Relation de ce qui s’est passé dans le pays des Hurons en l’année 1636/2

PREMIERE PARTIE.

Chapitre premier.

De la conuersion, Bapteſme & heureuſe mort de quelques Hurons, & de l’Eſtat du Chriſtianiſme en ceſte Barbarie.



Il y a eu ceſte année quatre-vings ſix de baptiſez, auſquels ioignant les quatorze de l’année paſſée, ce ſont en tout cent, que nous croyons eſtre ſortis de la ſeruitude du diable en ce pays depuis noſtre retour. De ce nobre Dieu en a appelé dix au Ciel, ſix en bas aage, & quatre plus aduancez. L’vn d’iceux nomé François sangȣuin eſtoit Capitaine de noſtre village ; il eſtoit naturelement bon, & conſentit très volontiers à eſtre inſtruit & receuoir le S. Bapteſme, qu’il auoit auparauant loüe & approuvé en autry. I’admiray la douce Prouidence de Dieu en la conuerſion d’vne femme, qui eſt l’vne des quatre decedez, laquelle ie baptiſay cet Automne au village de Scanonaenrat, en retournant de la maiſon de Louys de ſaincte Foy, où nous eſtions allez inſtruire ſes parens. La ſurdité de ceſte malade, & la profondeur des myſteres que ie luy propoſois, faiſoit qu’elle ne m’entendoit pas ſuffiſamment, ioinct que l’accent de ceſte Nation, vn peu different de celuy des Ours où nous ſommes, meſme mon ignorance en la langue, accroiſſoient la difficulté, & me rendoient moins intelligible. Mais Noſtre Seigneur qui vouloit ſauver ceſte ame, nous pourueut incontinent d’vn ieune home, lequel nous ſeruit de truchement. Il s’eſtoit trouué auec nous en la Cabane de Louys, & nous auoit ouy diſcourir de nos myſteres, de ſorte qu’il en poſſedoit deſia vne bonne partie, & conceuoit fort bien ce que ie luy diſois. On dit que ceſte femme qui fut nommée Marie, dans ſes plus grandes faibleſſes, predit qu’elle ne mourroit de huit iours ; ce qui arriua.

Ils ne recherchent preſque le Bapteſme que pour la ſanté. Nous taſchons de purifier ceſte intention, & les diſpoſer à reveuoir également de la main de Dieu la maladie & la ſanté, la mort & la vie, & leurs enſeignons que les eaux viuifiantes du S. Bapteſme, nous conferent principalement la vie de l’ame, & non celle du corps. Cependant ils ont de ceſte opinion ſi fort imprimée, que les baptiſez, nommément les enfans, ne ſont plus maladifs, qu’ils l’auront tãtoſt diuulguée & publiée par tout, de ſorte qu’on nous apporte pluſieurs enfans à baptiſer de deux, de trois, voire meſmes de ſept lieuës.

Au reſte la diuine Bonté, qui agit en nous ſuiuant la meſure de la Foy, a conſerué iuſques à preſent ces petits enfans en bonne ſanté : de ſorte que la mort de ceux qui sont decedez, a eſté attribuée aux maladies incurables & deſeſperées dont ils eſtoient malades auparauant, & ſi quelqu’autre a eſté parfois atteint de quelque petite maladie, les parens bien qu’encore infideles l’ont rapportée à la négligence & au meſpris qu’ils ont fait paroiſtre au ſeruice de Dieu.

Il y a en noſtre village vne petite fille Chreſtienne nommée Louyſe, laquelle a ſix mois a commencé à marcher toute ſeule : les parents aſſeurent n’avuoir encore rien veu de ſemblable, & l’attribuaient à l’efficace du S. Bapteſme. Vn autre nous diſoit vn iour auec beaucoup de ioye, que ſon petit garçon, qui eſtoit preſque touſiours malade, & comme tout etique auant le Bapteſme s’eſtoit du depuis parfaictement bien porté. Cecy ſuffira pour monſtrer comme Noſtre Seigneur va leur imprimant vne grande opinion de ce diuin Sacrement laquelle ſe fortifie par la bonne & entiere ſanté que Dieu nous donne, & qu’il a touſiours donnée à tous les François qui ont eſté en ce pays : car, diſent-ils, c’eſt merueille qu’horſmis vn seul qui eſt mort icy de ſa mort naturelle, tous les autres, depuis vingt cinq ans ou enuiron qu’on y hante, n’ayent quaſi pas eſté malades.

