Reflets d’antan/Le Retour

Reflets d’antanGrander Frères, Limitée (p. 135-137).
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XIX

LE RETOUR


 
Pendant toute la nuit les guerriers, inquiets,
Auprès de leurs grands feux, sous les sombres forêts,
Déplorèrent des chefs l’absence prolongée.
Leur âme dans l’angoisse était encor plongée
Quand le soleil monta radieux au levant,
Et que d’étranges bruits passèrent dans le vent.

Ils courent au rivage en hurlant de colère.
Deux navires berçaient leur mâture légère
Sous le fouet de la brise, au long roulis des flots.
Aux agrès s’empressaient de nombreux matelots.
D’autres chantaient ensemble en roulant les amarres.
Une morne stupeur s’empare des barbares.
Ils demeurent muets. Mais, après un moment,
Mille horribles clameurs montent au firmament.


La brise est favorable. Il n’est plus rien à craindre.
Les javelots aigus ne sauraient vous atteindre,
Partez, ô découvreurs, rois nouveaux de ces bords !
De chaque bâtiment s’élèvent des accords
Qui montent vers le ciel avec les doux arômes
Que les bois verdissants exhalent de leurs dômes.

La brise est favorable. Allez, vaisseaux bénis !
Du funèbre océan que les flots soient unis !
Ne craignez plus l’orage : Ouvrez vos blanches voiles.
Un soleil éclatant, de brillantes étoiles,
Pour vous rayonneront sur la vague des mers.
Allez ! Ne craignez plus la rage des enfers :
Leur triomphe est fini, leur puissance, enchaînée.
Déroulez vos drapeaux, la lutte est terminée.
Qu’un vent doux et constant vous reconduise au port !
La France est dans l’émoi. Ses fils, dans leur transport,
Descendant sur la rive où la vague se brise,
Vous demandent au ciel, à la mer, à la brise.
La France vous attend. Navires, dites-lui
Qu’à ses lois tout un monde est soumis aujourd’hui.

Et les deux bâtiments partent avec vitesse.
Il s’élève des ponts un long cri d’allégresse.


Mais les cinq prisonniers, des larmes dans les yeux,
Jettent à leurs forêts de douloureux adieux.
Les guerriers, de leurs bois troués de larges brèches,
Lancent vers les vaisseaux des clameurs et des flèches,
Puis l’on entend alors s’éveiller, peu à peu,
Des voix qui descendaient, semblait-il, du ciel bleu.

« De l’aurore au couchant, disaient les chants des anges,
Le saint nom du Seigneur est digne de louanges.
Dieu parle et l’univers, sur son arc brûlant,
Frémit d’un saint transport, et l’adore en tremblant.
Lui seul est éternel. Son bras soutient la terre.
Il pourrait la briser comme un jouet de verre.
Le vagabond nuage obéit à sa voix ;
Le tonnerre et le vent reconnaissent ses lois.
Il paraît, et l’éclat de son auguste face
Fait pâlir les soleils qui roulent dans l’espace.
Que tout genou fléchisse à son nom glorieux !
Que la terre le prie et qu’on le chante aux cieux ! »