Relation de ce qui s’est passé dans le pays des Hurons en l’année 1636/3

Chapitre II.

Contenant ſelon l’ordre des temps les autres choſes remarquables aduenuës pendant ceſte année.



LA première choſe eſt la ſechereſſe de l’Eſté paſſé laquelle a eſté fort vniuerſelle en tous ces Pays, autant que i’ay peu apprẽdre tant des lettres de Kébec, comme de diuers Sauuages reuenans des traittes loingtaines, tout eſtoit ſi ſec & ſi arride qu’à la moindre étincelle de feu les foreſts & les campagnes eſtoient incontinent embraſées : d’où il arriua que pluſieurs Sauuages allans par pays, & n’eſtans pas ſur leurs garde eurent leurs Cabanes & viures bruſlez, comme auſſi deux de nos hommes. Mais pour ne parler que du Pays des Hurons, la ſechereſſe y fut tres-grande, car depuis Paſques iuſques à la my-Iuin il ne pleut point, ou fort peu ; rien ne profitoit, tout deperiſſoit, de ſorte qu’on apprehendoit vne grande famine, & à bon droit, car tout le terroir des Hurons & des lieux circonuoiſins eſtans tout ſablonneux, s’il eſt trois iours ſans eſtre arroſé des pluyes du Ciel, tout commence à faner & à baiſſer la teſte. Dans ces apprehenſions tout le Pays eſtoit en alarme de la famine, veu meſmement que le Printemps paſſé trois villages auoiẽt eſté bruſlez, qui ſans cet accident euſſent pû périr dans la neceſſité de greniers à tout le Pays. Tous crioient à l’ayde, & imploroient à leur ordinaire le ſecours des Sorciers ou Arendioȣane, qui ſe font icy adorer, promettans qu’ils deſtourneroient les malheurs dont le Ciel les menace. Ces abuſeurs firent ioüer tous les reſſorts que les ſonges, & leur ceruelle creuſe leur peut ſuggerer, afin de faire pleuuoir, mais en vain, le Ciel eſtoit d’airain à leurs ſottiſes. Il y eut vn de ces sorciers nommé Theorenhaegnon plus fameux que les autres, qui promiſt merueilles, pourueu que tout le Pays lut fiſt vn preſent de la valeur de dix haches, ſans conter vne infinité de feſtins : mais ces efforts furent en vain, il auoit beau ſonger, feſtiner & danſer, il n’en tomboit pas vne goutte d’eau, de ſorte qu’il cõfeſſoit qu’il n’en pouoit venir à bout, & aſſeuroit que les bleds ne meuriroient point, mais le mal eſtoit pour nous, ou plutoſt le bon-heur, qu’il diſoit qu’il eſtoit empeſché de faire pleuuoir par vne Croix qui eſt vis à vis de noſtre porte, & que la maiſon des François eſtoit vne maiſon de demons, ou de gens méfaiſans qui eſtoiẽt venus en leur Pays afin de les faire mourir. Quelques-vns encheriſſans là deſſus diſoient que parauanture nous auions des reſſentiments de la mort d’Eſtienne Bruſlé, & que nous voulions tirer vengeance de tout le Pays pour la mort d’vne ſeule perſonne. D’autres adiouſtoient que les Algondins leur auoient dit que les François ne venoient icy que pour les faire mourir, & que d’eux eſtoit prouenuë la contagion de l’année paſſée. En ſuite de ces diſcours on nous diſoit que nous abatiſſions la Croix, & que ſi les bleds ne meuriſſoient pas, on nous pourroit bien aſſomer ainſi comme on fait icy les Sorciers, & autres gens pernicieux. Quelques-vns, à noſtre grand regret & creuue cœur, diſoient qu’ils abbatroient la Croix, & vinrent iuſques à ce poinct, que des ieunes gens en ayants fait vne autre, & l’ayans plantée ſur le faiſte d’vne Cabane, ſe mirent à tirer à l’encontre, comme au blanc, auec leurs arcs & leurs fleches ; mais noſtre Seigneur ne permiſt pas qu’ils la frapaſſent d’vn seul coup. D’autres eſtoient d’autant plus méchans qu’ils eſtoient deſia meux informez de la cognoiſſance d’un Dieu Createur & Gouuerneur de toutes choſes, car ils accuſoient ſa Bonté & Prouidence auec d’horribles blaſphemes. Il euſt fallu eſtre de bronze pour n’eſtre pas irrité de ces inſolences. Ce qui nous touchoit dauuantage eſtoit la miſere de ce pauure Peuple, ſon aueuglement, & ſur tout l’iniure qu’on faiſoit à Dieu le quittant pour les Sorciers : car pour la mort ie croy que tous euſſent eſté tres aiſes de la ſubir pour la defenſe de la Croix. Nous aſſemblaſmes donc en notre Cabane les hommes & les femmes de noſtre village, attendu particulierement qu’eux ſeuls n’auoient point eu recours aux Sorciers, ains nous demandoiẽt continuellement que nous fiſſions pleuuoir. Ils ont ceſte penſée que rien ne nous eſt impoſſible : Ie leur dis que ny nous, ny aucun homme ne diſpoſoit de la pluye, ou du beau temps, que celuy qui a fait le Ciel & la terre en eſtoit ſeul le maiſtre, & la diſtribuoit ſelon ſon bon plaiſir ; que c’eſtoit à luy à qui il falloit auoir recours ; que la Croix que nous auions plantée n’empeſchoit point la pluye, veu que depuis que nous l’auions erigée il auoit pleu & tonné par pluſieurs fois, maus que parauanture Dieu eſtoit faſché de ce qu’ils en parloint mal, & de ce qu’ils recouroient à de meſchans Arendioȣane, leſquels ou n’auoient point de pouuoir, ou bien peut-eſtre cauſoient eux meſmes les ſechereſſes par les hantiſes & pacts qu’ils auoient avec le diable, & qu’au reſte tout ce qu’ils en faiſoient n’eſtoit que pour auoir des preſens ; que s’ils pouuoient quelque choſe, qu’ils fiſſent dõc pleuuoir. Partant que s’ils vouloient obtenir ce qu’ils deſiroient, ie leur dis qu’ils s’adreſſaſſent à celuy qui a tout fait, & qui eſt ſeul Auteur de tous biens, duquel nous leur auions tant parlé, & que nous leur enſeignerions la façon de le prier. Ceſte Nation eſt fort docile, & ſous la conſideration des biens temporels vous les flechiſſez où vous voulez. Ils me reſpondirent tous, qu’ils n’adiouſtoient point foy à leurs deuins, & que c’eſtoient des abuſeurs, qu’ils ne vouloient point d’autre Dieu que celuy que nous leur enſeignions, & qu’ils feroient ce que nous leur dirions. Ie leur dis donc qu’ils deuoient deteſter leurs pechez, & ſe reſoudre à bon eſcient à ſeruir ce Dieu que nous leur annoncions, & que doreſnauant nous ferions tous les iours vne Proceſſion pour implorer ſon ayde, que c’eſtoit ainſi que faiſoient tous les Chreſtiens ; qu’ils fuſſent conſtans & perſeuerans, ne perdant pas courage s’ils n’eſtoient incontinent exaucez, nous adiouſtaſmes à cela vn vœu de neuf Meſſes en l’honneur de noſtre Dame Protecteur des Hurons ; nous expoſaſmes auſſi le S. Sacremẽt à l’occaſion de la Feſte qui arriua en ce temps là.