De tout cecy on pourra facilement recueillir l’eſtat preſent du Chriſtianiſme naiſſant en ce pays, & l’eſperance du futur. Deux ou trois choſes y ſeruiront encor. La premiere eſt la methode que nous tenons à l’inſtruction des Sauuages. Nous aſſemblons les hommes le plus ſouvent que nous pouuons, car leurs conſeils, leur feſtins, leurs ieux, & leurs danſes ne nous permettent pas de les auoir icy à toute heure, ny tous les iours. Nous auons égard particuliement aux Anciens, d’autant que ce ſont eux qui determinent & decident des affaires, & tout ſe fait ſuiuant leurs aduis Tous viennent volontiers nous entendre, tous vniuerſellement diſent qu’ils ont enuie d’aller au Ciel, & qu’ils redoutent ces braiſes ardentes de l’enfer : ils n’ont quaſi rien à nous répliquer, nous ſouhaitterions quelquesfois qu’ils propoſaſſent plus de doutes, ce qui nous donneroit touſiours plus d’occaſiõ de leur déchiffrer par le menu nos ſaincts Myſteres. En vérité les Commandements de Dieu ſont tres iustes & tres raiſonnables, & ceux là doiuent eſtre moins qu’hommes qui y trouuent à redire, car nos Hurons qui n’ont encor que la lumiere naturelle, les ont trouué ſi beaux, & ſi conformes à la raiſon, qu’apres en auoir ouy l’explication, ils diſoient par admiration ca chia atiȣain aa arrihȣaa, certes voila des affaires d’importance, & dignes d’eſtre propoſées dans des conſeils, ils diſent la verité, ils ne diſent rien hors de propos, nous n’auons iamais entendu de tels diſcours. Entre autres choſes qui leur ont fait auoüer la vérité d’vn Dieu, Createur, Gouuerneur & Conſeruateur de toutes choſes, fut l’exemple que ie leur apportay de l’enfant cõçeu dans le ventre de la mère. Car qui eſt-ce, diſois-je, ſinõ Dieu, qui organiſe le corps de cet enfant, qui d’vne meſme matiere forme le cœur, le foye, le poulmon, bref vne infinie variété de membres ſi neceſſaires, & tous ſi bien proportionnez & ioints les vns avec les autres : ce n’eſt pas le pere, car ces merueilles s’accompliſſent en ſon abſence, & quelquesfois après ſa mort. Ce n’eſt pas non plus la mere, car elle ne ſcait ce qui ſe paſſe dedans ſon ventre : que ſi c’eſt le pere ou la mere qui forment ce corps à diſcretion, pourquoy n’engendrent-ils vn fils ou vne fille quand ils veulent ? pourquoy ne produiſent-ils des enfans beaux, grands, forts & adroits. Et ſi les parens donnent l’ame à leurs enfans ? pourquoy ne leur departent-ils à tous de grands esprits, vne heureuſe memoire, & toutes ſortes de belles & loüable qualitez, veu qu’il n’y a perſonne qui ne deſiraſt auoir de tels enfans, s’il eſtoit en ſon pouuoir ? A cela nos Hurons s’eſtonnent, & n’ayant que reſpondre, ils cõfeſſent que nous diſons la vérité, & qu’en effet il y a un Dieu, que d’oreſnauant ils le veulent recognoiſtre, le ſeruir & honorer, deſirans d’eſtre promptement inſtruits, de ſorte qu’ils demandent que nous faſſions tous les iours le Catechiſme : mais cõme i’ay deſia dit, leur occupation & diuertiſſements ne le permettent pas.

