Reflets d’antan/Le Départ

Reflets d’antanGrander Frères, Limitée (p. 37-41).


V

LE DÉPART


 
L’alouette souvent, pour saluer l’aurore,
A redit sa chanson sur la rive sonore,
Et le soleil du soir sur la mer et le pré,
A souvent fait descendre un long sillon pourpré.
Le port de Saint-Malo luit comme une topaze ;
Le rapide alcyon d’une aile agile rase
La surface immobile et brillante des flots.
Des bâtiments divers les joyeux matelots
Échangent des saluts que les échos répètent.
Les vaisseaux aux flancs noirs dans les eaux se reflètent,
Comme les noirs enfants du rivage africain,
Dans leurs flots rafraîchis par le vent du matin.
Sur les mâts élancés le pavillon retombe
Comme un pli de linceul sur les bords d’une tombe.
Le vent ne souffle pas. L’eau dort sur le galet.
Mais le soleil levant, comme un rouge boulet,

Vient de monter soudain à l’horizon sans brume ;
Et le vieux matelot que le repos consume
A senti dans son cœur se ranimer l’espoir :
Je voguerai, dit-il, avec le vent du soir.

Mais où vont ces vaisseaux avec leur vaillant monde ?
Cent barques autour d’eux glissent, volent sur l’onde,
Comme autour d’une ruche un intrépide essaim.
Un profond grondement s’élève de leur sein.
Ils sont trois. Le premier sur les vagues d’opale,
Impatient, s’agite ainsi qu’une cavale.
Et c’est la Grande Hermine, un nom fier et nouveau.
À la cime du mat flotte le blanc drapeau.
Le valeureux Cartier commande ce navire.
Le second, qui, plus loin, lève son ancre et vire,
C’est la Petite Hermine. Auprès, l’Émerillon
Se drape avec orgueil dans son grand pavillon.
LeBreton, Jalobert, en sont les capitaines.
Ils escortent Cartier jusqu’aux plages lointaines.

Cependant un doux son fait résonner les airs,
Et va, dans le lointain expirer sur les mers ;
C’est de l’airain sacré l’humble voix qui s’empresse
D’appeler, pour l’adieu, les marins à la messe.


Des vaisseaux pavoisés commandants, matelots,
Descendent tour à tour dans les nombreux canots.
Cartier vient le premier. Le bonheur l’illumine.
Sur son front élevé l’audace se dessine.
Sa joue est cave. Il prie ; et rien en lui n’est vain.
Dans son regard profond luit un rayon divin.

Vers l’église qui s’ouvre, à pas lents il s’avance,
Et tous les matelots le suivent en silence.
Le temple s’est paré de riches ornements,
Le prêtre porte alors ses plus beaux vêtements.
Un chant plus solennel monte du sanctuaire.
L’encens est plus suave, et la foi, plus sincère.
Aux colonnes du chœur flottent de grands drapeaux ;
Et sur l’autel doré scintillent les flambeaux.
Pendant que le Pasteur offre le sacrifice,
Les marins à genoux, pour se rendre propice
Le Dieu dont l’univers aime et bénit la loi,
Ne cessent de prier avec ardeur et foi.
Et leurs fronts humblement s’inclinent jusqu’à terre,
Au moment solennel où le divin mystère
S’accomplit, à la voix du ministre de Dieu.
Un silence profond règne alors au saint lieu.
Le prêtre se recueille, et, dans sa foi sublime,
Élève vers le ciel la céleste Victime.


Adorez, ô marins, adorez à genoux,
Le Sauveur bien aimé qui descend parmi vous !
Il est de tout bienfait l’inépuisable source.
Les anges vous suivront dans votre longue course.
Habiles, vigoureux, sans craindre les dangers,
Allez, pieux marins, vers des bords étrangers !

La messe sainte est dite. Une foule environne
Les nombreux matelots, dont la face rayonne
Comme l’arbre argenté par le givre d’hiver.
Elle couvre bientôt la rive de la mer.
Pendant que les héros montent sur leurs navires,
On voit luire des pleurs à travers les sourires.

Cependant le vent souffle et soulève les flots,
Sur les trois bâtiments on voit les matelots
Lever l’ancre en chantant, puis, dérouler les voiles.
Comme dans l’or des cieux vogueraient trois étoiles,
Les orgueilleux vaisseaux se bercent un moment
Et tracent dans la mer un sillon écumant.

Voguez, braves marins, vers un lointain rivage !
Le monde redira votre étonnant courage,
Il bénira votre œuvre. Et toi, noble Cartier,
Tu révèles ton nom à l’univers entier.


Voguez, braves marins ! Que le ciel vous conduise !
À vos yeux inquiets que son étoile luise,
Pour éclairer les eaux et signaler l’écueil !
Et que l’onde pour vous ne soit pas un cercueil !