Relation d'un voyage à la côte du nord-ouest de l'Amérique septentrionale/Chapitre 5


CHAPITRE V.


Baie d’Ohetity — Taméaméa, Roi des Îles Sandwich — Sa Visite au Vaisseau — Sa Capitale — Sa Marine — Son Autorité — Productions du Pays — Mœurs et Usages des Habitans — Réflexions.

L’on ne trouve pas un seul bon mouillage dans la baie d’Ohetity, en dehors du récif ; cependant notre capitaine aima mieux rester en rade, que d’exposer le navire à la tentation des insulaires, en se mettant en dedans du récif ; d’où l’on ne peut sortir que difficilement. Au reste, les environs de cette baie sont encore plus riants que ceux, de Karakakoua ; les montagnes s’élèvent à une moindre hauteur sur les derrières, et le terroir parait plus fertile.

Taméaméa, à qui toutes les îles Sandwich obéissaient, lorsque nous y passâmes en 1811, n’était ni le fils, ni le parent de Tierrobou, qui régnait à Ohèhy en 1779, lorsque le Capitaine Cook et quelques uns de ses gens y furent massacrés : il n’était alors qu’un chef médiocrement puissant ; mais habile, intriguant, et plein d’ambition, il réussit bientôt à se faire un parti nombreux, et parvint enfin à s’emparer de la puissance souveraine. Lorsqu’il se vit maître d’Ohehy, sa patrie, il songea à s’assujéttir aussi les îles voisines sous le vent ; et en peu d’années, il en vint à bout. Il passa même jusqu’à Atoüy, la plus éloignée de toutes, en défit le chef, mais se contenta pourtant de lui imposer un tribut annuel. Il avait fixé sa résidence à Ohahou, parceque c’est de toutes les îles Sandwich, la plus riante, la plus pittoresque, en un mot, la plus digne de la présence du souverain.

Dès notre arrivée, nous fûmes visités par une pirogue conduite par trois blancs, Davis et Wadsworth, Américains, et Manini, Espagnol. Ce dernier s’offrit à nous servir d’interprète, durant notre séjour à Ohètity ; ce qui fut accepté. Taméaméa nous envoya bientôt son premier ministre, Craimocou, à qui les Américains ont donné le nom de Pitt, à cause de son habileté dans les affaires. Notre capitaine, accompagné de quelques uns de nos messieurs, se rendit ensuite à terre, pour se présenter à Taméaméa. Vers quatre heures de l’après-midi, nous les vîmes revenir à bord, accompagnés du roi et de sa suite, dans une double pirogue. Nous hissâmes notre pavillon, et saluâmes sa majesté de quatre coups de canon.

Taméaméa était d’une taille audessus de la médiocre, bien fait de sa personne, robuste, et enclin à la corpulence, et avait le port assez majestueux. Il me parut âgé de 50 à 60 ans. Il était vêtu à l’européenne, et portait une épée à son côté. Il se promena longtems sur le pont, se faisant expliquer L’usage des choses qu’il n’avait pas vues sur les autres vaisseaux, et qui se trouvaient sur le nôtre. Une chose qui parut le surprendre, ce fut de voir que nous pussions rendre l’eau de la mer douce, au moyen d’un alambic placé derrière notre cambuse ; il ne pouvait s’imaginer que cela se pût faire. Nous le fîmes descendre dans la chambre, et après l’avoir régalé de quelques verres de vin, nous commençâmes à lui parler d’affaires : nous lui offrîmes des marchandises en échange pour des cochons ; mais nous ne pûmes conclure de marché ce jour là. Sa majesté se rembarqua sur sa double pirogue, vers les six heures du soir. Cette pirogue était conduite par vingt-quatre hommes ; un grand coffre contenant des armes à feu, était lié dessus ; et ce fut là que Taméaméa s’assit, accompagné de son premier ministre.

