qui coupent les sinuosités de la route et qui abrègent ; on le verra d’abord, puis on viendra le revoir au poste où l’on devait se présenter à lui ; enfin, après l’avoir ainsi vu deux fois, on se précipitera de roche en roche ; on arrivera à de nouveaux angles de la route avant que le Roi n’y soit arrivé ; on le verra une troisième, une quatrième fois, et jamais on ne l’aura assez contemplé : il se montrera si sensible aux hommages, aux acclamations de ses Alsaciens !
Un arc de triomphe en feuillage, élevé par les agens forestiers du département de la Meurthe, se trouvait à peu de distance de la limite des deux départemens. Le Roi s’y arrêta et fut complimenté par ces agens.
À six heures un quart Sa Majesté arriva sur le territoire alsacien. Sa suite était composée de MM. le prince de Croï-Solre, capitaine des gardes ; le duc Charles de Damas, premier gentilhomme de la chambre ; le duc de Polignac, premier écuyer ; le duc de Maillé, premier aide-de-camp ; le duc de Fitz-James, premier aide-de-camp ; le duc d’Escars, menin de Mgr le Dauphin ; le marquis de Boisgelin, major des gardes ; le comte Ohegerty, écuyer-commandant ; le comte de Lasalle, aide-de-camp du Roi ; le comte de Tilly, lieutenant-commandant des gardes ; le marquis de Maisonfort, lieutenant des gardes. Ces grands-officiers occupaient quatre voitures. Ils étaient suivis par une vingtaine d’autres voitures, dans lesquelles se trouvaient les autres personnes attachées au service et à la maison du Roi.
Le Roi fut reçu par M. le conseiller d’État Esmangart, préfet du département, accompagné de M. le comte de Choiseul, secrétaire général de la préfecture, de M. de Blair, sous-préfet de l’arrondissement de Saverne, de M. le baron de Wangen de Geroldseck, député de l’arrondissement, et par M. le vicomte Castex, lieutenant-général commandant la cinquième division militaire, accompagné de M. le maréchal-de-camp comte Dumoulin, commandant la première subdivision, et suivi de son aide-de-camp, M. de Boyer, capitaine au corps royal d’état-major.
M. Esmangart eut l’honneur de complimenter le Roi en ces termes :
Quand les Rois, vos ayeux, se sont montrés dans ces contrées, l’alégresse a toujours été grande : ils étaient cependant précédés d’appareils belliqueux, qui, tout en promettant une nouvelle gloire à la France, n’en laissaient pas moins quelque effroi dans le sein des familles.
Aujourd’hui, Sire, la joie est sans mélange.
C’est en pleine paix, c’est au moment où chacun peut se livrer avec sécurité à l’agriculture, aux arts, à l’industrie, que Votre Majesté vient dans cette province frontière pour visiter ses sujets.
Votre Majesté, Sire, n’écoutant que le besoin de son cœur, ne compte pour rien les fatigues d’un long voyage ; elle veut parcourir ses provinces, pour s’assurer si les délégués de sa puissance administrent selon les lois ;
Elle veut voir si ses sujets vivent en paix, s’ils sont heureux.
Oui, Sire, ils sont heureux.
Partout dans ce beau département, quelle que soit la dissidence des opinions religieuses, l’on voit régner la plus parfaite union.
Les diverses communions sont animées du même esprit de paix, du même esprit de charité, du même amour pour votre personne sacrée.
Partout, Sire, les administrateurs honorés de votre confiance sont fidèles à leur serment : ils respectent les lois et les font respecter ; ils sont d’un accès facile au pauvre comme au riche ; ils savent que leur premier devoir est de faire bénir votre nom.
Partout les magistrats chargés par Votre Majesté de rendre la justice en son nom, tiennent la balance d’une main ferme, et dictent leurs arrêts avec cette équité, cette intégrité qui font, depuis plus de dix siècles, l’apanage de la magistrature française.
Partout les administrations financières, tout en faisant respecter les droits du fisc, mettent dans les perceptions la modération, la patience, les ménagemens qui rendent les impôts moins onéreux pour les peuples.
Partout enfin, Sire, Votre Majesté va trouver sur son passage ses braves et fidèles Alsaciens, pleins de reconnaissance pour votre sollicitude royale, s’empressant autour de Votre Majesté pour la contempler, la bénir, et pour lui prouver par leurs acclamations ce qu’ils éprouvent de bonheur en voyant au milieu d’eux le plus religieux, le plus tolérant et le meilleur des Rois.
Sa Majesté répondit à M. le préfet :
Depuis long-temps j’avais le désir de connaître l’Alsace. Je me suis promis beaucoup de bonheur en venant la visiter. J’ai toujours compté sur le cœur comme sur la fidélité de mes Alsaciens.
M. le lieutenant-général Castex adressa ensuite au Roi le discours suivant :
Au milieu des acclamations d’une population ivre du bonheur de voir son Roi, daignez permettre, Sire, qu’organe des sentimens de respect et d’amour des troupes stationnées dans la 5e division militaire, je dépose aux pieds de Votre Majesté l’hommage loyal et sincère de leur dévouement sans bornes pour le service de Votre Majesté. Les différens corps de la division, animés d’un zèle commun et d’une fidélité éprouvée pour l’auguste dynastie qui préside aux destinées de la France, dont elle fait le bonheur, sont prêts à verser tout leur sang pour la cause noble et sacrée dont ils sont les premiers soutiens, et s’ils étaient appelés à sa”défense, le cri de vive le Roi ! cri d’amour et si cher à tous les Français, serait le seul que la reconnaissance et le dévouement leur permettraient de faire entendre. Vive le Roi!
Sa Majesté daigna répondre avec la plus grande affabilité à M. le vicomte Castex, et lui dit entre autres choses : « Le commandement des troupes de la division ne pouvait être confié à de meilleures mains. » Elle lui demanda ensuite avec beaucoup d’intérêt des nouvelles de sa famille.
Enfin, M. de Blair, sous-préfet de l’arrondissement de Saverne, eut l’honneur d’adresser la parole à Sa Majesté en ces termes :
La population de l’arrondissement de Saverne, que Votre Majesté voit se presser avec tant d’ardeur autour d’Elle, se pressait de même, il y a trente-six ans, autour du drapeau blanc pour la défense de la cause royale ; aussi, parmi les sentimens que fait naître ici votre auguste présence, il en est un surtout, bien doux pour nos cœurs, c’est l’espérance que Votre Majesté n’a pas perdu le souvenir du dévouement que les habitans de ce pays montrèrent à cette époque.
Sire, le même amour, la même fidélité seront toujours les nôtres, et quelque éloignés que nous soyons du trône, nous avons la confiance que Votre Majesté daignera toujours nous mettre au premier rang de ses sujets les plus attachés à sa personne et à la monarchie des Bourbons.
Le Roi répondit à M. de Blair :
Certainement, je n’ai pas oublié le dévouement dont vous me parlez ; c’est pourquoi je viens avec tant de plaisir dans ce pays.
La voiture de Sa Majesté se mit alors en mouvement. M. le lieutenant-général Castex, ayant à sa gauche le maréchal-de-camp Dumoulin et suivi de son aide-de-camp, eut l’honneur d’escorter le Roi, en se tenant à la portière de gauche, place qu’il n’a point quittée toutes les fois que Sa Majesté a monté en voiture dans l’étendue de la division, soit pour faire ses entrées dans les villes, soit pour se rendre aux établissemens publics.
Sa Majesté arriva bientôt à l’arc de triomphe élevé par la ville de
Saverne.
Le Roi arrive en Alsace (Côte de Saverne)
Ce monument d’un jour fait honneur à M. Thiebert, architecte-voyer de l’arrondissement. Au milieu des forêts, sur un site des plus pittoresques, le luxe et la recherche eussent été déplacés : aussi l’arc de triomphe était-il construit en simple verdure, mais avec toutes les formes d’une architecture élégante ‘et gracieuse. Il avait 12 mètres de largeur et autant de hauteur. Tapissé sur toute sa surface avec le noir feuillage du sapin, il eût présenté à l’œil un aspect triste et monotone, si deux grands obélisques en mousse, saillans sur les pied-droits, n’eussent donné à tout l’ensemble une forme à la fois simple, variée, majestueuse et parfaitement en harmonie avec la localité. L’inscription était aussi noble que le monument : SAVERNE À CHARLES X ; style vraiment lapidaire, et bien préférable à ces verbeuses devises, péniblement élaborées, qu’en ne lit pas, ou qu’on oublie aussitôt qu’on les a lues, et qui ne servent qu’à délayer le sentiment dont le véritable langage est concis par nature.
En avant de l’arc de triomphe se trouvaient le corps municipal de Saverne, les agens forestiers et une foule innombrable.
M. Kolb, maire de la ville, s’avança pour haranguer le Roi ; mais les acclamations, les cris de vive le Roi ! vive le Dauphin ! étaient si impétueux, si continus, qu’il ne put d’abord se faire entendre. Sa Majesté eut la bonté de lui dire : « Patience, M. le maire ! Je ne puis pas me plaindre de ces interruptions. Patience, vous reprendrez tout à l’heure ; car je ne veux rien perdre de ce que vous avez à me dire. »
Enfin, la tranquillité s’étant rétablie, M. Kolb parvint à prononcer le discours suivant :
Vos fidèles sujets, les habitans de l’antique cité de Saverne, jouissent, dans l’ivresse de leur satisfaction, du bonheur de contempler la personne sacrée de Votre Majesté. Ils savent apprécier dans toute son étendue la faveur royale que Votre Majesté daigne leur accorder en s’arrêtant parmi nous. Tous les cœurs volent en ce moment du fond de l’heureuse Alsace vers la sommité des Vosges, qui depuis long-temps ne séparent plus l’Alsace de la Lorraine.
Que Votre Majesté daigne me permettre de déposer aux pieds de notre bien-aimé Roi l’hommage de la fidélité et de la soumission de la commune de Saverne.
Le Roi répondit avec une grâce infinie. Sa Majesté était visiblement émue des témoignages d’amour qu’Elle recevait de toute part, et de la beauté du spectacle qui s’offrait à Elle. Les derniers rayons du soleil qui éclairaient cette scène touchante, ajoutaient un charme inexprimable au tableau magique qu’offrait en ce moment la côte de Saverne : on eût dit qu’elle était mouvante. L’immense population qu’elle portait, se doublait encore par la disposition des lieux qui lui permettait de se présenter à plusieurs reprises à son Souverain. Aussi, en approchant de Saverne, à peine la voiture de Sa Majesté pouvait-elle avancer. Il lui fallut trois quarts d’heures pour descendre la côte.
L’ancienne ville de Saverne, jadis résidence des princes-évêques de Strasbourg, maintenant le chef-lieu d’un des arrondissemens du département du Bas-Rhin, contient une population d’environ cinq mille ames ; un assez grand nombre d’employés du Gouvernement, beaucoup d’officiers en retraite et quantité de familles distinguées, attachées autrefois à la cour du cardinal, font de cette ville le centre d’une société telle que beaucoup de cités plus importantes pourraient à peine en présenter de semblable.
Toutes les maisons de cette ville intéressante étaient pavoisées au moment de l’arrivée du Roi, et c’est au milieu d’'une affluence plus grande encore que celle de la côte, aux acclamations mille et mille fois répétées d’une foule immense, que Sa Majesté arriva au petit château, qui avait été préparé pour la recevoir.
Cette élégante demeure, élevée dans un goût moderne sur les restes de l’ancien château des princes-évêques de Strasbourg, non loin du vaste palais commencé par le dernier cardinal de Rohan, est située dans la partie la plus élevée de la ville, et domine au loin la plaine, du haut des anciennes fortifications qui lui servent de base. M. Reiner, fils et adjoint d’un ancien serviteur du Roi, depuis long-temps attaché à la maison de Sa Majesté comme architecte de son palais de Strasbourg, auquel appartient le petit château, s’était empressé de le mettre à la disposition de l’Administration pour y recevoir le Roi ; et en moins de quinze jours il parvint, par son activité et son talent, à opérer la conversion d’une habitation bourgeoise en un palais susceptible de recevoir le Souverain et sa Cour.
Les ouvriers employés par M. Reiner venaient à peine de terminer leurs travaux en lui aidant à arborer au sommet de la tour qui domine le bâtiment principal, un immense drapeau qui devait au loin signaler la résidence royale, lorsque M. le marquis de Boisgelin, major des gardes de Sa Majesté, vint prendre possession du château. Un bataillon du trente-neuvième régiment de ligne était arrivé la veille de Haguenau avec l’honorable mission de faire le service auprès de Sa Majesté ; les grenadiers avaient pris, dans la matinée du 6 Septembre, possession de toutes les portes et issues de la demeure du Roi, et le surplus du bataillon s’établit, enseignes déployées, tambours et musique en tête, dans la grande cour du château, quelque temps avant l’arrivée de Sa Majesté.
M. de Martignac, ministre de l’intérieur, qui était arrivé à Saverne quelques heures avant le Roi, eut l’honneur de recevoir Sa Majesté à la descente de sa voiture. M. de Vaulchier, directeur général des postes, et M. Jordan, préfet du département du Haut-Rhin, étaient auprès de Son Excellence.
Le Roi, accompagné de Mgr le Dauphin, avait à peine atteint ses appartemens, quand un accident fâcheux faillit troubler l’alégresse publique. M. de Martignac montait l’escalier à la suite du Roi, lorsqu’un piqueur heurta fortement avec une valise qu’il portait, un superbe vase de porphyre qui se trouvait placé sur un piédestal attenant à la rampe du grand vestibule. Son Excellence crut en prévenir la chute, en essayant de le retenir avec les mains ; mais elles furent grièvement blessées par le vase, qui était d’une rare dimension, et dès-lors d’un trop grand poids pour qu’il fût encore possible de l’empêcher de rouler le long de l’escalier, sur lequel il alla se briser en mille pièces.
Cet accident n’eut cependant pas les suites que l’on craignait d’abord, et M. de Martignac en fut quitte pour des douleurs assez vives, mais sans aucun danger réel.
Quand le Roi eut pris quelques instans de repos, les présentations eurent lieu.
Quinze demoiselles de la ville, ayant à leur tête Mlle Amélie Kolb, fille du maire[10], eurent l’honneur d’offrir à Sa Majesté une corbeille de fleurs surmontée d’un bouquet de roses de Bengale. Le Roi les accueillit avec une grâce particulière, et remarquant que Mlle Kolb, chargée de lui adresser la parole, paraissait embarrassée ; il l’encouragea avec bonté. Elle dit alors au Roi:
Daignez agréer l’hommage de nos cœurs. Dans nos montagnes, nous n’avons que des fleurs à offrir à Votre Majesté ; que Sa bonté y voie l’emblème de nos vœux. Puissent les jours précieux de notre Roi n’être semés que de roses sans épines comme celles que nous déposons aux pieds de Votre Majesté.
Le Roi répondit :
Je reçois avec grand plaisir ces roses, qui m’offrent l’emblème de vous toutes, Mesdemoiselles,
S’adressant ensuite particulièrement à Mlle Kolb, le Roi lui dit d’un ton plein de bonté : « Vous avez été bien émue en commençant votre compliment. » — « Sire, répondit la fille du maire, votre bonté M’a rassurée. » — « J’en suis fort satisfait, reprit le Roi, et j’agrée avec plaisir les fleurs que vous m’avez offertes. »
M. Martinez, président du tribunal civil, eut ensuite l’honneur d’adresser à Sa Majesté le discours suivant :
Au milieu des transports d’alégresse qu’excite dans l’Alsace la présence de notre Monarque bien-aimé, les magistrats qui composent le tribunal de l’arrondissement de Saverne sont heureux de pouvoir déposer aux pieds de Votre Majesté l’hommage de leur respect, de leur amour et de leur inviolable fidélité.
Ils n’oublieront jamais que toute justice émane du Roi, et que le plus sûr moyen de lui plaire, c’est de l’administrer avec zèle et impartialité.
Sire, le bonheur de ce jour restera à jamais gravé dans nos cœurs. Son souvenir sera désormais la plus douce récompense de nos travaux.
Le Roi répondit :
Je reçois avec grand plaisir l’expression de vos sentimens. Continuez avec le même zèle à me servir. En rendant une bonne et exacte justice à mes sujets, vous êtes sûrs de mériter mes bontés et ma bienveillance.
Voici la liste des personnes qui ont eu l’honneur d’être présentées au Roi dans cette soirée :
MM. Kolb, maire ; Meuret et Lefebre, adjoints ; MM. Donat et Drion, avocats, ainsi que M. Kien, notaire, formant une députation du conseil municipal ; MM. Bernhard, Gast, Meyer, Ostermann et Arth, membres du conseil de charité ; MM. Martinez, président du tribunal civil ; Luther et Dedier, juges ; Sonis, procureur du Roi ; Gast, substitut, Niger, greffier ; MM. Léger, ingénieur des ponts et chaussées ; Henraux, directeur des contributions directes ; Lichtlin, inspecteur des forêts ; Poinsot, inspecteur des domaines ; Bricogne, receveur des finances ; Nachbauer, curé ; Reichardt, inspecteur des églises de la confession d’Augsbourg, et les présidens de consistoire ; les barons d’Hastrel et Chouart, lieutenans-généraux ; MM. les colonels Delenne et Scherb ; Mesdames O’Méara, veuve du général de ce nom ; de Blair, épouse de M. le sous-préfet, et Léger.
Sa Majesté adressa la parole avec beaucoup de courtoisie à ces dames, et dit ensuite à Mme de Blair : « Vous êtes ici depuis bien peu de temps, Madame ? j’ai un plaisir infini à vous y voir.[11] »
Avant de sortir du salon de réception pour passer dans la salle à manger, le Roi fut attiré aux croisées par les fusées lancées des points culminans des montagnes environnantes, et qui furent bientôt suivies par des feux de Bengale allumés sur la tour de Strasbourg et sur tous les lieux les plus élevés du département. Un immense bûcher établi sur le Haut-Barr servit de signal à toutes les communes pour en allumer de semblables, de sorte qu’au même instant et dans six cents communes, les habitans réunis de cœur et d’intention élevèrent simultanément au Ciel leurs vœux pour la prospérité de l’Hôte auguste de l’Alsace. Les feux sillonnaient les airs de toute part, et le bruit des cloches se mêlait aux acclamations d’une population fidèle et dévouée.
Il serait difficile de peindre l’effet que produisit cette scène admirable, due à l’ingénieuse sollicitude de M. le préfet Esmangart.
Le Roi en fut vivement touché, et il en parla pendant le repas, ainsi que de l’admirable route qu’il avait parcourue pour descendre à Saverne. Sa Majesté répéta à plusieurs reprises que ce travail était un chef-d’œuvre, et qu’il faisait le plus grand honneur au génie qui l’avait enfanté.
Indépendamment des personnes de sa suite, le Roi avait admis à l’honneur de dîner à sa table, le préfet, le sous-préfet, le maire de Saverne, le président du tribunal civil, le procureur du Roi et les officiers généraux.
Le Roi se retira de bonne heure dans ses appartemens, après avoir Jeté plusieurs fois ses regards sur la vaste campagne où l’on fêtait si bien son heureuse arrivée.
Cependant l’alégresse régnait encore dans la ville de Saverne ; toutes les maisons étaient brillamment illuminées et décorées d’inscriptions plus ou moins ingénieuses, mais qui toutes exprimaient les sentimens les plus vifs et les plus touchans ; les acclamations d’amour retentirent pendant une partie de la nuit, et les échos des montagnes répétaient encore le cri de vive le Roi ! long-temps après que Sa Majesté ne pouvait plus l’entendre…
C’est ainsi que finit la première soirée que le Roi passa en Alsace. Celles qui la suivirent se passèrent de même ; partout le même amour, le même entraînement, les mêmes acclamations. La population alsacienne était ivre de joie, son cœur parlait : elle répondait noblement à ses calomniateurs !
Les derniers lampions brûlaient encore lorsque le propriétaire du château vint avec des ouvriers placer, au-dessus de la porte du bâtiment principal où reposait le Roi, une plaque de marbre blanc, préparée d’avance, et sur laquelle était gravée en lettres d’or une inscription qui doit conserver le souvenir de la présence de Charles X en ces lieux.
Au point du jour les traces de tout ce travail avaient entièrement disparu, et l’encadrement en pierre de taille ayant été rajusté en couleur analogue au reste de l’édifice, le marbre commémoratif se trouva encastré dans le mur comme s’il en eût toujours fait partie.
