Recueil général des anciennes lois françaises/Édit qui, en cas de défaillance des princes légitimes de la maison de Bourbon, appelle à la succession au trône les princes légitimés

No 2244. — Édit qui, en cas de défaillance des princes légitimes de la maison de Bourbon, appelle à la succession au trône les princes légitimés[1].

Marly, juillet 1714. (Archiv. — Rec. cass.) Reg. P. P., 2 août.


LOUIS, etc. L’affection que nous portons à notre très-cher et bien amé fils, Louis-Auguste de Bourbon, duc du Maine, et à notre très-cher et bien amé fils, Louis-Alexandre de Bourbon, comte de Toulouse, nous a engagé à les légitimer, et à leur donner le nom de Bourbon par nos lettres des mois de décembre 1673 et novembre 1681, registrées partout où il a été besoin ; nous avons vu depuis, avec une entière satisfaction, qu’ils se sont rendus dignes du nom qu’ils portent ; l’attachement qu’ils ont toujours eu pour notre personne, le zèle qu’ils ont marqué pour le bien de l’État, nous les a fait juger capables de posséder les plus grandes charges et les gouvernemens des principales provinces du royaume ; nous avons aussi estimé devoir les faire jouir des prérogatives et avantages dus à leur naissance, en leur accordant, au mois de mai 1694, des lettres pour tenir, eux et leurs descendans en légitime mariage, le premier rang immédiatement après les princes du sang royal, en tous lieux, actes, cérémonies, assemblées publiques et particulières, même en notre cour de parlement de Paris et ailleurs, en tous actes de pairies quand ils en auroient, et précéder tous les princes des maisons qui ont des souverainetés hors notre royaume, et tous autres seigneurs, de quelque qualité et dignité qu’ils puissent être ; et en ordonnant que dans toutes les cérémonies qui se font en notre présence et partout ailleurs, nosdits fils les duc du Maine et ses enfans, le comte de Toulouse et ses enfans, jouissent des mêmes honneurs, rangs et distinctions dont, de tout temps, ont accoutumé de jouir les princes de notre saug, immédiatement après lesdits princes de notre sang ; ce que nous leur aurions confirmé par nos brevets des 20 et 21 mai 1711. Mais, voulant leur donner encore de plus grandes marques de notre tendresse et de notre estime, nous croyons devoir porter nos vues plus loin en leur faveur, en pourvoyant en même temps à ce que nous croyons être du bien et de l’avantage de notre État : et quoique par le grand nombre de princes du sang dont la maison royale est présentement composée, il y ait tout sujet d’espérer que, Dieu continuant d’y répandre sa bénédiction, la couronne y demeurera pendant une longue suite de siècles, une sage prévoyance exige néanmoins de notre amour pour la tranquillité de notre royaume, que nous prévenions les malheurs et les troubles qui pourroient y arriver, si tous les princes de notre maison royale venoient à manquer ; ce qui feroit naître des divisions entre les grands seigneurs du royaume, et donneroit lieu à l’ambition pour s’assurer la souveraine autorité par le sort des armes, et par d’autres voies également fatales à l’État. La crainte d’un si triste événement, que nous prions Dieu d’éloigner à jamais, nous engage d’assurer à notre royaume des successeurs qui y soient déjà fortement attachés par leur naissance, et de désigner ceux à qui cette couronne devra être dévolue dans les temps à venir, s’il arrivoit qu’il ne restât pas un seul prince légitime du sang et de la maison de Bourbon, pour porter la couronne de France, nous croyons qu’en ce cas l’honneur d’y succéder seroit dû à nosdits enfans légitimés, et à leurs enfans et descendans mâles, nés en légitime mariage, tant que leurs lignes subsisteront, comme étant issus de nous.

Pour ces causes, etc., déclarons et ordonnons par le présent édit perpétuel et irrévocable, que si dans la suite des temps tous les princes légitimes de notre auguste maison de Bourbon venoient à manquer, en sorte qu’il n’en restât pas un seul pour être héritier de notre couronne, elle soit, dans ce cas, dévolue et déférée de plein droit à nosdits fils légitimés, et à leurs enfans et descendans mâles à perpétuité, nés et à naître en légitime mariage, gardant entre eux l’ordre de succession, et préférant toujours la branche aînée à la cadette, les déclarant, par cesdites présentes, capables audit cas seulement de manquement de tous les princes légitimes de notre sang, de succéder à la couronne de France exclusivement à tous autres. Voulons aussi que nosdits fils légitimés le duc du Maine, et ses enfans et descendans mâles, et aussi le comte de Toulouse et ses enfans et descendans mâles à perpétuité, nés en légitime mariage, aient entrée et séance en notre cour de parlement au même âge que les princes de notre sang, encore qu’ils n’eussent point de pairies, sans être obligés d’y prêter serment, et qu’ils y reçoivent et jouissent des mêmes honneurs qui sont rendus aux princes de notre sang ; qu’ils soient en tous lieux et toutes occasions regardés et traités comme les princes de notre sang, après néanmoins tous lesdits princes de notre sang, et avant tous les autres princes des maisons souveraines et tous autres seigneurs, de quelque dignité qu’ils puissent être ; voulons que cette prérogative d’entrée et séance au parlement, et de jouir pour eux et leurs descendans, tant dans les cérémonies qui se font et se feront en notre présence, et des rois nos successeurs, qu’en tous autres lieux, des mêmes rangs, honneurs et préséances dues à tous les princes du sang royal, après néanmoins tous lesdits princes de notre sang, soit attachée à leurs personnes, et à celles de leurs descendans à perpétuité, à cause de l’honneur et avantage qu’ils ont d’être issus de nous ; dérogeant à nos édits des mois de mai 1694, et mai 1711, en ce qu’ils peuvent être contraire à ces présentes seulement. Si donnons, etc.