Le 22, au matin, nous envoyâmes nos futailles à terre, et les remplîmes de bonne eau. Sur le haut du jour, sa noire majesté nous rendit encore une visite, accompagnée de ses trois femmes et de son favori. Ces femmes étaient d’une corpulence extraordinaire, et d’une taille démesurée. Elles étaient habillées à la façon du pays, n’ayant guère qu’une pièce d’étoffe d’écorce d’arbre, d’environ six pieds de longueur sur une demi-aune de largeur, passée autour des reins. Nous reprîmes les négociations de la veille, et fûmes plus heureux. Je remarquai que pendant que le marché se concluait, il insistait à ce qu’une partie du paiement lui fût faite en piastres d’Espagne. On lui en demanda la raison ; et il répondit, qu’il voulait acheter une frégate de son frère, King George, désignant sous ce nom le roi d’Angleterre. Le marché conclu, nous priâmes sa majesté, et sa suite, de vouloir bien nous faire l’honneur de diner avec nous : ils y consentirent ; et vers le soir, ils se retirèrent très satisfaits, en apparence, de leur visite et de notre accueil.

Cependant les naturels entouraient en grand nombre le vaisseau, nous offrant leurs effets en échange pour des marchandises ; mais comme ils avaient aussi apporté de l’eau de vie, dans des calebasses, plusieurs hommes de l’équipage s’ennivrèrent, et le capitaine se vit obligé d’empêcher les échanges, défendant à qui que ce fût de trafiquer avec les insulaires, excepté le second, qui fut seul chargé de cette besogne.

Je débarquai le 22, avec MM. Pillet et M’Gillis nous passâmes la nuit à terre ; et le lendemain matin, nous nous mîmes à parcourir les environs de la baie, suivis d’une foule d’hommes, de femmes et d’enfans.

Ohètity, où Taméaméa faisait sa résidence, et qu’on pouvait par conséquent regarder comme la capitale de son royaume, est, ou du moins, était alors, une ville médiocre, ou plutôt un grand village. Outre les maisons des particuliers, qui pouvaient être au nombre de deux cents, on y remarquait le palais royal, qui n’avait rien de magnifique ; le hangard du roi, bâtiment à deux étages, l’un en pierre et l’autre en bois ; deux moraïs, et un petit quai. Nous trouvâmes près de ce quai un vieux navire, le Lilly Bird, que des navigateurs Américains avaient échangé contre une goëlette : c’était le seul gros vaisseau que possédât Taméaméa ; encore ne valait-il rien. Quant aux goëlettes, il en avait une quarantaine, du port de 20 à 30 tonneaux : ces bâtimens lui servaient à transporter les effets que lui donnaient ses vassaux des autres îles. Avant l’introduction des Européens parmi ces sauvages, ils n’avaient pour communiquer d’une île à l’autre, que leurs pirogues : ce moyen de communication n’était pas très-sûr, ces îles n’étant point à vue d’homme l’une de l’autre. Nous trouvâmes près du palais du roi, un Indien de Bombay, occupé à faire un cable de douze pouces, pour l’usage du navire dont je yiens de parler.

Taméaméa entretenait continuellement autour de sa demeure, une garde composée de 24 hommes : ces soldats portaient pour uniforme, une longue casaque bleue à revers jaunes, et avaient chacun un mousquet. Vis-à-vis de cette demeure, on avait laissé un quarré en esplanade ; où étaient rangées 14 pièces de canon de 4, montées sur de petits affûts.