Outre cela, la conformité de tous les poincts de la Doctrine Chreſtienne leur plaiſt merueilleuſement ; car, diſent-ils, vous parlez conformément, & touſiours conſecutiuement à ce que vous auez dit ; vous n’extrauaguez point, vous ne dites riẽ hors de propos, mais nous autres nous parlõs à l’étourdy, ſans ſcauoir ce que nous diſons. C’eſt le propre de la fauſſeté de s’ẽbaraſſer dans vne infinité de contradictions.

Le mal eſt, qu’ils ſont ſi attachez à leurs vieilles couſtumes, que cognoiſsãt la beauté de la verité ils ſe contentent de l’approuuer ſans l’embraſſer. Leur répõse ordinaire eſt, oniondechȣten, la couſtume de noſtre païs eſt telle. Nous auons combattu ceſte excuſe, & la leur auons oſté de la bouche, mais non encores du cœur ; noſtre Seigneur le fera quand il luy plaira.

C’eſt ainſi que nous agiſſons auec les Anciens ; car pour autant que les femmes & les enfans nous cauſoient beaucoup de trouble, nous auons trouué ceſte inuention, qui nous reüſſit aſſez bien : le P. Antoine Daniel, & les autres Peres vont tous les iours par toutes les Cabanes enſeigner aux enfans, ſoit baptiſez ou non, la doctrine Chreſtienne, ſçauoit eſt le ſigne de la Croix, le Pater, l’Auc, le Credo, les Commandemens de Dieu, l’Oraiſon à l’Ange Gardien, & autres briefues prieres ; le tout en leur langue, pour ce que ces Peuples ont vne ineptitude naturelle d’en apprendre vne autre.

Les Dimanches nous aſſemblons toute ceſte ieuneſſe par deux fois dãs noſtre Cabane qui nous ſert de Chappelle. Le matin nous les faiſons aſſiſter à la Meſſe iuſques à l’offertoire ; deuant laquelle nous faiſons ſolemnellement l’eau beniſte, puis ie leur fais dire à tous enſemble après moy le Pater, l’Auc, & autres prieres qu’ils ſcavent. L’apreſdinée ie leur propoſe quelque petite demande du Catechiſme, & leur fais rendre compte de ce qu’ils ont appris pendant la ſemaine, donnant à chacun quelque petit prix ſelon ſon merite.

Ceſte methode coniointe auec ces petites recompenſes a des effects incroyables : car premierement cela a allumé parmy tout les enfans vn ſi grand deſir d’apprendre, qu’il n’y en a point du tout, pourueu qu’ils ſçachent tant ſois peu beguayer, qui ne vueillent eſtre inſtruits, & comme ils ſont quaſi tous d’vn aſſez bon eſprit, c’eſt auec vn grand progrez ; car meſme ils s’inſtruiſent les vns les autres.