Le 7 au matin, le temps était superbe ; le soleil dorait de ses rayons ces mêmes montagnes qui la veille au soir recevaient un éclat emprunté des feux allumés sur leurs sommets par la main des hommes. Une immense esplanade existe au-dessous des fenêtres de l’appartement qu’occupait Sa Majesté ; dès le moment de son lever, elle put y revoir ses fidèles Alsaciens. Plus nombreux encore que la veille, ils attendaient en silence le réveil de leur Roi pour lui présenter de nouveau leurs hommages. Aussitôt qu’il parut, l’air retentit de leurs bruyantes acclamations, et ils firent devant lui des évolutions qu’une cavalerie exercée n’aurait pas désavouées. Ensuite ils défilèrent par quatre en bon ordre, au nombre de huit cents cavaliers, et allèrent, ainsi que les quatre-vingts chariots élégamment ornés, qui contenaient leurs filles et leurs sœurs, se ranger des deux côtés de la route, pour attendre le Roi, lui servir encore d’escorte et lui adresser les tendres adieux des cantons de l’arrondissement, de concert avec une population de plus de dix mille ames, qui occupait déjà les positions de la route où, la voiture du Roi devant aller plus doucement, il était plus facile d’en approcher. Les cavaliers, ce jour-là, étaient commandés par M. Paulus, maire de Hochfelden ; par MM. Devaux et Corbach, de Bouxwiller, et par M. Bosch, maire de Marmoutier.
Avant de sortir, Sa Majesté daigna recevoir M. Reiner, fils, qui lui fut présenté par M. le duc de Damas. M. Reiner ayant respectueusement exprimé au Roi les regrets qu’il éprouvait de n’avoir pu disposer de plus de temps pour rendre son habitation moins indigne de son auguste destination, Sa Majesté l’interrompit avec une extrême bonté, fit l’éloge de sa maison en ajoutant que son heureuse exposition lui donnait un charme particulier.
Le Roi adressa ensuite à M. Reiner quelques questions sur l’origine du château et sur ses anciens possesseurs, ce qui lui permit d’entretenir Sa Majesté des souvenirs historiques qui se rattachent à cette partie de l’ancien séjour des princes-évêques de Strasbourg.
Le Roi sortit de ses appartemens à 9 heures et demie pour aller à la messe à l’église paroissiale. La foule se pressait autour de Sa Majesté et faisait retentir les airs de ses acclamations.
Une circonstance qui fit ressortir toute la bonté du Roi, vint encore ajouter à l’enthousiasme que sa présence excitait : au moment où Sa Majesté allait à l’église, le cheval d’un gendarme[12] se cabra et vint s’acculer contre un des contreforts du temple, en glissant sur ses pieds de derrière. Aussitôt le Roi saisit la bride du cheval et le contint avec vigueur, en adressant quelques paroles affables au gendarme : Mgr le Dauphin dégagea en même temps le pied du cavalier, qui s’était embarrassé dans l’étrier.
Cet acte de bonté valut des milliers de bénédictions à Sa Majesté et à son auguste Fils.
Après la messe, et en retournant au château, le Roi fut frappé du coup d’œil que présentait la population répartie dans les rues adjacentes, toutes plus élevées que l’église, et Sa Majesté s’étant arrêtée un instant pour jouir de ce beau spectacle, les cris de vive le Roi redoublèrent ; Sa Majesté, vivement émue, y répondit en saluant de toute part avec une bienveillance infinie.
M. de Blair se permit alors de lui adresser cette question : « Sire, le Roi est-il content ? » — « Très-content, répondit le Roi, je vous l’ai déjà dit, et je vous le répète avec un nouveau plaisir. » Mgr le Dauphin daigna aussi dire à M. le sous-préfet : « Votre population est excellente. »
Au retour du Roi au château, M. le duc de Damas fit remarquer à Sa Majesté l’inscription que M. Reiner avait placée pendant la nuit au-dessus de la porte d’entrée. La voici textuellement :
Le Roi parut sensible à la délicatesse de cet hommage, et s’arrêta quelque temps devant le marbre qui doit léguer à nos neveux le souvenir de sa présence parmi nous.
Avant de se rendre à l’église, Sa Majesté avait fait remettre par M. Ménéchet, lecteur du Roi, à M. Reiner, ainsi qu’à M. Linder, avocat, et à M. Léger, ingénieur de l’arrondissement, qui habitent la maison, des médailles d’or à son effigie.
Le Roi, avant de partir de Saverne, fit présent à M. de Blair d’une belle tabatière en or, ornée du chiffre de Sa Majesté en diamans. Il lui remit aussi une somme de cinq cents francs pour être distribuée aux pauvres.
En montant en voiture, le Roi demanda à M. le maire de Saverne ce qu’il fallait de temps pour arriver à Strasbourg ? « Trois heures, Sire. » — « Eh bien, j’en mettrai cinq, dit le Roi. Je me trouve si bien au milieu de ces braves gens, que j’y veux rester le plus long-temps possible. »
Départ pour Strasbourg.[13]
La route de Saverne à Marmoutier est remarquable par les sites délicieux qu’elle présente. D’un côté, l’aspect imposant des Vosges et des vieux châteaux qui les couronnent ; de l’autre côté, une immense quantité de collines élevées et boisées, qui forment les vallées les plus riantes.
C’est dans l’une de ces vallées que S. Léobarde forma, vers la fin du sixième siècle, la plus ancienne abbaye de l’Alsace, qui ne fut connue d’abord que sous le nom modeste de Cellule de Léobarde, et qui ne prit le nom plus pompeux d’abbaye de Marmoutier (Maurmoutier) que sous l’abbé Maur, qui, en l’année 724, obtint de grandes concessions de la générosité de Thierry IV, roi d’Austrasie.
Marmoutier, petite ville assez triste quant à ses constructions, possède cependant une des églises les plus remarquables de l’Alsace, et qui offre dans son ensemble les traces d’une haute antiquité.
Le Roi y est arrivé un quart d’heure après son départ de Saverne. Un arc de triomphe en feuillage avait été élevé à trois cents pas de la ville. C’est là que M. Bosch, maire, accompagné du corps municipal, eut l’'honneur de recevoir et de haranguer le Roi.
Sa Majesté accueillit cet hommage avec bonté, et remit à M. le maire une somme de deux cents francs pour les pauvres. Le Roi étant entré ensuite dans la ville, daigna s’arrêter devant le portail de l’église, où M. le curé Geiss eut l’honneur de lui offrir l’encens et de lui adresser un compliment.
Il est inutile de dire qu’à l’arrivée de Sa Majesté, à son passage par la ville et à son départ, l’air ne cessa de retentir des cris mille fois répétés de vive le Roi ! vive Mgr le Dauphin ! vivent les Bourbons ! Il est également inutile de dire que de Saverne à Marmoutier, et de cette ville à Wasselonne, première ville de l’arrondissement de Strasbourg, le Roi a été escorté par la population des cantons environnans ; que la route était garnie de chariots ornés et remplis de jeunes filles dans le costume du pays, et que l’enthousiasme de la côte de Saverne s’est retrouvé partout.
Et comment cet enthousiasme n’aurait-il pas existé ? le Roi se montrait si sensible aux hommages de ses Alsaciens, qu’il daigna tendre sa main royale à un grand nombre de cultivateurs et à tous les maires, qui eurent le bonheur de la presser dans les leurs.
Il n’est pas possible d’exprimer ce que cette touchante bonté produisit dans tous les cœurs… Le souvenir en est impérissable !
Le Roi est arrivé à onze heures et demie à Wasselonne, ville remarquable par sa position, et importante par sa population, qui est de près de cinq mille ames, et surtout par l’industrie et l’activité de ses habitans.
Un arc de triomphe en feuillage, surmonté d’un beau fronton, avait été élevé à l’entrée de la ville ; il portait pour inscription : CAROLO DILECTO PIO REGI, PATRIÆ PATRI. Sur les deux pieds-droits on lisait : WASSELONNE AU ROI. Là se trouvaient une partie de la garde d’honneur à cheval, commandée par M. le chevalier Lapeine, capitaine de cavalerie en retraite ; une compagnie de gardes forestiers dans la plus belle tenue, sous le commandement de M. Bon de Barolet, garde général, et cinquante demoiselles vêtues de blanc et portant des bouquets et des corbeilles de fleurs.
M. Schumacher, maire de la ville, à la tête du corps municipal, et M. Blæsius, pasteur protestant, ont adressé des discours au Roi, qui, en remettant à l’un et à l’autre des secours pour les indigens, a répondu avec une bienveillance qui a électrisé les cœurs. Toutes les maisons étaient pavoisées de drapeaux fleurdelisés, et une nombreuse population encombrait les rues. Arrivé sur la grande place, le Roi a paru vivement frappé du spectacle qui se présentait à sa vue.
Quatre cents jeunes gens des deux sexes occupaient des amphithéâtres en gradins, disposés sur les deux côtés de la route. À droite, les garçons représentaient les anciens corps de métier, dont ils portaient les costumes, les attributs, les outils et les instrumens ; à gauche, les jeunes filles, élégamment vêtues en bergères, portaient des corbeilles remplies de fleurs et des plus beaux fruits de la saison. Plus bas on voyait une scène qui rappelait les usages de l’antiquité : des victimaires avec leurs haches et leurs massues, tenant de jeunes taureaux couronnés de fleurs, semblaient prêts à les immoler, pour les offrir en sacrifice, en signe de réjouissance. Au moment du passage du Roi, ces jeunes gens firent retentir les airs de leurs acclamations et des cris de vive le Roi ! mille fois répétés par une population immense.
Sa Majesté parut s’éloigner à regret de cette scène intéressante. En passant devant l’église, le Roi fut complimenté par M. le curé Martinez, auquel il remit un secours pour les pauvres. Alors les bénédictions vinrent se joindre aux cris de vive le Roi ! et accompagnèrent Sa Majesté jusque bien loin après le second arc de triomphe placé à la sortie de Wasselonne. Ce monument champêtre était revêtu de feuilles de chêne, et surmonté de trois inscriptions entourées de guirlandes, portant ces mots : LOUIS XIV. LOUIS XV. CHARLES X.
Cinquante chariots ornés de branchages et de rubans, et contenant les jeunes villageoises des environs, étaient rassemblés auprès de cet arc de triomphe ; et au passage de Sa Majesté, ils vinrent augmenter son cortége déjà immense, et qui le devenait successivement davantage en approchant de Strasbourg.
Le Roi est arrivé à onze heures et demie dans le Cronthal, dépendance de Marlenheim. Il est difficile de rencontrer un défilé plus pittoresque : resserrée entre deux montagnes formées d’énormes rochers, la route, dans toute la longueur du défilé, est garnie sur la gauche (en se dirigeant sur Strasbourg) d’un mur élégant à hauteur d’appui, et qui lui sert de revêtement ; à droite, elle côtoie un fort ruisseau, qui fait marcher plusieurs usines, et dont les eaux bruyantes et limpides répandent sur ces lieux un charme inexprimable. Le Cronthal (vallée de la couronne) est d’ailleurs rempli de souvenirs historiques : les anciens rois d’Austrasie y avaient leur résidence, et ils y éprouvèrent plusieurs grandes catastrophes.
Charles X y jouit du spectacle le plus ravissant. Les habitans et les jeunes filles de près de vingt communes du canton se trouvaient placés sur les rochers de l’une des deux montagnes qui forment la vallée ; sur l’autre montagne se trouvaient réunis tous les bergers et les troupeaux des villages avoisinans. Aussitôt que le Roi arriva dans ces lieux pittoresques, les jeunes filles exécutèrent des danses du pays, et le son des chalumeaux des bergers retentit dans les airs, et se mêla aux acclamations unanimes et aux cris de joie de l’immense population qui couronnait la hauteur de la montagne, et qui furent mille fois répétés par les échos du vallon. Après avoir pendant quelque temps contemplé ce spectacle, dont Elle témoigna vivement sa satisfaction, et dont Elle s’éloigna lentement, Sa Majesté arriva à Marlenheim au son de toutes les cloches. À l’entrée et à la sortie de la commune on avait planté de chaque côté de la route de grands sapins ornés de drapeaux et liés entre eux par des guirlandes transversales, au milieu desquelles étaient suspendues des couronnes de lauriers.
Au centre de la commune s’élevait un arc de triomphe, surmonté d’un tableau[14] colossal représentant Charles X en costume royal, entouré des attributs de la royauté et de faisceaux d’étendards ; les côtés du monument étaient décorés de drapeaux en sautoir et d’écussons portant en lettres d’or : VIVE CHARLES X ! entre la corniche et la voûte on lisait en gros caractères en relief : À NOTRE ROI BIEN AIMÉ.
Au moment où le Roi s’est arrêté, une couronne de fleurs est descendue du sommet de l’arc de triomphe. Les autorités de la commune occupaient un des côtés avec un détachement de douaniers dans la plus belle tenue ; de l’autre côté se trouvait placée la garde d’honneur à pied, composée d’anciens militaires, citoyens de Marlenheim, et sur des gradins deux cents jeunes garçons et autant de jeunes filles agitaient dans leurs mains des drapeaux et des branches de chêne garnies de rubans. En face de l’arc de triomphe, le Roi fit arrêter sa voiture. M. Stupffel, maire, à la tête du conseil municipal et d’un grand nombre de MM. les curés des environs, a adressé un discours au Roi, qui lui a répondu avec une affabilité et une grâce qui a touché tous les cœurs. Ce fonctionnaire a ensuite demandé à l’auguste voyageur s’il daignerait accepter un bouquet que de jeunes personnes s’apprêtaient à lui présenter. Le Roi, après les avoir considérées, dit avec galanterie : « Avec plaisir. » Avant de continuer sa route, il a remis à M. le maire la somme de deux cents francs pour être distribuée aux pauvres. Pendant le temps que Sa Majesté s’est arrêtée, un orchestre placé à proximité de l’arc de triomphe a fait entendre l’air : Où peut-on être mieux qu’au sein de sa famille.
La route dans Marlenheim était sablée et bordée dans toute la longueur de la commune de deux allées de sapins ; toutes les maisons, sans exception, étaient ornées de guirlandes et de drapeaux aux armes de France. L’ensemble de cette fête présentait un coup d’œil charmant ; mais ce que l’on ne saurait décrire, c’était l’élan de la joie publique, et l’expression de satisfaction qui brillait dans les traits et dans tous les mouvemens du Roi.
Au départ du Roi, une compagnie de lanciers, composée de jeunes gens de la commune, équipés uniformément en costume local, et qui avait escorté Sa Majesté dès son entrée dans la commune, eut l’honneur de l’accompagner jusqu’à Fürdenheim.
Sur la hauteur à la sortie de Marlenheim se trouvait placée une cavalcade composée d’environ cinq cents cultivateurs des environs, qui attendait le Roi pour l’accompagner à Strasbourg.
À Fürdenheim, les maisons qui bordent la route étaient garnies de feuillages et de drapeaux blancs ; des guirlandes de fleurs traversaient la route et formaient une multitude de berceaux.
Les cavalcades et les chariots se pressaient en foule, et se faisaient remarquer par leur tenue plus belle encore que partout ailleurs : Sa Majesté se trouvait dans le Kochersberg[15], dans les cantons les plus fertiles de la basse Alsace.
En arrivant à Ittenheim, dernière poste avant Strasbourg, le cortége des cultivateurs présentait une masse véritablement imposante.
Un bel arc de triomphe en feuillage avait été élevé non loin de la poste aux chevaux. M. Ammel, maire d’Ittenheim et membre du conseil d’arrondissement de Strasbourg, s’y trouvait à la tête du corps municipal, et il eut l’honneur de complimenter le Roi. Mlle Ammel, fille du maire, fut admise ensuite à offrir des fleurs à Sa Majesté, à laquelle elle adressa également un discours. Une autre jeune personne de la commune, Mlle Lorentz, offrit ensuite des fleurs à Mgr le Dauphin, qu’elle eut aussi l’honneur de complimenter.
Alors une excellente musique vint joindre ses accords aux vives acclamations de la multitude. L’enthousiasme était à son comble, et fut encore augmenté lorsque le Roi, daignant présenter sa main à M. Ammel avec une extrême bonté, lui adressa ces paroles : « Dites à vos bons habitans que j’éprouve une grande satisfaction à me trouver au milieu d’eux, et que je n’oublierai jamais la bonne réception qu’ils m’ont faite. Dites-le leur ; je ne parle pas assez facilement l’allemand, sans quoi je le leur dirais moi-même. » En prononçant ces dernières paroles, le Roi remit à M. Ammel une somme de cent francs pour être distribuée aux pauvres. La voiture partit alors, et les cris de vive le Roi ! vive le Dauphin ! se faisaient encore entendre lorsqu’elle était déjà bien loin.
Au moment où Sa Majesté arriva à la hauteur de la Chartreuse, son escorte se composait de plus de douze cents cultivateurs parfaitement montés et ayant tous des flots de rubans blancs aux chapeaux et aux bras. Les maires, décorés d’écharpes blanches, étaient en tête des cavaliers de chaque commune ; les drapeaux blancs fleurdelisés flottaient de toute part au milieu de cette cavalcade, et plusieurs centaines de chars, élégamment ornés, contenaient l’élite des villageoises, vêtues de leurs plus beaux costumes. Le spectacle que présentait cette multitude animée du plus vif enthousiasme était enchanteur.
Arrivée et séjour du Roi à Strasbourg.[16]
JOURNÉE DU 7 SEPTEMBRE.
Strasbourg, l’ancien Argentorat des Celtes, l’Argentina des Romains, est situé sur les rivières de l’Ill et de la Bruche, à un quart de lieue du Rhin.
Cette ville fut saccagée et détruite presque entièrement à plusieurs reprises, et notamment par Attila, roi des Huns. Clovis, après avoir établi sa puissance dans les Gaules, rétablit la ville d’Argentorat, qui prit bientôt après le nom de Strasbourg (Stratæburgum). Son enceinte a été resserrée jusqu’à la fin du huitième siècle entre deux bras de la Bruche, qui la traversent maintenant. Elle a pris successivement un accroissement considérable. Ses fortifications, élevées d’abord contre les barbares, ont été ensuite augmentées, lorsque l’Alsace devint une province immédiate de l’Empire germanique ; enfin, elles ont été mises dans l’état où on les voit maintenant par le célèbre Vauban, qui construisit la citadelle après que la ville eut reconnu la domination de Louis XIV, en 1681.
Strasbourg est remarquable comme place de guerre et comme ville de commerce ; mais elle doit sa plus grande illustration aux sciences, aux arts et à l’enseignement public, qui, déjà au commencement du seizième siècle, attirait dans ses murs des Allemands, des Polonais, des Hongrois, des Russes, des Danois, des Anglais, et même des Français.
Strasbourg est au centre d’un bassin immense formé par les Vosges et les Montagnes-Noires. Il n’existe peut-être nulle part une vue comparable à celle que l’on découvre lorsque l’on est placé sur le haut de la flèche de la cathédrale de Strasbourg, le monument le plus élevé de l’Europe (il a plus de 437 pieds de roi d’élévation : la plus haute des pyramides d’Égypte ne le surpasse que de 30 pieds).
La ville est bâtie très-irrégulièrement. Cependant, depuis un demi-siècle, et surtout de nos jours, de grandes améliorations se sont faites. On remarque, indépendamment de la cathédrale, le théâtre, la halle aux blés, le château royal, l’académie et un assez grand nombre d’hôtels et d’établissemens publics, qui peuvent rivaliser avec ce qui existe de mieux dans les plus grandes villes de l’Europe.
Le 17 Août M. de Kentzinger, maire de la ville de Strasbourg, avait adressé à ses concitoyens la proclamation suivante, contenant l’annonce officielle de là prochaine arrivée du Roi et de son auguste Fils.
Nos vœux sont accomplis ; je vous annonce une véritable fête de famille ; CHARLES X, le meilleur des Rois, arrive au milieu de nous !
Il a voulu que notre joie fût complète ; il vient avec son auguste Fils, dont la présence dans nos murs nous a laissé de si doux souvenirs ; les lauriers de la victoire sont venus depuis orner son front, mais ils n’ont point enorgueilli son cœur : l’amour pour les Français est la première des gloires pour un Bourbon.
Manifestons nos sentimens pour des Princes si magnanimes, prouvons-leur que, quoique nous ne soyons pas les premiers venus dans ce magnifique royaume des lis, nous pouvons, par notre dévouement, nous placer au premier rang des plus fidèles sujets des descendans de S. Louis et de Henri IV.
Je croirais vous faire injure, en vous traçant ce que vous avez à faire pour célébrer dignement ceux qui ont pacifié la France, et dont toutes les pensées sont constamment dirigées vers tout ce qui peut assurer sa prospérité et sa gloire…
Vive le Roi ! Vive Monseigneur le Dauphin ! Vivent les Bourbons à jamais !