Le roi exerçait une autorité absolue, et jugeait lui même les différents qui s’élevaient entre ses sujets. Nous eûmes occasion d’en voir la preuve, le lendemain de notre débarquement dans l’île. Un Portugais ayant eu querelle avec un insulaire à peu près ivre, s’emporta au point de le frapper : aussitôt les compatriotes de l’offensé, qui avait pourtant été l’aggresseur, accoururent en foule pour assommer le pauvre étranger à coups de pierres : celui-ci s’enfuit de toutes ses forces vers la demeure du roi, suivi d’une troupe de furieux, qui s’arrêtèrent pourtant à quelque distance, tandis que le Portugais, hors d’haleine, se tapissait dans un coin. Nous étions sur l’esplanade, vis-à-vis du palais royal. Nous nous rendîmes aussitôt auprès de sa majesté, qui après s’être fait expliquer la nature de la querelle, et avoir entendu les témoins de part et d’autre, condamna l’insulaire à travailler quatre jours dans le jardin du Portugais, et à lui donner un cochon. Un jeune Français de Bordeaux, précepteur, des fils du roi, auxquels il enseignait à lire, et qui entendait bien la langue du pays, servit d’interprête au Portugais, et nous instruisit de la sentence qui avait été rendue. Je ne saurais dire si notre présence influa sur ce jugement ; et si, dans une autre circonstance, le Portugais eût été traité moins favorablement. On nous donna à entendre que Taméaméa était bien aise que des blancs s’établissent dans ses domaines, mais qu’il n’estimait que les gens de métier, et regardait avec mépris les fainéants, et, surtout les ivrognes. Nous vîmes à Ohahou une trentaine de ces individus, de toutes nations : la plupart gens sans aveu et sans caractère, et qui n’étaient restés dans ces îles que par paresse, par ivrognerie, ou par libertinage. Ils avaient trouvé moyen de se procurer un petit alambic, et ils fournissaient de l’eau-de-vie aux naturels.

Les premiers navigateurs Européens ne trouvèrent sur les îles Sandwich que quatre sortes de quadrupèdes ; des chiens, des cochons, des lézards, et des rats. Il y a été porté depuis des moutons, des chèvres et des vaches, et ces animaux y ont multiplié.

Les principales productions végétales de ces îles sont la canne à sucre, le bananier, l’arbre à pain, le melon d’eau, la citrouille, le taro, l’ava, le mûrier à papier, le pandanus, &c. L’arbre à pain est de la grosseur d’un jeune pommier ; son fruit ressemble aussi à une pomme, et peut avoir de 12 à 14 pouces de circonférence : l’enveloppe en est rude, comme celle du melon ; en le coupant transversalément, on le trouve rempli d’yeux, à peu près comme le dedans d’une orange ; la chair a à peu près la consistence du melon d’eau, et ne se mange que rôtie. Nous vîmes des espèces de vergers d’arbres à pain et de bananiers, et des champs de cannes à sucre, derrière Ohètity.

Le taro croît dans des terrains bas, et demande beaucoup de soin : cette racine sechée, broyée et réduite en farine, fait avec le fruit à pain, la principale nourriture des insulaires. Quelquefois ils font bouillir les racines du taro, et les réduisent en une espèce de purée, qu’ils laissent sûrir, et qu’ils mettent ensuite dans de# vases, pour s’en servir au besoin. La dextérité de ces insulaires à préparer à manger, est extraordinaire : ils attrappèrent en notre présence, un jeune cochon, qu’ils tuèrent, et firent rôtir, dans le court espace d’une heure et demie.

L’ava est une plante plus nuisible qu’utile des habitans de ces îles ; puisqu’elle ne leur sert qu’à composer une boisson ennivrante et dangereuse, qu’ils appellent aussi ava. Voici comment se fait cette boisson : ils mâchent la racine de l’ava et en crachent le jus dans un vase ; ce jus, ainsi exprimé, est exposé au soleil pour fermenter ; après quoi on le fait découler dans un autre vase : l’ava est fait alors, et ils en boiyent dans l’occasion jusqu’à s’ennivrer. L’usage trop fréquent de cette liqueur dégoûtante leur fait perdre la vue, et leur donne une espèce de lèpre, dont ils ne se guérissent que par la sobriété, et en se plongeant fréquemment dans l’eau de la mer. Cette lèpre leur fait paraître la peau plus blanche : nous vîmes plusieurs de ces lépreux, qui étaient aussi aveugles, ou peu s’en fallait. Ils aiment aussi à fumer : le tabac croît sur ces îles ; mais je pense qu’il y a été naturalisé. L’écorce du mûrier leur fournit la plus commune de leurs étoffes ; et les feuilles du pandanus leur servent à faire des nattes.