Or il auint iuſtement que la neuſaine eſtãt accomplie, que fut le treizieſme Iuin, nous ne peuſmes paracheuer la Proceſſion ſans pluye, qui ſuiuit fort abondante, & dura à diuerſes repriſes l’eſpace de plus d’vn mois auec vn grand amandement & accroiſſement des fruicts de la terre, & d’autant que, comme ie l’ay dit, ces terres ſablonneuſes demanderoient quaſi des pluyes de deux iours l’vn, vne autre ſechereſſe eſtant ſuruenuë depuis la my-Iuillet iuſque à la fin du mois, nous entrepriſmes vne autre neufuaine en l’honneur de noſtre B. Pere S. Ignace, par des prieres duquel nous euſmes dés le lendemain de la neufuaine encommencée, & du depuis, telle abondance de pluyes qu’elles firent parfaictement eſpier les bleds, & les amenerent à maturité, de ſorte qu’il y a eu ceſte année autant de bled que de long temps.

Or ces pluyes ont fait deux biens ; l’vn en ce qu’elles ont accreu les fruicts de la terre, et l’autre en ce qu’elles ont étouffé toutes les mauuaiſes opinions & volontez conçeues contre Dieu, contre la Croix, & contre nous ; car tous les Sauuages de noſtre cognoiſſance, & notamment de noſtre village, ſont venus expreſſément nous trouuer pour nous dire qu’en effet Dieu eſtoit bon, & que nous eſtions auſſi bons, & qu’à l’auenir ils vouloient ſeruir Dieu, adiouſtant mille poüilles à l’encontre de leurs Arendioȣane ou deuins. A Dieu ſoit pour iamais la gloire de tout ; il permet la ſechereſſe des terres, pour arrouſer les cœurs de ſes benedictions.

L’année 1628, que les Anglois defirent la flotte de la Compagnie de la Nouuelle France, dont la perte a eſté la damnation de pluſieurs Canadois, & le retardement de la conuerſion de quelques’autres, cõme il eſt à croire, il m’arriua en ce pays vne hiſtoire quaſi pareille à la precedente, laquelle à raisõ de la conformité ie penſe eſtre bõ de raconter icy. La ſechereſſe eſtoit extraordinaire par tout, mais ſingulierement en noſtre village, & aux enuirons. Certes ie m’eſtonnois de voir quelquesfois l’air tout chargé de nuées ailleurs, & ouyr bruire les tonnerres, & au contraire en nos quartiers le Ciel y eſtre très purs, très ſerain, & très ardent. Il ſembloit meſme que les nuées ſe diuiſoient à l’abord de noſtre contrée. Ce meſme ſuppoſt du diable, que i’ay nommé cy deuant Theorenhaegnon eſtant prié de faire plouuoir, reſpondit qu’il ne le pouuoit pas faire, & que le tonnerre qu’ils feignent eſtre vn oiſeau, auoit peur de la Croix qui eſtoit deuant la maiſon des François, & que ceſte couleur rouge dont elle eſtoit peinte, eſtoit comme vn feu ardent & flamboyant qui diuiſoit les nuées en deux, quand elles venoient à paſſer par deſſus.