Ie ne ſçaurois dire le contentement & la conſolation que nous donne ceſte petite ieuneſſe, quand nous conſiderons leurs Peres plongez encor dans leurs ſuperſtitions, quoy qu’ils recognoiſſent ſuffiſamment la verité. Il nous vient en penſée de craindre que Dieu irrité par leurs pechez ne les ayt rebutez encore pour vn temps ; car pour les enfans ſans doute il leur tend les bras, & les attire à ſoy ; l’ardeur qu’ils teſmoignent à apprendre ce qui regarde le deuoir d’vn Chreſtien nous empeſche d’en douter ; les plus petits ſe viennent ietter entre nos bras quand nous allons par les Cabanes, & ne ſe font point prier pour dire & eſtre inſtruits. Le P. Daniel a trouué l’inuention d’appaiſer vn petit enfant, quand il le trouue pleurant entre les bras de ſa mere ; qui eſt de lui faire le ſigne de la Croix ; Et de fait, vn jour que ie venois de leur faire le Catechiſme en noſtre Cabane, cet enfant nous fit rire : ſa mere le portoit entre ſes bras, & s’en alloit, mais elle ne fut pas ſi toſt ſur le ſeüil de la porte qu’il ſe prit à pleurer, de ſorte qu’elle fut contrainte de rentrer ; elle luy demande ce qu’il auoit, Que ie recommence dit-il, que ie recommence, ie veux encor dire. Ie luy fis donc faire derechef le ſigne de la Croix, & il ſe prit incontinent à rire, & à ſauter d’aiſe. I’ay veu le meſme vne autrefois pleurer bien fort pour auoir eu le doigt froiſſé, cependant s’appaiſer, & rire, auſſitoſt qu’on luy euſt fait faire le ſigne de la Croix. Ie m’eſtend volontiers ſur ce ſuiet, ne doutant point que les bonnes ames ne prennent plaiſir d’entendre toutes ces particularitez ; dans les commencemens de ceſte Egliſe naiſſante, que pouuons nous raconter ſinon les begayemens de nos enfans ſpirituels ? Nous auons vne petite fille entre autres nõmee Marie Aoſiȣa, qui n’a point ſa pareille ; vous diriez que tout ſon contentement ſoit de faire le ſigne de la Croix, & de dire ſon Pater & l’Auc, à peine auons nous mis le pied dans ſa Cabanne, qu’elle quitte tout pour prier Dieu. Quand nous aſſemblons les enfans pour la priere ou pour le Catechiſme, elle ſe trouue touſiours des premieres, & y accourt plus gayement que pluſieurs ne ſeroient au ieu  ; elle ne bouge de chez nous, & ne ſe laſſe point de faire le ſigne de la Croix, & de dire & redire cinquante fois le iour le Pater & Auc; elle le fait faire aux autres, & vn de nos François eſtant arriué de nouueau ; pour tout compliment, elle luy priſt la main, & luy fit faire le ſigne de la Croix. Souuent elle ſe trouue dans la campagne quand nos Peres y recitent leur Office, elle ſe tient dans le chemin, & preſque autant de fois qu’ils ſe retournent, elle ſe met à faire le ſigne de la Croix, & à prier Dieu à haute voix.

Vne autre petite nommee Catherine, auoit fait ſouvent la difficile à ſe faire inſtruire, & en ſuite n’auoit point eſté recompenſee comme les autres : quelques iours apres vne ſienne compagne l’amena à vn des noſtres, luy faiſant accroire qu’elle eſtoit toute diſpoſee à dire, mais quand ce fut au fait & au prendre, elle fit à l’ordinaire ; alors ceſte petite qui l’auoit amenee ſe miſt en humeur, & employa toute ſa petite rhetorique naturelle pour luy déſerrer les levres, & la faire parler, tantoſt vſant de menaces, tantoſt lui faiſant espérer quelque recompenſe de moy, ſi elle diſoit bien, & fit ſi bien qu’elle en vint à bout au grand contentement de celui des noſtres qui l’eſcoutoit.

Vn autre bien qu’apporte ceſte practique conforme à noſtre Inſtitut, eſt que les grãds meſmes demeurent par ce moyen inſtruits ; car le déſir que les peres & meres ont que leurs enfans ſoient loüez & recompenſez de quelque prix, fait qu’ils s’inſtruiſent eux meſmes, pour inſtruire leurs enfans : particulièrement beaucoup de grandes filles prennent plaiſir à imiter les petites. Quand elles retournent du bois, ſouuent elles s’arreſtent au premier de nos Peres qu’elles rencontrent, & luy diſent ta arriȣaienstan ſen, enſeigne moy ie te prie, & elles ne ſont point contentes qu’on ne leur ait fait dire le Pater & l’Auc. Quelquesfois meſmes elles nous preuiennent, & de ſi loin qu’elles apperçoiuent quelqu’vn de nous autres, elles ſe mettent à dire ce qu’elles ſcavent. Quelle conſolation d’entendre retentir ces campagnes du nom de Iesvs, où le diable eſté, pour ainſi dire, adoré & recognu pour Dieu par tant de ſiecles.

