Relation du ballet du château de Bissestre

Relation du ballet du château de Bissestre
Appendice des Poésies diverses, Texte établi par Charles Marty-LaveauxHachettetome X (p. 341-344).


I


(Voyez les pièces XVI et XVII, p. 58-60.)
relation du ballet du château de bissestre,
Extraite de la Gazette du 12 mars 1632 (p. 104-106).

« Il se peut voir si nous engendrons ici mélancolie par le ballet que le comte de Soissons dansa dimanche dernier au Louvre, à l’Arsenal, et en la maison de ville, avec une telle affluence de peuple que dans le Louvre seul il n’y avoit guère moins de quatre mille spectateurs, la plupart personnes de remarque.

« Le sujet fut le château de Bissestre (que vous savez être une vieille masure à demie-lieue de cette ville) et les personnes, les animaux et les esprits auxquels il sert de rendez-vous jour et nuit.

« Le jour étoit figuré par un grand tableau où ce château étoit peint ayant le soleil sur son horizon, et autour de son faîte des grues, faisans, faucons et autres oiseaux, comme au bas toute sorte de bêtes à quatre pieds.

« D’où, après que le sieur Justice eut de sa voix dextrement jointe à celle du luth, représenté le sujet du ballet, sortirent premièrement l’hôte, l’hôtesse et son valet que représentoient (pour suivre le plaisant ordre du ballet et non celui des dignités qui n’est que trouble-fête) les sieurs de Belleville, de la Barre et de Liencourt, aussi bien que tout le reste si richement vêtus qu’on ne les eût pas pris pour tels sans leurs postures où rien n’étoit oublié, et sans le petit mantelet, que l’hôte donna à garder à sa femme, enchaperonnée à la négligence, et les entonnoirs dont l’habit de ce gentil valet étoit passementé.

« Puis vinrent danser deux gueux, vêtus de riches lambeaux, que représentoient le comte de Fiasque et le sieur Parade.

« Suivoient le comte de Soissons, le duc d’Aluy, les sieurs de Liencourt, de la Barre et Marandé, qui représentoient cinq paysans ivres, vêtus de sayons de satin blanc passementés d’argent, la serpette à la ceinture, mais avec une telle adresse, qu’encore que le premier se voulût faire méconnoître dans la foule des autres, toute l’assistance lui donna le prix du ballet, et le jugea véritablement sien, non tant pour sa dépense, qui fut grande, comme pour y avoir le mieux fait.

« Trois Bohèmes parurent incontinent après, que représentèrent les comtes de Maurever, de Saults et de Fiasque.

« Deux braves, qui furent les comtes de Maurever et de Mata, y vinrent ensuite prendre la mesure de leur courage à celle de leur épée, vêtus de satin gris chamarré d’argent, qui dansèrent l’épée nue, le fourreau leur pendant au baudrier.

« Deux damoiselles masquées y allèrent présenter un autre combat, sous la conduite d’un messager d’amour, garni de chausses à culotte, et d’un manteau de satin qui avoit de la peine à atteindre jusques aux coudes, où le baron de la Ferté, le marquis de Beuvron et le sieur Enaut dansèrent.

« Deux écoliers, que représentoient le marquis de Gèvre et le sieur de Saint-Germain Beaupré, y vinrent ensuite jouer une partie du quartier et friper l’autre.

« Puis un Espagnol y fit la roue, encore qu’il fût vêtu en pèlerin, le roquet sur les épaules, et la petite boîte de fer-blanc à sa ceinture, servi de son valet, qui avoit le bissac sur le dos, la guitare en main, et passoit par humilité en dansant sous les caprioles de son maître. Ils furent représentés par les sieurs de Verpré et Saintot.

« Deux hiboux et quatre corneilles en leur vraie forme, sous laquelle étoient cachés autant d’enfants, y vinrent après danser leur branle et annoncer la nuit.

« Lors parut un autre tableau au lieu du premier, où le même château de Bissestre étoit ombragé d’une nuit qui n’avoit point d’autre clarté que celle d’un démon qui sortoit tout en feu de la plus haute de ses fenêtres.

« Le sieur de Moulinié, vêtu de gaze noire parsemée d’étoiles, fit l’ouverture de cette nuit par un chant lugubre, auquel succéda un excellent concert de luths.

« Puis se présente un magicien avec la sotane de satin incarnat, la robe de satin noir couverte de passement d’argent, tenant en sa main une baguette d’ébène garnie d’un bout d’argent, dont il frappoit en dansant son livre de magie : c’étoit le sieur Marais.

« À ses charmes sautent en place quatre lutins vêtus de satin noir et coiffés de plumes noires et grises, que dansèrent les ducs de Longueville et de Candale, le baron du Vigean, et le comte de Saint-Germain Beaupré.

« Cinq fantômes leur succédèrent, tous couverts de lames d’or coupées en olipeaux, dont le cliquetis n’étoit point si effroyable qu’il n’y eût des dames en la troupe qui témoignoient par leur contentement ce que d’autres, moins scrupuleuses, dirent tout haut, qu’elles ne s’en pourroient fuir devant ces fantômes ; car c’étoit encore le comte de Soissons, le duc d’Aluy, et le sieur de Liencourt, avec les sieurs de Marandé et la Barre.

« Trois faux monnoyeurs se mettent après sur les rangs, ayant leurs habits chamarrés de pièces fausses et les mains garnies de cisailles, tenailles et marteaux, exerçants leur métier en trop bonne compagnie pour ne vouloir pas être pris, comme ils furent par trois archers vêtus de satin vert sous leur casaque : où dansèrent les ducs de Longueville et de Candale, le baron du Vigean, les comtes de Fiasque et de Mata, et le sieur Parade.

« Ils furent bientôt suivis du même sieur Parade et Enaut, représentants le juge et son greffier, vêtus de satin noir et la toque en tête.

« Trois sergents finirent les entrées, représentés par les comtes de Mata et de Fiasque, et par le sieur Parade.

« Puis la musique du Roi se fit entendre, laquelle fut fermée par le grand ballet dansé aux pieds de Sa Majesté, qui rejoignant en un corps tant de pièces détachées, et faisant à son aspect reconnoître pour gens d’honneur ceux qui paroissoient naguère plongés dans une cloaque de vices, signifioit combien la vertu de ce monarque est efficacieuse, puisque le vice ne peut subsister devant lui, et qu’à son abord les diables mêmes cessent de l’être.

« Ce ballet (après lequel le comte de Soissons mena danser la Reine ; le duc de Longueville, la princesse de Condé ; et le reste des seigneurs, les autres dames de la cour) fit aussi juger quelle étoit la disposition de ces princes d’avoir pu danser depuis les huit heures du dimanche au soir, septième du courant, qu’ils commencèrent, jusques au lendemain matin, pareille heure, que leur fut faite la collation en la maison de ville, où ils finirent. Et comme la fortune aux grands desseins se fait volontiers de la partie, il s’y rencontra plus d’accidents qu’on n’en vouloit représenter, car il y eut une enseigne et autres choses perdues jusques à la valeur de quinze mille écus. Une comtesse y accoucha. Pour faire place, il fallut employer quelques descendants de hallebardes et des feintes qui n’étoient pas du ballet. »