Les Capitaines du village ayant entendu ces nouuelles me firent appeller, & me dirent : Mon nepueu, voila ce que dit vn tel, que reſponds-tu à cela ? nous ſommes perdus, car les bleds ne meuriront point. Si au moins nous mourrions par la main & les armes de nos ennemis, qui ſont preſts de venir fondre ſur nous, encor à la bonne heure, nous ne languirions pas, mais ſi eſtans eſchapez de leur fureur, nous tombons dãs la famine, c’eſt pour aller de mal en pis, qu’en penſes-tu ? tu ne voudrois pas eſtre cauſe de noſtre mort ? & puis il t’importe autant qu’à nous nous ſerions d’auis que tu abbatiſſe ceſte Croix, & que tu la cachaſſe pour vn temps ou dedans ta Cabane, ou bien dans le lac, afin que le tonnerre & les nuées ne la voyent plus, & qu’ils n’en ayent plus de peur, & puis après la moiſſon tu la replanteras. A cela ie reſpondis, Pour moy iamais ie nabbatray, ny ne cacheray la Croix où eſt mort celuy qui eſt la cauſe de tous nos biens. Pour vous ſi vous la voulez abbattre, auiſez-y ie ne pourray pas vous en empeſcher, mais prenez garde qu’en l’abbatant vous n’irritiez Dieu, & que vous n’accroiſſiez voſtre miſere. Croyez-vous à cet abuſeur ; il ne ſçait ce qu’il dit, il y a plus d’vn an que ceſte Croix a eſté plantée voyez combien de fois il a pleu icy du depuis : c’eſt vn ignorant de dire que le tonnerre craint ; ce n’eſt pas vn animal, mais une exhalaiſon ſeiche & embraſée, qui eſtant enfermée court ça & là pour ſortir & puis que craint le tonnerre ? ceſte couleur rouge de la Croix ? oſtez donc auſſi vous meſmes toutes ces figures & peintures rouges qui ſont ſur vos Cabanes. A cela ils ne ſçauoient que me repartir, ils s’entre-regardoient, & diſoient, il dit vray, il ſe faut bien garde de toucher à ceſte Croix, & cependant adiouſtoient-ils Theorenhaegnon dit cela. Il me vint une penſée, Puis, diſie, que Theorenhaegnon dit que le tonnerre apprehende ceſte couleur de la Croix, ſi vous voulez nous la peindrons d’vne autre couleur, de blanc ou de noir, ou en quelqu’autre façon, & ſi incontinent apres il vient à pleuuoir, vous croiez que Theorenhaegnõ a dit vray, ſinon que c’eſt vn impoſteur. C’eſt fort bien auiſé, dirent-ils, ainſi le faut-il faire. On peint donc la Croix de blanc, mais vn, deux, trois & quatre iours ſe paſſent qu’il ne plouuoit non plus qu’auparauant, & cependant tous ceux qui voyoient la Croix ſe faſchoient contre ce Sorcier qui auoit eſté la cauſe de la défigurer de la ſorte : Sur cela i’alla trouuer les Anciens ; Et bien a-il pleu dauuantage qu’auparauant ? Eſtes vous contens ? Ouy, dirent-ils, nous voyõs bien que le Theorenhaegnon n’eſt qu’vn abuſeur : mais dis nous toy, qu’eſt-ce que nous ferons, & nous obeyrons. Alors noſtre Seigneur m’inſpira de les inſtruire du myſtere de la Croix, & de l’honneur que par tout on luy rendoit, & de leur dire que i’eſtois d’auis qu’ils vinſſent tous en corps, hommes & femmes adorer la Croix, pour reparer l’honneur d’icelle : & d’autant qu’il s’agiſſoit de faire croiſtre les bleds, qu’ils apportaſſent chacun vn plat de bled pour en faire offrande à noſtre Seigneur, & que ce qu’ils donneroient fuſt puis apres diſtribué aux pauures du village. L’heure eſt dõnée au lendemain ; Ils ne l’attendent pas, mais la preuiennens : nous entourons la Croix repeinte de ſes premieres couleurs, ſur laquelle i’aurois mis vn Crucifix ; Nous faiſons quelque priere, puis i’adoray & baiſay la Croix pour leur monſtrer comme ils douoient faire, ils me ſuiuirent les vns apres les autres apoſtrophants noſtre Seigneur crucifié par des prieres que la Rhetorique naturelle, & la neceſſité du temps leur ſuggeroit. Certes leur feruente ſimplicité me donnoit de la deuotion ; bref ils firent ſi bien que dés la meſme iournée Dieu leur donna de la pluye, & enfin vne tres heureuſe recolte, auec vne tres grande admiration de la Puiſſance diuine.

Pour concluſion de ces deux hiſtoires, ie diray que ces Peuples ſont grands admirateurs, & font eſtat des perſonnes qui ont quelque choſe de releué par deſſus le commun ; à cette occaſion ils les appellent, oki du meſme nom qu’ils donnent aux demõns : Partant s’il auoit icy quelqu’vn doüe du don de miracles, ainſi qu’eſtoient les premiers qui ont annoncé l’Euangile au monde, ils conuertiroit à mon aduis ſans difficulté tous ces barbares ; mais Dieu depart telles faueurs, quand, à qui, & comment il luy plaiſt, & parauanture veut-il que nous attẽndions la recolte des ames auec patience & perſeuerance. Auſſi certes ne ſe portent-ils encore à leur deuoir que par vn reſpect temporel, ſur lequel on pourroit bien leur faire ce reproche de l’Euangile ; Amen, amen dico vobis ; queritisme, non quia vidiſtis signa, sed quia manducaſtis ex panibus, & ſaturati estis.

Nous auons eu ceſte année deux alarmes, dont enfin, Dieu mercy, il ne nous eſt reſté que la peur ; ç’a eſté ſur l’apprehenſion des ennemis. La premiere, qui auoit quelque apparence, ſut l’Eſté paſſé, & dura tout le mois de Iuin ; c’eſt vn des temps des plus propres à ſemblables eſpouuantes, d’autant que pour lors le Pays eſt deſnué des hommes, qui vont en traitte qui d’vn coſté, qui d’vn autre. L’autre a eſté cet Hyuer, & s’eſt trouuée fauſſe ; en l’vne & en l’autre on la nous donnoit bien verte aſſez ſouvent, tant de iour que de nuict, les femmes et les enfants commençoient à plier bagage ſur le rapport des crieurs, ce ſont icy nos eſpions. La fuite eſt aucunement tolerable en Eſté, car on ſe peut échaper en quelque Iſle, ou cacher dans l’obſcurité de quelque épaiſſe foreſt ; mais en Hyuer quand les glaces ſeruent de pont pour aller fureter les Iſles, & que la cheute des feuilles a éclaircy les foreſts, vous ne ſçauriez où vous retirer, puis on deſcouure incontinent les veſtiges ſur la neige : ioinct qu’il fait bien froid en hyuer pour coucher long temps à l’enſeigne de la Lune. Il y a quelques villages aſſez bien fortifiez, où on pourroit demeurer, & attendre le ſiege & l’aſſaut, ceux qui peuuvent s’y retirent, les autres gagnent au pied, ce qui eſt le plus ordinaire, car le petit nombre d’hommes, le manquement d’armes, le grand nombre d’ennemis, leur font redouter la faibleſſe de leurs forts, il n’y a que les vieilles gens qui pour ne pouuoir aller attendent de pied quoy la mort dans leurs Cabannes. Voila où nous en ſommes d’ordinaire. Cet Hyuer nous fuſmes ſur le poinct de fuyr, mais où cacher nos petites commoditez ? car les Hurons en ſont auſſi frians que les Iroquois. D’ailleurs neantmoins ces eſpouuantes n’ont pas eſté inutiles ; car outre les prieres & les vœux que nous auons faits pour deſtourner les fleaux ; outre le ſoin que chacun apportoit pour ſe diſpoſer à la mort, ou à l’eſclauage, & outre que de là nous prenions occaſion d’inſtruire les Sauuages du ſecours qu’ils doiuent attendre de Dieu, nous nous ſommes rendus aymables, recommandables, & vtiles à tout le Pays, tant en donnant des fers de fleches, comme en nous diſposant de les aller ſecourir dans leurs forts ſelon noſtre pouuoir. En effect nous auions quatre de nos François munis de bonnes arquebuſes, qui eſtoient tous preſts de courir au premier village où ſe fuſt donné l’aſſaut, & moy i’eſtois reſolu de les aller accompagner pour les aſſiſter ſpirituellement, & pour prendre les autres occaſions qui ſe fuſſent preſentées d’auancer la gloire de Dieu. De là, ie vous laiſſe à penſer ſi nous auons beſoin du ſecours d’enhaut, & que ceux qui viuent en repos & en aſſeurance, le nous obtiennent par leurs prieres, c’eſt ce que nous leur demandons humblement.

