La Maison de la bonne presse (p. 120-127).


FRANCE, C’EST TON ENFANT


([illisible] Ville Marie, à sa séance du 31 mai 1893, présidée par sa Grandeur Mgr Émard, Évêque de [illisible])


Le dix-huitième siècle allait finir sa course :
Soufflant partout l’erreur, flattant les passions,
Il s’était dit, l’ingrat : « Je tarirai la source
Où prétend s’étancher la soif des nations »…
Qu’il était radieux, ton front, Ô belle France !
Quand des feux de la foi s’éclairait ta raison ;
Les peuples te suivaient, le cœur plein d’espérance,
Ils suivaient l’astre aimé qui dorait l’horizon.


Mais soudain, le malheur sur ta tête vint fondre,
Le mal en son génie enivra ta grandeur,
Toi, jusqu’alors si sage, on t’entendit confondre,
Nier le bien, le mal, la vérité, l’erreur.
Il ne resta de toi qu’une ombre, qu’un fantôme,
Se promettant en vain les jours qui n’étaient plus ;
Un souffle empoisonné, le souffle de Sodome
Avait terni l’éclat de tes nobles vertus.

Voltaire, dominant ta grande âme affolée,
L’enflammait de ses chants, et d’irreligion ;
Sapant l’Autorité, l’Église désolée,
Il préparait gaîment la révolution.
Ton trône d’où partaient les oracles du monde,
Où venaient soupirer les voix de l’univers,
Chancelait et grondait, comme chancelle et gronde,
Un chêne décimé que bat le flot des mers.


Ils n’étaient plus ces jours où, rayonnant de gloire,
Paris levait bien haut l’Étendard de la foi ;
Roulant des flots humains qui ne voulaient plus croire,
Il blasphémait le Christ et maudissait sa loi.
La France n’était plus la fille de l’Église,
Son bras ne s’armait plus pour la cause de Dieu ;
Oubliant ses beaux jours, reniant sa devise,
Au Credo d’autrefois elle avait dit adieu.

De tout ce que chérit et qu’honore la terre,
Voltaire ricanait du rire des démons,
Et la France riait, riait avec Voltaire…
Ô France, notre mère ! ô toi que nous aimons !
Désarme le courroux du Souverain du monde,
Épargne à tes enfants des chagrins trop amers !…
Il est trop tard, au ciel, déjà la foudre gronde,
Cent vaisseaux ennemis couvrent, hélas ! les mers.


En vain se réveillant au bruit de la tempête,
Elle ajoute une page aux exploits des aïeux.
Un des plus beaux joyaux qui décoraient sa tête,
Se détache soudain et tombe sous ses yeux.
Cette perle, en tombant, d’un vif éclat rayonne,
Comme un astre qui fuit sans espoir de retour…
Réveille-toi, ô roi ! ajuste ta couronne
Qui perd cent cinquante ans de gloire en un seul jour !

Ta puissante rivale en a fait la conquête !
Sa main qui tant de fois s’est plongée en ton sang,
Avide de vengeance, à travers la tempête
Qui gronde et fait trembler tout le vieux continent ;
Cette main qu’enchaîna la main de tes ancêtres,
Qui souvent, suppliante, implora leur pardon,
Aujourd’hui méprisant ceux qui furent ses maîtres,
Superbe, ose enlever une perle à ton front !…


Et tu souris, ô roi, quand cette perle tombe !
Et tu fermes les yeux à la postérité
Qui déjà, menaçante, aux échos de ta tombe,
Fait entendre ces mots : « déshonneur, lâcheté ? »
Hélas ! qu’as-tu donc fait de la royauté fière ?
Ne te souvient-il plus de ces illustres noms
Que l’immortalité promenait par la terre ?
Dis, qu’est donc devenu le sang pur des Bourbons ?

Aux flots de l’Océan qui baisent ton empire,
Tends l’oreille, et du sein des murmures divers,
Dont les charge, à cette heure où la France soupire,
L’écho retentissant des reproches amers,
Entends l’adieu plaintif d’un peuple d’espérance
Dont la fière Albion enlace le berceau ;
C’est le suprême adieu de la Nouvelle France
Que ton insouciance a livrée au bourreau.


Pendant cent cinquante ans, dans la vaste Amérique,
Se moquant des dangers, elle allait son chemin ;
Vivant toujours partout d’une vie héroïque,
Toujours fière et debout, toujours le glaive en main…
Par-delà l’Océan, dans son amour immense,
— À l’ombre du drapeau glorieux de la foi, —
Elle voulait donner, en jetant ta semence,
Un grand peuple à ton Dieu, des sujets à ton roi.

Mais, hélas ! c’en est fait de ces rêves sublimes !
Pour la vaincre, Albion fait les derniers efforts,
Couvre de ses soldats chacune de ses cimes,
Puis s’attaque avec rage aux débris de ses forts…
Elle succombe enfin cette vaillante race
Après bien des combats et de nobles revers ;
Albion de ses bras la saisit et l’enlace
Et chante son triomphe en d’orgueilleux concerts.


Cesse, cesse tes chants, conquérante superbe.
La rare que ton bras étreint en sa fierté,
Un jour, verra ses fils couvrir ainsi que l’herbe.
Ce sol qu’elle a rempli de sa fertilité,
C’est en vain qu’exerçant tes implacables haines,
Tu penses voir un jour son ultime soupir.
Le sang fécond et pur qui coule dans ses veines
Est un sang immortel qui ne sait point tarir.

Quand ils voyaient sur elle éclater un orage,
Et de ses jours bénis vaciller le flambeau,
Ses ennemis riaient ; mais reprenant courage
Elle brillait soudain au bord de son tombeau.
Le ciel a mis en toi sa plus chère espérance,
Ô ma patrie ! il veut que docile à ses lois,
Tu sois au Nouveau-Monde une seconde France,
Mais la France des lis, la France d’autrefois.


Oh ! oui, fais la revivre, et l’éclat de ta gloire,
Un jour rejaillira sur son front triomphant,
Et ton illustre mère, en lisant ton histoire,
Tressaillant de bonheur, dira : « c’est mon enfant ! »