Recherches statistiques sur l’aliénation mentale faites à l’hospice de Bicêtre/I/III/B

B.Monomanie.

Les monomanies, au nombre de 66, nous ont présenté un grand nombre de variétés relativement à l’objet du délire. On va en juger par le tableau suivant, qui fait connaître les particularités de ces perversions partielles de l’entendement.

Roi de France, 3 Inspiré, 1
Empereur de Russie, 1 Religion, 5
Archiduc d’Autriche, 1 Remords, 1
Dauphin de France, 1 Napoléon, 1
Époux d’une princesse, 3 Fils de Napoléon, 2
Amour des richesses, 4 Penchant à l’homicide, 2
Époux d’une riche héritière, 1 Penchant au suicide, 9
Inventeur, 5 Hypocondrie, 4
Savant distingué, 2 Hallucinations isolées, 15
Prophète, 1 Découverte de complots, 4
66

En résumant ce tableau, on voit que le délire a porté le plus souvent sur des idées d’ambition ; cinq fois la monomanie religieuse a été observée ; nous avons eu un prophète, un inspiré : ce dernier ne cessait pas de chanter, il prétendait qu’il n’était pas maître de lui et qu’une volonté plus forte que la sienne lui commandait de parler. Notre époque, remarquable par son activité intellectuelle, a fourni son contingent : l’un a cru avoir trouvé le mouvement perpétuel, un autre voulait fabriquer un superbe vase pour l’exposition des travaux de l’industrie, un troisième avait inventé un nouveau système de chemin de fer, etc. Nouvelles preuves de l’influence des événements sur la forme de la folie.

Le penchant au suicide a été fréquemment observé : un de nos malades est mort en se coupant le cou avec un rasoir, deux s’étaient tiré un coup de pistolet sur la région du cœur, un autre avait voulu se noyer, un cinquième avait tenté de s’asphyxier ; les autres n’avaient fait que quelques menaces non suivies d’exécution.

Les hallucinations qui ont existé chez ces malades ont été isolées dans quatorze cas et ont constitué toute la maladie. D’autres fois elles ont été mêlées au trouble partiel des facultés et venaient le compliquer. Ces hallucinations ont porté :

19 sur l’ouïe,
11 sur la vue,
3 sur le goût,
1 sur le toucher,
1 sur les organes internes.

Ce sont celles de l’ouïe, comme pour la manie, qui ont été les plus fréquentes, ensuite celles de la vue ; nous n’avons pas observé d’hallucinations de l’odorat. Plusieurs de ces hallucinations existaient simultanément chez le même individu, celles de la vue et de l’ouïe surtout ont été souvent associées ; chez aucun de nos malades elles n’ont porté sur tous les sens.

Nous ne nous arrêterons pas davantage sur cette forme d’aliénation ; le trouble n’ayant porté que sur une seule série d’idées, il serait inutile d’analyser l’état de toutes les facultés. Quant aux fonctions organiques, nous ne les avons jamais vues lésées, à part les cas de complication qui ont pu survenir, mais qui n’avaient aucune liaison avec le désordre de l’esprit.