Les Hurons nous ſont demeurez fort affectionnez de la promptitude que nous leur auons monſtrée à les aſſiſter. Nous leur auons dits auſſi que doreſnavant ils fiſſent leurs forts en ligne droite, & qu’au moyen de quatre petites tourelles aux quatre coings, quatre François pourroient facilement auec leurs arquebuſes mouſquets conſeruer & defendre tout vn village. Ils ont fort gouſté cet aduis, & ont deſia commencé à le practiquer à la Rochelle, où il ſouhaittent paſſionnément auoir des noſtres. Dieu ſe ſert de tout pout donner entrée aux porteurs de l’Euangile.

L’Eſté eſt icy vne ſaiſon fort incommode pour inſtruire les Sauuages ; les traittes & les champs emmenent tout hommes, femmes & enfans, il ne demeure quaſi perſonne dans les villages ; voicy comme nous paſſaſmes le dernier.

En premier lieu nous-nous reccueilliſmes tous par les exercices ſpirituels à la façon de noſtre Compagnie. Nous en auons d’autant plus beſoin, que l’excellence de nos fonctions requiert plus d’union auec Dieu ; & que nous ſommes contraints de viure continuellement dans le tracas ; c’eſt ce qui nous fait ſouuent recognoiſtre qu’il faut que ceux qui viennent icy y apportent vn bon fonds de vertu, s’ils veulẽt en cueillir les fruicts. Apres nos exercices nous fiſmes vn memorial confus des mots que nous auions remarquez depuis noſtre arriuée, & puis nous eſbauchaſmes vn Dictiõnaire de la langue des Hurons, qui ſera tres profitable. On y verra les diuerſes ſignifications, on y recognoiſtra ayſément la difference des mots par enſemble, qui ne conſiſte quelquesfois qu’en vne ſeule lettre, ou meſme en vn accent. Finalement nous-nous occupaſmes à reformer, ou plutoſt à ranger vne Grammaire. Ie crains qu’il ne nous faille faire ſouvent de ſemblables reformes ; car tous les iours nous allons deſcouurans de nouueaux ſecrets en ceſte ſcience ; ce qui nous empeſche d’enuoyer rien à imprimer pour le preſent. Nous en ſçauons, graces à Dieu, tantoſt ſuffisamment, tant pour entendre que pour eſtre entendus, mais non encore pour mettre au iour. C’eſt à la vérité vne choſe bien laborieuſe de vouloir comprendre de tous poincts vne langue eſtrangere, tres abondante, & autant differente de nos langues Europeanes qu’eſt le Ciel de la terre, & ce ſans maiſtre & ſans liures. Ie n’en dis pas dauantage, parce que i’en fais vn Chapitre plus bas. Nous y trauaillons tous auec ferueur ; c’eſt vne de nos plus ordinaires occupations, il n’y en a point qui ne iargonne deſia, & ne ſe faſſe entendre, les Peres nouuellement venus auſſi bien que les anciens, i’esſpere en particulier que le P. Mercier y ſera bientoſt maiſtre.

Le neufieſme d’Aouſt arriua de Kébec vn de nos hommes, deux mois & douze iours apres ſon embarquement d’icy, Dieu ſçait auec quel contentement nous l’écoutaſmes ſur l’eſtat de tous les François de Kébec, & des trois Riuieres, que le bruit nous auoit dépeints comme tous morts de la contagion. Nous fuſmes auſſi tres-aiſes d’entendre l’heureuſe arriuée des cinq vaiſſeaux de Meſſieurs de la Compagnie, commandez par Monſieur le General du Pleſſis Bochart, qu’on nous faiſoit croire s’eſtre perdus dans les glaces. Noſtre ioye fut vn peu rabatuë par la crainte qu’on auoit qu’il ne fuſt arriué quelque accident au Capitaine Bontan ; mais on nous a releuez de ceſte apprehenſion.

Le treizieſme du mois d’Aouſt le P. Mercier arriua, & le P. Pijart le dix-ſept, le P. Mercier s’eſtant tres bien porté depuis la France, fut ſaiſi d’vne petite fiéure vn iour ou deux auant ſon arriuée aux Hurons, mais dés le lendemain qu’il fut arriué, il en fut quitte pour vne legere émotion, qui fut ſuiuie d’vne parfaite ſanté. C’eſt vne benediction du Ciel, ce ſemble, que ce nous eſt aſſez d’eſtre aux Hurons pour nous bien porter. Au reſte tous les Peres ont eſté fort doucement conduits, ils n’ont ny ramé, ny porté, ſinon leurs petites hardes mais plutoſt ont été honorez, & portez eux-meſmes aux endroits faſcheux & difficiles ; & partant qu’aucun n’apprehende les difficultez qu’il y a à monter icy, pour auoir leu noſtre Relation de l’an paſſé ; les commencemens ſont touſiours difficiles, & puis les cauſes de nos peines eſtoient extraordinaires, & enfin ie croy que mes pechez qui demandoient cela pour moy, redonderent encor ſur les autres, mais plaiſe à Dieu que nous ayons épuiſé le calice des amertumes iuſques à la derniere goutte ; quoy que nul ne deuroit perdre courage quand les trauaux ſeroient touiours egaux, noſtre Seigneur en a bien enduré dauantage pour le ſalut des ames. Noſtre petit bagage nous a eſté auſſi apporté très fidelement, & aſſez bien conſerué ; vous ne ſçauriez croire le bien qu’ont fait les pois, le pain, & le ſagamité que vous diſtribuaſtes l’an paſſé à nos Hurons, & le bon viſage que vous leur monſtrâtes. Ce bon traictement vous a gagné, & à nous auſſi, leurs cœurs ; nous n’allons en aucun lieu qu’on ne nous diſe, que nos Freres de Kébec ſont tres courtois & tres liberaux : Toutes choſes nous diſpoſent ces Peuples à receuoir la ſemence de l’Euangile, car l’affectiõ qu’ils nous portent leur rend croyable ce que nous leur diſons Sur l’Eclypſe de Lune du vingt ſetieſme d’Aouſt, nos Barbares s’attendoient à vne grande défaite des leurs parce qu’elle parut ſur le Pays ennemy, qui eſt à leur égard au Sud-eſt ; car ſi elle parroiſt en Orient, c’eſt à leur cõpte que la Lune eſt malade, ou qu’elle a receu quelque deſplaiſir iuſques à nous inuiter, ie ne ſçay ſi c’eſtoit en riant, de tirer contre le Ciel, pour la deliurer du danger, nous aſſurans que c’eſtoit leur couſtume d’y décocher pluſieurs fleches à cet effect. Il eſt vray qu’ils crient tous tans qu’ils peuuent en ces occaſions, & font des imprecations à leurs ennemis, diſans, que telle & telle Nation periſſe. I’eſtois pour lors en vn autre village, où demeuroit ce fameux Sorcier, dont i’ay deſia parlé, Theorenhaegnon, il fit feſtin, ce dit-on, pour deſtourner les mal-heurs de ceſte Eclypſe.