Dès-lors la joie éclata de toute part, et chacun s’apprêta à célébrer cette fête de famille. L’Administration et les citoyens rivalisèrent de zèle, et quoique l’on eût bien peu de temps devant soi, tout fut prêt au jour indiqué : le travail est si facile lorsque le cœur dirige les bras.
Au nombre des dispositions adoptées par le conseil municipal pour la réception du Roi, M. Villot, architecte de la ville, fut chargé d’ériger un arc de triomphe monumental hors de la porte Blanche.
L’emplacement fut choisi à 700 mètres environ de la ville, sur la partie la plus élevée de la route de Paris, non loin de Kœnigshoffen, ancienne demeure des rois d’Austrasie, d’où l’on découvre la ville de Strasbourg, les riches cultures qui l’entourent, l’immense flèche de la cathédrale, et enfin les montagnes de la Forêt-Noire.
L’exécution répondit au choix de l’emplacement, et elle fait le plus grand honneur à M. Villot, qui en a conçu le plan, et aux artistes distingués qui y ont coopéré.[17]
Cet arc de triomphe, composé dans le style antique, avait 11 mètres de large sur 11 mètres 60 centimètres de hauteur au-dessous du piédestal.
Les deux pieds-droits de l’arcade avaient chacun 3 mètres de large ; ils étaient décorés de colonnes corinthiennes avec leurs piédestaux et entablemens, surmontés, de figures allégoriques, représentant l’agriculture, les arts, le commerce, l’industrie, etc. etc.
Les entre-colonnemens étaient décorés de niches avec figures colossales, représentant, à droite, la ville de Strasbourg, et à gauche, l’Alsace ; au-dessus étaient peints des médaillons, représentant le Rhin, l’Ill, et sur la face opposée la Bruche et le canal Monsieur ; dans la frise, au-dessus de ces médaillons, étaient peints en relief des dauphins avec des rinceaux. Les pieds-droits étaient surmontés de trophées militaires aux armes et chiffres de Charles X. L’arcade avait 5 mètres d’ouverture sur 8,50 de hauteur sous clef, et 6 mètres 60 centimètres de profondeur ; la voûte était décorée de caissons et de rinceaux, les murs au-dessous ornés de draperies fleurdelisées. Sur la façade de l’arc étaient deux renommées ; au-dessus une frise portant l’inscription : À CHARLES X ; le tout couronné par une corniche à modillons faisant le tour du monument. Au-dessus de l’arc s’élevait un piédestal surmonté des armes de France, et portant l’inscription suivante[18] :
Au pied de ces remparts où ton peuple se presse,
Viens recevoir les vœux qu’il brûle d’exprimer.
Il t’offre ici, dans sa joyeuse ivresse,
Des bras pour te défendre et des cœurs pour t’aimer.
Le décors de la face opposée, vers Strasbourg, était en tout semblable. Le piédestal portait cette inscription :
LOUIS XIV. | 23 | Octobre 1681. |
LOUIS XV. | 5 | Octobre 1744. |
CHARLES X. | 7 | Septembre 1828. |
M. le lieutenant-général Castex, commandant la division, accompagné de M. le maréchal-de-camp Dumoulin, commandant le département du Bas-Rhin, de M. le maréchal-de-camp vicomte de Rambourgt, commandant le département du Haut-Rhin, de M. le colonel Ricard, chef d’état-major, et d’un grand nombre d’officiers, s’était porté à une demi-lieue environ de la ville, où se trouvaient déjà deux escadrons d’artillerie à cheval et un des deux escadrons du 10e régiment de cuirassiers, qui étaient arrivés la veille de Haguenau pour augmenter la garnison de Strasbourg pendant le séjour du Roi.
Le Roi et le Dauphin firent le plus gracieux accueil à ces officiers supérieurs, qui entourèrent ou suivirent la voiture de Sa Majesté Jusqu’à trois cents pas environ en avant de l’arc de triomphe, où le Roi et le Prince montèrent à cheval.
Le temps était magnifique et l’affluence tellement grande, que l’état-major et la troupe durent faire des efforts pour frayer un passage au Roi ; mais Sa Majesté, s’en étant aperçue, s’écria : « Qu’on se garde surtout de faire aucun mal à ces braves gens ! »
Toutes les autorités s’étaient réunies auprès de l’arc de triomphe, où Sa Majesté daigna s’arrêter, et aussitôt que les innombrables acclamations qui partaient de toute part permirent à M. de Kentzinger de se faire entendre, il eut l’honneur de présenter au Roi les clefs de la ville sur un plateau de vermeil et de lui adresser le discours suivant :
Nos pères furent bien inspirés, lorsqu’en 1681 ils déposèrent aux pieds de votre immortel ayeul les clefs de l’antique Argentorat, jadis si fier de son indépendance politique.
Il y avait une haute sagesse à quitter un pouvoir livré à d’éternels froissemens, pour se placer sous le sceptre paternel de Louis XIV, et s’associer à la toute-puissance du génie et de la gloire.
Sire, qui mieux que Votre Majesté apprend aux Français que la dynastie des Bourbons est toute aimante, et que son empire le plus doux est celui qu’elle exerce sur le cœur.
Votre Majesté a voulu mettre le comble à notre enivrement en ramenant dans nos murs son auguste Fils, qui tient plus à prix l’amour des Français que tous les trophées de ses brillantes victoires.
Sire, nous avons l’honneur de vous présenter les clefs de la bonne ville de Strasbourg, et avec elles le tribut de notre amour, de nos respects et de la plus inaltérable fidélité.
Vive le Roi ! Vive Monseigneur le Dauphin ! Vivent les Bourbons !
Le Roi prit gracieusement les clefs que lui offrait M. le maire, et lui répondit :
J’accepte ces clefs avec grand plaisir ; je vous les rendrai avec confiance.
J’entre dans cette ville avec une douce satisfaction. Ce que j’ai vu dans ce pays me prouve que l’amour des Français pour leur Roi est toujours gravé dans leurs cœurs. Certes, l’amour du Roi pour les Français est aussi gravé dans son cœur d’une manière ineffaçable.
Ces dernières paroles, prononcées avec un accent qui électrisa toute la population qui se pressait autour de l’arc de triomphe, ont été accueillies par les plus vives acclamations.
Sa Majesté se dirigea ensuite sur la ville, dans laquelle Elle fit
son entrée à une heure et demie. M. le maréchal-de-camp, baron
Deschamps, lieutenant de Roi, à la tête de son état-major, eut
Le Roi arrive à l’Arc de triomphe où M. le maire de Strasbourg lui présente les clefs de la Ville.
l’honneur de complimenter Sa Majesté à la première barrière, en lui remettant
les clefs de la forteresse, les mêmes qui en 1744 avaient été
présentées au Roi Louis XV.
Les bords de la route, les champs environnans, les glacis et les remparts étaient couverts d’une immense population, agitant ses chapeaux, ses mouchoirs, et faisant retentir l’air de ses cris joyeux et de ses acclamations. C’était une véritable fête triomphale. Les honneurs militaires rendus au Roi par la troupe, le son de toutes les cloches, une salve de cent et un coups de canon et le bruit mélodieux de la musique, agissaient sur les esprits et sur les cœurs déjà enivrés de la présence du Roi et de son auguste Fils.
Dans la ville l’enthousiasme était à son comble. Toutes les maisons étaient pavoisées et garnies de guirlandes, de draperies et d’inscriptions ; d’élégans amphithéâtres avaient été élevés partout où il y avait une place disponible, et ils étaient garnis, ainsi que les croisées de toutes les maisons, d’une immense quantité de dames élégamment vêtues.
Les troupes formaient la haie depuis la porte Blanche jusqu’au château royal, et de forts détachemens, avec musique et drapeaux, stationnaient sur la place Saint-Pierre-le-vieux, sur la place d’Armes, sur le Marché aux herbes et sur la place de la Cathédrale, ainsi que devant le château royal.
La population de la ville était plus que doublée par l’affluence des étrangers que cet heureux événement avait attirés à Strasbourg ; aussi n’était-il pas possible à ceux qui étaient en retard, de trouver place dans les rues qui se trouvaient sur le passage du Roi. Aussitôt qu’on l’apercevait, les acclamations, les cris de vive le Roi ! vive le Dauphin ! formaient un concert unanime, qui produisit une forte émotion sur Sa Majesté. Elle souriait à tous avec une extrême bonté, et saluait les dames avec cette grâce qui la caractérise.
C’est ainsi que le Roi, accompagné de Mgr le Dauphin, précédé et suivi d’un brillant et immense cortége, parcourut lentement le faubourg Blanc, la rue du Vieux marché aux vins, la place de l’Homme-de-fer, la place d’Armes, la rue des Grandes arcades, le Marché aux herbes et la rue Mercière.
Sa Majesté mit pied à terre en face du grand portail de l’église cathédrale, où l’attendait M. l’évêque (Lepappe de Trevern), qui, à la tête de son clergé, adressa au Roi ces paroles touchantes :
Les vœux de vos fidèles Alsaciens appelaient depuis long-temps Votre Majesté : enfin leurs yeux ont eu le bonheur de la contempler, et leurs acclamations redoublées l’ont saluée avec des transports d’alégresse.
Sire, ce n’est pas assez pour leur amour. Leurs ardentes prières vont, avec celles de leur évêque, faire retentir les voûtes de cette noble et vaste basilique ; elles monteront au trône du Roi des Rois, pour le supplier de leur conserver long-temps celui que, dans sa bonté, il a daigné leur accorder, et d’assurer à sa dynastie, la plus illustre de l’univers, l’empire sur eux et sur les dernières générations.
Sa Majesté répondit :
Croyez, M. l’évêque, que je reçois avec un grand plaisir l’expression de vos sentimens. Je sais combien il est nécessaire de prier Dieu qu’il répande sur nous les grâces dont les Rois ont tant besoin. Je désire que vos prières soient exaucées, et je l’espère.
Allons au pied des autels supplier le Très-Haut de m’accorder la force et les moyens nécessaires pour assurer le bonheur du peuple que je suis heureux de gouverner.
Sa Majesté entra ensuite dans la cathédrale et se plaça avec son auguste Fils sous le dais qui avait été préparé au milieu du chœur, et après avoir fait ses prières, Elle assista au Te Deum qui fut chanté.
Sa Majesté se rendit ensuite à pied au château, où Elle fut reçue par M. le comte Claparède, gouverneur de cette résidence royale.
Quelques instans après, on introduisit auprès de Sa Majesté les autorités civiles et militaires et les officiers de la garnison.
MM. le baron de Boulach, Benjamin Constant, le vicomte Renoüard de Bussierre, Saglio, de Turckheim, le baron de Wangen de Géroldseck, députés du Bas-Rhin, ont été admis à présenter leur hommage à Sa Majesté, qui les accueillit avec beaucoup de bonté, en saluant chacun d’eux nominativement.
M. Millet de Chevers, premier président de la Cour royale de Colmar, et M. Desclaux, procureur général, ont été admis à offrir à Sa Majesté les hommages et les vœux de la Cour royale et de son parquet.
M. le procureur général ayant adressé à Sa Majesté des remercimens pour les grâces qu’Elle avait daigné accorder à des condamnés sur la proposition de M. le Garde des sceaux, le Roi lui répondit :
La justice est un devoir que je remplirai toujours avec fermeté ; mais la clémence est toute dans mon cœur.
Mgr l’évêque, en présentant à Sa Majesté le clergé de son diocèse, a dit :
J’ai l’honneur de présenter à Votre Majesté son clergé du Bas-Rhin, dont toutes les pensées, toutes les actions ne tendent qu’à donner des ames à Dieu et des cœurs au Roi.
Sa Majesté agréa cet hommage avec bonté et s’informa avec une bienveillance particulière de l’état du diocèse.
Le Roi ayant alors appris que les demoiselles de la ville étaient réunies dans le sallon d’attente, donna l’ordre de les faire entrer, en disant : « La galanterie fait toujours marcher les dames avant tout ; c’est la règle. »
Elles ont été introduites au nombre de quatre-vingts, avec le corps municipal ; et Mlle la comtesse de Choiseul[19], portant la parole, eut l’honneur d’adresser le compliment suivant à Sa Majesté, en lui offrant une corbeille de fleurs :
Veuillez nous permettre d’unir nos timides hommages à ceux de l’immense population de l’Alsace.
Nous n’osons offrir au Roi qu’une corbeille de fleurs. Daignez, Sire, y voir l’emblème de notre amour, et accueillir avec bonté l’élan de nos cœurs : ils forment les vœux les plus ardens pour la prolongation d’un règne consacré tout enter au bonheur de la France.
Le Roi a répondu à Mlle de Choiseul avec une extrême bienveillance.
Les présentations ont ensuite continué. M. le maire a dit en présentant au Roi le conseil municipal ;
Les membres du conseil municipal de votre bonne ville de Strasbourg méritent un regard bienveillant de Votre Majesté ; ils offrent toutes les qualités qui peuvent les rendre recommandables à ses yeux : des vues sages et éclairées, le plus vif amour du bien, et pour Votre Majesté les sentimens les plus prononcés de respect, de fidélité et de dévouement.
Le Roi a répondu :
Je reçois avec grand plaisir l’expression des sentimens de ma bonne ville de Strasbourg. J’ai plus de droits que jamais de l’appeler ma bonne ville, après l’accueil que j’en ai reçu et qui a été droit à mon cœur. Soyez mon interprète auprès de vos habitans ; témoignez-leur combien je suis heureux d’entrer pour la première fois dans cette cité populeuse. Il m’est doux de voir que les sentimens qui sont dans mon cœur pour tous mes sujets, sont également partagés par eux.
M. de Kentzinger, président du tribunal civil, a dit :
Le tribunal de première instance de cette ville, auquel s’est adjoint celui de Wissembourg, dont j’ai le bonheur de pouvoir offrir l’hommage des sentimens de fidélité, de dévouement et de respect qui l’animent pour Votre Majesté, sait combien la justice, ce premier, ce bel attribut des Rois, est chère au cœur paternel de Charles X. Accoutumés à parler en votre nom, Sire, pourrions-nous oublier les devoirs que cette confiance, cet insigne honneur nous impose ? Mais il nous est bien doux de pouvoir, en présence de Votre Majesté et de son auguste Fils, interroger nos consciences, et de n’'y trouver que le désir de mériter toujours son approbation et la continuation de ses bontés.
Le Roi répondit :
Le plus beau droit de la royauté est celui de rendre la justice à ses sujets. Ne pouvant pas tout par moi-même, je suis obligé de la déléguer dans vos mains. Jugez d’après cela de l’importance de vos devoirs ; continuez à remplir vos fonctions avec le zèle et l’impartialité qui doivent distinguer les magistrats Vous acquerrez par là des droits à ma reconnaissance.
M. de Turckheim, président du tribunal de commerce, eut l’honneur d’adresser au Roi le discours suivant :
Le tribunal de commerce vient déposer aux pieds de Votre Majesté l’hommage de son profond respect et de la reconnaissance qu’il partage avec toute l’Alsace pour le bienfait que Votre Majesté lui accorde par sa présence.
Les belles plaines que vous avez traversées, Sire, retentissent encore des accens de la joie et de l’amour du pays. Toutes les classes de la population, qui se pressent sur les pas de Votre Majesté, connaissent votre sollicitude paternelle pour le bonheur de vos peuples ; tous les cœurs sont ouverts à l’espérance ; un seul vœu les anime en ce moment, celui de vous entourer des témoignages de leur vénération.
Si l’Alsace ne jouit pas de toutes les sources de son ancienne prospérité ; si des malheurs que Votre Majesté n’ignore pas, et qui ont pesé sur le commerce de cette ville, peuvent appeler tout l’intérêt du Gouvernement sur des souffrances aussi réelles, il vous sera doux de penser, Sire, que la confiance renaît sous les pas d’un Bourbon, et que votre présence est pour tous vos sujets l’aurore d’un avenir plus heureux.
Daignez, Sire, recevoir avec bonté les vœux du tribunal de commerce, pour la prospérité de votre règne et pour la gloire de votre auguste dynastie.
Le Roi répondit :
Je reçois avec plaisir l’expression de vos sentimens. On sait combien je m’intéresse au commerce, si nécessaire au bonheur de mes sujets. Je m’en occupe, et je m’en occuperai toujours avec le même soin ; heureux si je puis parvenir à adoucir, à diminuer les embarras qui peuvent exister, autant que mes devoirs et la position des choses me le permettront. Redoublez de zèle, s’il se peut, dans l’exercice de vos importantes fonctions, et soyez assurés de tout mon intérêt et de ma reconnaissance.
M. le maire, président de la commission administrative des hospices, a dit :
Le règne de Votre Majesté se signale chaque jour par d’innombrables bienfaits ; comment la commission des hospices civils et les membres du bureau de bienfaisance ne répondraient-ils pas à ses nobles et généreuses intentions ? Sire, ce sentiment est tout en eux, et c’est avec confiance qu’ils déposent aux pieds de Votre Majesté le respectueux hommage de leur amour et de leur fidélité.
M. Désiré Ordinaire, recteur de l’Académie de Strasbourg, s’exprima en ces termes :
Toutes les fois que le conseil royal est admis à présenter à Votre Majesté, par l’organe de son chef, les hommages et les vœux du corps enseignant, chacun des membres de l’académie de Strasbourg trouve dans son langage l’expression fidèle des sentimens dont il est pénétré pour votre auguste personne. Mais combien ils sont heureux de pouvoir en ce jour offrir eux-mêmes à Votre Majesté l’hommage de leur dévouement, de leur vénération, de leur amour.
L’académie de Strasbourg, l’une des plus importantes de votre royaume, remplira toujours avec zèle la noble mission qu’elle a reçue de préparer à la France des hommes vertueux et éclairés, et les cinq facultés qui la composent sont glorieuses d’y concourir, chacune suivant l’ordre de ses attributions.
Qu’il me soit donc permis de donner à Votre Majesté l’assurance que tout ce qu’Elle daignera accorder à cette académie en protection et en confiance, elle l’emploiera toujours au profit de la religion, à la prospérité de l’État et à la gloire du trône.
Le Roi répondit :
Vous êtes appelés à des fonctions bien importantes. Il s’agit de former le cœur des jeunes Français. Pénétrez-les bien de tous les sentimens de religion qui doivent faire la base de leur éducation. C’est alors qu’ils pourront étudier avec fruit les sciences, les lettres et les arts, et devenir des citoyens utiles à l’État. Vous aurez par là rendu de grands services à mes peuples et acquis des droits à ma reconnaissance. Tout ce qu’il y a de beau et de grand dans le royaume, c’est l’éducation de la jeunesse qui le prépare.
M. Humann, président de la chambre de commerce, prononça le discours suivant :
L’industrie fait la puissance des sociétés modernes ; sa prospérité sera désormais la plus forte garante de l’ordre et de la paix publique. Là où elle est progressive, les sources de la richesse coulent à pleins bords : le lien social se resserre par l’heureuse solidarité qui associe le bien-être individuel à la fortune de l’État ; et l’activité des esprits, si ardente de nos jours, s’exerce utilement pour le pays comme pour les citoyens.
La liberté est la vie de l’industrie, la condition de son développement. Il appartenait à la légitimité, qui consacre tous les droits, de nous restituer ce don du Ciel : il est dans la destinée de la France de n’être libre et heureuse que sous le sceptre paternel des Bourbons.
L’Alsace, Sire, souffre de quelques dispositions législatives qui arrêtent l’essor de sa prospérité. Elle se livre à l’espoir que ces entraves vont disparaître, puisque le père de la patrie entend ses doléances.
Sire, le commerce de Strasbourg partage les transports d’alégresse que votre auguste présence excite dans tous les cœurs. Qu’il lui soit permis de déposer, par mon organe, aux pieds du meilleur des Rois, l’hommage de sa profonde vénération, de sa fidélité et de son amour.
Le Roi répondit :
Je reçois avec grand plaisir l’expression de vos sentimens. Assurez ceux qui se livrent à une industrie si utile pour la France, combien je désire de les protéger, d’améliorer leur position, et de les mettre à même de n’avoir plus de rivaux à craindre à l’étranger. C’est là l’objet de mes vœux les plus ardens. Je ne puis marcher à ce but aussi vite que je le voudrais. Vous devez sentir combien il est essentiel d’apporter de la sagesse et de la prudence dans les opérations commerciales. Je ferai de mon côté tout ce qui dépendra de moi.
Je suis charmé, Monsieur, que vous soyez l’organe des intérêts du commerce.
M. le baron de Turckheim, père, président du consistoire-général de la confession d’Augsbourg, harangua le Roi ainsi :
Les consistoires de la confession d’Augsbourg s’approchent avec vénération du monarque chéri dont la présence comble de bonheur les fidèles habitans de l’Alsace.
