Reclus - Correspondance, tome 1/10
À Élie Reclus, chez Lady Sparrow, Huntingdon.
Rien ne m’empêche de perdre mon temps à t’écrire, car mon feu s’est éteint, je grelotte, comment pourrais-je faire quelque chose d’utile ?
D’abord, ô homme, as-tu pris racine là-bas ? Si oui, je me réjouis, car ce sont des sous, ce sont des dessins, des cartes, des joies, des Australies diverses. Reste donc pregainger[1].
Mais si non, quand reviendras-tu ? Mes divers petits arrangements misérables, mes chicanes de haillons, mes batteries pouilleuses, tout cela ne demanderait pas mieux que de savoir le jour et l’heure de ton arrivée en chair et en os.
Je prévois d’ici que, là-dessus, tu n’en sais pas plus long que moi ; en tout cas, si je ne puis devenir Grocer ou Milliner ou bien Ironmonger[2], tâche de tomber comme une bombe le jour où je me mettrai poliment à la porte, parcourant les rues de Londres, à la recherche d’une position sociale.
Au reste, mes affaires vont bien. Je suis pauvre diable en conscience. Mannering est parvenu à emprunter une livre pour me le prêter ; tu vois que c’est un bon diable, et puis, si je ne voulais faire le grand seigneur, rien ne m’empêcherait de vivre à crédit dans la maison, je suppose. Mais le chiffre, le chiffre de ton retour ; je suis fort sur les chiffres, tu le sais assez pour me permettre des barbarismes.
Je suis les cours homéopathiques et je m’aperçois que, de même que nous sommes les seuls swédenborgiens de Londres, de même aussi nous en sommes les seuls homéopathes. L’opposition qui s’abaisse jusqu’à élire son pourfendeur Cavaignac me ferait croire que nous sommes aussi les seuls socialistes. Mais, comme tu le dis, Napoléon est à la tête de la conjuration des peuples et Lord Derby est un des boute-feux. À Manchester, il a pondu 36 000 livres en un jour. Moi j’en aurais été incapable.
Je te salue Homme de Cœur.