Le vingtieſme Octobre mourut dans ſon infidelité vn vieillard de noſtre village, dont la fin eſtonna pluſieurs, & leur laiſſa de bons deſirs de ſe conuuertir, il ſemble que noſtre Seigneur luy auoit communiqué depuis vn an pluſieurs bons mouuements, il aſſiſtoit volontiers à toutes nos Aſſemblées, eſcoutant nos inſtructions ; c’eſtoit le premier à faire le ſigne de la Croix mais apres il taſchoit d’accorder noſtre creance auec leur ſuperſtitions & reſueries, & diſoit qu’il vouloit aller auec ſes Anceſtres. Quelque ſonge ſembloit l’auoir diſpoſé au biẽ ; mais comme il aymait à faire bonne chere, & à dire le mot, Dieu le chaſtia. Eſtant malade pour la derniere fois, il fit ſon Athataien, ou feſtin d’adieu, en vne grande Aſſemblée ; où il ſe traicta des mieux à leur façon ; renouuelant ces careſſes à chaque ſyncope qui luy ſuruenoit. Nous l’allaſmes voir, & ce fut à nous inuiter d’autant, menaçant que ſi nous ne luy faiſions raiſon de chanter à noſtre mode, il renuerſeroit tout apres ſa mort dans noſtre Cabane, & meſme l’empoteroit. Vn iour il nous demãda le Bapteſme, mais comme il sẽmbloit ſe remettre, nous-nous défiaſmes de ſon humeur. Sur le ſoir y eſtans retournez il dormoit. A peine eſtions nous hors de ſa Cabane qu’il expira, & Dieu ne permit pas que ce qu’il auoit meſpriſé pendant la vie, luy fuſt accordé à la mort. Iudicia Dei abyſſus multra.

Le vingtieſme de Septembre le pere de Louys de ſaincte Foy nous vint viſiter en noſtre Cabane, & nous dire la volonté qu’il auoit luy & toute ſa famille de ſe faire baptiſer, pouſſé à cela, diſoit-il, entre autres motifs, parce que en leur défaite par les Iroquois Dieu luy auoit conſerué extraordinairement la vie.

Le quatrieme de Nouembre nous partiſmes pour aller inſtruire ceſte maiſon, & conſidérer plus exactement la diſpoſition qu’ils auoient à la Foy. En chemin nous baptiſaſmes deux malades, que nous croyons eſtre maintenant dans le Ciel ; nous demeuraſmes ſept iours en noſtre voyage, pendant lequel nous inſtruiſiſmes toute ceſte famille de tous les poincts importants de la Religion Chreſtiene. Louy nous ſeruoit en cela de truchement, lequel poſſede fort bien nos myſteres, & les explique auec affection. Tous approuuoient & gouſtoient grandement les veritez Chreſtiennes, & tant s’en faut qu’ils iugeaſſent aucun des commandemens de Dieu difficiles, que meſmes ils les trouuoient faciles. La continence coniugale, & l’indiſſolubulité du mariage, leur ſembloit deuoir plus empeſcher le progrez de l’Euangile, & en effect ce nous ſera entre autres vne pierre d’achoppement. Cependant ils diſoient qu’eu égard à vne vie eternellement heureuſe, ou eternellement malheureuſe, rien ne deuoit ſembler difficile. Et puis, diſoit le pere de Louys, ſi vous diſiez qu’il falluſt paſſer les deux, les trois, & pluſieurs iours ſans manger, on y pourroit trouuer de la peine ; mais en tout le reſte il n’y en a point. Il diſoit que les François qui auoient eſté icy, ne leur auoit iamais parlé de Dieu, ains s’eſtoient eux-meſmes adonnez comme eux à courir & à folaſtrer auec les femmes. Au reſte il diſoit au P. Pijart qui eſtoit auec moy, qu’il appriſt promptement la langue, afin d’aller demeurer à leur village, & y eſtre le Superieur d’vne maiſon.

En ceſte viſite ie remarquay deux ou trois choſes. Le pere de Louys entendant qu’il falloit apprendre le ſigne de la Croix, le Pater, l’Auc, & le Symbole des Apoſtres, dit que cela eſtoit peu, & qu’il n’auroit gueres d’eſprit s’il ne pouuoit l’apprendre, qu’eſtant allé en diuerſes Nations on luy auoit commis quelquesfois plus de vingt ſortes d’affaires, & qu’au retour il les auoit toutes rapportées tres fidelement, & partant qu’il auroit bien-toſt appris & retenu ce peu que nous luy impoſions ; cependant ce bel eſprit trauailla fort à apprendre le ſigne de la Croix. C’eſt merueille combien les hommes ſont prompts & éueillez aux affaires du monde, eſtans hebettez en celles de Dieu.

I’eus du plaiſir à oüir Louys expliquant nos Myſteres à ſes parents, il le faiſoit auec grace, & monſtroit qu’il les comprenoit & poſſedoit tres bien ; Ah que ie ſouhaitterois parler en Hurons auſſi bien que luy, car il eſt vray qu’en comparaiſon ie ne fais que begayer, & cependant la façon de dire donne toute vne autre face. Comme i’eus mis en auant l’embraſement des cinq villes abominables, & la preſeruation de Loth & de la famille, pour monſtrer comme Dieu chaſtie ſeuerement dés ceſte vie les meſchans & les vilains, & comme il ſauue les bons, Louys en tira ceſte conſequence pour ſes parents, que s’ils ſeruoient fidelement Dieu, leur Cabane ne bruleroit pas, quand bien tout le village ſeroit embraſé.