C’est sous le sceptre protecteur de Votre Majesté qu’ils jouissent en paix de la liberté religieuse. Elle assure à la génération présente, comme aux générations à venir, les fruits d’une éducation basée sur l’instruction chrétienne dont les augustes frères de Votre Majesté ont conservé le bienfait à nos églises.
Nos pasteurs allient dans leur enseignement les vertus du chrétien aux devoirs du sujet ; leurs prières s’adressent au Tout-Puissant pour la conservation des jours de Votre Majesté.
Le Roi répondit :
Tous mes fidèles sujets protestans de Strasbourg et de toute l’Alsace peuvent compter sur ma protection et sur mon affection.
La protection que je vous accorde, est une obligation pour moi : elle résulte du traité souscrit par mon aïeul, ainsi que de la Charte.
Si elle ne se trouvait pas dans ces actes, elle serait dans mon cœur.
Continuez, Monsieur, à mériter ma confiance par votre zèle à remplir les fonctions que je vous ai spécialement confiées.
M. Mæder, président du consistoire réformé, dit au Roi :
Dans ce moment où le cœur de Votre Majesté s’épanouit au milieu des acclamations d’une cité loyale et dévouée, il est doux pour le consistoire de l’église réformée d’être l’organe des sentimens de ses co-religionnaires auprès du père commun des Français.
Sire, ces sentimens sont purs comme le ciel d’un beau jour. Si nous ne savons pas les exprimer avec éloquence, ils sont profondément gravés dans nos cœurs. Ils nous dictent tour à tour l’obéissance et le dévouement ; ils nous inspirent des prières ferventes pour le meilleur des Rois.
Que Votre Majesté daigne agréer ces sentimens : elle comblera les vœux de ses fidèles sujets de la confession réformée.
Le Roi répondit :
Oui, j’agrée les sentimens de mes fidèles sujets de la religion réformée ; ils pourront toujours compter sur ma bienveillance et sur ma protection.
M. Auguste Ratisbonne, vice-président du consistoire israélite, prononça le discours suivant :
Le consistoire israélite de ce département vient déposer aux pieds de Votre Majesté l’hommage de l’amour et du respect de ses co-religionnaires. Nous sommes heureux de pouvoir nous unir en ce jour solennel à tous les organes de la joie publique : ce bonheur, Sire, c’est aux Bourbons que nous en devons la garantie ; c’est aux institutions données à la France par votre auguste frère, et si loyalement exécutées par Votre Majesté. Que Dieu daigne vous en récompenser ! qu’il accorde à Votre Majesté et à votre illustre race une longue suite de siècles ! Elle trouvera toujours autour de son trône des enfans d’Israël pour la bénir et pour la servir.
Le Roi répondit :
Tous mes fidèles sujets ont des droits égaux à mon affection, et peuvent compter sur ma protection.
M. Strohl, président du conseil des prud’hommes, adressa au Roi l’allocution suivante :
L’industrie et les arts sont une source féconde de prospérités, et pour les nations qui les cultivent, et pour les gouvernemens qui les protègent.
Grâce à cette protection constante dont ils jouissaient déjà sous le règne de vos illustres aïeux ; grâce à celle que Votre Majesté a daigné leur assurer de nouveau, la France confirme aujourd’hui hautement cette vérité par les résultats heureux de son industrie nationale.
Sous l’égide des paternelles sollicitudes émanées du trône, la ville de Strasbourg, depuis le moment fortuné de sa réunion à la France, a constamment rivalisé de zèle et d’activité avec les autres villes du royaume pour les progrès des arts industriels ; dans quelques-unes de ses branches elle les a même devancées.
Sire, organe de cette classe intéressante qui cultive les arts et l’industrie, le conseil des prud’hommes de la ville de Strasbourg vient en ce jour heureux supplier Votre Majesté de daigner agréer les sentimens de notre amour et de notre fidélité envers sa personne sacrée et envers son auguste famille.
Le Roi répondit :
Je reçois avec plaisir l’expression des hommages du conseil des prud’hommes de la ville de Strasbourg. Je vous engage, Messieurs, à continuer de remplir avec le zèle qui vous distingue les fonctions que vous exercez.
Sa Majesté ne devant parcourir dans son voyage aucune partie du territoire de l’arrondissement de Wissembourg, la ville qui en est le chef-lieu a résolu d’envoyer une députation à Strasbourg, à l’effet de présenter au Roi les respectueux hommages et les regrets de l’arrondissement. La députation était composée de M. Bauer, avocat, maire de Wissembourg, délégué pour faire l’intérim de la sous-préfecture ; et de MM. Salomon, inspecteur des eaux et forêts ; Louis Apfel, ancien juge, électeur et éligible ; Lejoindre, juge d’instruction ; Lentz, père, et Pugnière, avoués licenciés.
M. Bauer, président de la députation, eut l’honneur de haranguer le Roi. Sa Majesté répondit avec beaucoup de bonté qu’Elle regrettait que l’itinéraire de son voyage ne lui permît pas de visiter ses fidèles sujets de l’arrondissement de Wissembourg.
La ville de Haguenau, qui, par la même cause, ne devait pas non plus avoir le bonheur de posséder le Roi dans ses murs, vit accueillir avec la même bonté sa députation, composée de M. le général Thurot, maire ; de MM. Kayser et Paganetto, adjoints ; Hild, Guntz, Lemasson et Nessel, membres du conseil municipal.
Sa Majesté daigna encore accueillir la députation que lui envoya la ville de Sélestat[20], et combla ses vœux en lui promettant de traverser cette ville.
Sa Majesté, après avoir accueilli ces nombreux hommages, reçut immédiatement les visites de S. M. le roi de Wurtemberg et de S. A. R. le grand-duc de Bade, qui s’étaient rendus exprès à Strasbourg pour voir le Roi de France.
Le grand-duc de Bade était accompagné des margraves Léopold, Guillaume et Maximilien, ses frères, et du prince de Furstemberg, son beau-frère.
Le Roi accorda ensuite audience à S. A. le prince de Lœwenstein, envoyé extraordinaire de S. M. le roi de Bavière, et à S. Exc. le lieutenant-général baron de Moranville, envoyé extraordinaire de S. A. R. le grand-duc de Hesse, qui eurent l’honneur de remettre à Sa Majesté des lettres de leurs souverains.
Après la réception, Sa Majesté, entendant les cris d’alégresse et les acclamations de la foule immense qui s’était réunie sur la terrasse du bord de l’eau, sur le pont de l’Évêché et sur les quais adjacens, s’empressa de se rendre au désir public en paraissant sur le balcon, où Elle fut accueillie par les cris mille fois répétés de vive le Roi ! vive le Dauphin !
Les cavalcades et les chariots que Sa Majesté avait rencontrés sur toute sa route, défilèrent ensuite sur la terrasse, et renouvelèrent au sein de la ville le beau spectacle qui avait charmé le Roi au milieu de la campagne.[21]
À six heures et demie Sa Majesté se mit à table. Le roi de Wurtemberg, le grand-duc et les princes de Bade dînèrent avec Elle.
Le prince de Lœwenstein, plusieurs ministres et généraux étrangers, les principales autorités civiles et militaires de la ville et du département, MM. de Turckheim et Saglio, députés élus par le grand collége du Bas-Rhin, furent également admis à la table de Sa Majesté.
À huit heures et demie le Roi se rendit au théâtre, où il était attendu par la plus brillante réunion que l’on y ait jamais vue ; toutes les dames rivalisaient par l’éclat et l’élégance de leurs parures. Sa Majesté fut accueillie avec enthousiasme à son arrivée, et Elle parut très-sensible aux acclamations de joie et d’amour qui lui furent adressées pendant chacun des entre-actes ; aussi, et malgré toutes les fatigues de la journée, Elle resta jusqu’à la fin du spectacle, qui ne se termina qu’après minuit. Sa Majesté avait dans sa loge le roi de Wurtemberg et le grand-duc de Bade ; Mgr le Dauphin occupait la loge à droite du roi de Wurtemberg, et le prince de Lœwenstein la loge à la gauche du grand-duc de Bade. Toutes les personnes qui eurent le bonheur d’assister à cette fête, en conserveront long-temps le souvenir, tant le Roi y montra de bienveillance et d’affabilité. Le spectacle, qui se composait de Jean de Paris et de Picaros et Diégo, commença par une cantate[22], dont les paroles avaient été faites pour la circonstance par M. de Besancenet, adjudant du château royal de Strasbourg, et dont la musique avait été composée par M. Paër.
Chaque couplet de cette cantate fut vivement applaudi ; et lorsqu’elle fut terminée, les cris de vive le Roi ! vive le Dauphin ! furent tellement prolongés, que le Roi et son auguste Fils, visiblement émus, se levèrent et saluèrent à plusieurs reprises en s’adressant à toutes les parties de la salle. L’enthousiasme fut alors à son comble.
En retournant au château, le Roi put facilement s’apercevoir que la ville entière partageait les sentimens qui venaient de lui être si vivement exprimés au théâtre.
Partout les plus vives acclamations, partout les illuminations les plus brillantes. Un immense obélisque, garni de lampions, jetait une lumière éclatante à l’entrée du Broglie, du côté opposé, l’illumination de la salle de spectacle offrait un coup d’œil encore plus magnifique : les colonnes du péristyle semblaient être de feu. Les deux faces latérales de la promenade étaient en harmonie avec les deux extrémités : l’hôtel de ville, l’école d’artillerie, ainsi que toutes les maisons particulières, étaient resplendissantes de lumière.
Arrivé sur la place de la Cathédrale, où se pressait une foule innombrable, on se croyait transporté dans le pays des enchantemens ; la flèche de la Cathédrale (haute de 437 pieds) se présentait comme une immense pyramide d’étoiles suspendue dans les airs. L’ensemble des illuminations du collége royal et du château offrait un coup d’œil magnifique.
Sur la porte principale du collége on avait placé un transparent sur lequel on lisait le vers suivant :
Si d’un côté cette pensée laconique rappelait de funestes souvenirs, elle devait d’un autre côté exciter de vifs sentimens de reconnaissance pour le Monarque dont la sagesse, en éloignant de la France tout ce qui ne veut pas être Français, assure à jamais notre repos et notre bonheur.
Une nombreuse société d’amateurs de musique avait fait préparer avec élégance, et placer sur la rivière, vis-à-vis la terrasse du château royal, deux grands bateaux de la navigation marchande, dont les bords et la mâture étaient décorés de fleurs et de lampions. Cette société avait l’intention de donner un concert d’harmonie à Sa Majesté à sa sortie du théâtre ; mais, dans la crainte de prolonger les fatigues du Roi, elle se retira à minuit, un peu avant que Sa Majesté ne revînt du spectacle.
Ainsi se termina la première journée que le Roi a passée à Strasbourg ; celles qui l’ont suivie présenteront un enthousiasme toujours croissant. Les Strasbourgeois connaissent maintenant leur Roi ; ils ont recueilli les nobles paroles sorties de son cœur, et ils y ont trouvé la plus précieuse, la plus sainte garantie des libertés publiques, auxquelles ils sont attachés par la conviction, qu’ils ont reçue de leurs ancêtres, qu’elles seules peuvent faire le bonheur et la gloire des peuples, et que, seules aussi, elles peuvent rendre inaltérable l’amour pour le Prince.[23]
JOURNÉE DU 8 SEPTEMBRE.
Le Roi, après avoir entendu la messe dans ses appartemens, sortit à dix heures du château pour se rendre au polygone et y assister aux manœuvres des troupes et aux exercices de l’artillerie.
Sa Majesté, accompagnée de Mgr le Dauphin, du roi de Wurtemberg, du grand-duc et des margraves de Bade, des grands-officiers de la Cour et d’un brillant état-major, fit son entrée au polygone sous un arc de triomphe militaire. Il était composé de huit pièces de vingt-quatre dressées sur la culasse ; ces pièces étaient accouplées deux à deux, et formaient de chaque côté de la route un système de quatre pièces qui laissaient au milieu un passage de 4 mètres. Ces huit colonnes en supportaient huit autres, formées par des faisceaux de lances. Un entablement orné de guirlandes séparait ces colonnes des premières ; une frise et une corniche surmontaient les colonnes de lances. Au-dessus de la corniche régnait une balustrade formée avec des sabres d’artillerie : au centre de cette balustrade s’élevait un piédestal qui soutenait le buste du Roi, placé au milieu de trophées d’armes et de drapeaux.
L’ensemble de cet arc de triomphe, qui formait une masse de 9 mètres de haut sur 7 de large et 2 de profondeur, était orné de guirlandes de feuillages, de piles de boulets et d’ornemens entièrement militaires. On lisait sur la frise du côté de la ville : À CHARLES X ; et du côté du polygone : VIVE LE ROI !
Aussitôt arrivée, Sa Majesté monta à cheval et passa en revue
toute la garnison de Strasbourg, composée du 2e régiment d’artillerie
à pied, du 1er régiment d’artillerie à cheval, du bataillon de pontonniers,
de la 9e compagnie d’ouvriers d’artillerie, du 1er escadron du
train d’artillerie, des 18e et 39e régimens d’infanterie de ligne, et du
49e régiment d’infanterie légère. Deux escadrons du 10e régiment de
cuirassiers, en garnison à Haguenau, étaient venus renforcer encore
cette ligne de bataille, qui était appuyée de deux batteries de campagne
du nouveau modèle, servies, l’une par l’artillerie à pied, et
l’autre par l’artillerie à cheval. Après la revue, l’infanterie, la
Arc de triomphe élevé par l’Artillerie au Polygone de Strasbourg. cavalerie et les deux batteries de campagne exécutèrent, avec un ensemble
et une précision remarquables, diverses manœuvres accompagnées de
feux de mousqueterie et d’artillerie. La légèreté et la mobilité du nouveau
matériel de campagne, la solidité et l’élégance des harnais,
parurent fixer surtout l’attention des illustres étrangers qui assistaient
à la revue. Pendant que ces mouvemens attiraient les regards du
Roi, les troupes d’artillerie se portèrent rapidement dans les batteries
permanentes du polygone et dans les divers ateliers qu’on avait organisés
en arrière, pour présenter au Roi, d’un seul coup d’œil, l’ensemble
des travaux dont cette arme est chargée.
Les batteries de tous genres étaient armées d’environ cinquante bouches à feu. Dans les ateliers placés derrière les batteries, on confectionnait tous les fascinages en usage dans l’artillerie, tels que saucissons, gabions, claies, paniers d’ancrage, etc., et on exécutait les manœuvres de chèvre et les diverses manœuvres de force, de siége et de campagne. Quand les évolutions furent terminées, Sa Majesté passa dans les batteries, qu’elle trouva en bon ordre ; mais le Roi fut frappé principalement de l’activité qu’on déployait dans les ateliers placés en arrière, et qui formaient un spectacle aussi varié qu’animé. Pour compléter ce tableau, une batterie d’étude de siége, qui avait été commencée la veille, fut achevée en présence du Roi.
Après avoir donné une attention toute particulière à ces divers travaux, le Roi monta sur une vaste estrade à triple étage, surmontée d’une tente, que les artilleurs avaient construite avec des objets faisant partie de leur matériel. Les deux étages inférieurs étaient occupés par des dames de la ville, élégamment vêtues, et qui formaient, de chaque côté du pavillon du Roi, une enceinte des plus agréables. Les hommes étaient groupés au pied de l’estrade. Le Roi, en y montant, reçut encore des témoignages éclatans de l’enthousiasme qu’excitait sa présence, et du bonheur qu’éprouvaient les assistans d’être admis auprès de la personne de Sa Majesté.
Dès que le Roi eut pris place, et à un signal convenu, l’artillerie exécuta une école de tir, à laquelle participèrent aussi les deux batteries de campagne. Un feu vif et soutenu s’engagea dans toutes les batteries de la droite à la gauche, et l’adresse des pointeurs excita plusieurs fois les acclamations des assistans.
Le Roi, non content de témoigner sa satisfaction verbalement, daigna mettre le comble à sa bonté, en faisant appeler successivement et en récompensant généreusement, de sa main royale, les pointeurs, au nombre d’une trentaine, qui avaient obtenu le plus de succès. Jamais ces encouragemens si flatteurs pour eux ne s’effaceront sans doute de leur souvenir. Cette distribution de récompenses, faite par le Roi lui-même, offrait un spectacle des plus touchans, et causa une émotion générale. Nous citerons un trait qui prouve l’impression qu’elle fit sur les soldats :
Un artilleur, qui avait abattu un blanc, reçut, comme les autres, une gratification de la main du Roi. « Eh bien, lui dit-on, il t’a donné pour boire. » — « Il m’a mieux donné que cela, répondit-il avec une sorte d’orgueil, il m’a donné sa main, et il avait ôté son gant. »
Dans sa générosité à récompenser ces militaires, le Roi laissa échapper aussi un mot fort heureux. Au moment où il distribuait les gratifications aux artilleurs, deux pièces de vingt francs tombèrent à terre : un canonnier se baisse pour les ramasser et veut les remettre au Roi. Sa Majesté refuse ces pièces et lui dit avec une grâce et un à-propos charmans : « Ne sais-tu pas que tout ce qui tombe dans le fossé appartient au soldat ? »
Sa Majesté ordonna alors de faire défiler les troupes. M. le lieutenant-général Castex se mit à leur tête, commanda le défilé par division, l’artillerie et la cavalerie défilant au trot. Ce mouvement se fit avec un ordre qui excita à plusieurs reprises la satisfaction du Roi. Sa Majesté monta ensuite dans une calèche découverte, ayant à sa gauche le roi de Wurtemberg, et sur le devant, le grand-duc de Bade, à côté de Mgr le Dauphin, et rentra dans la ville.
Une population immense garnissait la partie du polygone non occupée par les troupes, ainsi que la route, les glacis, les remparts et les rues ; et de toutes parts les acclamations les plus vives accompagnèrent Sa Majesté jusqu’à l’arsenal, où Elle se rendit directement.
Sa Majesté a d’abord vu rangées dans les cours plus de mille bouches à feu de tous les calibres.
Elle a ensuite examiné le parc aux projectiles.
De là Elle a passé dans les magasins où sont engerbés les affûts et voitures.
Revenu dans les cours, Sa Majesté a examiné avec détail un parc d’artillerie, composé d’une batterie de campagne et d’un petit équipage de siége ; ce parc était composé d’affûts et voitures du nouveau système d’artillerie. En seconde ligne, un parc semblable était composé avec les affûts et voitures du système de Gribeauval. Cette disposition a permis à Sa Majesté de vérifier facilement les avantages du nouveau système sur l’ancien. Mgr le Dauphin s’est principalement occupé de la comparaison de ces deux artilleries, et S. A. R. a donné elle-même aux princes étrangers, en entrant dans les plus petits détails, les raisons qui ont motivé les changemens qui viennent d’avoir lieu dans le matériel de notre artillerie.
Le Roi est ensuite monté dans les salles supérieures, qui contiennent en armes neuves de quoi armer plus de cent trente mille hommes d’infanterie, et vingt-cinq à trente mille hommes de cavalerie.
Une de ces salles, particulièrement disposée pour recevoir Sa Majesté, était décorée avec des trophées et des drapeaux. Au fond de la salle, le Roi a remarqué son buste placé dans une niche au milieu de faisceaux d’armes et d’ornemens militaires. À droite et à gauche de cette niche et au-dessus de trophées d’armes anciennes, on voit une croix de S. Louis et une croix de la Légion d’Honneur, exécutées en pièces d’armes. Ces dispositions du fond de la salle existent depuis l’avénement de Charles X, et ont été faites à l’occasion de l’inauguration de son buste.
En descendant des salles d’armes, le Roi a parcouru les chantiers en bois et les forges, où il a trouvé les ouvriers de la 9e compagnie occupés à leurs travaux ordinaires, Sa Majesté, en témoignant sa vive satisfaction aux directeurs de l’arsenal, déclara qu’elle n’avait jamais rien vu de plus imposant en ce genre, et que les fameuses salles d’armes de la tour de Londres ne pouvaient pas être comparées à l’arsenal de Strasbourg, et ensuite, s’adressant au roi de Wurtemberg et à S. A. R. le grand-duc de Bade, Elle leur dit en riant : « Vous le voyez, je n’ai rien de caché, et voilà ce que je puis montrer avec la même confiance à mes amis et à mes ennemis. » Avant de se retirer, Sa Majesté laissa une gratification de 1 200 fr. pour les ouvriers.
En sortant de l’arsenal, le Roi dit aux souverains étrangers : « Maintenant je vais voir mes malades, c’est une visite que chacun fait chez soi. »
Le roi de Wurtemberg, le grand-duc et les princes de Bade quittèrent alors Sa Majesté, accompagnés de MM. le comte d’Andlau et d’Augustin, officiers des gardes du corps, désignés pour faire le service d’honneur, le premier auprès du roi de Wurtemberg, le second auprès du grand-duc.
