La Maison de la bonne presse (p. 128-132).


PLAINTE DE NOVEMBRE


À mes Amis Défunts


Dans le creux des vallons et le bois solitaire,
Dans les plaines, dans les ilots,
Novembre se promène et désole la terre
Par ses soupirs et ses sanglots.


Sous un voile grisâtre, on voit lever l’aurore,
Regrettant les soleils enfuis :
La nature frissonne, et de leur voix sonore,
Les vents pleurent dans ses débris.

En vain l’été craintif, de son dernier prestige,
Cherche-t-il à vaincre le temps ;
Sa verdure jaunit, et sur sa molle tige,
La fleur tombe sous les autans.

Le rameau se dépouille, et les feuilles flétries
Laissent les doux nids découverts,
Les oiseaux attristés, cherchant d’autres patries,
Par essaims, sillonnent les airs.


À cette heure suprême où la nature tombe,
Je songe à ceux qui ne sont plus,
Et je vais solitaire interroger la tombe
De ceux que j’ai si bien connus.

Que d’amis m’ont quitté, depuis que de la vie,
Je compte les jours, les instants !
Depuis que j’ai vu fuir l’illusion chérie
De mes premiers et doux printemps !

Chers amis, où sont donc ces rêves d’espérance
Qui caressaient vos jeunes cœurs ?
Vos rêves sont les miens, j’en garde souvenance,
Mais je n’ai pas cueilli leurs fleurs.


J’ai continué, hélas ! à déployer mes voiles
Sur l’océan du monde épris,
Et souvent j’ai vogué sous un ciel sans étoiles,
Sur des flots couverts de débris.

J’ai poursuivi ces ports que, dans notre jeune âge,
Nous voyions dans un beau lointain ;
Sans cesse fugitifs comme un brillant mirage,
J’ai cru les toucher, mais en vain.

Mais vous qui n’êtes plus de cette triste vie,
Vous réalisez votre amour ;
Pour vous revoir, j’attends que le ciel me convie,
Chers compagnons, j’attends mon tour !


À l’ombre des cyprès penchés sous la tristesse,
Sur vos tombeaux silencieux,
Je dépose, en pleurant, mes rêves de jeunesse,
Fleurs aux parfums délicieux.


Août, 1893