Recherches statistiques sur l’aliénation mentale faites à l’hospice de Bicêtre/I/III/A
Dans cette forme d’aliénation, il existe plusieurs variétés qu’il est très intéressant de faire ressortir. Les deux principales sont la manie aiguë et la manie chronique : l’une récente, ne datant que de quelques jours ou de quelques mois ; l’autre durant depuis plusieurs années, et offrant le plus souvent des signes d’incurabilité. Les maniaques, qui sont compris dans la première, se présentent sous deux états : tranquilles ou agités. Les uns parfaitement calmes, ne paraissant pas fous au premier abord, surtout aux yeux des gens du monde, pour qui la folie est inséparable de l’agitation ; mais si l’on s’entretient avec ces malades, on observe, soit de l’incohérence dans leurs discours, soit dans leur physionomie et quelques-unes de leurs actions, quelque chose qui dénote un trouble cérébral. Les autres sont furieux, suivant l’expression adoptée ; leur folie, tout à fait comparable au délire de la méningite, est remarquable par le degré d’excitation qui accompagne tous les actes auxquels on les voit s’abandonner. Ces derniers, en raison de la durée du délire, doivent être distingués en deux espèces : l’une, où la manie suit la marche aiguë d’une maladie inflammatoire, et se termine comme elle dans un court espace de temps ; l’autre, où le délire, quoique suivi d’agitation, se prolonge fort longtemps et se rapproche souvent du terme où commence la folie chronique. Sous le rapport de la marche de cette affection, nous reconnaissons trois variétés : l’une, continue, et c’est la plus commune ; l’autre, offrant des rémissions de un ou plusieurs jours ; la dernière ne se représentant qu’à des périodes éloignées, mais assez régulières, et à des époques souvent déterminées, sans que de nouvelles causes aient paru avoir agi sur l’individu. Une autre variété qu’il ne faut pas oublier est la manie raisonnante, cette manie sans délire, comme dit Pinel : à cette variété appartiennent les individus susceptibles de raisonnement, sans incohérence dans leurs discours, mais présentant, dans leur manière de parler ou de faire, une certaine excitation ; discutant sans cesse, et affectant une droiture d’esprit dont ils s’écartent à chaque instant. Enfin, relativement au développement de la manie, il faut savoir qu’elle est tantôt idiopathique, sous la dépendance immédiate et primitive d’une aberration de l’esprit, tantôt symptomatique d’une affection locale du cerveau ou d’un organe plus ou moins éloigné, tantôt enfin survenant à la suite de l’ivresse, et ayant dans ce cas ordinairement une courte durée.
Maniaques 181 | Manie chronique 19 | Continue 129 | De courte durée 64 | |||||
Idiopathique 141 | De longue durée 65 | |||||||
Manie aiguë 162 | Rémittente 3 | |||||||
Intermittente 4 | ||||||||
Raisonnante 5 | ||||||||
Suite de l’ivresse 15 | ||||||||
Suite de maladies 6 |
Telles sont les variétés que nous avons cru devoir noter, et l’ordre de fréquence que chacune d’elles présente. Le délire chez ces malades ne s’est pas toujours montré sous le même aspect. Voici les principaux caractères qu’il a revêtus :
Ambitieux, | 38 | fois. |
Triste, | 18 | |
Loquace, | 16 | |
Gai, | 9 | |
Taciturne, | 5 | |
Obscène, | 5 | |
Sans caractère prédominant, | 90 | |
Total. | 181 |
À part les individus dont le délire n’avait rien de spécial, le caractère ambitieux a prédominé, puis la tristesse, et en troisième lieu la loquacité.
Une complication très fréquente dans la manie, c’est un trouble des fonctions sensitives connu sous le nom d’hallucination et d’illusion. Voici celles que nous avons rencontrées :
Illusions | de la vue, | 9 | fois. |
de l’ouïe, | 7 | ||
Hallucinations | de l’ouïe, | 23 | |
de la vue, | 21 | ||
du goût, | 5 | ||
du toucher, | 2 | ||
de l’odorat, | 1 | ||
Hallucinations internes, | 2 | ||
Total. | 70 |
Dans ce nombre, il faut compter quatre individus qui avaient des hallucinations doubles, de la vue et de l’ouïe, et un qui en avait de quatre sens ; aucun d’eux n’a offert des hallucinations de tous les sens. Le nombre des hallucinations a dû certainement être plus considérable ; mais il en est beaucoup qui ont dû nous échapper au milieu de l’agitation maniaque et en raison des autres troubles avec lesquels elles existaient. Nous avions cru d’abord pouvoir apprécier par des chiffres les troubles fonctionnels de la vie organique ; mais ces symptômes étant nuls le plus souvent et peu variés lorsqu’ils existent, nous avons pensé devoir nous borner à une simple énumération de ceux que nous avons été à même d’observer. Nous avons vu dans quelques cas un mouvement fébrile bien prononcé, le pouls fort, plein et rebondissant ; on aurait dit une maladie inflammatoire : c’était dans des cas où l’agitation était très vive et ordinairement au début de la manie. Les fonctions respiratoires sont restées intactes, mais les fonctions digestives ont offert quelques troubles dans les manies très aiguës ; des fuliginosités sur les dents, une constipation opiniâtre, etc. Il y a eu quelquefois de l’anorexie, mais le plus souvent l’appétit était conservé.