Parauanture trouuera-on ces choſes trop baſſes pour eſtre eſcrites ; mais quoy ? Cum eram paruulus, loquebar vt paruulus, ſapiebam vt paruulus ; cùm autem factus ero vir, euacuabo quæ erant paruuli. Quand ceſte Egliſe ſera creuë, elle produira d’autres fruits, on eſcrira peut-eſtre vn iour les grandes aumoſnes, les ieunes, les mortifications, la patience admirable, voire les martyres des Hurons Chreſtiens. Maintenant qu’ils ne ſont encor qu’au berceau, on ne doit attendre que des begayemens d’enfans ; & partant ie continueray dans le recit de ces petites choſes, qui ſeront, Dieu aydant, la ſemence de plus grandes.

Expoſant aux parens de Louys le commandement de ne point deſrober, & diſant qu’en France on faiſoit mourir les larrons, ſon pere demanda ſi deuenant Capitaine il les feroit auſſi mourir ? Et Louys luy repartit, que le Pays ſeroit bien toſt depeuplé, car il faudroit tout tuer ; vn Huron & vn larron eſtant preſque la meſme choſe. Tandis que nous eſtions icy nous fiſmes obſeruer le premier Vendredy & le premier Samedy qui ayt eſté iamais obſerué par les Hurons. Des le Ieudy ils porterent ailleurs le reſte de leur ſagamité, & de leur viande, & le Vendredy & Samedy ayans eſté inuitez au feſtin, ils diſoient que ſi on leur donnoit de la viande ils la garderoient pour le Dimanche ; & de fait nous auons veu vne fois en noſtre village le pere de Louys refuſer en vn feſtin le Vendredy, vn morceau de chair qu’on luy preſentoit, ne faiſant pas neantmoins de ſcrupule de mãger du ſagamité où on l’auoit cuit. Ce nouueau proſelyte n’en ſçauoit pas dauantage. Nous les laiſſaſmes en bonne diſpoſition & bonne volonté, & ce fut tout ; le fruict n’eſt pas encor meur.

Le quinziefme d’Octobre nous allaſmes au village d’ȣenrio viſiter quelques malades, où noſtre Seigneur nous ayda par le moyen d’vne ieune fille de noſtre village qui s’y trouua, & deſ-abuſa ſi à propos vne pauure femme malade, ſur la crainte qu’elle auoit que le Bapteſme ne luy aduançaſt ſes iours, qu’elle ſe rendit enfin, & vue autre auec elle.

Le premier de Nouembre voyant vne femme groſſe aux abois de la mort, nous fiſmes vn vœu à ſainct Ioſeph, au cas qu’elle guerift, & que l’enfant fuſt baptiſé auſſi toſt elle commença à ſe bien porter, & quelque temps apres accoucha d’vne fille, laquelle par le Bapteſme a eſté miſe au rang des enfans de Dieu.

Le huictieſme de Decembre nous celebraſmes auec toute la ſolemnité poſſible, la Feſte de l’immaculée Conception de la Vierge, & voüaſmes de dire chacun vne Meſſe tous les mois de l’année en l’honneur de ce meſme ſainct Myſtere, auec les autres particularitez que voſtre R. nous auoit preſcrites. Nous croyons que la Bienheureuſe Vierge a eu pour agreables nos petites deuotions, car dés la meſme iournee nous baptiſaſmes trois petites filles, dont l’vne nommee Marie de la Conception eſt ceſte petite qui eſt ſi f eruente à apprendre, dont nous auons parlé cy-deſſus, & deuant la fin du mois nous en euſmes baptiſé vingt-huict ; & du depuis nous y voyons vn notable changement, ſi bien que chaque mois nous en auons touſiours gagné bon nombre, enſuite de ceſte offrande.

Le iour de la Purification ayant aſſemblé tous les enfans Chreſtiens parez le mieux qu’il ſe peût, auec leurs parens ; nous fiſmes en leur preſence la benediction des cierges, puis ayant expliqué aux grands cõme à tel iour noſtre Dame auoit offert ſon Fils au Temple au Pere Eternel, & qu’à ſon imitation ils deuoient auſſi preſenter leurs enfans au ſeruice de Dieu, & qu’en ce faiſant Dieu en prendroit vn ſoin plus particulier, ils en furent tres-contens. C’eſt pourquoy prenant vn Crucifix en main ie pronontçay en leur langue ceſte Oraiſon.

 
Sus eſcoutez vous qui auez fait la terre, & vous
Io ſakhrihote de Sondechichiai, dinde
qui Pere vous appellez, & vous ſon fils
eſa d’Oiſtan ichiatſi, dinde de hoen
qui vous appellez, & vous Eſprit Sainct qui vous appel-
ichiatſi, dinde de Eſken d’oatatoecti ichiat-
lez, ſus eſcoutez car ce n’eſt pas choſe de peu d’importance que
ſi ; Io ſakhrihote, onekindé oeron d’icȣa-
nous faiſons, regardez ces aſſemblez
kerha, atiſacagnren cha ondikhucȣaté
enfans, deſia ce ſont tes creatures tous ; parce que
Atichiahà, onne atiſataȣan àȣeti ; aerhon
on les a baptiſez. Mais voicy que vne autrefois nous
onatindecȣaeſti. Caati onne ȣàto eſàtaan-
te les preſentons eux tous, nous te les abandonnons tous,
cȣas echa àȣeti, àȣeti eſàtonkhiens,
c’eſt ce que penſent ce que voila aſſem —
ondayee echa ȣenderhay cha ȣendikhu-
blées femmes, elles penſent maiſtre
cȣaté otindekhien, ȣenderhay aȣandio
qu’il ſoit de tous les enfans. Sus donc maintenant
aȣaton eȣa tichiaha. Io ichien nonhȣa
prenez courage gardez-les, defendez-les. Qu’ils
etſaon hatſacaratai, atſatanonſtat. Enon-
ne deuiennent point malades, qu’ils ne pechent
che ȣatinonhȣaké, enonché ȣatirihȣan-
iamais, deſtournez tout ce
derâké, aonhȣentſannenhan, ſerreȣa eȣa
qui eſt mal ; que ſi la contagion nous attaque
d’otechienti, din de ongnratarrié etſeſo-
derechef, deſtourne-là auſſi ; que ſi la famine
nachien, ſerreȣa itondi ; din de onrendich