À trois heures et demie, le Roi et Mgr le Dauphin sont entrés à l’hôpital civil. Ils ont été reçus à la porte de l’établissement par M. de Martignac, ministre de l’intérieur, Mgr l’évêque, M. le préfet et M. le maire. La suite du Roi se composait de M. le prince de Croï-Solre, capitaine des gardes du corps ; M. le duc Charles de Damas, premier gentilhomme de la chambre ; M. le duc de Polignac, premier écuyer ; MM. les ducs de Maillé et de Fitz-James, premiers aides-de-camp ; M. le lieutenant-général de Lasalle, aide-de-camp, M. le maréchal-de-camp baron de Kentzinger, attaché au cabinet du Roi ; M. le duc d’Escars, menin de Mgr le Dauphin.
M. le maire a présenté au Roi et à son auguste Fils la commission administrative des hospices civils, composée de MM. Kæuffer, curé de la paroisse de Sainte-Magdeleine, vice-président ; Dillemann, négociant ; Stribeck, négociant ; Kessel, maréchal-de-camp en retraite, chevalier de l’ordre royal du mérite militaire, officier de la légion d’honneur, et Frantz, propriétaire, administrateurs des hospices. Les membres du bureau de bienfaisance, savoir : MM. Hodel, propriétaire, vice-président ; Schittig, curé de la paroisse de Saint-Louis, chanoine honoraire de la cathédrale ; Kreiss, ministre du culte protestant, président du consistoire de Saint-Pierre-le-jeune ; Gœrner, propriétaire ; Friedel, négociant ; enfin, MM. Englert, aumônier protestant, attaché aux hospices ; Weber, receveur général ; Valentin, secrétaire en chef de la commission administrative ; Boudhors, directeur des hospices civils, et Girardot, directeur de l’hospice des orphelins.
M. Kæuffer, vice-président, a eu l’honneur d’adresser à Sa Majesté le discours suivant :
La grâce inappréciable que Votre Majesté daigne accorder aux habitans de cet asile ouvert au malheur et à la vieillesse, les remplit de joie. Le vieillard oublie sa faiblesse le malade ses douleurs ; le moribond même emploie ses derniers soupirs pour bénir la sollicitude paternelle de Votre Majesté. Tous s’unissent de cœur et d’ame aux administrateurs et aux fonctionnaires de l’établissement pour saluer leur Monarque bien-aimé des cris de vive le Roi, notre père ! vive Monseigneur le Dauphin ! vive et règne à jamais l’auguste dynastie des Bourbons !
Sa Majesté a répondu :
Vous avez des fonctions bien honorables à remplir : l’intérêt des pauvres est celui qui me tient le plus à cœur.
Deux rangées d’orphelins et de pensionnaires pauvres des deux sexes, ayant le costume de l’établissement, étaient placés depuis la porte d’entrée jusqu’au troisième portail, donnant entrée à la chapelle.
Sa Majesté traversa la cour à pied et adressa la parole à un grand nombre de vieillards ; Elle daigna même leur donner la main et serrer la leur. Cette scène touchante fit couler d’abondantes larmes ; l’on ne s’entendait pas au milieu des cris de joie que la présence de Sa Majesté et de son auguste Fils arrachait à cette population qui, pour un moment, semblait ne plus être courbée sous le poids de l’âge et des infirmités. Il fallut à plusieurs reprises retenir les pauvres à leurs rangs, qu’ils voulaient quitter pour entourer Sa Majesté. Un père tendre et sensible apparaissait à sa famille, qui voulait le retenir quelques instans de plus.
Près de la chapelle, deux jeunes orphelines présentèrent un bouquet à Sa Majesté ; l’une d’elles adressa la parole au Roi, et lui dit :
Les orphelins cessent aujourd’hui d’être orphelins, puisqu’il leur est donné de retrouver un père dans la personne sacrée du père commun de tous les Français.
D’autres célébreront l’illustration de la famille la plus auguste et la plus ancienne du monde ; nous enfans, nous ne pouvons et ne devons voir dans Sa Majesté et dans le Prince magnanime qui l’accompagne, que la grâce, la bonté et la miséricorde, qui sont sur la terre les images vivantes de notre Père céleste.
Sire, le souvenir de cet heureux jour est gravé pour jamais dans nos cœurs ; nos anciens, au comble de leurs vœux, chanteront le cantique du saint patriarche Siméon, et nous répéterons tous ensemble : vive le Roi ! vive Monseigneur le Dauphin ! vivent tous les Bourbons !
Sa Majesté caressa ces enfans avec la bonté qui lui est si naturelle.
À l’entrée de la chapelle, Sa Majesté et Mgr le Dauphin furent reçus par Mgr l’évêque et par M. l’abbé Uhrenberger, aumônier de l’hôpital. Monseigneur leur présenta l’eau-bénite, et M. l’abbé adressa Roi les paroles suivantes :
Qu’il est touchant pour des ames sensibles et chrétiennes, de voir la Majesté Royale compatir aux misères humaines, et porter par sa présence même la consolation dans le cœur des malheureux ; il n’y a que des vertus héréditaires, qu’une religion toute divine qui montrent aux puissances de la terre dans la personne des pauvres autant de créatures intéressantes qui, dans leurs souffrances, représentent Jésus-Christ lui-même.
Sire, que Votre Majesté puisse jouir long-temps du plaisir de faire des heureux, et que cette charité céleste, dont elle se montre pénétrée, la conduise enfin à une félicité éternelle.
Que l’auguste Prince, l’émule de tant de vertus royales, jouisse aussi d’un long règne pour le bonheur de la France, et parvienne à la couronne immortelle.
Vive le Roi ! vive Monseigneur le Dauphin ! vivent les Bourbons à jamais !
Sa Majesté répondit :
Votre position est bien douce, puisqu’elle vous met à même de verser la consolation dans le cœur des souffrans ; continuez à remplir vos pieuses fonctions.
Le Roi se rendit alors à la chapelle, où l’on entonna le Domine salvum fac regem, le Laudate Dominum omnes gentes, et les derniers versets du Pange lingua. Ensuite M. l’aumônier, après avoir donné la bénédiction du Saint-Sacrement, reconduisit le Roi jusqu’à la porte de la chapelle, où il a de nouveau encensé Sa Majesté.
De là Sa Majesté et Mgr le Dauphin allèrent visiter les salles.
M. Marchal, chirurgien en chef de l’établissement, fut présenté par M. le maire à Sa Majesté, à l’entrée de la porte des salles des blessés. Le Roi et Mgr le Dauphin ne se contentèrent pas de traverser ces salles ; ils s’arrêtèrent auprès de chaque lit, adressèrent de touchantes paroles à chaque malade et portèrent la consolation dans leurs cœurs.
Sa Majesté fit plusieurs questions au chirurgien en chef, sur l’état des malades, sur la population de l’établissement, et daigna lui témoigner sa satisfaction.
Sa Majesté visita également toutes les autres salles de l’hospice, et agit avec la même bonté envers les infortunés qu’elles contenaient. C’est toujours aux plus malades qu’Elle s’adressa d’abord.
Sa Majesté fut reçue, dans les différentes salles, par les médecins en chef, le directeur et les médecins adjoints des services respectifs.
M. le maire présenta successivement à Sa Majesté MM. Schaal et Schweighæuser, médecins en chef, et MM. Hartung et Schneider, médecins adjoints, ainsi que MM. Uebersaal et Masqué, médecin et chirurgien en chef de l’hospice des orphelins. Sa Majesté daigna s’entretenir avec les administrateurs, les médecins et le directeur, et Elle eut l’extrême bonté de leur témoigner son contentement pour leurs soins et la belle tenue de l’hospice.
Pendant que Sa Majesté parcourait ainsi ce vaste établissement, Elle fit à M. le maire de nombreuses questions générales et de détail, sur lesquelles il fut bien facile à ce digne magistrat de satisfaire Sa Majesté ; car les établissemens de charité sont l’objet de sa vive sollicitude, et l’on peut dire que c’est à ses tendres soins, à la sagesse de son administration, qu’est due, en grande partie, leur prospérité actuelle, qui les place sur la même ligne que les premiers établissemens de la France.
À sa sortie des salles, Sa Majesté visita la pharmacie, où Elle fut reçue par M. Nestler, pharmacien en chef, et par M. Humbourg, contrôleur, que M. le maire lui présenta. Le Roi daigna leur adresser des éloges sur la bonne tenue et sur l’extrême propreté de cette partie importante de l’établissement.
Sa Majesté passa de là à la Dépense, où l’on distribue le pain et le vin ; le Roi, ainsi que Mgr le Dauphin, goûtèrent les deux espèces de vin et le pain qui sont servis journellement aux malades et aux pauvres, et les trouva très-convenables et de bonne qualité.
Le Roi visita ensuite la cuisine, goûta le bouillon qu’on sortit des marmites communes, et le trouva de bon goût ; de là Sa Majesté se rendit à la lingerie et au réfectoire des sœurs, qui s’étaient réunies toutes dans ce dernier local. Elle demanda à la supérieure de ces dames, Mme Sultzer-Vincent, que M. le maire lui présenta, si elles étaient nombreuses, et lui fit diverses questions relatives au service de ces dames : Elle daigna leur témoigner sa satisfaction en les exhortant à continuer à être utiles aux pauvres et aux malades : « c’est servir Dieu et le Roi, dit Sa Majesté, que de soulager les indigens. »
Sa Majesté s’informa avec soin de la situation et des ressources de l’hospice, et Elle apprit avec satisfaction qu’il renfermait douze cents lits et jouissait d’un revenu de 600 000 francs, dont une grande partie en biens-fonds.
Dans la dernière salle que Sa Majesté parcourut, M. le maire lui dit : « Nous avons encore une grâce à demander à Votre Majesté, c’est celle de signer le procès-verbal de Sa visite à l’hospice ; c’est un monument précieux que Sa Majesté nous laissera. » Le Roi répondit : « Rien de plus juste », et il signa le procès-verbal qui lui fut présenté par M. le secrétaire en chef de la commission. Son Altesse Royale fit de même.
De là Sa Majesté redescendit dans la cour, où retentirent les cris de vive le Roi ! vive le Dauphin ! vivent à jamais les Bourbons ! Les pauvres quittèrent leurs rangs et accoururent en foule pour voir encore une fois le Roi et son auguste Fils ; Sa Majesté fut reconduite à sa voiture par Mgr le ministre de l’intérieur, Mgr l’évêque, M. le préfet, M. le maire, la commission administrative, les employés en chef et les médecins de l’hospice.
Avant de monter en voiture, Sa Majesté témoigna de nouveau, à M. le maire et à MM. les administrateurs, sa vive satisfaction.
Cette mémorable visite, qui n’a été qu’une suite de scènes si touchantes, a duré près de sept quarts d’heure. Elle a laissé dans les cœurs des pauvres, et dans ceux des administrateurs et des employés, des souvenirs qu’ils transmettront d’âge en âge, et qui sont de nature à occuper une place distinguée dans l’histoire des meilleurs Rois.
À cinq heures et demie le Roi rentra au château, et à six heures et un quart il sortit de nouveau pour se rendre au dîner qu’il avait bien voulu accepter de la ville. La voiture de Sa Majesté avait peine à se frayer un passage au milieu de la foule qui encombrait les rues et se précipitait de toute part pour voir de plus près le Monarque et son auguste Fils. La presse était si grande, qu’il est inconcevable qu’il n’en soit résulté aucun accident. Le Roi lui-même semblait l’appréhender ; et l’on remarquait avec intérêt, à travers l’expression du bonheur répandue sur tous les traits de Sa Majesté, sa sollicitude, et la crainte qu’Elle éprouvait que quelqu’un ne devînt victime de l’empressement général dont sa personne était l’objet.
Le péristyle et l’escalier de l’hôtel-de-ville, où le banquet était offert, étaient décorés d’orangers et de tentures, et le pourtour de la grande salle, où la table royale avait été dressée, était orné de guirlandes et de chiffres de Charles X.
Pendant le repas, dont tous les apprêts avaient été faits avec une somptualité toute royale, et qui offrait la réunion de tout ce qu’il y a de plus rare et de plus exquis, le public fut admis à circuler devant la table du Roi.[24]
S. M. le roi de Wurtemberg, S. A. R. le grand-due de Bade, S. A. le margrave Léopold de Bade, S. A. le margrave Guillaume de Bade, S. A. le margrave Max de Bade, le prince de Furstemberg et le prince de Lœwenstein, aide-de-camp du roi de Bavière, ont dîné avec le Roi. Les autres personnes admises à la table de Sa Majesté étaient : le duc Charles de Damas, premier gentilhomme de la chambre ; le prince de Croï-Solre, capitaine des gardes ; le duc de Polignac, premier écuyer ; le duc de Maillé, premier aide-de-camp ; le duc de Fitz-James, idem ; le baron de Moranville, lieutenant-général, envoyé du grand-duc de Hesse ; le duc d’Escars, menin de Mgr le Dauphin ; le comte Claparède, gouverneur du château ; le marquis de Boisgelin, major des gardes ; le comte Ohegerty, écuyer-commandant ; le comte de Lasalle, aide-de-camp du Roi ; le comte de Tilly, lieutenant-commandant des gardes ; le marquis de Maisonfort, lieutenant des gardes ; le baron de Kentzinger, maréchal-de-camp, attaché au cabinet du Roi ; le vicomte de Martignac, ministre de l’intérieur ; le marquis de Vaulchier, directeur-général des postes ; M. Esmangart, conseiller d’État, préfet du Bas-Rhin ; M. de Kentzinger, maire de Strasbourg ; MM. Benjamin Constant et de Boulach, députés du Bas-Rhin ; le comte de Montlezun, ministre de France à Bade ; le vicomte Rogniat, premier inspecteur d’artillerie ; le comte Valée, premier inspecteur d’artillerie ; le vicomte Castex, commandant la division ; le baron Neigre, lieutenant-général d’artillerie ; le baron Fririon, lieutenant-général, inspecteur d’infanterie ; le baron Dumoulin, maréchal-de-camp, commandant le département ; le baron Deschamps, maréchal-de-camp, commandant la place ; le baron Boulart, maréchal-de-camp, commandant l’artillerie ; M. de Montfort, maréchal-de-camp, inspecteur du génie ; le baron Du Perreux, intendant militaire ; M. Ricard, colonel, chef d’état-major ; M. Berthier, colonel, directeur d’artillerie ; le baron de Bois-David, colonel du 39e de ligne ; le vicomte de Fitz-James, colonel du 18e de ligne ; le comte Prevost de la Boutetière, colonel du 19e léger ; le baron Christin, colonel du génie ; M. Raindre, colonel du 1er régiment d’artillerie à cheval ; le baron Capelle, colonel du 2e régiment d’artillerie à pied ; M. Gemeau, colonel du 20e léger ; le chevalier de Bourbel-Montpinçon, colonel du 10e régiment de cuirassiers ; le comte d’Andlau, pair de France ; le baron de Berckheim, ministre de l’intérieur du grand-duc de Bade ; le comte de Buol, ministre d’Autriche auprès de la cour de Bade ; le duc d’Otterstedt, ministre de Prusse auprès de la cour de Bade ; le général baron de Spitzemberg, premier aide-de-camp du roi de Wurtemberg ; le baron de Saglin, grand-maréchal de la cour de Bade ; le baron d’Ende, grand-maître des cérémonies de la cour de Bade ; le comte de Neuenstein, lieutenant-général, et le baron de la Sollaye, colonel d’artillerie au service de Bade ; Mgr l’évêque de Strasbourg ; le baron de Turckheim, président du consistoire général de la confession d’Augsbourg ; M. Mæder, président du consistoire réformé ; M. de Kentzinger, président du tribunal civil ; M. Gérard, procureur du Roi ; M. Désiré Ordinaire, recteur de l’académie ; les quatre plus anciens membres du conseil municipal.
Une seconde table de trente couverts avait été dressée pour les personnes de la suite du Roi et des princes étrangers.
À huit heures et demie, Sa Majesté quitta l’hôtel-de-ville et monta en voiture à la clarté d’une superbe illumination, qui avait été préparée dans la cour de l’hôtel pendant le repas, et se rendit à la Préfecture, pour assister au bal qu’elle avait bien voulu y accepter.
Les beaux salons de cet hôtel étaient décorés avec une rare magnificence. Le Roi, accompagné des souverains et des princes étrangers, fut accueilli par les plus vives acclamations. Il adressa les choses les plus aimables aux dames qui embellissaient la brillante assemblée qui y était réunie. Madame d’Agès, fille de M. le préfet, lui ayant été présentée, il lui dit : « Madame, vous êtes la fille d’un homme que j’aime beaucoup. » Après avoir complimenté toutes les dames d’une manière flatteuse, Sa Majesté vint se placer sur l’estrade élevée dans le principal salon, et le bal s’ouvrit aussitôt par un quadrille dans lequel figura le plus jeune des margraves.
À neuf heures et demie, Sa Majesté quitta le bal, et en se retirant Elle dit avec bonté au préfet qui la reconduisait : « M. Esmangart, je n’ai pas oublié que je dîne demain chez vous. »
La façade intérieure de la préfecture, ainsi que tout le pourtour de la cour d’honneur et la façade extérieure, étaient illuminés de la manière la plus brillante. Il en était de même de toutes les maisons de la ville et de la cathédrale, qui offraient, comme la veille, un admirable coup d’œil. Toute la population était répandue dans les rues et fit éclater les plus vives acclamations au moment du passage de Sa Majesté.
JOURNÉE DU 9 SEPTEMBRE.
À neuf heures et demie le Roi alla entendre la messe à la cathédrale.
Sa Majesté monta ensuite à cheval, accompagnée de Mgr le Dauphin, des grands-officiers de sa maison, de MM. les généraux employés dans la place, de M. le lieutenant-général Haxo, inspecteur général du génie, et de M. le colonel baron Christin, directeur des fortifications à Strasbourg. Elle traversa une partie de la ville et se rendit à la porte des Juifs, où Elle commença la visite des fortifications. Après s’être arrêté au saillant du premier bastion à gauche de cette porte, d’où l’on embrasse les fronts neufs de la Finckmatt et de la sortie des eaux, le Roi suivit le rempart et la rue militaire de la Finckmatt, et parcourut les fronts de la porte de Saverne et de la porte Blanche. Il traversa ensuite la rivière d’Ill sur la grande écluse d’inondation, et suivit le développement des fronts méridionaux jusqu’auprès de la citadelle. Sa Majesté examina attentivement les ouvrages, et témoigna sa satisfaction de l’avancement des travaux ordonnés, et du bon état de la place.
En descendant des remparts, le Roi se rendit à l’hôpital militaire, où M. Thévenot de Saint-Blaise, son premier chirurgien ordinaire, l’attendait. Sa Majesté a été reçue à la porte d’entrée par M. le baron Du Perreux, intendant militaire de la 5e division, qui avait à sa suite MM. les sous-intendans militaires, officiers de santé et officiers d’administration de tous grades attachés à l’établissement. M. Du Perreux a complimenté le Roi en ces termes :
Le jour mémorable où l’auguste fils de Saint-Louis daigne visiter ce royal établissement, est pour tous les militaires qui s’y trouvent celui du bonheur ; les cœurs en ce moment en palpitent de joie.
Si quelquefois, dans cette enceinte, des cris douloureux s’élèvent vers le ciel, aujourd’hui, Sire, à l’aspect de Votre Majesté, ils sont changés en cris d’amour et de reconnaissance, et la douleur s’est écartée de ces lieux.
Oui, Sire, dans ce royal asile le soldat est chez lui, c’est le toit paternel où le courage souffrant réclame et reçoit les soins de sa famille et les consolations de la religion. Le cœur de Votre Majesté et son auguste sollicitude pour ses armées nous a tracé ce devoir, et c’est avec orgueil, Sire, que les officiers de santé sous mes ordres, et le vertueux aumônier attaché à cet établissement, accomplissent cette honorable mission, toute royale, toute chrétienne, et dont la récompense est la bienveillante satisfaction de Votre Majesté, et du prince son auguste Fils. Vive le Roi !
Le Roi répondit :
Je reçois avec satisfaction l’expression des sentimens d’amour et de dévouement de mes soldats malades dans cet établissement ; c’est un devoir que je remplis avec plaisir en venant les visiter.
