Recherches sur des hybrides végétaux/I/8

Traduction par Albert Chappelier.
Gauthier-Villars (Bulletin biologique de la France et de la Belgique, t. XLIp. 385-391).



Les descendants des hybrides chez lesquels sont groupés plusieurs caractères différentiels.


Pour les expériences dont il vient d’être parlé, on a employé des plantes qui différaient par un seul caractère essentiel. Il restait à rechercher si la loi de formation déjà trouvée était également valable pour chaque couple de caractères différentiels, lorsque plusieurs caractères différents sont réunis dans l’hybride par la fécondation. Les recherches concordent pour montrer que, dans ce cas, la forme des hybrides se rapproche constamment de celle des deux plantes souches qui a le plus grand nombre de caractères dominants. Si, par exemple, la plante femelle a un axe court, des fleurs blanches terminales et des gousses à renflement continu ; si, de son côté, la plante mâle a un axe long, des fleurs rouge-violacé axiales et des gousses étranglées, l’hybride ne rappelle la plante femelle que par la forme de la gousse ; pour les autres caractères, il coïncide avec la plante mâle. Si l’une des plantes souches n’a que des caractères dominants, l’hybride ne peut alors en être distingué que peu ou pas du tout.

Deux expériences ont été faites avec un assez grand nombre de plantes. Dans la première, les plantes souches différaient par la forme des graines et la coloration de l’albumen ; dans la seconde, par la forme des graines, la coloration de l’albumen et la couleur de l’épisperme. Les expériences faites avec des caractères empruntés aux graines conduisent le plus simplement et le plus sûrement au but.

Pour faciliter l’exposition, on désigne, dans ces expériences, les caractères différentiels de la plante femelle par A, B, C, ceux de la plante mâle par a, b, c et les formes hybrides de ces caractères par A a, B b, C c.

Première expérience :

A B plante femelle. a b plante mâle.
A forme ronde. a forme anguleuse.
B albumen jaune. b albumen vert.

Les graines fécondées sont rondes et jaunes, semblables à celles de la plante femelle. Les plantes que l’on a élevées donnent des graines de quatre sortes qui se trouvent souvent ensemble dans la même gousse. 15 plantes donnèrent en tout 556 graines dont

315 rondes et jaunes.
101 anguleuses et jaunes.
108 rondes et vertes.
032 anguleuses et vertes.

Toutes furent semées l’année suivante.

Parmi les graines rondes et jaunes 11 ne levèrent pas, et 3 plantes n’arrivèrent pas à fructification. Parmi les plantes restantes

38 avaient des graines rondes et jaunes A B.
65 » » rondes, jaunes et vertes A Bb.
60 » » rondes, jaunes, et anguleuses et jaunes Aa B.
138 » » rondes, jaunes et vertes — anguleuses, jaunes et vertes Aa Bb.

96 plantes provenant des graines anguleuses arrivèrent à fructification :

28 n’avaient que des graines anguleuses jaunes a B.
68 des graines anguleuses, jaunes et vertes a Bb.

Sur 108 graines rondes et vertes, 102 plantes donnèrent des fruits :

35 n’avaient que des graines rondes et vertes Ab.
67 des graines vertes, rondes et anguleuses A ab.

Les graines vertes et anguleuses donnèrent 30 plantes avec des graines toutes semblables, elles restaient constantes : ab.

Les descendants des hybrides se présentent donc sous 9 formes différentes dont quelques-unes en quantités très inégales. En les groupant ou en les rangeant par ordre, on obtient :

038 plantes avec la caractéristique ..... A B.
035 plantes» avec la» caractéristique» ..... A b.
028 plantes» avec la» caractéristique» ..... a B.
030 plantes» avec la» caractéristique» ..... a b.
065 plantes» avec la» caractéristique» ..... A Bb.
068 plantes» avec la» caractéristique» ..... a Bb.
060 plantes» avec la» caractéristique» ..... Aa B.
067 plantes» avec la» caractéristique» ..... A B.
138 plantes» avec la» caractéristique» ..... Aa Bb.