nous attaque deſtourne-la auſſi ; que ſi la guer-
eſonachien, ſerreȣa itondi ; din de ȣsken-
re nous aſſault deſtourne la auſſi ; que ſi
raetac eſonachien, ſerreȣa itondi ; din de
le demon nous prouoque, c’eſt à dire le mauuais demô, &
oki eſoniatoata ondayee d’okiaſti, chia
les meſchans qui par poiſon font mourir, deſtourne les
daononcȣaieſſa d’oki aſaoio, ſerreȣa
auſſi. Finalement deſtourne tout ce qui eſt de mauuais.
itondi. Ocȣetacȣi ſerreȣa eȣe d’otechienti.
Ieſus noſtre Seigneur de Dieu Fils, c’eſt ce à quoy tu
Ieſus onandaerari Dieu hoen ondayee
exhorteras ton Pere, car il ne te refuſe
achiehetſaron de hiaiſtan, oneké tehia-
point. Et vous auſſi Marie de leſus la Mere qui
nonſtas, chia deſa ȣarie Ieſus ondȣe de
eſtes Vierge, cela auſſi dis. Ainſi
chikhoncȣan, ondayee itondi chihon, to
ſoit-il.
hayaȣan.

Ceſte Oraiſon entre autres leur aggrea, d’autant que nous demandions à Dieu qu’il les preſeruaſt de la contagion, de la famine, & de la guerre ; ils n’y deſirerent de plus que ces deux prieres, qu’ils ne fiſſent point naufrage, & ne ſe bruſlaſſent point : enonche ȣatiȣareha, enonche ȣatiataté ; cela y eſtant ils la iugerent accomplie. Dieu ſoit infiniement loüé, & la B. Vierge, car nous pouuons dire que de ce iour-là nous priſmes poſſeſſion de ceſte petite ieuneſſe, qui a continué depuis à s’aſſembler tous les Dimanches dans noſtre Cabane pour prier Dieu. Il eſtoit bien raiſonnable que puis qu’ils auoient commencé à naiſtre enfans de Dieu le iour de l’immaculée Conception de ceſte ſaincte Vierge, ils commençaſſent auſſi le iour de ſa Purification à practiquer le deuoir de Chreſtien, pour le continuer le reſte de leur vie ; c’eſt ce que nous eſperons par l’entremiſe de ceſte Mere de miſericorde, qui nous fait aſſez paroiſtre que ſans doute elle veut eſtre la Mere de ceſte nouuelle Egliſe.

Le vingt-vnieſme de Mars vne femme qui auoit eſté enuiron vingt-quatre heures en trauail d’enfant, accoucha heureuſement, auſſi toſt qu’on luy eut appliqué vne Relique de N. B. P. S. Ignace ; ſon fruict ne veſquit qu’autant qu’il fallut pour aller au Ciel par le Bapteſme.

Le vingt-huictieſme de Mars François Marguerie qui eſtoit allé hyuerner auec les Sauuages de l’Iſle, nous en amena quatre ; Ce nous fut vne grande conſolation de receuoir des viſites Françoiſes en vne telle ſaiſon, & d’entendre des nouuelles de Kébec, & des trois Riuieres. Nous fuſmes auſſi ſurpris d’eſtonnement de voir qu’vn ieune homme comme luy aagé de vingt à vingt-deux ans, euſt le courage de ſuiure les Sauuages ſur les glaces, dans les neiges, & au trauers des foreſts quarante iours continus, & l’eſpace de quelques trois cens lieues, portant, trainant & trauaillant autant & plus que pas vn de ſa bande, car ces Barbares eſtans arriuez au giſte luy faiſoient faire leur chaudiere, tandis qu’ils ſe chauffoient & ſe repoſoient ; Il nous fait au reſte vne belle leçon, car ſi pour contenter vn deſir de voir, il a tant pris de peine, & deuoré tant de difficultez venant en une ſaiſon ſi faſcheuſe, & par des chemins ſi etranges, certainement des perſonnes Religieuſes pouſſées du ſainct deſir de gagner des ames à Dieu, ne doiuent nullement redouter l’aſpreté des chemins, que la commodité des Canots, la ſaiſon plaiſante de l’Eſté, & la compagnie des Sauuages aſſez ſecourables, rendent non ſeulement beaucoup moindre, mais auſſi en quelque façon agreable ; outre que Dieu a des conſolations admirables pour ceux qui le craignent, mais beaucoup plus pour ceux qui l’ayment.

L’occaſion de la venuë des Sauuages de l’Iſle en ce pays des Hurons, eſtoit la mort de vingt-trois perſonnes que les Iroquois auoient maſſacrez nonobſtãt la paix : Cette perfidie leur cauſoit vn grand deſir de ſe venger. Ils auoient amaſſé quelques vingt-trois colliers de Pourcelaine afin de ſouſleuer les Hurons & les Algonquins à prendre les armes, & leur preſter main forte, ſe promettant que nos François ſeroient de la partie, comme contre vn commun ennemy ; Mais ny les Hurons ny les Algonquins n’y ont point voulu entendre, & ont refuſé leur preſens ; les Biſſiriniens n’y ont non plus voulu entendre à cauſe des extorſions qu’ils ſouffrent deſdits Sauuages de l’Iſle en deſcendant à la traitte ; Pour les Hurons, ils ont couuert leurs refus de l’apprehenſion d’vne armée dont on les menaçoit en bref. Mais en effet, ç’a eſté pour ce que la Nation des Ours qui fait la moitié des Hurons, s’eſt piquée de ce que les Sauuages de l’Iſle ne les inuitoient point comme les autres, ne leur faiſants point part de leurs preſens, au contraire defendant qu’on ne leur en parlaſt.

Cependant d’vn autre coſté nous apprehendons que ce ne ſoient tous ſtratagemes de Satan pour empeſcher la conuerſion de ces Peuples, car ceux de l’Iſle ſe voyans éconduits s’en ſont retournez fort meſcontẽs tant des Hurons, que des Biſſiriniens, & ont menacé qu’ils ne lairroient paſſer ny les vns, ny les autres pour aller aux François.

Le Borgne de l’Iſle diſoit aux Hurons en noſtre preſence, pour recommander le ſuiet de ſon Ambaſſade, que ſon corps eſtoit des haches, il vouloit dire, que la conſeruation de ſa perſonne, & de ſa Nation, eſtoit la conſeruation des haches, des chaudieres, & de toute la traitte des François pour les Hurons ; meſmes on dit, ſoit vray, ſoit faux, qu’il s’eſt vanté qu’il eſtoit maiſtre des François, & qu’il nous rameneroit à Kébec, & nous feroit repaſſer la mer à tous ; ie dis qu’on le dit, & qu’on luy attribue ces rodomontades, car nous ne les auons pas ouyes, au contraire ils ſe departirent d’auec nous auec toute ſorte de ſatisfaction & de contentement.