M. l’aumônier, suivi de son clergé, a eu ensuite l’honneur de présenter l’eau-bénite à Sa Majesté.
Au nombre des personnes qui attendaient Sa Majesté, se trouvait Mgr l’évêque ; le Roi l’ayant aperçu, s’approcha de lui en lui adressant ces paroles flatteuses : « Monsieur l’évêque, on est sûr de vous trouver partout où il y a du bien à faire. »
Le Roi s’est rendu ensuite à la chapelle, où il a été chanté un Domine salvum ; de là il a visité plusieurs salles de malades, et a adressé diverses questions à MM. les officiers de santé en chef. Sa Majesté a vu aussi, dans les plus grands détails, la tisanerie, la pharmacie et le laboratoire de chimie, où Elle s’est entretenue un instant avec M. le pharmacien en chef, premier professeur. Celui-ci ayant par inadvertance répondu : « mon général », voulut se reprendre aussitôt ; le Roi lui dit du ton le plus gracieux « il n’y a pas de mal, il n’y a pas de mal ; j’en accepte le titre. »
En sortant de la pharmacie, le Roi a visité successivement l’établissement des bains, l’amphithéâtre de chirurgie, et à terminé par la cuisine, où il a dégusté les alimens et le vin. Il a trouvé le tout de bonne qualité et a remis trois pièces d’or au chef-cuisinier, en lui recommandant de faire toujours de bon bouillon pour les malades,
Sa Majesté, en se retirant, a témoigné à MM. les officiers d’administration et officiers de santé combien Elle était satisfaite de tout ce qu’Elle venait de voir.
L’hôpital militaire de Strasbourg est un des plus beaux et un des plus vastes de la France. La composition du personnel des officiers de santé chargés du service et de l’enseignement ne contribue pas moins à placer cet établissement en première ligne.
À une heure, Sa Majesté sortit en calèche pour aller sur la partie du Rhin appelée le bras Mabile, à l’effet d’assister aux manœuvres des pontonniers.
Le Roi traversa, pour se rendre au Rhin, la belle allée de platanes qui conduit de la porte des Pêcheurs à la magnifique promenade de la Robertsau, plantée par le célèbre Lenostre, intendant des jardins de Louis XIV.
Toutes les maisons de campagne qui se trouvent sur la route que devait parcourir Sa Majesté, étaient pavoisées et ornées de branchages et de guirlandes de fleurs.
On remarquait particulièrement le jardin de M. Decambefort, situé
au Murgiesen. Il était décoré de vingt-deux drapeaux ; une estrade y
avait été élevée : elle était richement drapée avec des étoffes blanches
et rouges, entremêlées de guirlandes de verdure. Sur cette estrade
était placé le buste de Sa Majesté, couronné de chênes ; et celui de
Mgr le Dauphin, couronné de lauriers. Sur le devant de l’estrade se
trouvaient six jeunes filles vêtues de blanc, portant chacune une corbeille
de fleurs. Derrière était placée une jeune fille, également vêtue
de blanc et soutenant une couronne d’immortelles au-dessus des deux
bustes. Au moment du passage du Roi, des fanfares se firent entendre ;
une musique d’harmonie exécuta l’air d’Henri IV, et l’une des
jeunes filles présenta au Roi un placet qu’il accueillit de la manière
la plus bienveillante.
Le Roi traverse la Robertsau pour se rendre au Rhin.
En revenant, le Roi se découvrit en s’approchant de ce jardin. Il s’arrêta devant pendant quelques instans, et semblait le contempler avec un vif plaisir.
Sa Majesté, à son arrivée sur les bords du Rhin, où Elle avait été devancée par le grand-duc de Bade, les margraves et les envoyés étrangers[25], prit place sur un trône qui avait été élevé près de la rive.
Ce trône, d’une forme élégante, n’avait été construit qu’avec des matériaux de l’équipage de pont : il s’élevait sur deux bateaux pontés et placés sur leurs haquets ; la tente, faite de voiles propres à la navigation, était soutenue par quatre mâts ; des rames et des gaffes formaient la charpente supérieure. L’ensemble était décoré de guirlandes de fleurs et de verdure placées avec goût, et de drapeaux au chiffre de Sa Majesté. On avait construit à droite et à gauche du trône des gradins pour les dames, qui, par leur brillante parure, ajoutaient encore à l’éclat du coup d’œil.
Sur la rive opposée, et en face de Sa Majesté, un bateau du Rhin, richement pavoisé, déployait ses voiles, sur lesquelles on Lisait ces vers de Boileau :
Et depuis ce Romain dont l’insolent passage
Sur un pont en deux jours trompa tous mes efforts,
Jamais rien de si grand n’a paru sur mes bords.
Une foule immense s’était portée dès huit heures du matin dans l’île des Épis, en face du lieu de l’opération, et s’était groupée sur sa rive droite.
Aussitôt que le Roi eut pris place, M. le lieutenant-général Neigre prit ses ordres, et M. le général Boulart, qui commandait l’opération, donna l’ordre de l’attaque ; car il s’agissait d’exécuter sous les yeux de Sa Majesté le simulacre de la prise d’une rive ennemie, sur laquelle on veut jeter des troupes à l’aide de bateaux et de ponts.
Aussitôt l’ordre donné, les pontonniers s’élancèrent dans leurs bateaux.
En amont de tous les ouvrages, on commença par achever une estacade flottante, qui barra le Rhin dans tout son cours.
À quelques mètres au-dessous, un pont de bateaux fut construit en quarante minutes.
Vint ensuite un pont de radeaux et de tonneaux, d’une construction plus difficile et plus pénible, mais qui fut achevé en cinquante minutes.
En même temps que ces ouvrages s’exécutaient, un pont volant transportait des troupes d’une rive à l’autre ; enfin, quatorze bateaux, naviguant sous la protection d’une batterie de quatre pièces de canon, servaient tour à tour au débarquement et au rembarquement de trois cents hommes armés, suivant les manœuvres et la résistance qu’était censé faire l’ennemi, qui était représenté par un corps de troupes placé au bas de l’île des Épis.
Le pont de bateaux étant terminé, on ouvrit la portière pour donner passage à trois transports chargés de troupes ; ensuite, six weidlings (nacelles à trois planches), conduits chacun par un pontonnier, qui dirigeait son esquif avec autant de rapidité que d’habileté, passèrent à diverses reprises sous le tablier du pont, en descendant et en remontant le fleuve.
Après cet exercice, toutes les troupes rassemblées sur la rive gauche traversèrent le Rhin sur le pont de bateaux, et revinrent par le pont de radeaux, et à peine ce mouvement fut-il achevé, que tout le pont de bateau se replia d’une seule pièce, et par un quart de conversion, sur la rive gauche. Cette manœuvre surtout parut faire le plus grand plaisir au Roi et au Dauphin.
Telle était l’ardeur des pontonniers et des troupes à exécuter les mouvemens et les manœuvres qui leur étaient commandés, qu’on aurait pu croire réellement au passage d’un fleuve en présence de l’ennemi, si le grand concours de spectateurs qui garnissaient les deux rives, et les cris de joie qu’ils faisaient entendre, n‘avaient rappelé fréquemment qu’il s’agissait d’une fête militaire.
Après les manœuvres, Sa Majesté fit appeler auprès d’Elle M. Leclerc,
lieutenant-colonel commandant les pontonniers, et lui témoigna
Le Roi assiste aux manœuvres des Pontonniers sur le Rhin. sa vive satisfaction sur l’instruction du bataillon confié à ses ordres ;
Elle lui fit remettre ensuite une gratification de trois mille francs, pour
être partagée entre les pontonniers et les auxiliaires de l’artillerie qui
avaient concouru à leurs travaux.
Le voyage du Roi en Alsace ayant pour but de connaître le véritable état des choses, Sa Majesté chargea M. le ministre de l’intérieur de visiter les prisons pendant qu’Elle assisterait aux manœuvres des pontonniers. Son Exc. se rendit d’abord à la maison de justice, accompagnée de MM. le préfet, le maire, le procureur général, le président du tribunal civil et le procureur du Roi.
Elle fut reçue par la commission des prisons ayant en tête M. le baron de Münck, son président, et suivie du médecin en chef, des aumôniers et de M. Royer, directeur des prisons.
M. de Martignac examina cet établissement dans le plus grand détail, et le trouva parfaitement tenu. Il fit ensuite amener devant lui quatre détenus, auxquels il annonça que Sa Majesté leur faisait grâce du restant de leur détention, et il leur adressa à cette occasion une allocution touchante.
Après cela le ministre se rendit à la vaste maison de correction, où les différentes catégories de détenus sont séparées, et où elles sont traitées avec un soin remarquable.
Avant de quitter ce dernier établissement, M. de Martignac témoigna sa vive satisfaction à la commission des prisons et au directeur ; et il voulut bien ajouter que le régime et la tenue des prisons de Strasbourg avaient atteint tout le degré de perfection désirable, et qu’elles pouvaient servir de modèle.
En rentrant en ville, Sa Majesté s’arrêta sur sa route pour voir un pont de cordage tendu sur un des fossés de la place, d’après le système des ponts suspendus. Une pièce d’artillerie passa en sa présence sur ce pont, qui avait trente mètres de longueur.
Sa Majesté visita ensuite la fonderie, et parcourut avec intérêt les divers ateliers de l’établissement. Elle y assista en outre au coulage de six obusiers d’après le nouveau modèle, et dit, en les voyant façonner : « Ces pièces serviront un jour à nous gagner des batailles ou à célébrer nos victoires. »
Au sortir de la fonderie, Sa Majesté se rendit au temple Saint-Thomas, qui renferme le tombeau du maréchal de Saxe et plusieurs autres monumens élevés à des hommes illustres que la ville de Strasbourg a vus naître. Sa Majesté y était attendue par les membres du consistoire et par une foule nombreuse qui garnissait tous les bancs de l’église. Après avoir admiré le magnifique mausolée du maréchal de Saxe, le Roi descendit avec le Dauphin dans le caveau où reposent les restes du héros.
Le Roi, étant rentré au château, daigna accorder quelques instans d’audience particulière à MM. Schmitt, percepteur des contributions directes à Drusenheim ; Dunand, employé des contributions indirectes, gendre de M. de Roth, lieutenant-général au service de S. M. l’empereur de Russie ; Machine, ancien officier d’état-major à la citadelle de Strasbourg ; Dreyer, ancien commissaire de police, maintenant suppléant de justice de paix à Strasbourg.
Ces différentes personnes se sont retirées pénétrées des bontés de Sa Majesté.
À six heures et demie, Sa Majesté se rendit au dîner qu’Elle avait daigné accepter à la préfecture, et auquel avaient été invités le grand-duc et les princes de Bade, les envoyés de Bavière et de Hesse, plusieurs généraux et fonctionnaires, ainsi que MM. le baron de Wangen de Géroldseck et le vicomte Renoüard de Bussierre, députés du département du Bas-Rhin.
La table, sur laquelle on comptait soixante-dix couverts, était dressée dans la belle salle du trône ; plus de cinq cents bougies, dans des lustres du plus grand prix, éclairaient ce superbe banquet, que le public fut admis à voir.
Au dessert, M. le ministre de l’intérieur remit au Roi le placet de
deux militaires condamnés à mort, qui imploraient la clémence royale.
Sa Majesté s’étant levée aussitôt, demanda une plume et de l’encre,
que le préfet, M. Esmangart, s’empressa de lui présenter, et signa
Le Roi au bal de la Ville de Strasbourg. sur-le-champ, en disant : « Qu’on aille apprendre à ces malheureux
que je leur fais grâce de la vie ; c’est tout ce que je puis faire. Le
surplus concerne M. le garde des sceaux : les lois avant tout. »
Cet acte de la clémence royale fut signé sur la table même où le ministre Louvois signa, en 1681, au nom de Louis XIV, le traité de capitulation qui réunit Strasbourg à la France.[26]
À la fin du dessert, Sa Majesté, après avoir témoigné à diverses reprises à M. le préfet et à M. le maire de Strasbourg le vif contentement qu’elle avait éprouvé depuis son entrée en Alsace et durant son séjour à Strasbourg, remit à chacun de ces fonctionnaires une magnifique tabatière en or, ornée de son chiffre en diamans.
À huit heures et demie, le Roi se rendit au théâtre pour assister au bal qui lui était offert par la ville. Là, un spectacle vraiment magique attendait Sa Majesté. Cette vaste salle, préparée en salon de bal, resplendissante de lumière, décorée de tout ce que la richesse et le bon goût peuvent inventer de merveilleux, offrait un aspect enchanteur. Tout le devant des loges était garni de dames élégamment parées, et plus de quatre cents autres dames, en riches costumes de bal, occupaient en cercle le bas de la salle. Les cavaliers s’étaient provisoirement placés dans le fond des loges et dans les corridors, pour laisser au Roi la facilité de jouir de toute la beauté du coup d’œil.
Sa Majesté, à son entrée dans la salle, où elle fut unanimement accueillie par les cris de vive le Roi ! fut frappée de l’ensemble éblouissant qui s’offrait à ses yeux, et dit à plusieurs reprises : « Je n’ai rien vu de plus beau et de plus gracieux. » Elle fit ensuite le tour de la salle, en adressant des paroles bienveillantes à toutes les dames qui se trouvaient à sa proximité.
Le Roi vint ensuite se placer sur l’estrade qui lui avait été préparée au milieu de l’amphithéâtre, ayant à sa droite Mgr le Dauphin, et à sa gauche le grand-duc de Bade, et aussitôt les quadrilles commencèrent. Avant son départ, qui eut lieu à neuf heures et demie, Sa Majesté permit que l’on dansât une valse devant elle, voulant rendre ainsi un hommage à la danse favorite du pays.
En se retirant de la salle, le Roi fit ses adieux au grand-duc de Bade, et rappela au margrave Guillaume, qui servit autrefois avec distinction dans les armées françaises, qu’il devait venir assister aux manœuvres du camp de Lunéville.[27]
En descendant l’escalier du théâtre, Sa Majesté daigna dire et répéter à M. le Maire : « Je vous charge de faire connaître à vos concitoyens ma vive satisfaction de l’accueil que j’en ai reçu : je n’en perdrai jamais le souvenir. Je vous en charge ; ne l’oubliez pas. » M. de Kentzinger ayant eu l’honneur de faire observer à Sa Majesté, que tout de la part des habitans avait été l’ouvrage du cœur, et que l’autorité n’y avait été pour rien, Elle voulut bien répondre : « Je m’en suis parfaitement aperçu. »
Pendant les trois soirées que le Roi a passées à Strasbourg, toutes les maisons de ta ville, sans aucune exception, ont été brillamment illuminées ; mais dans la soirée du 9 Septembre elles présentaient un ensemble encore plus magnifique. L’air était calme et sans agitation ; la flèche de la cathédrale offrait un coup d’œil ravissant. Qu’on se représente, en effet, une énorme pyramide de feu de 437 pieds de hauteur ! Le Roi en fut frappé. Il en témoigna à plusieurs reprises son étonnement à Mgr le Dauphin.
Une population immense obstruait les rues et les places publiques. Les cris de vive le Roi ! vive le Dauphin ! se faisaient entendre sans interruption, et ils redoublèrent au moment du passage de Sa Majesté. Elle parut jouir du bonheur le plus parfait, le plus doux pour le cœur d’un père. Retiré dans ses appartemens, seul avec ses serviteurs intimes, le Roi, sensible à tant de preuves de respect et d’amour, à tant de manifestations si franches, si naïves, si unanimes, laissa plusieurs fois échapper ces mots : « le bon peuple ! l’excellent peuple ! combien je l’aime ! »
Ces paroles sortaient du cœur de Sa Majesté ; les nôtres y répondaient ; on entendait de toute part : « le bon Roi ! l’excellent Roi ! ah combien nous l’aimons ! Il nous connaît maintenant, et nous le connaissons. Il veut et il fera notre bonheur et notre gloire ! » Nous étions fiers de l’avoir parmi nous, nous eussions voulu le posséder long-temps. Quelques heures après nous devions être privés de son auguste présence…!
JOURNÉE DU 10 SEPTEMBRE.
Départ du Roi pour Colmar.
M. de Kentzinger avait dit dans sa proclamation du 17 Août, qui nous annonçait l’heureuse nouvelle de l’arrivée du Roi :
« Le 10 sera le jour de départ de Sa Majesté. Ce sera le jour de nos plus vifs, de nos plus cuisans regrets. »
Ils ont été plus vifs, plus cuisans que l’on ne pourrait l’exprimer.
À neuf heures du matin, Sa Majesté, après avoir entendu la messe dans la chapelle du château, admit les autorités civiles et militaires à lui faire leurs adieux.
Pour sortir de la ville, le Roi monta en calèche découverte, « pour mieux voir encore, disait-il, ses bons Alsaciens. » Comme à son entrée, toutes les maisons étaient pavoisées sur son passage, et une foule nombreuse lui témoignait, par ses acclamations multipliées, que les regrets qu’excitait son départ étaient non moins vifs que les sentimens d’alégresse qu’avait fait naître son arrivée.
La voiture de Sa Majesté était précédée d’une garde d’honneur à cheval, spontanément formée, et composée de citoyens de Strasbourg, appartenant à toutes les nuances d’opinions ; la présence du Roi les avait fondues en une seule : les Bourbons et la Charte constitutionnelle. Derrière la voiture venaient des détachemens de cultivateurs à cheval et des chariots remplis de jeunes filles, que les communes environnantes avaient envoyés dès le matin dans la ville pour accompagner Sa Majesté. Le cortége était aussi brillant et aussi nombreux qu’à l’entrée du Roi.
Hors la porte Dauphine, à peu de distance d’un bel arc de triomphe en feuillage, M. le maire, accompagné du corps municipal, offrit en ces termes à Sa Majesté les derniers hommages de la ville de Strasbourg :
Votre Majesté et son auguste Fils s’éloignent de nos murs ; mais ils ont consacré parmi nous une immuable durée des plus doux souvenirs. Que le Ciel conserve des jours si précieux pour la France ! Sire, nos sentimens de respect et d’amour ne peuvent s’exprimer. Il n’appartient qu’au cœur du meilleur des Rois de s’en rendre un compte bien fidèle.
Vive le Roi ! vive Monseigneur le Dauphin ! vivent à jamais les Bourbons !
Le Roi répondit en lui rendant les clefs de la ville :
Je vous remets ces clefs avec une entière confiance. Assurez bien vos concitoyens que je me suis trouvé très-heureux au milieu d’eux, que je les quitte avec un vif regret ; mais que le souvenir des témoignages de dévouement et d’affection qu’ils m’ont donnés ne s’effacera jamais de mon cœur.
Sa Majesté daigna encore ajouter, en s’adressant à M. de Kentzinger : « Votre ville n’est pas seulement une bonne ville, mais une excellente ville. » M. le maire répéta alors au Roi ce qu’il avait eu l’honneur de lui dire la veille sur les marches du théâtre, que l’autorité n’avait rien fait pour stimuler l’enthousiasme des habitans. « Je m’en suis aperçu, répondit le Roi ; il y a un accent du cœur qui ne se commande pas, et qu’on n’imite pas. »
Telles ont été les dernières paroles de l’auguste Prince à son départ : douce récompense de l’attachement et de l’amour que lui avait manifestés la population strasbourgeoise ; elles ont laissé dans tous les cœurs des souvenirs aussi ineffaçables que ceux de ses nombreux bienfaits.[28]
Sa Majesté monta ensuite dans son équipage de voyage, pour se diriger vers le Haut-Rhin. Sa voiture était attelée de huit beaux chevaux blancs, élégamment harnachés, et dont la tête était ornée de panaches éclatans aux couleurs de la ville. Ce bel attelage fixa l’attention de Sa Majesté et de son auguste Fils, qui daignèrent en témoigner leur satisfaction à M. Auguste Ratisbonne, maître de poste de la ville de Strasbourg.
Une pyramide qui portait cette inscription : À CHARLES X, PROTECTEUR DU COMMERCE, avait été élevée sur le pont qui traverse le canal Monsieur. Sa Majesté s’y arrêta quelques instans, et s’informa avec intérêt de l’état des travaux du canal, que M. Mossère, ingénieur en chef, eut l’honneur de lui faire connaître.
Le Roi ne voulut point que les deux escadrons de cuirassiers qui l’accompagnaient allassent plus loin.
À Illkirch, la garde d’honneur strasbourgeoise se rangea en bataille ; l’un des cavaliers (M. Steiner, négociant) s’avança près de la portière de la voiture du Roi, et offrit à Sa Majesté le dernier tribut des hommages et du respect des habitans de Strasbourg, en faisant avec sensibilité observer au Monarque, que la maison devant laquelle la garde d’honneur s’était arrêtée, était précisément celle dans laquelle avait été signé le traité en vertu duquel Strasbourg s’était réuni à la France, sous le règne de Louis XIV.