Toutes les formes peuvent être classées dans trois subdivisions essentiellement différentes. La première comprend celles désignées par A B, A b, a B, a b ; elles ne possèdent que des caractères constants et ne changent plus dans les générations suivantes. Chacune de ces formes est représentée 33 fois en moyenne. Le second groupe contient les formes A Bb, a Bb, Aa B, Aa b ; elles sont constantes par un caractère, hybrides par l’autre, et ne varient, dans la génération suivante, qu’en ce qui touche ce dernier. Chacune d’elles apparaît en moyenne 65 fois. La forme Aa Bb se trouve 138 fois, elle est hybride par ses deux caractères et se comporte exactement comme les hybrides dont elle provient.

Si l’on compare le nombre des formes dans les trois subdivisions, on doit admettre le rapport moyen 1 : 2 : 4. Les nombres 33, 65, 138 donnent des valeurs très suffisamment approchées de 33, 66, 132.

La série des formes évolutives comprend donc 9 termes dont 4 s’y trouvent chacun une fois et sont constants par leurs deux caractères : les formes A B et a b sont semblables aux espèces souches ; les deux autres représentent les autres combinaisons constantes que l’on peut encore obtenir de la réunion des caractères A, a, B, b. Quatre termes figurent chacun deux fois et sont constants par un caractère, hybrides par l’autre. Un terme apparaît quatre fois et est hybride par ses deux caractères. Par conséquent, la descendance des hybrides, quand des caractères différentiels de deux sortes se trouvent groupés chez ceux-ci, est représentée par l’expression :

A B + A b + a B + a b + 2 A Bb + 2 a Bb + 2 Aa B + 2 A ab + 4 Aa Bb.

Cette série de formes est, sans contredit, une suite de combinaisons dans lesquelles sont réunies les deux séries de formes données par les caractères A et a, B et b. On obtient tous les termes de la série en multipliant : A + 2 A a + a
par B + 2 B b + b

Deuxième expérience :

A B C plante femelle. a b c plante mâle.
A forme ronde. a forme rugueuse.
B albumen jaune. b albumen vert.
C épisperme brun gris. c épisperme blanc.

Cette expérience fut conduite de façon tout à fait analogue à la précédente : de toutes les expériences, c’est celle qui a demandé le plus de temps et de peine. 24 hybrides donnèrent en tout 687 graines, toutes pointillées, colorées en brun-gris ou vert-grisâtre, rondes ou anguleuses. Elles produisirent l’année suivante 639 plantes fertiles, parmi lesquelles, ainsi que le montrèrent les recherches ultérieures, se trouvaient :

08 Plantes A B C 22 Plantes A B Cc 45 Plantes A Bb Cc
14 Plantes» A B c 17 Plantes» A b Cc 36 Plantes» a Bb Cc
09 Plantes» A b C 25 Plantes» a B Cc 38 Plantes» Aa B Cc
11 Plantes» A b c 20 Plantes» a b Cc 40 Plantes» Aa b Cc
08 Plantes» a B C 15 Plantes» A Bb C 49 Plantes» Aa Bb C
10 Plantes» a B c 18 Plantes» A Bb c 48 Plantes» Aa Bb c
10 Plantes» a b C 19 Plantes» a Bb C
07 Plantes» a b c 24 Plantes» a Bb c
14 Plantes» Aa B C 78 Plantes» Aa Bb Cc
18 Plantes» Aa B c
20 Plantes» Aa b C
06 Plantes» Aa b c

La série des formes évolutives comprend 27 membres dont 8 sont constants par tous leurs caractères, chacun se rencontre en moyenne 10 fois ; 12 ont deux de leurs caractères constants et le troisième hybride, chacun apparaît en moyenne 19 fois ; 6 ont un caractère constant, les deux autres hybrides, chacun d’eux se présente en moyenne 43 fois ; une forme se rencontre 78 fois et a tous ses caractères hybrides. Les nombres 10 : 19 : 43 : 78, sont si approchés de 10 : 20 : 40 : 80 ou de 1 : 2 : 4 : 8 que ces derniers représentent, sans aucun doute, les valeurs réelles.

Le développement des hybrides, dans le cas où les espèces souches diffèrent par trois caractères, a donc lieu suivant l’expression :

A B C + A B c + A b C + A b c + a B C + a B c + a b C + a b c + 2 A B C c + 2 A b C c + 2 a B C c + 2 a b C c + 2 A B b C + 2 A B b c + 2 a B b C + 2 a B b c + 2 A a B C + 2 A a B c + 2 A a b C + 2 A a b c + 4 A B b C c + 4 a B b C c + 4 A a B C c + 4 A a b C c + 4 A a B b C + 4 A a B b c + 8 A a B b C c.