Ils nous firent à la verite vn grand diſcours comme d’amis, qui tendoit, ou à nous faire quitter tout à fait le Pays des Hurons, ou au moins la Nation des Ours, comme la plus meſchante de toutes, qui auoit maſſacré Eſtienne Bruſlé, & le bon Pere Nicolas Recolet auec ſon compagnon ; & qui pour vn coup leur auoit autres-fois aſſomme huict de leurs hommes ; Et pour moy en particulier, en me flattant & me loüant, ils me dirent, que plutoſt que de riſquer ma vie parmy vne Nation ſi perfide, ils me conſeilloient de deſcendre à Kébec, au moins apres auoir paſſé icy encor vn an, pour ſçauoir parfaictement la langue, que ie ſerois vn grand Capitaine, & qu’il n’y auroit que moy qui parleroit dans les conſeils ; C’eſt ainſi que ces braues conſeillers nous donnoient des aduis, auec pluſieurs & long diſcours, pour monſtrer l’amitié qu’ils auoient touſiours portée aux François par deſſus toutes les Nations. Nous leur reſpondiſmes que nous n’eſtiõs pas venus en ces Pays pour ſeruir de truchement, ny ſous eſperance de nous y enrichir, ou de deuenir vn iour grands Capitaines ; mais que nous auions abandonné nos parens, nos moyens, & toutes nos poſſeſſions, & auions trauerſé la mer afin de leur venir enſeigner la voye de ſalut, au peril de nos vies ; qu’au reſte nous taſchions, & que nous taſcherions de ſi bien nous cõporter, que les autres Nations auroient plus de ſuiet de nous aymer, que de nous mal-faire. Bref nous leur diſmes qu’vn iour quelqu’vn des noſtres pourroit demeurer en leur Pays pour les inſtruire, & qu’il y en auroit deſia n’eſtoit leur vie errante ; Ils teſmoignerent en eſtre fort contens, & acquieſcerent à nos raiſons : pour comble deſquelles nous leur donnaſmes vn Canot, auec quelques autres petits preſens, dont ils demeurerent tres-ſatisfaits, diſans qu’ils eſtoient deſia de retour en leur Pays, & firent mille remerciemens auec forces promeſſes de bien traitter les noſtres quand ils paſſeront ſur leurs terres. Nous taſchons de nous concilier l’amitié de tous ces Peuples afin de les conqueſter à Dieu.

La Semaine Saincte Louys de ſaincte Foy nous vint viſiter, & fit ſes Paſques auec nous pour ſe diſpoſer à aller à la guerre auec vn ſien oncle contre les Iroquois ; il n’eſt pas encor de retour ; on nous veut faire accroire qu’il eſt deſcendu a Kébec ; ie m’en rapporte.

Le quatorzieſme d’Auril le fils du Capitaine Aenons apres auoir perdu au ieu de pailles vne robe de Caſtor, & vn collier de quatre cens grains de Pourcelaine, eut vne telle apprehenſion de ſes parens, que n’oſant entrer dans la Cabane, il ſe deſeſpera, & ſe pendit à vn arbre. C’eſtoit vn eſprit fort melancholique ; dés cet Hyuer il auoit eſté deſia ſur le point de ſe défaire ſoy-meſme, mais vne petite fille le prit ſur le fait : comme on luy demandoit qui l’auoit porté à ceſte meſchante reſolution, Ie ne ſçay, dit-il, mais il me ſemble que i’ay quelqu’vn dedans moy qui me dit continuellement, pends toy, pends toy. Le ieu ne porte iamais à rien de bon ; en effet les Sauuages meſmes remarquent que c’eſt quaſi l’vnique cauſe des batteries & des meurtres.

Le huictieſme de May, eſtant allé à la Rochelle, vne femme qui venoit d’accoucher, me preſenta ſon petit enfant à baptiſer ; comme il ſe portoit bien, & que noſtre couſtume eſt, ſinon en cas de neceſſité de ne baptiſer que dans noſtre Cabane auec les ceremonies de l’Egliſe, pour plus grand reſpect de ce Sacrement ; ie fus tout preſt de luy dire que ce ſeroit aſſez qu’elle nous l’apportaſt à la premiere commodité : neanmoins ie me ſenty inſpiré de paſſer outre ; & ſans doute ce fut vne Prouidence toute particuliere, car peu de iours apres ſes parens nous vinrent apporter la nouuelle de ſa mort.

Le huictieſme de Iuin, le Capitaine des Naiz percez, ou de la Nation du Caſtor, qui eſt à trois iournées de nous, vint nous demander quelqu’vn de nos François pour aller auec eux paſſer l’Eſté dans vn fort qu’ils ont fait, pour la crainte qu’ils ont des Aȣcatſiȣenrrhonon, c’eſt à dire, des gens puants, qui ont rompu le traicté de paix, & ont tué deux des leurs, dont ils ont fait feſtin.

Le neufieſme aborda icy vn Sauuage mort ſous les glaces. Tout le village y accourut, & rendit à ſes parens les deuoirs accouſtumez de ſi bonne grace, que parmy les preſens mutuels l’intendance des ceremonies leur fut deferée en ceſte occaſion, le mort s’eſtant trouué n’eſtre point des leurs.

Le treizieſme du meſme mois nous euſmes nouuelle qu’vne troupe de Hurons qui s’en alloient en guerre, & s’eſtoient cabanez à la portée d’vn mouſquet du dernier village, à vne iournée de nous, apres auoir paſſé pres de deux nuicts à chanter & à manger, furent ſurpris d’vn ſi profond ſommeil, que l’ennemy ſuruenant en fendit la teſte à douze ſans reſiſtance, le reſte ſe ſauua à la fuite.

I’euſſe pü adiouſter icy beaucoup de choſes qui ſe ſont paſſées ceſte année, & dont nous auons eſté teſmoins oculaires ; mais i’ay iugé plus à propos de les reſeruer à la ſeconde partie de ceſte Relation ; I’eſpere que i’éuiteray par ce moyen plus ayſément la confuſion, & contenteray à mon aduis dauantage tous ceux qui ſont curieux de ſçauoir les mœurs & les couſtumes de ces Peuples.