Ce meſme exercice fait que nous profitons beaucoup en l’vſage & cognoiſſance de la langue, qui n’eſt pas vn petit fruit. Vniuerſellement parlant ils loüent & approuuent la Religion Chreſtienne, & blaſment leur meſchantes couſtumes, & quand ſera-ce qu’ils les quitteront tout à fait ? Quelques-vns nous diſent, Penſez-vous venir à bout de renuerſer le Pays, c’eſt ainſi qu’ils appellent le changement de leur vie Payenne & Barbare, en vne vie ciuile & Chreſtienne ? Nous reſpondons que nous ne ſommes pas ſi preſomptueux, mais que ce qui eſt impoſſible aux hommes, eſt non ſeulement poſſible, mais facile à Dieu. Voicy encor vn autre indice de leur bonne volonté pour la Foy. Monſieur de Champlain & Monſieur le General du Pleſſis Bochart, nous obligerent grandement l’annee paſſee, exhortant les Hurons en plein conſeil à embraſſer la Religion Chreſtienne, & leur diſant que c’eſtoit-là l’vnique moyen non ſeulement deſtre vn iour veritablement heureux dans le Ciel, mais auſſi de lier à l’auenir vne tres-eſtroite amitié auec les François, leſquels en ce faiſant viendroient volontiers en leur Pays, ſe marieroient à leurs filles, leurs apprendroient diuers arts & meſtiers, & les aſſiſteroient contre leurs ennemi & que s’ils vouloient amener quelques-vns de leurs enfans l’an prochain, qu’on les inſtruiroit à Kébec, que nos Peres en auroient vn grand ſoin. Et pour autant que les Capitaines du pays n’eſtoient pas là bas, ils leur dirent qu’ils tinſſent conſeil tous enſemble quand ils ſeroient feroient de retour, touchant les poincts ſuſdits, & qu’ils me rendiſſent les lettres dont il leur pleuſt m’honorer, par leſquelles ces Meſſieurs nous donnoient aduis de ce qui auoit eſté dit, afin que nous aſſiſtaſſions au Conſeil des Hurons, & ſçeuſſions nous preualoir de ce qu’ils auoient fait. Conformement à cela au mois d’Auril dernier ayant eſté inuité à vne Aſſemblee ou Conſeil, où eſtoient tous les Anciens & les Chefs de la Nation des Ours, pour deliberer ſur leur grande feſte des morts, ie pris l’occaſion de leur repreſenter la lettre de ces Meſſieurs, & demander qu’ils deliberaſſent meurement ce qu’ils deſiroient y reſpondre : Ie leur dis que tous les hommes ayant l’ame immortelle alloient finalement apres ceſte vie en l’vn de ces deux lieux, ſçauoir en Paradis ou en Enfer, & ce pour vn iamais : mais que ces lieux eſtoẽt vn lieu remply de toute ſortes de biens, & exempt de toutes ſortes de maux ; & l’Enfer eſtoit un eſtat deſtitué de tout bien, & remply de toutes ſortes de maux, que c’eſtoit vne fournaiſe tres ardente à iamais tourmentez & brulez ſans eſtre conſommez, qu’ils auiſaſſent maintenant auquel de ces deux lieux ils deſiroiet vn iour aller pour vn iamais, & ce pendant qu’ils eſtoiẽt encor en vie ; car pour tous les defunts pour qui ils auoient fait, & alloient faire la feſte, que c’eſtoit vne affaire decidee, que tous ayãt ignoré Dieu, & outrepaſſé ſes commandemens, auoiẽt ſuiuy le chemin de l’Enfer, où ils eſtoient maintenant tourmentez de ſupplices qui ne ſe peuvent imaginer, & qu’il n’y auoit plus de remede. Que pour eux s’ils vouloient aller au Ciel nous leur enſeignerions le chemin ; & pour autant que toutes les affaires d’importance ſe font icy par preſens, & que la Pourcelaine qui tient lieu d’or & d’argent en ce Pays, eſt toute puiſſante, ie preſentay en ceſte Aſſemblee vn collier de douze cens grains de Pourcelaine, leur diſant, que c’eſtoit-là pour applanir les difficulez du chemin du Paradis, ce ſont les termes dont ils font quelques preſens pour venir à bout de quelque difficile entrepriſe. Alors tous opinans à leur tour, dirent qu’ils redoutoient ces feux ardens de l’Enfer, & qu’ils aymoient mieux prendre le chemin du Ciel : il y en eut neãmoins vn lequel ou ſerieuſement, ou plutoſt en gauſſant dit, que cela alloit bien que tous vouluſſent aller au Ciel, & eſtre bien-heureux, pour luy qu’il n’importoit pas quand il ſeroit brulé dedans l’Enfer. Ie repartis que Dieu nous donnoit à tous l’option de l’vn & de l’autre, mais qu’il ne ſçauoit pas quel eſtoit le feu d’Enfer, & que i’eſperois qu’il changeroit de reſolution quand il en ſeroit mieux informé.