Nous avons également ici une série de combinaisons dans lesquelles les séries évolutives relativement aux caractères A et a, B et b, C et c sont liées entre elles. En multipliant A + 2 A a + a
par B + 2 B b + b
et le résultat obtenu par C + 2 C c + c

on obtient tous les termes de la série. Les combinaisons constantes qu’on y rencontre correspondent à toutes celles qui sont possibles entre les caractères A, B, C, a, b, c. Deux d’entre elles, ABC et abc, sont semblables aux deux plantes souches.

On fit en outre plusieurs expériences avec un plus petit nombre de plantes d’essai, chez lesquelles les autres caractères étaient réunis par deux et par trois par l’hybridation ; toutes ont donné, à peu de chose près, les mêmes résultats. Il n’est par conséquent pas douteux que l’on puisse appliquer à tous les caractères admis en expérience le principe suivant : les descendants des hybrides chez lesquels sont réunis plusieurs caractères essentiellement différents, représentent les différents termes d’un série de combinaisons dans lesquelles sont groupées les séries de formes de chaque couple de caractères différents. Il est en même temps prouvé par là que la façon dont se comporte en combinaison hybride chaque couple de caractères différents est indépendante des autres différences que présentent les deux plantes-souches.

Si n désigne le nombre des différences caractéristiques chez les deux plantes souches, 3n donne le nombre des termes de la série de combinaisons, 4n le nombre des individus qui se trouvent dans la série et 2n le nombre des combinaisons qui restent constantes. Ainsi, par exemple, si les plantes-souches différent par quatre caractères, la série contient : 34 = 81 termes, 44 = 256 individus et 24 = 16 formes constantes ; ou bien, ce qui revient au même, sur 256 descendants des hybrides il y a 81 combinaisons différentes dont 16 sont constantes.

Tous les produits constants que l’on peut obtenir chez Pisum par la combinaison des sept caractères typiques déjà cités, l’ont été réellement par des croisements répétés. Leur nombre est donné par 27 = 128. Nous avons, par là même, la preuve effective que les caractères constants que l’on rencontre chez différentes formes d’un groupe de plantes peuvent donner, par fécondation artificielle répétée, tous les groupements qu’indique la loi des combinaisons.

Les recherches concernant l’époque de floraison des hybrides ne sont pas encore terminées. On peut cependant dire, dès maintenant, qu’elle est presque exactement intermédiaire entre celle de la plante femelle et celle de la plante mâle, que l’évolution des hybrides se fait vraisemblablement pour ce caractère comme pour les autres. Les formes qu’il faut choisir pour des recherches de ce genre doivent différer au moins d’une vingtaine de jours dans leurs époques moyennes de floraison : il est, de plus, indispensable que les graines soient toutes semées à la même profondeur, afin d’obtenir une germination simultanée. En outre, il faut, pendant toute la floraison, tenir compte des variations de température assez importantes pour accélérer ou ralentir l’épanouissement. On voit que cette expérience doit surmonter des difficultés d’ordres divers et demande une grande attention.

Si nous cherchons à résumer les résultats obtenus, nous trouvons que les caractères différentiels, susceptibles d’être distingués facilement et sûrement chez les plantes en expérience, se comportent tous absolument de la même façon en combinaison hybride. La moitié des descendants des hybrides de chaque couple de caractères différentiels est également hybride ; — l’autre moitié est constante ; elle se divise en deux groupes égaux possédant, l’un le caractère de la plante femelle, l’autre celui de la plante mâle. Si la fécondation réunit chez un même hybride plusieurs caractères différentiels, les descendants de cet hybride correspondent aux différents termes d’une série de combinaisons dans laquelle sont groupées les séries des formes dérivant de chaque couple de caractères différentiels.

Les résultats si concordants fournis par tous les caractères soumis à l’expérience autorisent parfaitement et justifient une généralisation relative aux autres caractères qui apparaissent dans les plantes d’une façon moins frappante. Bien que ces caractères ne puissent être soumis à des expériences particulières, on doit admettre qu’ils se comportent de la même manière. Une expérience sur des pédoncules floraux de différentes longueurs donna, en bloc, un résultat suffisamment satisfaisant, bien que le triage et le rangement des formes n’aient pu être effectués avec la précision indispensable à des recherches correctes.