Les hommes sont en général bien faits et de haute stature ; ils portent pour tout vêtement ce qu’ils appellent un maro ; c’est une pièce ou lisière d’étoffe, d’environ deux verges de longueur et d’un pied de largeur, qu’ils se passent entre les cuisses, et dont ils attachent tes deux bouts sur les hanches. Au premier abord, je crus qu’ils avaient le corps peint en rouge ; mais je m’apperçus bientôt que c’était la couleur naturelle de leur peau. Les femmes portent une espèce de jupe faite de la même étoffe que le maro, mais plus large et plus longue, sans néanmoins jamais dépasser les genoux. Elles ont les traits assez réguliers, et à la couleur près, elles peuvent, généralement parlant, passer pour de belles femmes. Quelques unes, pour relever leurs charmes, se teignent les cheveux, formant autour de leur tête une lisière blanche d’un pouce de largeur, et ressemblant de loin, à une fontange. Elles sont au reste fort lascives, et fort peu retenues, surtout avec les étrangers. Quant aux ornemens de pure parure, on dit qu’ils ne sont pas les mêmes dans toutes les îles. Je ne les ai pas vus non plus revêtus de leurs habits de guerre ou de cérémonie. Mais j’eus occasion de leur voir peindre leur tappa, ou étoffe d’écorce ; occupation où ils mettent beaucoup de soin et de patience. Leurs peintures sont composées de sucs d’arbres, préparés avec de l’huile qu’ils tirent de la noix de coco. Leurs pinceaux consistent en de petites cannes de bambou, au bout des quelles ils découpent ingénieusement diverses sortes de fleurs. Ils enduisent d’abord la toile qu’ils veulent peindre, de couleur jaune, verte, ou autre quelconque ; ce qui forme le fond : ils tirent ensuite des lignes fort droites, sans se servir d’aucun instrument, l’œil seul leur servant de guide : puis ils appliquent entre ces barres, les bouts de cannes dont je viens de parler, trempés dans des sucs de couleur différente du fond. Ces étoffes ressemblent assez bien à nos indiennes et à nos toiles de coton peintes : l’huile dont elles sont imprégnées les rend impénétrables à l’eau. On dit que tes insulaires d’Atoüy surpassent tous les autres, dans l’art de peindre les étoffes.

Les insulaires de Sandwich habitent dans des villages ou bourgades de cent à deux cents maisons, distribuées sans symétrie, ou plutôt groupées dans un désordre complet. Ces maisons sont construites de poteaux plantés en terre et liés par le bout, et couvertes d’herbes ; ce qui leur donne quelque ressemblance avec nos granges Canadiennes. La longueur de chaque maison varie, selon le besoin de la famille qui l’occupe : elles ne sont point enfumées, comme les cabanes des sauvages du continent, le feu se faisant toujours en plein air.

Leurs pirogues, ou canots, sont très bien faites ; le bois en est léger et fort mince : celles qui sont simples ont un balancier, qui n’est autre chose que deux barres de bois recourbées, et liées fortement, à environ un tiers du bord, de manière à ce qu’elles retombent à fleur d’eau : une autre barre arrondie et liée aux deux premières, traîne à l’eau, et par son poids tient la pirogue en équilibre : sans cela, elle chavirerait infailliblement. Leurs pagaies, ou avirons, sont longues, et fort larges. Toutes ces pirogues portent une voile latine, qui est une natte d’herbes ou de feuilles, extrêmement bien travaillée.

Je ne suis pas demeuré assez longtems chez ces peuples, pour acquérir des notions bien étendues et bien exactes sur leur religion : je sais qu’ils reconnaissent un Être Suprême, qu’ils appellent Eatoüa, et un nombre de divinités subalternes. Chaque village a un ou plusieurs moraïs ; ces moraïs sont des espaces enclos qui servent de cimetières : dans le milieu est un bâtiment ou temple, où les prêtres seuls ont droit d’entrer : on y voit plusieurs idoles, ou statues en bois, assez grossièrement sculptées. C’est au pied de ces idoles que se déposent, et que pourissent, les offrandes du peuple, qui consistent en chiens, cochons, oiseaux domestiques, légumes, &c. Le respect que ces sauvages ont pour leurs prêtres, va presque jusqu’à l’adoration : ils regardent leurs personnes comme sacrées, et ils se feraient le plus grand scrupule de toucher aux choses, ou d’approcher des lieux sur lesquels ils ont posé le tabou, ou interdit. Ce tabou a souvent été utile aux navigateurs Européens, en les débarassant des importunités de la foule.