  1. Cet édit fut enregistré en présence du duc de Bourbon, du prince de Conti, et d’un grand nombre de ducs et pairs. — Voici comment le premier président et le procureur général rendirent compte des volontés du roi. « Le roi, a dit le premier président, nous ayant fait commander à son procureur général et à moi, d’aller dimanche dernier à Marly pour y recevoir ses ordres, nous nous y rendîmes sur le midi ; nous fûmes introduits dans le cabinet de S. M. à l’issue de son dîner.

    « Alors le roi nous fit l’honneur de nous dire qu’après de très-sérieuses réflexions il avoit résolu de changer le rang de monsieur le duc du Maine et de monsieur le comte de Toulouse, de leurs enfans nés ou à naître, et descendans mâles en légitime mariage, d’égaler en tout leur rang à celui des princes du sang ; que sa volonté étoit qu’ils eussent droit de prendre séance au parlement à l’âge de 15 ans, quand même ils n’auroient point de pairie, comme il se pratique à l’égard des princes du sang ; qu’ils ne prétassent point de serment ; qu’ils traversassent le parquet de la grande chambre ; qu’en prenant leurs avis, on ne les nommât point ; en un mot, qu’il vouloit que nous leur rendissions ici les mêmes honneurs qu’aux princes du sang, sans aucuns en excepter,

    « Que portant ses vues plus loin, au cas que Dieu dans sa colère voulût enlever à la France tout ce qui nous reste de princes légitimes de l’auguste maison de Bourbon, son intention étoit, beaucoup plus pour l’intérêt de l’état, que pour l’utilité particulière de ses enfans légitimés, que monsieur le duc du Maine et ses enfans mâles, monsieur le comte de Toulouse et ses enfans mâles, et leurs descendans mâles, à perpétuité, nés en légitime mariage, fussent déclarés capables de succéder à la couronne, dans le cas seulement qu’il ne restât aucun prince légitime de la maison royale ; qu’il regardoit comme un devoir indispensable envers ce nombre innombrable de peuples qui composent ce grand royaume, de ne les pas laisser exposés aux troubles et à l’ambition qui déchireroient infailliblement les entrailles de l’état, si la succession à la couronne ne se trouvoit pas réglée et établie. Sa Majesté nous ajouta que la précaution qu’elle prenoit de faire répéter plusieurs fois dans l’édit, après le dernier des princes du sang, lui avoit persuadé qu’elle ne faisoit tort à personne. Les princes du sang seuls ayant un droit légitime à cette grande succession.

    « J’ai cru, messieurs, avant la lecture de l’édit que le procureur-général du roi va vous apporter, devoir vous rendre compte des volontés du roi, ainsi que S.  M. m’a permis de le faire.

    Joli de Fleury, avocat du roi, a dit au nom des gens du roi que l’édit que le roi leur ordonne d’apporter à la cour, appelle à la couronne monsieur le duc du Maine, monsieur le comte de Toulouse, et leurs descendans mâles, après tous les princes du sang royal, dont il leur communique en même temps tous les honneurs et toutes les prérogatives ;

    Qu’avant que de leur adresser cet édit pour le présenter à la cour, le roi leur avait fait l’honneur de les mander à Marly pour leur apprendre lui-même ses volontés et leur donner ses ordres sur ce sujet ; qu’ils les ont reçus avec tout le respect qui leur est dû, et qu’ils lui ont dit qu’une disposition de cette nature touchoit une matière si élevée, et étoit d’une si grande importance, qu’ils ne pouvoient douter qu’il n’y eût fait toutes les réflexions que sa profonde sagesse devoit lui inspirer ; et qu’au surplus, si le mérite donnoit un droit à la couronne, personne ne pourroit y aspirer plus justement, au défaut des princes de son sang, que ceux qu’il honoroit de son choix ;

    Que le roi leur avoit fait l’honneur de leur dire, que la résolution qu’il avoit prise n’étoit pas tant l’effet de son affection pour des princes si dignes de sa tendresse, que de son amour pour ses peuples, et d’une juste prévoyance de l’avenir ;

    Qu’après la perte de tant de princes du sang royal, qui lui avoit appris que les événémens les plus tristes, et les moins vraisemblables n’etoient pas cependant impossibles, il avoit jugé qu’il étoit de sa prudence de prévoir ce qui arriveroit dans son royaume, si Dieu enlevoit à la France jusqu’aux dernières espérances d’une maison qu’il conserve depuis tant de siècles ; que, pour assurer l’état de la succession à la couronne dans un malheur dont il prioit Dieu de préserver son royaume, pour prévenir les discordes et les guerres civiles dont la France seroit alors menacée, il avoit crû ne pouvoir rien faire de mieux que d’établir dès à présent un second ordre de successeurs à la couronne ; et de les substituer au défaut de ceux à qui leur naissance a donné le droit de monter sur le trône ; que telles étoient les vues que le roi s’étoit proposées dans l’édit dont ils étoient chargés ; que c’étoient les motifs qu’il leur avoit fait l’honneur de leur expliquer lui-même, et dont il étoit de leur devoir d’instruire la cour, en lui rendant compte des ordres qu’ils avoient reçus sur cet édit ; et qu’il ne leur restoit plus que d’en requérir l’enregistrement, comme ils le faisoient par les conclusions par écrit du procureur général du roi, qu’ils laissoient à la cour avec l’édit et la lettre de cachet du roi : et se sont retirés.