Cette escorte fut remplacée sur-le-champ ; de nombreux escadrons d’habitans des campagnes se succédaient sans interruption auprès de la voiture du Roi, et formaient une garde d’honneur sur toute la route ; des chars remplis de jeunes Alsaciennes, dans leurs costumes pittoresques, étaient rangés sur le passage du Roi, et animaient cette belle route, d’où l’on aperçoit à la fois les Vosges et les Montagnes-Noires.
À la limite de l’arrondissement de Strasbourg, M. le comte de Choiseul eut l’honneur de prendre congé de Sa Majesté en ces termes :
Arrivés à la limite de l’arrondissement, nos gardes d’honneur cessent d’escorter Votre Majesté. Après s’être abandonnés avec toute l’ivresse de la joie au bonheur de posséder Votre Majesté, leurs cœurs vont éprouver un vide que rien ne pourra combler. Sire, permettez-moi de dire à vos fidèles cultivateurs que vous êtes satisfait de l’arrondissement de Strasbourg
Les regrets qu’ils éprouvent en quittant Votre Majesté seront adoucis par l’assurance que le Roi a daigné agréer l’expression de leur amour.
Le Roi répondit :
Oui, dites-leur que je suis content, que je suis touché de leur dévouement ; j’emporte avec moi le souvenir le plus doux de la réception qu’ils m’ont faite.
À l’entrée de l’arrondissement de Sélestat, à Saint-Ludan, commune d’Hipsheim, premier relai en partant de Strasbourg, se trouvait érigé un fort bel arc de triomphe[29], orné de devises et d’emblèmes, avec cette inscription : AU ROI, L’ARRONDISSEMENT DE SÉLESTAT. On lisait sur un écusson suspendu au ceintre de l’arc, ces mots, que l’amour des Français pour leur Roi avait déjà dictés en d’autres lieux.
GLOIRE AU ROI CHEVALIER.
M. de Kentzinger, fils, sous-préfet de l’arrondissement, entouré de MM. les maires des cantons environnans, y attendait Sa Majesté ; Elle arriva vers les dix heures du matin. M. de Kentzinger eut l’honneur de complimenter le Roi en ces termes :
Interprète de mes administrés, qui sont aussi mes concitoyens, je viens déposer aux pieds de Votre Majesté l’hommage de leurs sentimens de respect, d’amour, de fidélité. En ce jour mémorable, où Elle vient, accompagnée du héros libérateur de l’Espagne, visiter un peuple avide de voir pour la première fois son Roi ; votre présence, Sire, au milieu de vos braves Alsaciens de l’arrondissement de Sélestat, vient électriser leurs cœurs en comblant tous leurs vœux.
Sire, à mes côtés, derrière moi, se presse une population aussi franchement dévouée, aussi loyale qu’industrieuse et florissante. Émue du spectacle auguste qui s’offre à ses regards, elle veut montrer à son Roi qu’elle est digne de porter le nom français ; nouveaux venus dans la grande famille, vos enfans de l’Alsace ne le cèdent en dévouement à aucun de vos sujets ; il n’en est pas un, Sire, qui, dans son ivresse, ne soit heureux et fier de crier avec moi : Vive le Roi ! vivent les Bourbons !
Ce cri national fut répété avec enthousiasme.
Sa Majesté répondit à M. le sous-préfet, qu’Elle acceptait avec plaisir l’expression des sentimens de ses administrés ; qu’Elle en était touchée ; et qu’Elle comptait sur leur dévouement. Elle voulut bien lui adresser plusieurs questions sur l’arrondissement, en lui témoignant son regret de ne pouvoir s’arrêter au chef-lieu ; « mais, daigna-t-Elle ajouter avec toute l’expression de la bonté, j’ai promis d’entrer à Sélestat, et je tiendrai ma promesse : je traverserai la ville au pas, vous pouvez y compter. »
Sa Majesté mit le comble à tant de bienveillance, en daignant entretenir M. le sous-préfet de sa famille, « qu’Elle avait vu, lui dit-Elle, avec plaisir à Strasbourg. »
M. Munschina, inspecteur des forêts de l’arrondissement, s’était également rendu au-devant du Roi, à la tête des agens principaux de son administration. Sa Majesté daigna lui adresser diverses questions touchant son service et la richesse forestière des communes de sa circonscription.
Le cortége se remit en marche aux cris mille fois répétés de vive le Roi ! vive Mgr le Dauphin ! Des cavalcades, formées par la jeunesse des différentes communes situées sur la route ou à proximité, escortaient la voiture de Sa Majesté, en faisant retentir l’air de leurs acclamations, et se relevaient successivement dans ce service d’honneur avec une rapidité et un ordre admirables. On remarquait surtout les escortes envoyées par les communes d’Hüttenheim, de Stotzheim, Kogenheim et Epfig, dont les cavaliers, parfaitement montés équipés en lanciers et dans la plus belle tenue, se distinguaient par les couleurs des fanions qui flottaient au sommet de leurs lances.
Le Roi arriva à onze heures à Benfeld, et s’y arrêta environ dix minutes sous l’arc de triomphe dressé en avant du relai. Sa Majesté y fut accueillie avec toute l’expression du bonheur que sa présence inspirait : M. Rack, maire, au nom des habitans de la ville et du canton, lui offrit un nouvel hommage d’amour et de dévouement. Le Roi paraissait ému et voulut bien remettre à ce magistrat une somme de trois cents francs pour être distribuée aux indigens de la ville. M. le curé cantonal complimenta également Sa Majesté, qui lui répondit avec une touchante bonté.
M. le maire de Benfeld demanda ensuite au Roi la permission de lui présenter le directeur de la manufacture d’Hüttenheim, qui venait lui offrir une pièce de percale tissée dans ce nouvel et intéressant établissement, qui occupe un millier d’ouvriers.
Sa Majesté agréa cette offrande avec bienveillance.
Aux limites de la banlieue d’Hüttenheim et sur la route, on voyait une colonne assez élevée, ornée de devises et formée de feuilles de tabac naturelles ; ingénieux emblème de la culture à laquelle cette commune se livre avec succès, et qui est devenue pour elle une source de prospérité.
Plus loin s’élevait dans les airs un arceau gracieux, composé de vignes entrelacées et qui pliaient sous le poids de raisins vermeils : c’était l’offrande de la commune de Stotzheim.
À Kogenheim, un arc de triomphe en feuillages avait été érigé pour le passage du Roi : un fort détachement du service des douanes s’y trouvait rangé en bataille.
Une lieue plus loin, la commune d’Ébersmunster avait élevé un monument consistant en colonnades réunies par des guirlandes en feuilles de chênes, auxquelles était suspendue une nacelle, emblème de l’industrie de cette commune située sur l’Ill, et dont les habitans sont presque tous navigateurs.
Ville de Sélestat.
Sélestat est après Strasbourg la ville la plus considérable du département du Bas-Rhin ; sa population est de dix à onze mille ames. Comme place de guerre, elle est de quelque importance et d’une grande ancienneté : il en est fait mention dans l’histoire de la première race de nos Rois.
La situation de cette ville est délicieuse. Les Vosges, qui ne sont éloignées que d’une lieue environ de Sélestat, présentent en cet endroit le spectacle de leur belle verdure, de leurs mamelons si pittoresques et des ruines historiques qui les couronnent.
Une plaine immense entoure cette ville et offre le tableau de la culture la plus riche et la plus variée.
Au premier bruit qui se répandit de la prochaine arrivée du Roi dans le département, un sentiment unanime fit partager à la population entière de Sélestat l’alégresse qu’un aussi heureux événement rendait commune à tous les Alsaciens. Elle se complaisait dans l’espoir que, par son auguste présence, à l’exemple de Charlemagne, en 775, de Charles-Quint, en 1530, et de Louis XV, en 1744, Sa Majesté comblerait les vœux d’une population fidèle, avide de lui offrir le tribut de reconnaissance et d’amour qui lui est dû à tant de titres.
L’administration municipale nomma une députation chargée de se rendre à Strasbourg et d’y présenter à Sa Majesté les respectueux hommages de la ville de Sélestat, et le vœu qu’Elle daignât, en s’y arrêtant, satisfaire à l’empressement tout filial des nombreux habitans de l’'arrondissement, désireux de contempler les traits chéris du Père de la patrie.
M. le baron Amey, lieutenant-général en retraite, commandeur de l’ordre royal de la légion d’honneur et chevalier de Saint-Louis, maire de la ville, réuni à MM. Dispot, aîné, et Munschina, ses adjoints, et assisté de MM. Cetty, officier de la légion d’honneur et chevalier de Saint-Louis, intendant-militaire en retraite ; Renouvier, aussi officier et chevalier des mêmes ordres, colonel en retraite ; Fels, chevalier de la légion d’honneur, président honoraire de justice, et Græff, ancien receveur particulier des finances, conseillers municipaux, se rendit en conséquence à Strasbourg le 6 Septembre, et eut le lendemain l’honneur d’être admis près de Sa Majesté, à laquelle il adressa les paroles suivantes :
Je viens à la tête de la députation de votre ville de Sélestat, supplier Votre Majesté d’honorer cette cité fidèle de son auguste présence, et d’accueillir avec bonté l’expression du dévouement respectueux, unanime et sans bornes de ses nombreux habitans.
Le Roi répondit aussitôt : « Oui, oui, c’est mon projet ; j’irai à Sélestat, et avec grand plaisir. » Le maire ayant ajouté : « Votre Majesté daigne-t-Elle m’autoriser à annoncer cette heureuse nouvelle à mes concitoyens ? » le Roi voulut bien répondre avec une affabilité toute paternelle qu’il y consentait volontiers.
À la suite de cette réception, la députation revint en toute hâte à Sélestat, elle y trouva les dispositions fort avancées, sous la direction et par la diligence de l’architecte Rivaud.
L’heureuse nouvelle se répand aussitôt dans la ville. Le Roi vient ! entend-on répéter de toute part ; chacun s’empresse : le pauvre veut aussi fêter son Roi. On a vu des habitans suppléer au temps, en employant les heures de la nuit à peindre et à décorer leurs maisons au flambeau.
Le 10, le Roi arriva à midi un quart. Sa voiture, précédée et escortée d’une foule de cavaliers citoyens de l’arrondissement, portant des lances surmontées de fanions blancs, et de la majeure partie du 18e régiment de chasseurs, s’arrêta sous l’arc de triomphe dressé près du pont de Bornert.
Cette construction, de bon goût et faite avec beaucoup de soin, était ornée de figures allégoriques, et portait les inscriptions suivantes :
La justice, la paix, la force et la clémence,
De son trône affermi cimentent la puissance.
et sur la face opposée :
VIVE LE ROI LONG-TEMPS !
VIVENT LES BOURBONS TOUJOURS !
Sur la clef de la voûte on avait placé le buste du Roi.
On arrivait à l’arc de triomphe par une belle allée d’arbres, réunis par des guirlandes de verdure. À chaque arbre, au nœud des guirlandes, étaient placés deux drapeaux blancs en sautoir.
M. le maire, qui s’y était rendu avec le corps municipal pour y recevoir Sa Majesté, a eu l’honneur de lui présenter les clefs de la ville, et de lui adresser le discours suivant :
Je viens au nom du corps municipal, déposer à vos pieds les clefs de votre ville de Sélestat, seconde de votre département du Bas-Rhin, et acquitter le tribut de reconnaissance et de respect dû à la personne sacrée du Souverain et à la Majesté du trône.
Après avoir rempli ce devoir si flatteur pour moi, daignez me permettre, Sire, de vous offrir, au nom de mes concitoyens, un hommage plus doux et que votre cœur paternel appréciera sans doute. C’est l’expression des sentimens d’amour et de fidélité dont ils sont si vivement pénétrés.
La faveur insigne que Votre Majesté veut bien nous accorder aujourd’hui, en comblant nos vœux les plus ardens, vivra à jamais dans nos ames. Votre auguste présence dans cette ville va devenir pour chaque habitant une époque mémorable dont la tradition, se perpétuant d’âge en âge, augmentera, s’il est possible, par les plus doux souvenirs, le dévouement et le respectueux attachement que les francs Alsaciens ont voués aux Bourbons.
Sans doute, Sire, d’autres, mieux que nous, sauront exprimer avec plus de recherche et de talent les sentimens qu’ils éprouvent comme nous ; mais, nous osons le dire, nuls ne sauront mieux aimer leur Roi, ni ressentir des émotions plus vraies et plus profondes, en contemplant les traits chéris de Charles X et de son Fils révéré, qui, par sa sagesse, sa bonté et sa vaillance, règne déjà, comme son auguste Père, sur le cœur des Français.
Le Roi répondit :
M. le maire, gardez ces clefs, je ne saurais les confier à de meilleures mains. Dites à vos bons habitans que c’est plutôt dans leurs cœurs et leurs sentimens que dans les expressions que vous me présentez de leur part, que je cherche et que je trouverai de nouvelles preuves de leur fidélité et de leur dévouement.
Répétez-leur que je m’estime heureux de me trouver au milieu de mes bons Alsaciens : annoncez-leur que je traverserai toute la ville au pas.
Sa Majesté s’étant immédiatement remise en route, trouva à la barrière de la porte de Strasbourg M. Rousset-Pomaret, lieutenant de Roi, qui, accompagné de l’état-major de la place, fut admis à lui en offrir les clefs, et à lui adresser les paroles suivantes :
J’ai l’insigne honneur de présenter à Votre Majesté les clefs de la place dont Elle a daigné me confier le commandement ; elles n’ont jamais servi, depuis sa réunion à la France, à en ouvrir l’entrée à ses ennemis. J’ose me flatter que je la préserverais de ce malheur, si elle était attaquée ; et que je justifierais l’honorable confiance dont Votre Majesté a bien voulu m’investir.
Sire, la garnison qui l’occupe aujourd’hui partage avec les habitans de la ville la joie que leur inspire la présence de Votre Majesté, et les sentimens de reconnaissance de tous ses sujets pour la prospérité dont Elle fait jouir la France.
Elle est dévouée à S. A. R. Mgr le Dauphin, notre illustre chef, auquel nous devons le bienfait inappréciable d’avoir fortifié dans l’armée, par sa glorieuse campagne d’Espagne, l’esprit d’union, principe de ses succès.
Sire, notre principale ambition, avec tes messieurs de l’état-major, est de remplir nos devoirs avec zèle et intégrité ; nous serons heureux si notre conduite peut continuer à nous mériter l’estime et la bienveillance de Votre Majesté.
Le Roi répondit :
Il faut garder ces clefs, elles sont en bonnes mains ; j’espère que vous continuerez à me bien servir…
(Les cris d’alégresse qui ne cessaient de retentir autour du Roi ont empêché de saisir le reste de cette réponse.)
Le Roi entra ensuite dans Sélestat ; il traversa lentement toute la ville. Parvenu en face de l’église paroissiale, où le nombreux clergé du canton s’était réuni à M. le curé pour l’y attendre, Sa Majesté fit arrêter sa voiture et daigna écouter avec intérêt l’allocution qui lui fut adressée par M. le curé Mourche, chanoine honoraire.
Au milieu des transports d’alégresse que la présence de Votre Majesté excite dans tous les cœurs, le clergé de ce canton, toujours fidèle à Dieu et à son Roi, se trouve au comble du bonheur, de présenter l’hommage de sa fidélité, de son amour et de son dévouement à jamais inaltérable à l’auguste Souverain protecteur d’une religion qui n’inspire qu’amour et fidélité. Nos efforts, Sire, sont constamment dirigés vers ce but, en formant à Dieu de vrais adorateurs, et à l’auguste dynastie des Bourbons de fidèles serviteurs.
Le Roi répondit :
Je reçois avec satisfaction l’expression des sentimens du clergé ; mes vœux les plus ardens sont de rendre mon peuple heureux : unissez vos prières aux miennes, et j’ai la confiance que le Ciel les exaucera.
Le Roi fit remettre à M. le curé une somme de cinq cents francs pour les pauvres.
La population entière, ivre du bonheur de contempler les traits vénérables de son Souverain, et faisant retentir l’air de ses acclamations réitérées, se pressait constamment autour de sa voiture.
Sa Majesté s’arrêta de nouveau devant l’hôtel-de-ville, où M. le préfet du Bas-Rhin et le corps municipal s’étaient rassemblés pour rendre un dernier hommage au Monarque.
Le Roi répondit avec affabilité au geste de M. le maire qui avait porté la main sur le bouton de la portière, et témoigna le regret qu’il éprouvait de ne pouvoir s’arrêter plus long-temps, l’heure de son arrivée à Colmar étant irrévocablement fixée. Il permit néanmoins à M. le maire de lui présenter successivement les diverses autorités, qui toutes se sont empressées de porter au Roi le tribut de leur fidélité et de leur dévouement.
M. le président du tribunal civil eut l’honneur d’adresser à Sa Majesté les paroles suivantes :
Nous venons prendre part à l’alégresse générale que la présence de Votre Majesté répand parmi ses fidèles sujets de l’Alsace.
Cette circonstance est d’autant plus précieuse pour nous, qu’elle nous permet d’offrir à Votre Majesté l’hommage de notre respectueux dévouement pour son auguste personne ; ainsi que les vœux que nous formons pour la longue durée d’un règne dont chaque jour est marqué par de nouveaux bienfaits.
Le Roi répondit :
Je suis sensible, M. le président, aux sentimens que vous m’exprimez ; continuez à rendre prompte et bonne justice à mes sujets, et vous aurez toujours droit à ma bienveillance.
Au moment où le cortége allait se remettre en route, M. le préfet s’étant rapproché de la voiture du Roi, reçut de son auguste bouche cet adieu flatteur : « Mon cher Esmangart, c’est ici le terme de vos courses ; je ne veux pas que vous alliez plus loin. De Saverne à Strasbourg, de là à Sélestat, c’est partout la même chose et partout à merveille. Vous allez ces jours-ci voir Mme la Dauphine ; adieu, mon cher Esmangart ; je vous charge de faire connaître à tous mes bons Alsaciens combien je les aime, combien je suis touché de tout ce que j’ai vu. Je les quitte le cœur plein de souvenirs. Dites-leur bien, je vous le répète encore, qu’ils seront toujours dans mon cœur.[30] »
Sa Majesté sortit de la ville par la porte de Colmar, aux acclamations universelles, au bruit du canon et au son de toutes les cloches.
Pendant sa courte station devant l’hôtel-de-ville, le Roi parut remarquer avec intérêt cet édifice qui avait été réparé à neuf pour le recevoir plus dignement.
Depuis le pont de Bornert jusqu’à sa sortie de la ville, Sa Majesté avait, pour ainsi dire, traversé un bosquet. Les maisons, pavoisées, drapées et décorées de guirlandes de fleurs, de lis et de verdure, semblaient s’y détacher d’un massif d’arbustes ; les croisées, garnies d’habitans du tout âge et de tout sexe, agitant des drapeaux et des mouchoirs blancs, relevaient ce pittoresque spectacle qu’animait le cri national unanimement répété avec transport : vive le Roi ! vive Mgr le Dauphin ! vivent les Bourbons !
Telles sont les circonstances qui ont marqué le passage trop rapide du Monarque adoré que la France bénit, que l’infortune voit accueillir et soulager sa misère ; le Monarque dans lequel les libertés publiques trouvent toujours un protecteur et un appui.
Un secours de 1 000 francs accordé par le conseil municipal et accru de la valeur du supplément de distribution voté en faveur de la garnison, et dont le 18e régiment de chasseurs et le 3e bataillon du 38e de ligne firent le généreux abandon, fut distribué aux indigens. Le restant de la journée fut rempli par des jeux, des danses et des illuminations.
Pendant toute la soirée et une bonne partie de la nuit, ceux des habitans qui n’avaient point pris part aux danses, circulaient dans les rues et sur les places publiques, manifestant par la franchise et l’effusion de leurs discours, que le souvenir de ce beau jour était ineffaçable et qu’il eût été sans nuages, si les dispositions arrêtées pour le voyage du Roi et l’heure de son arrivée à Colmar ne s’étaient opposées à ce que Sa Majesté montât à l’hôtel-de-ville, où tout était disposé pour la recevoir.
À la hauteur de l’auberge des Deux Clefs on remarquait un élégant obélisque en verdure, érigé par le dévouement des habitans de Kintzheim ; c’était la dernière offrande de l’arrondissement. Le Roi arriva peu après à l’arc de triomphe élevé sur les limites des deux départemens du Haut et du Bas-Rhin. M. le sous-préfet de Sélestat vint alors prendre congé du Roi, et offrit à Sa Majesté le dernier hommage de respect et de fidélité de ses administrés. Le Roi daigna lui témoigner avec bienveillance toute sa satisfaction, en lui disant : « Je suis content, très-content ! Je vous prie de le croire et de le dire. »
Le Roi avait reçu dans le cours de son passage dans l’arrondissement un bon nombre de suppliques. Un ancien officier, habitant la ville de Sélestat, était allé au-devant du Roi, pour mieux le voir et pour lui présenter une demande qu’il n’osa plus ensuite lui remettre : le Roi le remarqua dans la foule et, démêlant son intention à travers sa timidité, il lui dit avec bonté : « Donnez-moi votre demande. » Le solliciteur se retira pénétré de reconnaissance.