Voila la diſpoſition qu’ont les Hurons, & notamment la Nation des Ours à receuoir le Chriſtianiſme, à quoy ſeruira grandement que nous auons deſia baptiſé beaucoup d’enfans : car, diſent-ils, nous ne voulons pas abandonner nos enfans, nous deſirons aller au Ciel auec eux. Tu peux iuger, diſent-ils, combien nous agreons tes diſcours, puis que nous-nous y touuons volontiers, & ſans mot dire, & que nous permettõs que nos enfans ſoient baptiſez. Il ne faut pas que ie m’oublie à ceſte occaſion de teſmoigner la ſatisfaction que nous donne Louys de ſaincte Foy ; il eſt vray qu’il nous a autant edifiez & contentez dans le deuoir de Chreſtien, qu’il y auoit manqué par le paſſé. A ce mois de Septembre il eut vn deſir de retourner pour hyuerner chez nous à Kébec, afin d’y rapprendre paiſiblement les bons enſeignements qu’il auoit eu autrefois de nos Peres en France, & ſe remettre parfaictement dans le train de la vertue & pieté Chreſtienne. Nous approuuions fort ce deſſein, veu meſmement qu’il euſt mené auec luy quelque ieune homme de ſes parens, qui euſt pû eſtre inſtruit & baptiſé là bas : mais quelque difficulté ayant trauerſé ceſte reſolution, il ſe delibera de paſſer vne bonne partie de l’Hyuer auec nous, ce qu’il a fait auec beaucoup de contentement & de profit, tãt de ſon coſté que du noſtre ; car il s’eſt remis dans la hantiſe des Sacremens, & dans l’vſage de la priere. A Noël il fit vne fort bonne Confeſſion generale depuis ſon Bapteſme : d’autre part en nos Catechiſmes & inſtructions que nous faiſions aux Sauuages il nous ſeruoit de Truchement, & nous a traduit pluſieurs choſes en langue Huronne, où nous admirions la facilité qu’il auoit à entendre noſtre langue & à comprendre & expliquer les myſteres les plus difficiles. Bref il teſmoigne que veritablement il a la crainte de Dieu.

Pour concluſion de ce chapitre nous eſperons vous renuoyer les Peres Antoine Daniel, & Ambroiſe Dauot auec vne bande de braues petits Hurons, afin de donner commencement au Seminaire, duquel on peut eſperer auec raiſon de grands fruits pour la conuuerſion de ces Peuples. Que s’il y auoit à Kébec des Religieuſes, ie croy qu’on vous pourroit auſſi enuoyer de petites Seminariſtes, il y a icy quantité de braues filles, leſquelles ſi elles eſtoient bien eſleuees ne cederoient en rien à noſtre ieuneſſe Françoiſe. Ce nous eſt vn grand creue cœur de voir ces petites innocentes ſoüiller incontinent la pureté de leurs corps & beauté de leur ame faute de bon exemple & bonne inſtruction ; ie ne doute nullement que la diuine Bonté ne comble de grands biens particulierement ceux qu’elle inſpirera de contribuer à la fondation de ces Séminaires & à l’éducation de ces petites plantes de ceſte Egliſe naiſſante.