En parcourant Ohètity, nous vîmes plusieurs groupes d’insulaires s’amusant à différents jeux : celui de dames me parut être le plus commun. La terre carellée avec un bâton pointu, leur sert de damier ; les dames sont de petits cailloux. Comme ces jeux diffèrent de ceux qui se jouent dans les pays civilisés, nous n’y pûmes rien comprendre.

Bien que la nature ait presque tout fait pour le bonheur des habitans des îles Sandwich ; Qu’ils jouissent d’un ciel serein, et d’un air salubre, et que la terre ne demande presque aucun soin pour produire toutes les choses nécessaires à la vie, il s’en faut néanmoins qu’ils puissent être regardés comme généralement heureux : les artisans et les cultivateurs, qu’on appelle Toutous, sont à peu près ce qu’étaient les Ilotes chez les Lacédémoniens, condamnés à travailler presque continuellement pour leurs Seigneurs, ou Eris, sans espoir de récompense » et gênés jusque dans le choix de leurs alimens.[1] Comment est-il arrivé que chez un peuple encore sauvage, où les lumières des uns sont à peu près celles des autres, la classe qui est sans comparaison la plus nombreuse, se soit volontairement soumise à un joug si humiliant et si oppressif ? Les Tartares, quoiqu’infiniment moins nombreux, ont asservi les Chinois, par la raison que ceux-là étaient guerriers, et que ceux-ci ne l’étaient pas. La même chose est gans doute arrivée, à des époques plus reculées, dans la Sarmatie, et dans d’autres régions Européennes et Asiatiques. Si, aux causes physiques se joignent des causes, morales, la supériorité d’une caste, et l’infériorité de l’autre, seront encore plus marquées : on sait que les naturels de l’île d’Haïty, voyant les Espagnols arriver sur leurs côtes, dans des vaisseaux d’une grandeur pour eux étonnante, et imiter la foudre et le tonnerre avec leurs canons, les prirent pour des êtres d’une nature bien supérieure à la leur. En supposant que cette île eût été extrêmement éloignée de toute autre terre, et que les Espagnols, après se l’être assujétie, n’eussent plus communiqué avec aucun pays civilisé, au bout d’un siècle ou deux, le langage et les mœurs auraient été à peu près les mêmes ; mais il y aurait eu deux castes, l’une de seigneurs, jouissant de tous les avantages, et l’autre de serfs, chargés de tous les fardeaux. Cette théorie parait s’être réalisée anciennement dans l’Indostan ; mais s’il faut s’en rapporter à la tradition des insulaires de Sandwich, leur pays a été peuplé originairement par un homme et une femme, qui abordèrent à Ohèhy, dans une pirogue. Si donc ils ne sous-entendent pas que cet homme et cette femme vinrent avec leurs esclaves, et que les Eris sont issus des premiers, et les Toutous des derniers, ils doivent se croire la même origine, et se regarder comme égaux, et même comme frères, selon la manière de penser des sauvages. La cause de l’esclavage des femmes, chez la plupart des peuples barbares, s’explique plus facilement : les hommes se les sont assujéties par le droit du plus fort, quand l’ignorance ou la superstition ne les leur avait pas déjà fait regarder comme étant d’une nature inférieure à la leur, [2] et faites pour être leurs servantes, plutôt que leurs compagnes.

  1. Les Toutous, et les femmes, celles du roi exceptées, sont éternellement condamnés à ne se nourrir que de fruits et de légumes, les chiens et les cochons étant uniquement réservés pour la bouche des Eris.
  2. Quelques tribus saurages de l’Amérique pensent que les femmes n’ont pas d’âmes, et meurent entièrement, comme les bêtes : d’autres leur assignent un paradis différent de celui des hommes.