Il serait difficile de peindre l’enthousiasme que la présence du Roi a fait naître dans tous les lieux que Sa Majesté a traversés. Le Roi paraissait vivement ému et n’a cessé de le témoigner de la manière la plus bienveillante.
- ↑ Parmi les fonctionnaires et les honorables citoyens qui nous ont fourni des renseignemens sur l’arrivée de Sa Majesté et sur son séjour à Saverne, nous signalerons particulièrement à la reconnaissance des Alsaciens M. le lieutenant-général Castex, commandant la 5e division militaire ; M. le conseiller d’État Esmangart, préfet du département du Bas-Rhin ; M. de Blair, sous préfet de l’arrondissement de Saverne ; M. Husson, ingénieur en chef du département ; M. Léger, ingénieur de l’arrondissement de l’ouest ; M. Thiebert, architecte-voyer de l’arrondissement de Saverne ; M. Schmitt, sous-chef de division à la préfecture, et M. Reiner, fils, architecte, dans la maison duquel Sa Majesté a demeuré à Saverne. Les notes qui mous ont été fournies sont remplies d’intérêt et nous ont été du plus grand secours.
- ↑ La route de la côte de Saverne
a été construite, telle qu’elle est actuellement, il y a cent ans(*),
par M. de Regemorte, premier ingénieur des turcies et levées. La longueur de cette route,
depuis le sommet de la côte jusqu’à l’entrée de Saverne, est de 3 618 mètres ; sa hauteur est de 210 mètres :
sa pente moyenne est donc de 0m,058 par mètre. La largeur de cette route est de 9 mètres
entre les rigoles et de 10 mètres entre les caniveaux. Elle est entretenue avec un soin admirable.
La route de Paris à Strasbourg suit, à partir de Phalsbourg, le sommet d’un contrefort de la chaîne des Vosges qui sépare la vallée de la Zorn de celle de la Zinsel jusqu’à l’embranchement des chemins de la Petite-Pierre par le Falberg ; elle quitte alors l’arête culminante de ce contrefort pour prendre une des ramifications de droite, et elle la suit jusqu’à son extrémité. Au pied de ce contrefort secondaire se trouve Saverne. Le penchant du coteau qu’il a fallu franchir pour descendre jusqu’à cette ville est composé de plateaux successifs, sur lesquels on a assis la route, et qu’on n’a pu gagner qu’en se développant sur les parties rapides qui les séparent. L’obligation de descendre à l’extrémité d’un contrefort et de profiter en même temps des espèces de paliers naturels qui existaient, à dû nécessairement faire employer le tracé en lacets ; tracé vicieux en lui-même, parce qu’il force à former des angles trop aigus et que l’on ne peut souvent pas développer suffisamment. Les difficultés de ce genre de tracé ont été habilement levées par M. de Regemorte, qui a su profiter des paliers pour y développer ses courbes et rendre les lacets à peine sensibles.
Le terrain sur lequel la route est assise sur les deux tiers de sa longueur, est le grès vosgien recouvert de sable ; les parties en remblais sont presque entièrement de cette dernière nature. Pour empêcher ce terrain si mobile d’être continuellement emporté par les eaux, on a construit deux rigoles pavées qui rejettent les eaux soit sous des ponts ou aqueducs traversant la route, soit hors de la route, par des aqueducs placés sous les trottoirs, et qui dirigent les eaux sur des points où la bonté du sol ne fait point craindre des dégradations.
L’ancienne route partait à peu près du même point au sommet de la côte ; mais, au lieu de se développer sur le revers du coteau, elle suivait la ligne la plus courte pour descendre à Saverne, en s’appuyant sur le flanc droit du contre-fort. Elle partait au pied du rocher dit le Saut du
(*) Elle à été commencée en 1720 et terminée en 1737.
prince Charles. Une inscription placée sur celui-ci apprend que cette route a été réparée par Guillaume III, 78e évêque de Strasbourg, qui occupa ce siège depuis 1506 jusqu’à 1541.Au sommet de la côte se trouvent des traces d’anciens ouvrages de campagne passagère, s’appuyant d’une part aux précipices qui couronnent la vallée dite Ramsthal, et de l’autre aux sommités au-dussus d’Ottersthal. Ces ouvrages, que la tradition ne porte qu’à l’année 1744, mais qui inniuent devoir être antérieurs, puisqu’ils sont disposés de manière à s’opposer à une attaque venant de l’intérieur de la France, ont été réparés en 1814 et 1815, mais n’ont point servi. Près de là se trouvaient deux villages, Kœnigshoffen et Kaltenweiler, qui ont disparu entièrement.(†)
Avant la révolution, la ville de Saverne était chargée de l’entretien de cette route, et avait établi un péage pour subvenir à cette dépense.
(†) Les archives de Saverne parlent de ces deux villages. Une source située à peu de distance de la route, sur le plateau des Vosges, et désignée sous le nom de fontaine de Kœnigshoffen, prouve que ce dernier village se trouvait au haut de la côte. Des débris de murailles qui existent du côté de la maison forestière dite Schweitzerhof, semblent indiquer la place de Kaltenweiler.
- ↑ M. de Marnésia
avait un courage peu ordinaire lorsqu’il s’agissait de défendre les intérêts de
ses administrés ; il ne craignait pas même, lorsqu’il le fallait, d’exposer sa vie pour les servir.
Ce digne administrateur, révolté des exactions commises en 1811 par la colonne mobile envoyée dans le département pour la recherche des déserteurs, s’en plaignit avec une telle force, avec une telle amertume à l’un des officiers supérieurs de la vieille garde qui, contre son gré sans doute, commandait cette expédition bursale, qu’il s’ensuivit une provocation en duel. Cependant le général, ayant recouvré son sang froid, ne tarda pas à tendre une main amie à celui qu’il avait provoqué et qui avait accepté son défi. Bientôt il fit plus : il rendit une éclatante justice à son noble dévouement pour ses administrés, et il provoqua des ordres du gouvernement d’alors pour la retraite de la colonne mobile.
Dans d’autres circonstances, M. Lezay de Marnésia brava les menaces de destitution d’un gouvernement despotique, aux exigences duquel il chercha constamment à résister lorsqu’elles pesaient outre mesure sur ses administrés. Honneur à la mémoire de cet homme de bien !
- ↑ Les Géroldseck
d’Alsace, qu’il ne faut pas confondre avec les Géroldseck de Souabe, datent
historiquement du 12e siècle ; mais tout porte à croire qu’antérieurement à cette époque ils figuraient
déjà avec éclat parmi la noblesse d’Alsace, puisque, indépendamment de l’avouerie de Marmoutier,
ils ont aussi exercé celle des abbayes de Saint-Étienne et de Haslach, et que, comme
on le sait, ces protectorats, très-profitables à ceux qui les exerçaient, n’étaient jamais dévolus
qu’aux seigneurs les plus puissans.
Au 14e siècle, Érard de Wangen ayant épousé une demoiselle de Géroldseck, les biens et les titres de cette dernière famille furent, à l’extinction de celle-ci, transmis à la famille de Wangen. M. le Baron de Wangen de Géroldseck, député de l’arrondissement de Saverne, est un descendant de ces deux anciennes maisons.
- ↑ Le Roi, au moment de son arrivée à la côte de Saverne, parut désirer vivement de voir la flèche de Strasbourg ; ayant aperçu un ecclésiastique (M. l’abbé Reb, vicaire de la paroisse de Wilwisheim) dans la foule innombrable que son arrivée avait rassemblée, il le fit appeler et le pria de lui indiquer la direction dans laquelle se trouvait la flèche. M. l’abbé Reb s’empressa de le faire ; mais l’heure était trop avancée, les brouillards du Rhin s’élevaient déjà, et malgré que le Roi se servît d’une lunette d’approche, il ne put découvrir la cathédrale de Strasbourg, ce qui parut contrarier Sa Majesté.
- ↑ Un observateur
judicieux, qui nous a fourni des notes intéressantes sur l’arrivée et le séjour
du Roi à Saverne, a fait la remarque suivante, qui se trouve confirmée par les observations que
nous avons faites nous-même au moment de l’arrivée de Sa Majesté à Strasbourg. Voici sa remarque
« Nous n’oserions certes, bien que nous en fussions tenté, attribuer à la sollicitude municipale
l’ordre remarquable avec lequel il nous parut généralement que l’on s’était efforcé de mettre
en vue les plus jolis minois, en répartissant les villageoises sur les chariots de manière à ce que
les plus intéressantes fussent soigneusement établies au pourtour du char et occupassent par conséquent
les postes les plus exposés aux investigations extérieures, tandis que celles qui ne devaient
probablement leur admission qu’à leur position sociale ou à l’importance de leurs proches dans la
commune, se trouvaient presque exclusivement reléguées aux places du centre et réduites conséquemment
à l’impossibilité de compromettre la réputation de beauté que pouvaient avoir acquise
les filles de l’endroit.
« Mais en considérant le même ordre de placement sur chacun des chariots, on était entraîné, presque malgré soi, à penser que la sollicitude administrative n’avait pas dédaigné de régulariser elle-même (peut-être après une grave et mûre délibération) un classement qui devait incontestablement, sinon ajouter sous ce rapport à la gloire de la commune, du moins dignement soutenir, relativement au beau sexe, un renom dont nos campagnes (ainsi que nos villes) se montrent fort jalouses.
« D’après ce que nous venons de dire, il est presque inutile d’ajouter que c’était généralement à la plus jolie de toutes qu’avait été dévolu l’honneur de porter l’étendard orné de rubans, qui, sur chaque chariot, flottait au milieu de ces jeunes filles. »
- ↑ Le petit drap que l’on emploie se fait dans les ménages ; il est composé de laine et de fil, et fait un bon usage.
- ↑ Lorsqu’ils ne montent pas à cheval, les bottes molles sont remplacées par de longues guêtres blanches qui montent au-dessus du genou ; lorsqu’ils sont au travail, ils portent un petit tablier très-court.
- ↑ Dans plusieurs cantons, le fond de la jupe est vert et les bandes sont rouges.
- ↑ Le 30 Octobre dernier, M. le duc Charles de Damas, premier gentilhomme de la chambre, a adressé à M. le maire de Saverne, de la part du Roi, une bague ornée du chiffre de Sa Majesté en diamans, pour être remise par lui à celle des demoiselles de la ville qui avait été choisie pour lui adresser un compliment.
- ↑ M. de Blair remplaçait depuis peu de jours seulement, comme sous-préfet de l’arrondissement de Saverne, M. Betting de Lancastel, respectable vieillard, admis à la retraite, en raison de ses longs services et de son grand âge.
- ↑ Le sieur Lutz, de la brigade de Bouxwiller.
- ↑ Nous citons avec reconnaissance parmi les personnes qui nous ont fourni des renseignemens pour cette partie de la Relation, M. le comte de Choiseul, secrétaire général de la préfecture ; M. Bosch, maire de Marmoutier ; M. Schumacher, maire de Wasselonne ; M. Stupffel, maire de Marlenheim, et M. Ammel, maire d’Ittenheim.
- ↑ Ce tableau à été peint par M. Gay, receveur des douanes à Marlenheim.
- ↑ Les évêques de Strasbourg possédaient anciennement un château-fort appelé Kochersberg. On
en distingue encore l’emplacement et les fossés sur une hauteur près la route de Willgottheim, où
se trouve actuellement un télégraphe. Les troupes de Strasbourg le prirent et le dévastèrent en 1592.
Le château de Kochersberg était le chef-lieu d’un bailliage considérable ; c’est ce qui fait que ce nom s’est étendu à un immense territoire, distingué par sa fertilité et sa belle culture, ainsi que par l’attachement de ses habitans au costume et aux habitudes de leurs ancêtres.
Le centre du Kochersberg est un tertre artificiel assez élevé, qui se trouve près du village de Truchtersheim, et que l’on croit être un ancien tumulus.
- ↑ Des renseignemens intéressans nous ont été fournis sur cette partie du Voyage du Roi par MM. le lieutenant-général Castex ; le conseiller d’État Esmangart, préfet ; de Kentzinger, maire de Strasbourg ; Villot, architecte de la ville ; Burnier, capitaine d’artillerie attaché à l’arsenal de construction, etc.
- ↑ Les douze statues, ainsi que les faisceaux d’armes qui ornaient si élégamment cet arc de
triomphe, ont été improvisées en moins de trois semaines par M. Friederich, statuaire alsacien,
élève de Thorwaldsen, chargé en ce moment par le Gouvernement d’exécuter les sculptures qui
doivent embellir le monument que la France fait élever à Saasbach (grand-duché de Bade) à la
mémoire de Turenne.
Les peintures allégoriques ont été exécutées avec un rare talent par M. Gabriel Guerin.
Les draperies, les marbres et les ornemens ont été peints par M. Lichtenberger ; enfin, le monument a été construit par M. Mayé, entrepreneur de bâtimens.
- ↑ M. Merle, homme de lettres distingué et maintenant directeur du théâtre de Strasbourg, est l’auteur de ce quatrain.
- ↑ Depuis le retour de Sa Majesté à Paris, M. le duc de Damas a adressé, de la part du Roi, à M. le maire de Strasbourg une bague ornée du chiffre de Sa Majesté en diamans, pour être remise à Mlle de Choiseul.
- ↑ Voyez la réception de cette députation au paragraphe Ville de Sélestat.
- ↑ Pour être exact, il convient de dire que le nombre des cavaliers et des chariots qui défilèrent sur la terrasse du château était bien moindre que celui qui escortait le Roi à son entrée dans la ville. La faute n’en a pas été à nos bons cultivateurs, qui auraient tous voulu saluer encore le Roi et le Dauphin ; mais elle doit être attribuée à un mal-entendu. Des agens secondaires de la police civile ou militaire, dans la vue sans doute d’éviter l’encombrement au moment où le cortége royal s’arrêta devant la cathédrale, dirigèrent une partie des cultivateurs sur la Grand’rue, sans leur donner d’instruction ultérieure. Ceux-ci pensèrent dès-lors qu’ils ne seraient pas admis à défiler devant le Roi, et ils sortirent de la ville ou se répandirent dans les auberges des faubourgs.
- ↑
Quel bruit et quels chants d’alégresse ?
Pourquoi ces soldats rassemblés,
Ce peuple qui court et se presse ?…
C’est le Roi ! Nos vœux sont comblés.
Nos bras, nos cœurs, nos remparts sont à toi.
Compte à jamais sur ta fidèle Alsace :
Strasbourg a vu son Roi
Leur fidélité, leur valeur,
De leurs murs la triple barrière,
Tout, ici, parle à ton grand cœur.
Tu nous verras tous accourir,
Et nous presser sous ta bannière,
Fiers d’y combattre et d’y mourir
Roi généreux, qui mets ta gloire
Dans nos respects et notre amour,
Ah ! jamais plus belle victoire
N’a pu marquer un plus beau jour.
Avait fait luire un jour pareil ;
Honneur au modèle des Princes,
Brave au combat, sage au conseil.
Dieu puissant ! nous t’invoquons tous,
Donne au Roi de longues années ;
C’est le plus grand bienfait pour nous.
Nos bras, nos cœurs, nos remparts sont à toi.
Compte à jamais sur ta fidèle Alsace :
Strasbourg a vu son Roi ! - ↑
Pendant le séjour du Roi en Alsace, des réjouissances publiques ont eu lieu dans toutes le
communes, même dans celles qui étaient le plus éloignées de la résidence de Sa Majesté.
Voici quelques détails sur l’arrondissement de Wissembourg, qui nous ont été fournis par M. Bauer, maire de cette ville, faisant par intérim les fonctions de sous-préfet. Nous les rapportons avec d’autant plus de plaisir, qu’ils présentent le tableau de ce qui s’est passé dans tout le département.
Des feux de joie, des courses publiques, des prix distribués aux vainqueurs, des danses, des illuminations, des réjouissances de toute espèce, aussi gaies que variées, ont eu lieu dans toutes les communes pendant les quatre jours que nous avons eu le bonheur de posséder notre Roi chéri dans le département ; enfin, chose inouïe, il n’y a pas jusqu’au plus petit hameau qui n’avait son illumination ; le plus pauvre avait sa lanterne devant la fenêtre de sa cabane. Les cris mille fois répétés de vive le Roi ! vive le Dauphin ! vivent les Bourbons ! remplissaient les airs. L’étranger qui aurait passé par nos villes, par nos villages même, aurait cru le Roi présent partout au milieu d’une population ivre de joie. Les indigens ont pu prendre part aux réjouissances générales : dans toutes les communes on leur a fait des distributions de comestibles, ainsi qu’aux malades et aux prisonniers. M. le préfet connaissait bien ses administrés en abandonnant à eux-mêmes le soin de la police : jamais elle n’a été mieux faite. Pendant cinq jours une population immense a été pour ainsi dire livrée à elle-même : tous les fonctionnaires publics avaient quitté les communes pour se presser sur le passage du Roi, et pas le moindre désordre, pas le moindre accident n’ont troublé ces jours de fêtes et de bonheur.
- ↑ M. Chabert, père, si avantageusement connu par la splendeur qu’il a su donner aux établissemens publics qu’il dirige, a été chargé du service de la bouche de Sa Majesté pendant son séjour à Strasbourg, ainsi que des repas offerts au Roi par la ville et par M. le préfet.
- ↑ Le Roi de Wurtemberg était parti le matin pour retourner dans ses États.
- ↑ M. Esmangart avait acheté récemment cette table, connue dans la commune d’Illkirch sous la dénomination de Traktats-Tisch (table du traité), dans l’intention de l’offrir à la ville de Strasbourg. Un procès-verbal régulier, dressé par les autorités locales, constate son identité, ainsi que les différentes mains dans lesquelles elle a passé depuis cent quarante-sept ans. Elle vient d’acquérir une nouvelle valeur par la circonstance d’avoir servi à Charles X pour signer un acte de clémence.
- ↑ Sa Majesté, dans la journée, avait déjà donné un témoignage particulier de sa haute estime au margrave Guillaume, en le nommant grand-officier de la légion d’honneur.
- ↑ Outre les distributions d’argent que Sa Majesté a faites en visitant les divers établissemens publics, et les dons particuliers qu’Elle a bien voulu faire à un grand nombre d’infortunés, Elle remit, en partant, à M. le maire une somme de 2 000 francs pour les pauvres. Depuis, le Roi a encore envoyé du camp de Lunéville une somme de 1 000 francs à M. le maire, avec la même destination. Pendant le séjour de Sa Majesté, Mgr l’évêque reçut également une somme considérable pour les pauvres.
- ↑ Cet arc de triomphe a été construit par M. Albert Haas, entrepreneur de bâtimens à Strasbourg, sur les dessins de M. Kühlmann, architecte-voyer de l’arrondissement de Sélestat.
- ↑ Le lendemain,
M. le préfet adressa aux habitans du département la proclamation suivante :
Habitans du Bas-Rhin !
Il y a peu de jours que je vous annonçais l’arrivée du Roi ; je m’en reposais sur voire dévouement pour fêter Sa Majesté selon vos cœurs : mes prévisions ne pouvaient être trompées. J’avais dit au Roi que l’Alsace était sa province la plus affectionnée, la plus dévouée : vos acclamations, vos empressemens et vos soins en ont donné les preuves les plus éclatantes.
L’ordre admirable qui a régné partout, et dont les étrangers ont été frappés, est dû à vous seuls, à votre dévouement pour le Roi, à votre bon esprit ; il a prouvé ce que pouvait produire en Alsace la confiance des administrateurs dans leurs administrés.
Sa Majesté m’a permis de me trouver souvent auprès d’Elle pendant son court séjour dans notre département. J’ai été sans cesse le témoin de ses douces émotions et de leur touchante expression.
« Je vous charge, m’a dit plusieurs fois le Roi, je vous charge, m’a-t-il répété en quittant ce département, de faire connaître à tous mes bons Alsaciens combien je les aime, combien je suis touché de tout ce que j’ai vu. Je les quitte le cœur plein de souvenirs. Dites-leur bien, je vous le répète encore, qu’ils seront toujours dans mon cœur. »
Telles sont les paroles du Roi. Je suis heureux d’être chargé par Sa Majesté de vous les transmettre. Son noble cœur a su vous apprécier ; c’est pour mes longs services la plus douce des récompenses.